Arrowsic. C’était donc dans cette petite ville ringarde que c’était cachée Phoebe. Des plages, des phares, trois commerces de restauration et un minuscule parc. Tout ici était si différent de Londres ! Les rues désertes, les magasins inexistants, les vieilles maisons porteuses d’histoire… Je me sentais perdue loin de ma ville natale. Loin de « l’organisation ». Loin de John. C’était idiot, John était mort depuis 1 an déjà et pourtant, je m’accrochai à lui comme à une bouée de sauvetage, mais une bouée qui mènerait vers une île déserte et terriblement dépaysante. Je regardai au dehors le soleil chauffer les toits et remarqua, là encore la différence entre Londres et Arrowsic. Je m’étais habituée à cette pluie incessante, cet éternel crachin dissimulant les silhouettes au loin. Cette chaleur printanière ne me déplaisait pas mais j’avais plus que jamais besoin d’un bon crachin vieux familier et rassurant.

Depuis que j’avais franchi la porte de ce petit café enfin, « tea room », toutes (je dis bien toutes) les personnes présentes se tournèrent vers moi et me fixèrent comme une bête de foire, à tel point que je me retenais de me regarder pour la énième fois dans le miroir pour vérifier qu’aucune corne n’avait poussée sur mon front. Et ce silence ! On aurait pût y entendre le bourdonnement d’une mouche que personne n’aurait bronché. Soit ces gens-là n’avaient jamais vus de touristes (ce qui était plausible vu l’endroit), soit une pancarte avec pour écriteau ‘‘sort d’une secte’’ avait été greffé dans mon dos.

Piquant un fard dans ma tasse, j’observai le nuage de lait que je venais de verser dans mon thé se répandre en légères volutes blanche, lentement, tranquillement, insouciant de l’atmosphère étrange régnant dans ce café. Anxieuse, je jetai un rapide coup d’œil sur ma montre, constatant le retard de Phoebe. Et si elle ne venait pas ? Si elle ne voulait pas parler de son passé ? Si elle ne voulait pas m’aider ? Enfouissant ma tête dans mes mains, je retins un gémissement. Je n’avais pas dormis depuis trois jours, trop impatiente de pouvoir enfin avancer, et de profondes cernes creusaient mon visage. C’était peut-être pour cette raison que tout le monde me regardait étrangement, sans même prendre la peine d’être discrets.

La porte d’entrée tinta joyeusement, et je releva vivement la tête. Dans la lumière dansante de cette fin de matinée se tenait Phoebe, son regard inquiet fouillant les alentours. Je l’avais appelée le matin même anonymement, lui déclarant très clairement (et brusquement) que je voulais la voir pour parler de son passé. Je lui avais donnée rendez-vous dans le premier café que j’avais trouvé sous les yeux, et s’était tombé sur Tea Delight. Quand je leva discrètement la main vers Phoebe, celle-ci finit par me repérer et se dirigea vers moi. Elle était assez près maintenant pour que je voie à quel point la jeune femme avait changée. Dans son regard, quelque chose s’était adouci, et elle paraissait plus sereine. Dès qu’elle s’installa près de moi, les conversations alentours reprirent sous formes de murmures tout d’abord, puis de plus en plus fort, si bien que nous pouvions parler tranquillement sans avoir peur d’être entendues.

« Bonjour Phoebe… Il faut qu’on parle »

Je fût tout ce que je trouvais à dire. D’ une voix incertaine, anxieuse. Ce fût tout ce que je trouvai à dire alors que les mots se bousculaient dans ma tête, s’embrouillaient sans pourtant parvenir à former des phrases compréhensibles. Pathétique. J’étais pathétique. Pourtant, je savais au fond de moi une chose. Aujourd’ hui, cela faisait un an jour pour jour que John est mort. Et aujourd’ hui, ma vie va encore être bousculée.

Cela faisait quelques minutes que Phoebe se tenait immobile face à l’entrée du Tea Delight. Heureusement pour elle, la façade n’était pas vitrée, ce qui empêchait les gens de la voir et elle de voir les gens. Elle ne voulait pas entrer, elle ne voulait pas scruter la salle et tomber sur un visage connu. Un visage du passé. En se réveillant ce matin-là, Phoebe avait trouvé un message troublant sur sa boite vocale. Plus que troublant, inquiétant. Troublant parce que la personne qui l’avait appelé souhaitait la rencontrer pour lui parler de son passé. Inquiétant parce qu’elle avait bel et bien reconnue la voix. Cette voix appartenait à Erin, un membre de la secte. Phoebe et elle n’avait jamais vraiment été présentée, mais pour une raison ou une autre, elle se rappelait de son visage, de sa voix et de son prénom.

Les questions se bousculaient dans sa tête. Qu’est-ce qu’Erin venait faire à Arroswic ? Faisait-elle encore partie de la secte ? Était-ce une visite pour la forcer à revenir ? Est-ce qu’elle s’était échappée elle aussi ? Pouvait-elle lui faire confiance ? Elle ne l’avait pas encore vue, qu’elle s’imaginait déjà les pires scénarios. Elle avait fui le plus loin qu’elle pouvait, dans un endroit reclus, perdu, où personne ne la connaissait et ça n’avait servi à rien. En écoutant le mystérieux message, elle avait été tentée de faire ses valises et de quitter la ville sans un mot, sans un au revoir et de s’enfuir une fois de plus. Pourtant, quelque chose l’avait poussé à rester. Cela devait être le visage d’Erin qui flottait sans cesse dans son esprit. Ce visage ne pouvait pas faire de mal, pas vrai ?

En prenant une grande inspiration, elle poussa la porte du salon de thé. Elle eue encore un moment d’hésitation avant de croiser le regard d’Erin. Elle était bien là, assise avec une tasse de thé entre les doigts. Elle était fidèle à son souvenir, rousse, yeux vert, l’air angélique. La fatigue qui imprégnait son visage ne lui était cependant pas familière. De larges cernes entouraient ses yeux et son teint était pâle, presque vert. Décidemment, elle n’avait pas eu beaucoup de temps pour dormir, un peu comme Phoebe lorsqu’elle était arrivée à Arroswic. Leur regard s’étant croisé, elle ne pouvait plus reculer. Elle essaya tout de même d’éviter son regard qui la rendait mal à l’aise et pris place en face de celle-ci.

« Bonjour Phoebe… Il faut qu’on parle. » À ces mots Phoebe se retint de tourner les yeux au ciel. C’était bien pour ça qu’elle l’avait appelé non ? La soudaine colère qui s’emparait d’elle la déstabilisa. Elle en voulait déjà à Erin d’avoir gâché sa soi-disant nouvelle vie. Elle lui en voulait de s’immiscer et de lui enlever ce pourquoi elle avait tant travaillé. Phoebe pris tout de même le soin de cacher cette colère, ne voulant pas empêcher Erin de lui parler. Elle était autant curieuse qu’effrayé de ce qu’Erin allait lui dire.

« Je ne sais pas ce que tu es venue chercher ici, ni comment tu as réussi à me trouver ni même pourquoi, mais j’aimerais mettre une chose au clair. Si la raison de ta visite ici est de me ramener là-bas, tu perds ton temps. Je n’y retournerai jamais, sous aucun prétexte et rien ne m’empêche de partir encore une fois. » Phoebe se voulait ferme, même si elle ne pouvait empêcher ses doigts de trembler. Elle espérait plus que tout que sa façade soit suffisante pour convaincre Erin.

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