La route défilait sous mes yeux et le vent fouettait mon visage. Il faisait un magnifique soleil digne des plus beaux jours d'été et la lumière du printemps dans les feuillages vert tendre des arbres illuminait le paysage. Ma radio diffusait un vieux tube des années 80 et je me surpris à le fredonner, puis à le chanter à tue-tête. Heureusement que j'étais seul à assister à ce carnage. Mais j'étais de bonne humeur malgré l'heure bien matinale. Il était huit heures du matin et je me dirigeais vers Georgetown où j'espérais arriver vers huit heures trente. J'avais un rendez-vous. Ou non, ce n'était pas un rendez-vous, c'était une rencontre amicale. Du moins c'était comme cela qu'on appelait ça. Je retrouvais Muse dans sa ville natale où on donnait une foire du livre où des auteurs venaient présenter leurs oeuvres. Muse la libraire ne pouvait rater cela pour rien au monde, et moi, le critique et professeur d'anglais refusait de faire passer cet évènement à la trappe. D'autant que ce genre de fête du livre était rare dans la région. D'habitude, ces rassemblements de rats de bibliothèque avaient plutôt lieu dans des villes plus importantes, mais Georgetown avait voulu innover et on ne pouvait leur en vouloir. Ils avaient invité des auteurs locaux, mais aussi quelques auteurs plus renommés qui avaient accepté de faire le déplacement. La foire durerait tout le week-end, mais autant Muse que moi n'avions envie d'attendre. Je devais la retrouver devant sa librairie, qu'elle avait fermée pour l'occasion, et nous irions prendre un petit déjeuner avant de prendre le chemin de la foire qui n'ouvrait qu'à dix heures. Nous aurions très bien pu nous y retrouver, mais moi comme elle, nous avions envie de nous revoir et de pouvoir partager notre enthousiasme. J'avais apporté mon carnet, je comptais bien m'accorder quelques interviews à publier dans le NY Times. Et faire un peu de publicité à Georgetown par la même occasion. Cette ville, tout comme Arrowsic, manquait cruellement de touristes.
L'air de la côte était vivifiant. Je voyais le soleil se refléter dans les vagues qui venaient mourir sur les galets. Je repasserais peut-être par là ce soir afin de profiter du paysage et marcher un peu. Tout dépendrait de la tournure que prendrait la journée. Je ne pouvais nier ma hâte de revoir Muse. Avec son travail et le mien, nous n'avions guère le temps de nous voir et chaque rencontre était donc un petit évènement en soi. Je l'appréciais beaucoup, mais je ne savais pas trop comment la considérer. Elle était tout ce que je recherchais dans une femme, mais également l'amie parfaite. Je n'avais pas envie de risquer notre amitié dans une relation, mais j'avais de plus en plus de mal à refouler mes sentiments naissants à son égard. Comme j'ignorais ce qu'elle ressentait pour moi, je préférais me taire.
Georgetown se profila devant moi et je pris le temps de ralentir pour contempler la vue. Cette petite ville côtière avait un charme tout particulier qui ne me laissait pas indifférent. J'atteignis rapidement la librairie de Muse et fus ravi de constater qu'elle m'attendait devant la porte. Je regardai l'heure : j'étais pourtant en avance. Je garai ma voiture et la rejoignis, dissimulant mal ma joie de la revoir et l'enthousiasme de la foire du livre. Elle était radieuse, comme d'habitude.
« Alors, prête à dévaliser les stands ? »
Nous nous dirigeâmes tout naturellement vers une petite terrasse où nous venions souvent prendre un café. Mon estomac gargouilla. J'étais debout depuis 5 heures du matin, j'avais été incapable de dormir plus longtemps tant j'avais hâte d'arriver. Mais je n'avais pas eu la présence d'esprit de manger juste avant de partir et avais juste dévoré un bagel au fromage frais dès le saut du lit.
« Je crois que le petit déjeuner s'impose. » dis-je en riant. « Je deviens hargneux quand j'ai faim. Ce serait dommage d'être de mauvaise humeur pour un si grand évènement. »