On était mardi matin. Les cours venaient à peine de commencer, que je m’ennuyais déjà. C’était devenu une habitude. Je n’étais plus lassé. J’acceptais la chose. Et je regardais les minutes et les heures défiler, sans prendre part à l’environnement qui m’entourait. J’assistais à cette vie, sans rien faire. Je la regardais passer avec un air morne. J’étais achevé. Exténué. Je ne voulais plus me battre. Cela n’aurait mené qu’à la déchéance. Autour de moi, je voyais des mains s’agiter, des réponses, des questions, des explications. Je regardais tout ça, sans prendre part au spectacle. Cela ne m’intéressait pas. Jusqu’à ce que le professeur m’interpelle : « Walker ! Toujours dans la lune, à ce que je vois. Ça vous tuerait un bras d’écouter un peu ? » Je mis quelques minutes à comprendre que ce cher professeur s’adressait à moi. J’avais pris l’habitude de rester invisible aux yeux de tous. J’avais pris l’habitude de me tenir à l’écart, à l’écart de tous. Je n’avais pas besoin d’eux. Et ils n’avaient pas besoin de moi. J’appréciais resté dans mon coin, j’appréciais le calme. Je ne voulais pas qu’on me parle. Je voulais juste qu’on me laisse tranquille. Sans bouger d’un cheveu, je répondis au professeur, avec ce ton arrogant qui me collait à la peau : « Ça vous tuerait de me ficher la paix ? » Je ne le regardais même pas. Mon regard était avide. Et mon corps épuisé. A quoi bon ? « Oh, je vois que vous avez le sens de la répartie. » Je ne répondis rien. Ce qu’il disait frôlait mes oreilles. C’était à peine si je devenais sourd à ses paroles. Cela n’avait pas d’importance. Rien n’était important, ici. Ce lycée ne m’apportait rien. Sauf de l’ennui. « Vous allez écouter mon cours, Walker. C’est tout ce que je vous demande. Même un incapable comme vous pouvez le faire. Vous êtes venus ici pour apprendre, non ? Un peu d’effort, voyons ! » Je soupirais. Mais pourquoi s’acharnait-il sur moi ? Plus aucun professeur ne faisait attention à mon cas. Ils avaient tous compris que je courrais à la déchéance. Ils n’essayaient même plus. Ils en avaient perdu l’espoir. « J’en ai rien à branler de votre cours de merde. » rétorquais-je alors. Visiblement, autant de mots familiers choquèrent toute la classe. Je vis des millions de visage se retourner en ma direction. Et je ne bougeais pas. Ils étaient tous ridicules. « Bon j’en ai assez ! Chez le directeur, tout de suite ! » Le professeur commençait à rougir du visage. Il n’avait pas l’air très content. Un sourire narquois s’afficha sur mes lèvres. Je me levais, sans broncher, et alla prendre la sortie, tout doucement. Avant de partir, je vis que Jane, une copine avec qui je me disputais tout le temps, me fixait du regard. Je lui accordais un bref sourire, avant de claquer la porte.

La sonnerie venait d’annoncer l’heure de la récréation. Le directeur avait passé vingt minutes à gesticuler dans tous les sens, à crier de tous ses vocables et à me faire la morale, en vain. Je n’avais pas bougé. J’étais resté assis, négligemment. Je l’observais, sourd à ses réflexions. Et puis quand la sonnerie, il se rassit. Il me regardait intensément. Sans doute avait-il voulu que je dise quelque chose. Mais j’étais resté muet. « Vous pouvez y aller, Walker. » Je me levais alors, et je partis, sans demander mon reste. Combien de fois avais-je été convoqué ici ? Je ne comptais même plus. Et le directeur semblait répéter toujours les mêmes choses. Que ça devait être lassant. Je regardais autour de moi, et je vis un visage familier se rapprocher de moi. C’était Jane, avec ses grands cheveux blonds et sa carrure dynamique et frivole. « Alors, t’as aimé ma prestation ? » demandais-je, d'un ton amusé. Je devinais qu’elle allait encore me reprocher quelque chose, mais je m’en fichais. J’étais devenu habitué. C’était une sorte de jeu, entre nous. On se critiquait, on se disputait quasiment tout le temps, mais au fond, on s’aimait bien. Jane était sympa. Et puis elle était marrante. Elle faisait partie des rares filles qui osaient tenir tête aux professeurs. Enfin quelqu’un de normal ! Quand je voyais tous ces moutons écouter sagement tout ce qu’on leur disait, j’avais envie de vomir. « Bon, tu peux bouger tes grosses fesses pour aller dehors ou pas ? J’ai envie de me fumer une clope. » Certes, j’étais agaçant. Certes, je pouvais être exécrable. Mais Jane, elle restait quand même avec moi. Et je l’aimais bien parce qu’elle m’acceptait.