"Si la gloire apporte l'argent, j'attends la gloire ; si la gloire n'apporte pas l'argent, j'attends l'argent."
La vie, beaucoup disent que c’est un terme difficile à définir. Pourtant, j’ai toujours eu tendance à penser que c’était très simple : ça commence un jour précis, et ça finit au autre jour, tout aussi précisément. Aussi, la mienne commence un 11 février, année 1983, dans le froid de l’hiver, ici même à Arrowsic. Ce serait vous mentir que de dire que je n’ai pas braillé comme un possédé, et puis je tiens pas à vous donner d’emblée une image vaniteuse de moi. Vous le découvrirez bien assez rapidement, je le crains.
Mon séjour sur terre commença ordinairement, même de façon banale si je puis dire. J’avais une grande famille, une petite maison respectable pour les trois êtres que nous étions, un statut social moyen, des parents avec des valeurs morales qui m’éduquèrent comme il faut. En clair, un petit garçon lambda parmi tant d’autres. Mon père était charpentier, et son job l’obsédait tellement que je crois bien que le premier mot qu’il m’ait appris soit « travail ». N’empêche, il semblerait que ça lui a plutôt bien réussi. Il n’était pas souvent présent, à la maison, alors je me contentais de casser les pieds de ma mère en journée. Dès que je fus en âge de comprendre un minimum le monde qui m’entourait, Jamie Thompson m’enseigna la règle d’or de la vie, selon lui. Quand il m’appelait pour de l’aide à l’atelier, voyant ma mine renfrognée et boudeuse, il disait toujours : « Fais pas cette tête fiston ! Si on veut réussir ici bas, y’a pas de secret. Faut bûcher ! ». Et je hochais la tête tristement, rayant tout mes espoirs de pouvoir sortir jouer aux super héros avec mes copains. Aujourd’hui que je suis en mesure de réellement saisir ses propos, je lui pardonne tout ça. Il avait bel et bien raison. En tout cas, je n’ai jamais remis en question ses principes. Du coup, à l’école, même si j’étais pas super intelligent, je réussissais toujours à compenser par le travail. On disait de moi que j’étais un élève sérieux ; quoi de plus flatteur ? Encore une fois, rien de quoi me démarquer, non pas que j’en eusse particulièrement envie.
Une fois sorti du lycée, j’entrepris de faire des études dans le marketing. Persuader un client, vendre un produit par tous les moyens, c’était un défi qui me plaisait. Tout petit déjà, j’avais pris l’habitude de toujours tout marchander avec ma mère. Vous me direz, si j’arrivais à mes fins, peut-être était-ce grâce à ma bouille d’ange, et aussi du fait qu’elle soit plutôt flexible. Quoi qu’il en soit, elle disait toujours que j’aurais pu vendre des réfrigérateurs à des esquimaux. Elle blaguait à peine. Tout se déroulait normalement, j’étais toujours cet élève modèle bosseur, et ma vie se serait emmurée profondément dans l’ennui si tout n’avait pas basculé, cet été là.
Juillet 2005. Grâce à mes économies, j’avais pu me payer des vacances en plus du remboursement de mon prêt, pour la location d’un appartement en plein cœur de New York, ma ville d’étude. Ma destination s’était portée sur la France, côte Ouest ; la ville s’appelait Perpignan. A ce que m’avait dit l’agence de tourisme, le coin n’était pas trop peuplé, il faisait chaud, et puis comme partout dans le reste du pays, on mangeait et buvait bien. C’est tout ce qu’il me fallait pour quitter le quotidien, et oublier le stress de mes dernières années d’apprentissage. Partir à l’aventure… Je n’avais jamais fait ça auparavant. Aussi loin que je me souvienne, je n’étais même jamais parti en vacances. Mais qu’importe, j’étais bien content d’être là, et je comptais au profiter au maximum. Le jour de mon arrivée, j’étais déboussolé, et un peu perdu ; beaucoup, même. Je cherchais désespérément de l’aide pour qu’on m’indique la route jusqu’à mon hôtel, avec mon accent américain, et je trouvais ma sauveuse. En plus d’être charmante, la jeune femme parlait la langue de Shakespeare ; je poussais un soupir de soulagement. Elle me mena à destination, et empoté que je suis, j’oubliais presque même de la remercier. Un jour passa, ou presque, et je la revis accidentellement. Destin ? La croix qui pendait autour de mon cou me le certifiait, et je me jetais éperdument dans la conquête de cette jolie blonde du nom de Rose. Un mois durant, je fis durer cette relation ; avec plaisir. A ce moment là, je n’aurais su dire si cette passion durerait indéfiniment, ou si ce n’était qu’un amour d’été, mais je le souhaitais de tout cœur.
A ma plus grande joie, elle me suivit jusqu’en Amérique, abandonnant tout pour moi. Je l’installais chez moi, bien que cela soit un peu serré pour deux, mais nous étions jeunes, insouciants. Nous avions pleins de projets, et dès que j’eus mon diplôme, je l’entraînais à nouveau dans un nouveau domicile, plus adapté pour nous ; Arrowsic, le retour. La ville de mon enfance, dans laquelle je voulais vivre. Mon père était mort entre temps, d’un cancer du foie. Je revenais ici le cœur chargé de souvenirs, autant pour soutenir ma mère que pour retrouver mon passé bienheureux, mon foyer de toujours. J’aimais Rose, et je la remerciais chaque jour pour tous les efforts qu’elle avait fait pour moi. Nous nous mariâmes dès notre retour, effaçant d’une joyeuse nouvelle l’enterrement de feu mon père. Je n’oserais dire que c’était l’amour parfait, mais nous menions la grande vie, et mon intuition me soufflait que ce serait pour toujours. Puisant encore une fois dans les fonds de la banque, nous emménagèrent dans une maison plutôt grande. Le remboursement n’était possible qu’à condition que je touche des grosses primes au travail. Mais soit, j’étais joueur.
Aujourd’hui, la vie continue pour nous ; le remboursement de la maison aussi. A quand le fondement d’une famille ? A quand une nouvelle bouille dans la famille thompson ? Je ne saurais le dire, mais j’ai hâte.