J'étais assise au bar, sirotant un cocktail et réfléchissant à la situation délicate dans laquelle je m'étais fourrée. Il devait être environ dix-neuf heures. J'avais fermé la galerie tôt, ne voyant qu'aucun client ne semblait vouloir se pointer, et j'étais allée me payer quelques verres. Je venais au Jack's lounge plus de trois fois par semaine, et je commençai à être une habituée. J'aimais passer mes soirées assise devant le comptoir à réfléchir ou, si j'étais trop bourrée pour cela, à me faire draguer par des inconnus. Cependant, ce type de soirée passées à ramener des inconnus dans mon lit ne s'étaient pas reproduites depuis un bout de temps.

Depuis Niallàn, en fait. La cause de la majorité de mes problèmes. Au début de ma relation avec lui, j'avais continué à coucher avec tout et n'importe quoi du moment où j'étais un minimum bourrée. Je n'avais à l'époque pas de raison d'être fidèle, étant donné que je ne l'aimai pas, et s'il découvrait mes infidélités, je me fichais qu'il me plaque. Mais ça s'était le bon temps où Niallàn n'était qu'un objet que j'utilisais à ma guise. Ces doux moments où je n'étais pas paniquée à chaque fois que je croisai son regard, où je ne pensais pas à lui le soir dans mon lit en regardant le plafond, où je ne l'embrassait pas parce que j'en avais envie. Mon comportement avait changé. Je pouvais être soule comme jamais, je repoussais toute tentative de drague, en pensant à lui.

Les choses avaient tournées à mon désavantage. Ou le contraire. Je n'arrivai pas à définir si ce qui m'arrivait était quelque chose que j'aimais ou non. Je ressentais pour Niallàn quelque chose de nouveau, de totalement différent de ce que l'on est censé ressentir envers quelqu'un qu'on utilise. De l'amour ? Bonne question. Quelque soit le nom de mes sentiments, c'était nouveau et cela changeait la donne. J'étais face à un dilemme dont les deux choix n'étaient pas à mon avantage.

Un, je disais la vérité à Niallàn, sur la manière dont je m'étais servie de lui comme un objet, bien que mes sentiments aient changés. Un, petit a, je me faisais larguer. Un, petit b, il réussissait à me pardonner et j'avais droit à mon happy ending. C'était cinquante-cinquante. Quitte ou double. Perds ce que tu aimes ou gagnes le en dix fois mieux, sans mensonge, tout en honnêteté.

Deux, je ne faisais rien et continuait sans rien changer. Deux, petit a, je laissai la culpabilité me ronger jusqu'à ce que je n'en puisse plus et avoue la vérité. Deux, petit b, je ne disais rien, oubliais cette histoire et avais droit à mon happy ending.

Que faire ? Je n'en avais aucune idée. J'avais envie de rompre avec Niallàn pour me trouver un autre cobaye pour qui je n'aurai pas de sentiments. Ce serait la chose là plus simple à faire. L'amour rend faible. J'étais une battante, je ne voulais pas me faire terrasser par quelques sentiments. Mais en même temps, je ne me sentais pas le courage de quitter Niallàn. C'était tout simplement impossible à imaginer. Mon coeur me disait de rester quand mon cerveau me criait de fuir, et moi, pommée entre tout ça, était incapable de prendre la moindre décision.

Mon incertitude au niveau de la décision à prendre dans ma situation avec Niallàn se reflétait même sur mes tableaux. Depuis quelques semaines, j'étais sur une toile que j'étais incapable de terminer. Ce tableau représentait une femme avec une silhouette à ses cotés. Une silhouette aux traits confus, imprécis et inachevés. J'étais incapable de finir le finir car incapable de me décider. Qui était la silhouette, que faire de cette ombre qui la définissait pour l'instant ? La recouvrir d'une couche de peinture blanche pour la cacher à jamais ou dessiner ses traits ? Il y avait des soirs où je n'arrivais même pas à m'endormir, perturbée par tous ces choix que j'avais à faire, mais dont je ne savais lesquels étaient les bons. C'était par ce tableau que se traduisaient mon anxiété et mes doutes à propos de ce qui avait d'abord été une sorte de jeu avec Niallàn.

Je tournais et retournais mon verre entre mes mains, mes doigts tremblant comme jamais. Depuis que j'étais revenue à Arrowsic, ces tremblements devenaient presque incessant. Ils rythmaient ma pensée, oui, c'était ça. Je pris ma tête entre mes mains, et rejetais les cheveux qui me tombaient sur les yeux en arrière. Cette situation devenait une torture. Chaque fois que je voyais Niallàn, ou même que je pensais à lui, mes mains devenaient moites, mon coeur s'accélérait et mon cerveau fonctionnait à toute allure. Jamais je ne m'étais sentie aussi coupable d'avoir utilisé quelqu'un pour mes propres fins. Et pourtant, utiliser les gens à leur insu, j'en avais l'habitude.

Tôt ou tard, il faudrait que je prenne une décision, parce que je ne pouvais plus vivre ainsi et paniquer à chaque crinière blonde dans la rue. J'en avais presque perdu l'envie de voir Niallàn.

Je sursautais en sentant des lèvres se poser sur ma joue gauche. Je savais qui c'était avant même d'avoir tourné la tête vers Niallàn. « Bonsoir chérie, comment vas-tu ? Je m’étais inquiété de ne pas avoir de nouvelles de toi. » C'est en voyant son beau visage, son grand sourire que ma décision fût prise. Comment faire autrement que de lui dire la vérité en espérant qu'il me pardonne ? Mais ça, s'était ce que je me disais à chaque fois que je le voyais. En ces moments là, j'étais toujours sure de ma décision. Et dès qu'il me quittait, les doutes reprenaient. J'étais incapable de lui avouer mes actes aussi forte qu'en soit mon envie.

Niallàn m'avait rendue faible. Je n'étais plus maître de mes sentiments, j'étais même incapable de faire un choix. J'étais passive, attendant. Attendant quoi ? Bonne question. Peut être que Niallàn en ait marre de moi et me laisse tomber. Attendant que ma culpabilité s'efface avec me temps. Attendant d'avoir assez de courage pour parler ou pour le plaquer.

Je détournais les yeux vers mon verre. « Désolée, j'aurais dû t'appeler. » Mes mains tremblaient toujours autant, et j'avais bien peur que Niallàn le remarque. « Je suis juste un peu fatiguée... Je n'aurait pas dû peindre au beau milieu de la nuit. La lumière n'était même pas bonne, en plus. » En vérité, j'avais passé la nuit à observer le fameux tableau avec la silhouette cherchant des réponses que je n'ai pas trouvé. Et j'en avais assez de ces nuits d'angoisse et de culpabilité. Il fallait que je bouge de cet état. Même le dégoût de Niallàn serait moins pénible qu'un jour de plus passé dans le doute.

Je vidais mon verre d'un trait. J'aurais facilement passer pour une alcoolique avec mon air torturé et mes doigts tremblants, mais mon cocktail était sans alcool. J'étais venue au Jack's lounge pour réfléchir, et l'alcool n'est pas forcément le meilleur moyen pour une décision d'une telle envergure que celle que je devais prendre. « Mon amour... Je crois que j'ai quelque chose à t'avouer. » C'était le moment. Jamais je n'avais été aussi loin dans mes aveux, bien que je n'aie encore strictement rien dit. Jamais je n'avais été aussi proche de tout avouer. Quelques larmes apparurent aux coins de mes yeux, mais je me fis violence pour ne pas les faire couler. C'était là que tout se jouait.

La panique me broyait les entrailles, et malgré le fait que j'avais bu a peine quelques secondes au paravent, ma bouche était sèche. C'était tellement dur. Juste une petite phrase, toute simple à prononcer, mais qui refusait de glisser de mes lèvres. Niallàn, je t'aime, et ça me terrifie. Voilà ce que j'aurai aimé avoir le courage d'annoncer au jeune homme. J'aurai voulu lui dire ces quelques mots, qu'il me réponde qu'il serait toujours là, et que je pouvais être faible qu'il m'aimerait toujours autant. Cela aurait été le scénario rêvé. Mais mon cerveau refusait d'obéir aux ordres de mon coeur. J'avais tant cherché l'indépendance. Pendant plus de cinq ans. Jamais je n'aurais pensé que la perdre serait aussi rapide. Et pourtant, il m'avait suffit de rencontrer Niallàn.

Je me félicitais de ne pas avoir pris d'alcool : vu mon était psychologique du moment, je n'aurai pas tardé à éclater en larmes si j'en avais pris. Mes pensées étaient déjà assez embrouillées, je n'avais pas besoin de mettre mon esprit plus en vrac. Et puis je voulais être totalement sobre lorsque je dirais à Niallàn ce que je comptais lui dire.

« Qu’est-ce qu’il y a Barbie ? Quelque chose ne va pas ? » Oh, non, rien n'allait. C'était le bordel partout dans ma vie. Et mon état s'empirait à chaque seconde passée aux côtés de mon amour. Culpabilité. Pour avoir utilisé à son insu une personne aussi gentille et méritante que Niallàn. Culpabilité. Pour avoir plusieurs fois tenté de le tromper pour me trouver que j'étais totalement maître de mes sentiments envers lui. Culpabilité. Pour avoir été si distante quand lui ne cherchait qu'à m'aider et me soutenir. Et peur. Surtout de la peur. De ne plus être maître de mes sentiments, de finir broyée par mon amour, d'être détruite par un éventuel retour à la réalité de Niallàn. Car un jour où l'autre, celui ci se rendrait compte qu'il était bien trop bien pour moi. Un jour où l'autre, il m'abandonnerait, moi et mes trahisons. J'étais une vraie garce, c'était tout ce que je méritais, et je le savais.

Comme pour confirmer mes pensées, Niallàn me regarda avec une grande douceur et m'essuya les larmes qui perlaient au coin de mes yeux. Tellement de gentillesse, d'amour pour moi, qui ne cessait de tenter de le tromper, de me dire que je ne ressentais rien d'incontrôlable envers lui. « Tu peux tout me dire Barbara, je suis là pour ça, chérie. » Je sentis mon coeur se déchirer en deux. C'était douloureux, insoutenable. Je ne pouvais pas lui dire ce que j'étais réellement. Je ne pouvais lui avouer toutes mes erreurs. Cela le blesserait et l'éloignerait de moi. Inévitablement. Et je refusais de le perdre. Je ne l'aurais pas supporté. Cette fois ci, les larmes se mirent à couler. J'avais tout gâché. Je m'étais posée trop de question. J'aurais dû foncer vers cet amour qui s'offrait à moi sans me poser aucune question, sans chercher à être forte. Cette résolution de ne jamais faiblir me pourrissait la vie jour après jours, me faisait faire des erreurs que je finissais toujours par regretter amèrement. Et pourtant j'étais incapable de faire autrement.

Mais j'avais commencé, je ne pouvais pas arrêter mes révélations ainsi. Niallàn se poserait des questions, se demanderait ce que j'avais de si horrible à cacher pour que je ne lui en parle pas. Je ne pouvais lui avouer mes erreurs, de peur de le perdre. Il fallait que je trouve autre chose. Autre chose de crédible, qui expliquerait mes larmes et ma panique sans le faire fuir. Quelque chose qui renforce son amour pour moi, afin qu'il ne me quitte jamais, qu'il m'aime pour toujours. Parce que c'était ce que je voulais, au fond. Je n'avais pas envie de l'aimer, mais je voulais que lui ressente ce sentiment pour moi comme jamais il ne l'avait ressenti pour aucune autre. Je voulais être le centre de sa vie, le centre de son univers. C'était égoïste à en faire vomir... encore un autre défaut. J'avais envie de crier, jusqu'à en avoir les cordes vocales en feu. J'étais frustrée, paniquée. Il fallait que je trouve quelque chose à dire, et vite... sinon Niallàn se poserait encore plus de question qu'il ne s'en posait déjà.

Puis me vint la révélation. La seule excuse qui me vint en tête pour expliquer mon désarroi sans perdre Niallàn. Pour la seconde fois de la soirée, je me félicitai de ne pas avoir pris d'alcool. J'essuyai mes joues et plongeai mon regard dans les yeux de ma moitié. « Je... je suis enceinte. De toi. » Je regrettai ces paroles dès qu'elles furent prononcées. Bien entendu, c'était un grotesque mensonge, mais le seul qui m'avait paru crédible. Niallàn était au courant pour mon avortement à New York, et se doutait surement que l'annonce d'une nouvelle grossesse pouvait me mettre dans un état épouvantable. C'était le mensonge parfait pour garder Niallàn auprès de moi, ou du moins c'est ce que j'avais d'abord pensé. Mais comment simuler une grossesse ? C'était infaisable. Mon idée avait été ridicule, et me mettait encore plus dans le pétrin. Si j'avais avoué à Niallàn mes erreurs, j'aurais eu une chance de pardon. Mais comment pourrait il me pardonner ça ? Une simulation de grossesse. Mais merde, j'avais pas pu réfléchir avant de parler ? Jamais il ne me pardonnerait, et il me détesterai sans aucun doute à la découverte de mon mensonge. Car oui, il allait le découvrir, c'était certain.