Sujet: « Mieux vaut être indifférent et digne que malheureux et pathétique. » Lun 23 Avr - 17:24
Les préliminaires de l'ivresse tapaient peu à peu dans son cerveau. Ça imprégnait le cortex, la matière grise, discrètement, inconsciemment, pour que rien ne puisse l'arrêter, et pour emporter doucement l'esprit. Puis il pleuvait aussi. Parce que dans ce genre de scène il pleut tout le temps. Le cliché du pauvre mec perdu dans les rues de son trou paumé. Alors il fallait se dépêcher. Il fallait courir pour retrouver l'odeur d'alcool, le parfum enivrant d'un vieux whisky caché dans une armoire du comptoir. Il fallait courir, trempé jusqu'aux os, à travers ce paysage rural du Maine, bercé par le son de la pluie qui s'écoule dans le caniveau, qui lave le trottoir et ses mégots. Les corps des passants qui se bousculent sous leurs parapluies, quand on en croise. A une heure du matin les rues se faisaient désertent, surtout dans un tel village à la population aussi mince. Alors il avance tout droit, tête baissée, la capuche de son sweet dégoulinant relevée sur son visage, et il marche vite, d'un pas pressé, cherchant la porte rassurante du bar d'Olivia. Temps morne pour une journée morne, et une humeur morne. Et il la trouve, après avoir arpenté quelques rues de plus, et la pousse, découvrant la jolie blonde en train de nettoyer les tables, quelques chaises retournées, décollées du sol les pieds en l'air, indiquant la fermeture. Il la salua, et s'installa au comptoir, alors qu'elle jetait une éponge et s'apprêtait à le rejoindre. Olivia la mystérieuse. Olivia l'apaisante. Il la regarde et sourit comme un con, sûrement parce que sa demi bouteille de martini agit dangereusement, et parce qu'Olive, c'est sa grande sœur spirituelle, et qu'il se doit de jouer le petit mioche à côté d'elle.
Il avait eut une dure journée. Pas physiquement parlant -ranger des soutiens gorge et gratter des cours n'est pas très fatiguant en soi. Mais il avait l'esprit préoccupé. Préoccupé par des questions idiotes, sur sa vie idiote, à propos de choses idiotes. Et pourtant, ces conneries, elles réussissaient à pourrir son quotidien, en envahissant les méandres de sa conscience. Alors pour les chasser, pour les faire abandonner ce corps, et les annihiler, il fallait les dissoudre, par la boisson du diable, même si sa conscience lui prônait de toutes autres causes. T'es pitoyable Rudy. Tu t'es regardé, sur ce comptoir ? Tu t'es vu, l'air gamin, les yeux louchant derrière tes lunettes qui te donnent cet aspect intelligent ? Tu pues le pathétique, t'es pourri par des tourments d'adultes, alors que t'es un gamin pré-pubère, alors que tu joues encore à action ou vérité, alors que tu te mens encore à toi même. T'arriveras à rien si tu t'avoues pas certaines choses. T'as l'égo sali par tant d'arrogance, t'as la gorge sèche à force de cracher des mots virulents. T'es ici pour jouer au grand, pour jouer à ce malheureux qui souffre. Au fond t'es un comique, tu simules tes peines. T'as la réponse en toi, mais tu veux pas te l'admettre, parce que ça te va bien de jouer ce rôle de martyre. Un martyre de la vie. Vas nettoyer la merde que t'as dans les yeux. Avec des gouttes de téquila si tu veux, mais ne t'égares pas dans tes fausses vérités.
Puis cette voix s'éteignit, alors qu'il baissait les yeux. « Je suis désolé si je te retiens Olive. Je peux encore partir, si tu veux. » Il regrettait en quelque sorte de monopoliser le temps d'Olivia, pour d'aussi fades futilités. Au fond c'était là pour ça, les amis. Les amis qui subissent son égoïsme, sa vanité, sa fierté, son orgueil, et sa rancœur. Puis son amertume, et ses insignifiants soucis de cœur. Parce qu'il était pas foutu d'être bon dans ce domaine là non plus. Connard ! « Bon alors, la vie est un long fleuve tranquille ? » Il avait une voix enjouée. Trop enjouée. Il la connaissait pas, la vie d'Olive. Parce qu'il ne savait que parler de lui. Encore plus quand il était bourré. Espèce de con.
Sujet: Re: « Mieux vaut être indifférent et digne que malheureux et pathétique. » Mar 24 Avr - 17:10
« Il serait peut-être temps de se demander si la perfection n'est pas dans l'enfance, si l'adulte n'est pas qu'un enfant qui a commencé à pourrir... » BARJAVEL.
La fin de mon service a cette délicieuse fragrance, mi-amère, mi-sucrée, un peu paradoxale, et quand le nounours bedonnant rempli de grenadine pousse la porte du Jack's lounge, je m'effondre, je m'affale sur le carrelage glacé, les genoux repliés sous mes fesses. J'inspire, expire.
Ça tournoie là-dedans, ça s'agite quelque part à l'intérieur, et je me mords la lèvre inférieure pour m'empêcher d'penser, la douleur atténuera peut-être ce mal aigre qui est mien. Ma conscience entame un tango, Piazzolla de préférence, et c'est un combat intérieur que je dois savamment supporter. Ils me pensent peut-être folle tous ces gros buveurs qui viennent raconter leur vie peu trépidante au proprio, et moi j'écoute docilement leurs histoires d'éjaculation précoce, leurs problèmes de cul persistants. La vieillesse ne me dégoûte pas, mais le goût amer de Mulligan père perdure encore sur ma langue, son odeur s'est infiltrée dans ma blondasse de crinière et les shampoings n'y changeront rien.
Et quand les battements effrénés de mon cœur se calment, quand mon pouls recouvre un rythme conforme, je me lève, pose un regard dépité sur le bordel que je dois nettoyer, soupire et m'y colle avec l'air d'une condamnée au bûcher.
Et il entre, me voit avec éponge et chiffon à la main. Rudy, il est ma faiblesse notoire, que je cherche en vain de dissimuler, il est ce petit frère que j'ai jamais eu et j'aime à penser que ce rôle d'aînée éphémère me va bien au teint. Rudy, il arrive avec ce regard vide, à peine nébuleux, qui me fait frissonner malgré la moiteur ambiante du bar, résultat de clients en sueur qui y viennent essuyer leurs peines, apaiser leurs âmes écorchées, trouver un peu de réconfort auprès d'une barmaid un peu azimutée qui préfère sécher le chagrin d'autrui plutôt qu'écouter le sien. Rudy, il pue l'alcool à trois mille, il a ces relents de gamin oublié qui l'accompagnent un peu partout, et quand je le vois, je peux pas m'empêcher de soupirer. Soupir empli d'une assurance, d'une réjouissance factices. Rudy, il est différent de ces clients qui viennent étancher à la fois leur soif et leur douleur, qui se foutent de la gueule de la serveuse qui les écouteront, tant mieux si c'est une blonde fadasse, tant pis si elle a pas de gros seins, ils se contenteront de ses yeux où danse une flamme obsessionnelle qu'ils ne remarqueront pas. Rudy, il la distingue. Il note chaque détail, bien que son esprit soit un peu embrumé par l'alcool ingurgité un peu plus tôt, il est pointilleux, trop peut-être. Et ça me fait un bien fou que quelqu'un s'intéresse un peu à moi, même si ce quelqu'un a l'allure d'un môme paumé, des lunettes étranges plantées sur le pif, même s'il m'attribue des qualités que je ne mérite pas.
« Je suis désolé si je te retiens Olive. Je peux encore partir, si tu veux. » Avec son air un peu abattu, le foutre à la porte reviendrait à refuser l'hospitalité à un mourant aveugle, amputé des deux bras et des deux jambes. Alors je me mets à sourire, sourire tout doucement, parce qu'il entendait cette vile comparaison, j'me ferais sermonner pendant des mois. « Non non, reste. J'ai presque fini de toutes façons. » que je dis en époussetant quelques poussières sur le comptoir.
« Bon alors, la vie est un long fleuve tranquille ? » Visage qui se ferme, pensées qui s'assombrissent. Rudy, il a cette sale manie de poser des questions auxquelles je suis bien incapable d'apporter une quelconque réponse. Il est chiant ce type à sans cesse vouloir savoir des trucs. Des trucs sur moi, des trucs sur ma vie, des trucs sur mes potes. Il s'imagine peut-être que je suis ce genre de fille entourée de plein de potos bien relous qui partagent tout, même un pot de Nutella, mais moi la pâte à tartiner, je la mange devant ma minuscule télévision, en solo. J'aime pas partager, c'est tout.
« Tu pues l'euphorisant Rudy. » que je dis vaguement en montrant sa bouche du doigt. D'ici, je suis pas tellement sûre mais je parierais sur de la tequila, je m'approcherais bien pour le renifler mais j'vais pas prendre le risque, hein. « Ma vie elle est banale, tu sais bien. Vas-y raconte, toi, j'suis sûre que t'en as plein de potins à me rapporter. » Ma voix badine sonne un peu faux mais éméché comme il l'est, il en aura à peine conscience.
Et puis, je vois qu'il louche furieusement sur les bouteilles fièrement dressées derrière moi. « N'y pense même pas. » Mon patron me tuerait, et je supporterais pas une bonne cuite, exténuée comme je l'suis, mais je sais déjà qu'il va insister, même un tout petit peu, avec son regard mélancolique de chat Potté. Du Gavennham dans toute sa splendeur.
Sujet: Re: « Mieux vaut être indifférent et digne que malheureux et pathétique. » Mer 25 Avr - 19:11
Il savait que c'était pas bien, d'aller jouer les mecs bourrés, à cette heure-ci. Qu'il avait bien trop abusé de la cellule de dégrisement, et que son frère en avait jusque là d'aller le chercher à six heures du matin au commissariat, tiré brutalement du lit aux aurores. Commissariat empestant le cigare et la transpiration, sans oublier les relents de vomis des pauvres demeurés perdus dans la nuit à une heure si tardive. C'était malsain de penser qu'un verre amer pourrait chasser toutes ces idées noires à jamais, et laisser une douce pensée sereine et apaisante effaçant le passé douloureux. Sa tête est lourde et bourdonne, pourtant il est presque déjà euphorique et il arbore ce sourire que l'alcool lui dicte, dissimulé dans les méandres de son esprit, mais qui n'agit pas moins. C'est triste, d'avoir foi en ça, de croire et de ne prier que devant une bouteille à moitié vide, tournoyant face à des pupilles dilatées qui voient désormais en double, et qui ne savent plus distinguer les chimères de la réalité. Alors ça s'abandonne, entre allégresse et désespoir, et ça salit la bouche, la lave de toute perception et ça interrompt la discrétion, relâchant alors la langue nouée qui s'écrit de vive voix et qui conte une vie à peine tourmentée, juste préoccupée.
Olive elle est gracieuse, et rayonne, au milieu de cette pièce sombre, imbibée d'un parfum dégueulasse qui donne la nausée. Elle est là, elle danse presque entre les tables, son jean tâché par une goutte de cocktail trop concentré en jus de fruit, et elle se dépêche de chasser la graisse ancrée sur ces chaises. La différence qu'elle a, avec la grande sœur biologique, Eve, c'est qu'Olive, on dirait un ange. Son regard d'où émane la souffrance de sa vie, mais qui se fait protecteur, confiant, dans lequel on s'abandonnerait bien quelques heures. Il ignore tout de son passé, de ses cicatrices toujours béantes qui offrent une hémorragie incessante de chagrin. Il ne sait rien de ses peines, de son cœur meurtri, des actes infâmes qui l'ont secouée. Olive c'est son journal intime, à qui il se confie, dans que l'histoire de ce carnet métaphorique ne l'atteigne. Parfois il questionne, souvent elle s'échappe de ces révélations. Et ainsi elle s'envole vers l'unique rôle de confidente, et non pas de confiant. On la sent affectée par un mal qui la ronge et qui l'empoisonne, mais on la sait renfermée, renfrognée sur ses souvenirs enfouis, qui jamais ne se dévoilent. Olive c'est ça, c'est ce grimoire mystérieux, qui reste clos, qui inspire la raison, et qui guide les bonnes leçons. Et il voudrait qu'elle se rende compte de la splendeur qui émane d'elle, qu'elle n'est pas aussi rouillée qu'elle le pense. Elle et sa chevelure blonde rayonnent dans cette atmosphère lugubre. Pourtant elle se fait souvent trop petite dans ce monde, et il trouve que cela s'associe très bien à du gâchis.
Elle sourit, d'un rictus chaleureux, et elle lui dit de rester. Elle a bientôt fini. Et lui répond par un visage de con. Ouais, de con, parce qu'on a jamais l'air intelligent dans cet état-là. On a jamais l'air inspiré et touché par la sagesse sacrée. On a toujours l'impression qu'on sort d'un trou à rat hanté par la connerie et l'exubérance. On se donne des airs éloquents, on dit parler de philosophie, et au final on porte un discours désolant et on vomit des incohérences absurdes. « Tu pues l'euphorisant Rudy. » Elle même le confirme de toutes manières.
« Ma vie elle est banale, tu sais bien. Vas-y raconte, toi, j'suis sûre que t'en as plein de potins à me rapporter. » Il sait que sa vie est banale, mais qu'elle pourrait mettre son passé au présent, et conter pendant des heures les malheurs d'Olivia. Cependant il ne la force pas. Il ne la force pas pour l'instant. Il attend ce moment de vérité, où les verres de martini feront leurs effets. Le problème est que, même avec un gramme dans le sang, lui, il ne se sent pas d'humeur de parler d'elle. De parler d'Helena. Alors il part à la dérive, et s'échoue sur une autre discussion. « Bah... j'ai remis ça avec Elizabeth, l'autre soir. Après qu'elle m'ait avoué son mariage. » Elizabeth. La nana qui bouffe des bouquins de médecine h24 et qui trouve le temps de se marier, et accessoirement de coucher avec lui. Un paradoxe de toute beauté. Mais c'était le seul “potin” qu'il avait sous la main pour gagner du temps sur le sujet classé confidentiel nommé Helena. Puis il étale son coude sur le comptoir, pour mieux tenir sa tête qui commence à flancher. Il essaye de le dissimuler. Il croit qu'il réussit. Sinon Olive n'ouvrira pas son armoire secrète. Alors il garde les yeux grands ouverts, pour montrer qu'il est toujours attentif. « Ta vie elle est banale ? T'as même pas trouvé un coup d'un soir dernièrement ? J'suis sûr qu'une nana comme toi doit faire des ravages avec les tas de beaux gosses qui traînent à Arrowsic. Les clients te marquent pas des mots doux au marqueur sur leurs serviettes inutilisées avec un pourboire pour tes beaux yeux ? » fit-il, avec un sourire insistant.
C'est alors qu'il cherche du regard et trouve bien vite la cachette secrète. Deuxième placard en partant de la droite, à gauche du lavabo. Il a cette vieille envie de boire. Il a cette vieille envie de faire tanguer sa caboche du côté obscur de la force. Et il regarde Olive avec ses yeux doux. « Alleeeeeeez, je paierai demain si tu veux. » Puis il sent qu'elle cédera difficilement ce soir. Lui ne sait même pas s'il se souviendra de cette soirée au petit matin, et s'il aura le courage, avec la gueule de bois qui l'attend, de venir payer la déchéance de la veille. « Je dois les mériter, c'est ça ? Tu veux quoi, un cap ou pas cap ? Si j'y arrive, tu m'offres un verre. Allez Olive, fait pas ta coincée ».
Sujet: Re: « Mieux vaut être indifférent et digne que malheureux et pathétique. » Jeu 26 Avr - 22:56
« Et cette manie que tu as de cracher partout comme un lama ! C'est excessivement énervant ! » DIKKENEK.
Je les regarde tous les deux, Rudy et ses lunettes aux contours noirs qui lui mangent les yeux, et j'essaie de voir au-delà de ses verres transparents qui dissimulent cette âme de petit garçon. Parce que persuadée de lire en lui comme dans un livre ouvert, j'imagine que j'ai de l'autorité sur lui, j'aime penser que l'exemple que je lui sers est pas trop rouillé, qu'il n'y a pas tant besoin que ça d'huile pour faire fonctionner mes articulations abîmées. Je suis cette serveuse exténuée aux ch'veux filasses, qui a cette douleur aiguë dans la poitrine qui l'empêche d'avancer, qui se dérobe devant son futur incertain, qui refuse de se souscrire à une normalité, et ça me fait chier de lui offrir cette image d'ange gardien avili, trop poussiéreux pour être pris au sérieux.
L'éponge et le chiffon sont mon égide invisible, ce bouclier qui me protège de la réalité aux effluves confuses, et je me déplace gauchement entre les tables pour les rendre brillantes malgré la couche de crasse qui les enveloppe, et j'évite son regard perçant.
« Bah... j'ai remis ça avec Elizabeth, l'autre soir. Après qu'elle m'ait avoué son mariage. » L'évocation de son prénom me fait à peine hausser un sourcil. J'aurais dû m'interroger, m'insurger devant son plan-cul dégueu, évoquer cet autre prénom -Helena- qui résonne comme un psaume entre ses lèvres, m'étonner que ce Schtroumpfs à lunettes ait une vie sexuelle plus pimentée que la mienne. « J'trouve ça plutôt cool en fait, de baiser tout, un peu partout. » que je dis, l'éponge trempée au-dessus de la tête, et quelques gouttes rescapées s'éparpillent sur le sol. « Elle est mariée Elizabeth ? » que je demande, plus par politesse que par pur intérêt, son Eli est un prénom sans visage précis. Putain Rudy, qu'est-ce qu'on fout là à une heure du matin, moi qui refuse de me faire psychanalyser, toi qui insistes avec plus ou moins de tact, le Jack's lounge qui supporte nos deux âmes rongées par un mal peut-être inexistant, peut-être chimérique. On est ces deux abrutis qui se ramassent mutuellement à la petite cuillère, on essaie de pas sombrer devant ce gouffre béant qui s'étend devant nos pas, on se raccroche l'un à l'autre en essayant de pas se faire basculer, on recouvre un équilibre fragile et je crois bien être plus douée que toi à ce jeu-là. Je suis moins abîmée que toi, Gavennham.
Rudy, il est affalé sur le comptoir et j'ai pas le courage de lui demander de se pousser un peu, juste un peu, pour nettoyer les cochonneries sous ses bras. Les clients sont des gros porcs, règle première. Je crois qu'ils aiment se curer le nez et laisser leurs trouvailles sur le comptoir, pour qu'Olive la bonniche les ramasses, règle deuxième. Rudy fait la serpillière avant qu'Olive ait le temps de s'atteler à la tache, règle troisième. Gavennham il est pas niais, il est.. gentil. Gentil comme le cadet que j'ai toujours rêvé avoir, ce petit frère à qui j'aurais raconté des histoires de fantôme dans le noir, il aurait grelotté de peur, on se serait serrés sous la couette, l'un contre l'autre, et on aurait continué à flipper comme des fous. Maint'nant, c'est ma propre ombre qui m'affole.
« Ta vie elle est banale ? T'as même pas trouvé un coup d'un soir dernièrement ? J'suis sûr qu'une nana comme toi doit faire des ravages avec les tas de beaux gosses qui traînent à Arrowsic. Les clients te marquent pas des mots doux au marqueur sur leurs serviettes inutilisées avec un pourboire pour tes beaux yeux ? » Œillade désabusée. « Tu me connais, je suis assez difficile. » que je réponds évasivement en mimant une spirale douteuse avec ma main droite.
Alors quand je le dévisage, quand ses yeux noisettes s'accrochent aux miens, quand je détaille ses lèvres pleines mais pas trop, je me dis que j'aurais pu tomber amoureuse de Rudy, avec deux-trois ans de moins, une sensibilité plus poussée que la normale, un faible pour les grands types un peu tout cons, j'aurais pu. Rudy, il est juste trop.. Rudyiste.
« Alleeeeeeez, je paierai demain si tu veux. Je dois les mériter, c'est ça ? Tu veux quoi, un cap ou pas cap ? Si j'y arrive, tu m'offres un verre. Allez Olive, fais pas ta coincée. » Et je souris un peu parce que je sais déjà qu'il paiera pas, qu'il inventera des prétextes stupides pour pas me voir les jours suivants, jusqu'à ce que je fasse mine d'oublier, que je remplisse moi-même les caisses du Jack's lougne. « J'suis pas coincée. » que je grogne imperceptiblement. « T'es chiant, t'es chiant, t'es chiant ! T'as intérêt à me payer demain et je fais pas crédit. Je sortirais bien le champagne une fois dans ma vie à ce bar mais j'crois pas que c'est ce dont t'aies envie. » Je prends la première bouteille qui vient, Tequila, et la lui tends. « J'ai même pas assez de forces pour te faire un cocktail, faudra te contenter de ça. » Alors seulement, je m'interroge, je me demande ce qu'il peut bien lui trouver Rudy à sa vieille copine Olive qui a trop vécu, vieille et trop ridée par rapport à lui, qui pue l'infirmité à trois mille, alors, à grands coups de tequila, j'évacue ces interrogations revêches qui troublent mon esprit. « J'ai jamais baisé avec un mec marié. » que je marmonne, en grimaçant alors que l'alcool s'insinue en moi, et provoque cette brûlure qui m'avait tant manquée, et puis je me souviens de Mulligan Père, hausse les épaules et n'ajoute rien. Rudy, il s'en doutera pas de toute façon.
Un sourire carnassier éclairant mon visage morne, j'attends patiemment que Rudy me rejoigne dans cet au-delà tout doux.
Sujet: Re: « Mieux vaut être indifférent et digne que malheureux et pathétique. » Sam 28 Avr - 18:45
Il se frotta les yeux. La fatigue commence à l'emprisonner. Boire, parfois, ça le réveille. Mais si on attend trop longtemps entre deux gorgées concentrées, ça pousse sur les paupières, et ça éteint le cerveau. Alors il se gratte les cernes et enfouit pendant quelques secondes son visage vaseux dans ses paumes sèches. Puis il écarte ses mains pour bailler, comme un bébé qui guette le sommeil, les yeux fermés, l'oreille délicatement posées sur un lit douillet. Un bébé qui n'a que la préoccupation d'avoir à manger quand il le demande et de dormir quand bon lui semble. Qui ne désire que l'amour de sa mère, la seule femme qu'il connaisse alors, dans son monde constitué uniquement d'un lustre chantant une berceuse en tournoyant au-dessus de ses yeux mi-clos, et délimité par les barreaux d'un lit grinçant à chacun de ses mouvements. Rudy c'était ce gros bébé qui se prenait pour un monsieur en tétant le goulot d'une bouteille qui ne ressemblait pas franchement à un biberon de lait.
« J'trouve ça plutôt cool en fait, de baiser tout, un peu partout. » Il hausse les épaules. Non, c'est pas cool de baiser partout, comme elle dit. Lui trouve ça assez dégueulasse, bien qu'il le cautionne. En même temps il a ce trait de caractère. Pas la fidélité, non, l'attachement. Ouais, il s'attache trop à ses conquêtes, désespérément, et tombe de bien haut quand elles le jettent avec furie. Elizabeth c'est la seule fille avec qui il “baise” en ce moment. Parce que les autres filles ne veulent pas d'un connard égoïste dans leur lit, raison tout à fait recevable. Et puis Eli elle est pas désagréable. Même s'ils s'engueulent plus qu'ils ne se réconcilient sur l'oreiller, ils aiment ça, avec un plaisir vicieux et malsain. Eli c'est un peu la fille qu'il aimera jamais, mais qu'il voudra toujours. « Ouais, elle est mariée. Je sais pas qui c'est son mec. Je m'en fiche, au fond. Elle fait ce qu'elle veut, et je la vois toujours. » Il dit ça avec tellement de détachement. Alors que ça le fait chier, oui, qu'Eli soit mariée, qu'elle dévoue ses caresses à un autre. Il l'aime pas, cette Eli qui délie si bien sa langue au son de son prénom. Mais ça le fait chier qu'elle soit campée aux lèvres d'un type qu'il ne connaît même pas. Parce que son égo est possessif. Et pourtant il a de quoi être aussi à blâmer qu'elle, avec son Helena dans les parages.
En pensant à elle il a le regard vide, l'œil vitreux. Il a ce goût fade sur la bouche. Parce qu'il se surprend à penser à Eli avant elle. Pourtant Helena, c'est cette fille qu'il n'arrive pas à se sortir de la tête. Alors il la chasse, la laisse choir dans un coin de son esprit, en priant pour qu'elle ne le tourmente pas à nouveau, lui qui essaye de la diluer dans un verre de trop. Et il rehausse ses yeux sur Olivia, en train de frotter le comptoir, zigzaguant entre ses coudes enracinés dans le bois du meuble crasseux. Il a envie de se laisser bercer par le son de sa voix, suave, douce, qui glisse, limpide, sur une pente cirée lisse et sucrée. Ouais, t'as une voix sucrée, Olive. « Tu me connais, je suis assez difficile. » Il sourit. Pfff, si elle savait, la vieille sœur. « Pourtant tu ferais fureur à la fac, auprès de ces cervelles encore pré-pubères. Je peux te présenter une gondole de célibataires façonnés à la Abercrombie. » Et puis il rit, parce que si elle avait pas eut quelques années en trop, et si lui n'avait pas été abusé par cet amour pour Helena, peut-être qu'il aurait voulu connaître ses maux, ce qui la fait vibrer, l'Olivia. « J'suis pas coincée. » Il arbore cette petite grimace enfantine, traduisant un gnagnagna-t'es-pas-sympa. Puis elle s'emporte dans ses jurons et sort une bouteille de Téquila de l'armoire magique. Il a les yeux qui pétillent, vieux réflexe d'alcoolique en manque devant son whisky quotidien. Il brandit le liquide, qu'il tient entre ses mains, et l'attaque d'un trait, s'arrachant cul sec quelques gorgées. « Les cocktails, c'est pour que l'Homme dégaine sa face d'ivrogne de façon distinguée. Sinon ils seraient sans alcool. » La philosophie prenait part à la mélasse d'insanités éthyliques qui se bousculaient dans son esprit. Puis elle se sert, elle aussi, avec une sorte de grâce non voulue. Puis elle commence ce jeu absolument pourri, mais dont on raffole. « J'ai jamais baisé avec un mec marié. » Et il lui lance un regard dénonciateur, avec un sourire d'aveu. Puis il reprend la bouteille, et aspire une lampée. « C'était pas un mec, par contre, hein. » Ouais, à ce stade-là de la soirée, il ressent le besoin de préciser, comme s'il ne se rappelait plus avoir évoqué le prénom d'Elizabeth quelques minutes plus tôt. Puis il repose la Téquila entre eux et réfléchit un instant, à ce qu'il pourra lâcher pour en apprendre un peu plus sur cette Olive mystérieuse. « J'ai toujours foiré avec les filles que j'aimais. » Helena ressurgit. Il soupira. Puis leva les yeux vers Olivia.