Sujet: « Singin' a reckless serenade » Sam 26 Mai - 17:56
Tout en ayant refusé, Helena ne se fit pas prier pour saisir sa veste. Et à travers sa petite moue de je ne suis pas en état d'ébriété, je peux me débrouiller toute seule, mais j'ai froid, il réussit à noter son air interloqué quand il l'invita de façon quelque peu forcée à venir chez lui. Lui aussi aurait aimé la revoir dans d'autres conditions, hein. Mais voilà, la situation était telle que peu d'options s'offraient à eux. De plus, il fut surpris qu'elle n'émette aucune objection. D'habitude, elle était la première à lutter, à lui rentrer dedans et à s'opposer fermement à toutes les décisions qu'il prenait en ce qui les concernait (un borné plus une bornée ça fait presque des étincelles). C'était la déesse du refus non négociable, où la supplier à genoux aurait été l'action la plus vaine que la terre ait jamais connue. A la place, elle acquiesça docilement, tout de même un peu déplorée de devoir s'y rendre à pied, mais prête à le suivre sans contester ou remettre quoi que ce soit en cause.
Alors qu'il avait prit quelques mètres d'avance, elle vint le rattraper et s'agripper à son bras, sûrement pour éviter de rencontrer à nouveau le pavé avec sa démarche peu régulière. Rudy ne broncha pas, et fut même heureux de savoir qu'ils pouvaient en quelque sorte retrouver un quelconque contact et qu'ils n'avaient plus à se regarder à dix mètres l'un de l'autre, en baissant les yeux et en oubliant tout mouvement brusque. Oui, il avait toujours cette soirée célébrant la pauvreté de pauvres africains et les joies des retrouvailles entre ex au travers de la gorge. Puis l'orage mugissant assourdit ses pensées fulminantes qui rendaient cette marche si calme. Et pendant qu'il s'était mis à courir, Helena peinait à suivre, misérant sur ses hauts talons qui pouvaient certes la rendre abominablement sexy en omettant l'allure de dépravée alcoolique, mais la ralentissaient considérablement. Elle lui hurla de l'attendre, et Rudy calma son pas, non sans garder un mouvement pressé. Voyant qu'elle avait trouvé la solution en se déchaussant et en laissant ses pieds baigner dans le goudron humide et sensiblement dégueulasse, il reprit ensuite sa course jusqu'à son appartement dont il voyait la porte depuis l'angle de la rue. Une fois à l'abri dans le hall, il s'appuya contre le mur, haletant. Ce petit moment fun lui arracha un sourire amusé, qui s'intensifia en voyant la dégaine d'Helena, qui ne devait cependant pas être plus atroce que la sienne, alors qu'il sentait sa chemise lui coller au corps et des gouttes de pluie perler sur son visage, lui arrachant un frisson de par le froid moite qui glissait le long de son cou. Elle, s'était laissé tombée sur par terre. Il fallait croire qu'elle était une fanatique du sol, et que ses dieux païens s'appelaient Parquet, Macadam, Carrelage et Moquette. Il alla même jusqu'à éclater de rire en voyant ses pieds repeints en gris-noir poisseux et ses yeux pétillants sous ses paquets de cheveux collés par l'humidité.
Une fois sa respiration calmée, il appuya sur le bouton de l'ascenseur, refusant catégoriquement de s'attaquer aux raides escaliers après cette séance de sport improvisée, et surtout avec une Helena à bout de souffle. Et puis il avait franchement la flemme de monter six étages. Ils s'engouffrèrent alors dans la cabine métallique quand le voyant s'illumina et Rudy sélectionna son étage. Il pensait déjà à son matelas douillet, à son oreiller frais, et au doux sommeil qui l'attendait. Seulement voilà, une méchante fée sado-masochiste, jalouse de son malheur déjà accumulé s'empressa de lui jeter une malédiction infâme qui consistait à saboter sa soirée, et plus généralement sa vie. Après avoir pourri ses retrouvailles avec Helena, répandu une rumeur peu glorieuse à son sujet, et fait sauter sa soirée sympathique, elle avait décidé de gentiment bloquer brusquement leur ascenseur entre les paliers 3 et 4. De quoi vouloir se tuer avec un lacet de chaussures, ou de s'enfoncer un talon aiguille dans la tempe. Il essaya pas mal de boutons, opérant tant bien que mal à la réanimation de leur foutu moyen de locomotion vertical, mais en vain. Helena avait l'air de profondément s'en foutre, somnolant presque et ne s'étant pas encore rendue compte de l'horreur dans laquelle ils venaient de se fourrer. Au moins il avait appris aujourd'hui que l'économie d'énergie pouvait venir à bout d'un homme. Le pire auquel il pouvait dès à présent s'attendre fut que l'un d'entre eux fasse une crise de claustrophobie. Là il serait apte au suicide.
En fait, c'était si pitoyable qu'il se mit à rire. Rire qui se transforma très vite en gémissement de supplication, en larmoiement de martyr chrétien prêt à être exécuté au milieu d'une arène de lions affamés. Ouais, Néron voulait sa mort. Et après avoir donné un coup de pied sur la paroi métallique, ce qui lui arracha une petite douleur qui au passage ne calma absolument pas la situation, il reporta son attention sur sa damoiselle protégée. « Bon, je vois que t'es sur le point de t'écrouler de sommeil. Tu peux t'étaler par terre, on est bons pour passer la nuit ici. Moi je suis au bord du gouffre en tout cas. » C'était pas comme si tout espoir avait disparu, mais on était pas loin. Par contre, ils n'avaient même pas la place de s'allonger et d'établir un bivouac. Peut-être assez pour glisser un couffin de nouveau-né, cependant un enfant de dix ans n'aurait pas pu recevoir de bénédiction de la part du marchand de sable. Autant dire qu'ils allaient jouer à qui tient le plus longtemps debout jusqu'à ce quelqu'un passe dans les parages (oui parce qu'aucun technicien n'était affecté à cet immeuble, donc pas moyen de joindre un quelconque être qualifié en bidouillage ascensionnel). Ils n'étaient donc plus que tous les trois, elle, lui, et ses clés pour s'ouvrir les veines.
Spoiler:
Tu me dis si je prends trop d'initiatives, surtout, hein ! Et je trouve que c'est loin d'être du Balzac, mais je me suis amusée
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Dim 27 Mai - 18:15
Entendre son rire lui fit plaisir. Il était peut-être bien en train de se foutre ouvertement de sa gueule mais elle sentait une certaine complicité renaître entre eux. Parce que, oui, entre les cris et les réconciliations, il fut une époque où ils étaient effectivement complices. Aujourd'hui, ils étaient là, tous les deux, pitoyables avec leurs visages moites et rougis, leurs chevelures décoiffées et leurs vêtements dégoulinants. Ils avaient perdu la superbe qu'ils s'étaient efforcés de conserver lors de leurs retrouvailles catastrophiques. Ils avaient juste l'air ridicule. Alors Helena se mit à rire doucement, elle aussi. Pas trop, elle avait la gorge enrouée et de petites quintes de toux vinrent ponctuer son hilarité. Lorsqu'ils se furent calmés, Rudy fit une chose à laquelle Helena n'avait même pas pensé. Assise en face des escaliers, elle s'était dit qu'elle allait être obligée de les monter à quatre pattes ou que son fidèle compagnon devrait la traîner derrière lui comme un vieux sac à patates… à moins d'avoir le courage de la porter jusqu'en haut. Mais toutes ses appréhensions liées aux nombreuses volées de marches s'envolèrent lorsque Rudy appela tout simplement l'ascenseur dont la jeune fille affalée au sol avait oublié l'existence. Soulagée, elle fit un dernier effort pour se relever et se traîner dans la machine où elle se laissa aller contre la paroi métallique. Elle savait que c'était la dernière étape avant de pouvoir s'étaler dans un fauteuil, un divan, ou même par terre – elle n'était plus à ça près – et de dormir. Dormir d'un sommeil long, profond et réparateur. Elle s'enroula un peu plus dans la veste trempée, serra ses bras autour d'elle et autorisa sa tête à tomber sur son épaule. Ses yeux la piquaient de plus en plus. La pluie qui s'y était infiltrée, agressive, irritante, n'arrangeait rien du tout. Après que Rudy ait sélectionné le sixième étage, l'ascenseur s'ébranla. Le lent mouvement la berçait. Elle ferma les yeux, juste quelques secondes, pour qu'ils arrêtent de la démanger. Elle risquait fort de s'endormir là et de ne pas se réveiller avant le lendemain. Mais elle ne faisait que somnoler et, dans sa transe, elle sentit Rudy s'agiter. Elle entrouvrit les paupières et le découvrit l'air anxieux, appuyant frénétiquement sur tous les boutons du clavier. Qu'est-ce qu'il pouvait bien fabriquer ? Elle eut envie de lui grommeler que ce n'était pas un jouet et qu'il allait tout casser quand il lui annonça « Bon, je vois que t'es sur le point de t'écrouler de sommeil. Tu peux t'étaler par terre, on est bons pour passer la nuit ici. Moi je suis au bord du gouffre en tout cas. » Alors elle comprit. Coincés. Ils étaient bêtement coincés dans l'ascenseur, à quelques mètres seulement de leur point de chute. Elle regarda le sol. Elle aurait effectivement été bien tentée de s'y coucher, abandonnant tout espoir de confort. Le problème était que la surface disponible lui semblait vraiment infime. Et puis elle n'avait pas vraiment envie de s'allonger aux pieds de Rudy comme un vieux chien fidèle. Même dans les moments désespérés, sa fierté démesurée pouvait reprendre le dessus.
Subitement, l'aspect dramatique de la situation lui apparut dans toute sa splendeur. Elle était bourrée, elle avait vomi, elle était trempée, elle avait sommeil et elle était coincée dans un ascenseur au milieu de la nuit. Tout cela, c'était déjà quelque chose mais cela n'aurait pas été drôle si elle n'avait pas été bloquée dans cet espace ridicule avec son ex. Celui qui n'avait jamais cessé de l'obséder mais qui, lui, n'en avait manifestement plus grand chose à foutre d'elle… c'était en tout cas ce qu'il lui avait laissé comprendre en ne lui donnant aucune nouvelles après l'avoir revue. Pour quelque mystérieuse raison, toutefois, il s'était occupé d'elle toute la soirée. Peut-être pour pouvoir plus facilement se moquer d'elle ou pour lui redonner un peu d'espoir afin de mieux la jeter le lendemain matin. L'ivresse avait plusieurs phases. Après la fête, après que l'allégresse et l'excitation soient retombées, on n'avait plus qu'à se laisser basculer dans l'extrême opposé. Helena entrait désormais dans la phase du malaise, de la culpabilité. Le trop plein de sentiments qui l'envahissait suite au blocage de la cabine était sur le point de la faire craquer. Elle commençait à s'en vouloir. Terriblement. Si elle était simplement rentrée sagement chez elle après les cours, rien de tout cela ne serait arrivé. Rudy venait de dire qu'il était au bord du gouffre, elle avait l'impression d'y plonger. Elle avait envie de s'en aller, de se retrouver seule et de se calfeutrer dans un petit coin sombre en position foetale pour le restant de ses jours. Elle se sentait horriblement mal, fatiguée, responsable. Pour la première fois depuis que le jeune homme l'avait rejoint, sa présence la gênait. Elle n'aurait su dire pourquoi. Peut-être parce qu'elle ne savait pas pourquoi il était venu ? Parce qu'ils étaient toujours dans le flou tous les deux ? Ou parce qu'elle se rendait lentement compte qu'elle était un véritable boulet ? Elle brisa le silence qu'elle avait laissé planer par un piteux « Désolée. » Elle baissa la tête et essuya les larmes qui perlaient dans ses yeux avec sa manche trop grande. Elle était tout bonnement pitoyable. Ses pensées retournèrent planer comme des rapaces autour de l'idée qui l'obsédait, celle de sa responsabilité vis-à-vis de la situation. « T'aurais dû me laisser, tu vois. Ca serait pas arrivé… » fit-elle d'une voix étranglée.
Puisant dans ces dernières réserves pour ne pas se laisser aller, elle fit mine d'avoir la situation en main. Elle souffla « Y a pas un bouton d'alerte ? » Elle n'était pas sûre que cette antiquité soit du genre à en avoir mais cela lui permit de détourner les yeux pour cacher sa mine déconfite. Si l'ascenseur était pourvu de ce genre de dispositif, ils étaient sauvés. Si c'était le genre d'alarme qui retentissait dans tout l'immeuble quand on l'activait, les voisins risquaient fort de détester Rudy mais là était peut-être le prix à payer pour leur liberté. Un peu paniquée, elle ajouta « On va quand même pas vraiment passer la nuit là… » Elle se mit frénétiquement en quête d'un indice, un guide de secours à l'usage des pauvres âmes coincées entre deux étages. Mais avec un peu de chance, ce n'était qu'un raté dû à l'orage qu'on entendait tonner au dehors… Oui, il y avait certainement eu un problème quelque part dans les circuits électriques et ils allaient redémarrer d'une seconde à l'autre. Sinon, pleurer comme un bébé deviendrait une option clairement envisageable.
HJ:
Je suis pas convaincue (pour changer) je refais tout si tu veux
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Mar 29 Mai - 1:16
C'était comme si le voile glacial qui les avaient recouverts se dissipait peu à peu. Le mur blindé qui s'était élevé entre leur deux monde perdait quelques briques au fur et à mesure que leur rire mêlés retentissaient dans le hall. Cela mettait Rudy à l'aise, en se disant que tout n'était pas perdu, qu'un jour il aurait l'opportunité de faire un pas vers elle, sans élan d'agressivité. Certes, l'alcool n'était pas innocent dans cette voie vers une potentielle réconciliation, ou du moins un arrêt temporaire des conflits. Il embrumait l'esprit, et donnait peut-être à Helena une fausse illusion. Elle devait se dire qu'il était un être infâme qui tentait vainement de se racheter, et que quand l'éther aveuglant se sera déloger de ses viscères, elle pourra allègrement le jeter, l'inculper pour tous les maux de la terre, et surtout pour les siens. Elle lui criera encore que le bilan négatif de sa vie résulte de ses propres crimes, à lui, Rudy. Parce que c'était toujours la faute de l'autre, entre eux, jamais la sienne. C'était un principe qui participait aux fondements de leur couple. C'était donc de sa faute si elle, était partie à l'autre bout du Pacifique. Si elle avait quitté sa tendre ville, son cher et doux logis, et le reste d'un entourage aimant. Alors il profita de ses derniers instants de complicité et saisit ce moment au creux de sa mémoire, avant de devoir éventuellement se confronter au brutal retour à la réalité et à la raison d'Helena.
Alors qu'il prenait son visage humide dans ses mains moites, Helena émergea peu à peu de sa transe ensommeillée pour prendre conscience du merdier dans lequel ils se trouvaient. Foutu ascenseur, vie cruelle, soirée maudite. Ça le désolait, lui donnait envie de jurer, comme si quelques vulgarités remettraient en route la machine démoniaque désormais en grève. Durant ces piètres minutes, il aurait bien aimé croire en un Dieu supraterrestre, n'importe quoi pouvant raviver une bribe d'espoir en lui, et ne pas s'imaginer pourrir toute la nuit et décuver dans cette boîte métallique. C'était assez horrible de s'imaginer une gueule de bois confiné au cœur de quatre parois de fer, et il ne voulut pas penser à sa pauvre compagne dans sa dernière phase d'ivresse. D'ailleurs, elle passait peu à peu un des caps de sa griserie, passant d'un rictus apaisé à un fasciés maussade et anxieux. Si elle s'apprêtait à faire une crise de panique, il était prêt à retenir sa respiration jusqu'à sa mort délibérée (même si cela était scientifiquement et physiquement impossible). A la place de ça, elle commença à s'excuser, comme une enfant qui aurait grignoté entre deux repas et prit le dernier cookie. Elle alla même jusqu'à pleurer. Bien. La crise de panique avait muté en une perlée de larmoiements que Rudy accueillait avec étonnement. « T'aurais dû me laisser, tu vois. Ca serait pas arrivé… » Il avait les yeux écarquillés, la scrutant presque effaré. Quelques minutes plus tôt, elle s'esclaffait avec lui, et là, elle se brutalement laissait porter parce quelques larmes futiles et inexpliquées. « Mais euh... c'est pas grave, hein, c'est pas ta faute. » A noter que ce n'était pas la sienne non plus. La question était désormais de la rassurer, de lui faire comprendre qu'ils n'allaient pas mourir de faim, ou de manque de sommeil, ou que l'un allait devoir dévorer l'autre par manque de nourriture, et qu'ils passeraient des jours entiers à délibérer lequel allait se sacrifier pour sauver l'autre. Sauf qu'il avait perdu toute patience, et il lui aurait bien crié dessus pour qu'elle pleure un peu plus intensément, histoire de réveiller tout l'immeuble et de créer un signale d'alarme humain. Néanmoins, Rudy avait cette faiblesse de facilement perdre son égo avec Helena. Mais juste avec elle. Et dans seulement certaines situations, qu'il ne contrôlait pas toujours (donc au final, sous conditions). Cependant mettre sa vanité un cran en-dessous ne l'empêchait pas non plus de se comporter comme un profond salaud.
Elle continuait ses plaintes, dans un dialogue tout à fait conscient, au dialecte clair et non brumeux. Elle avait donc passé l'étape d'euphorie chiante. Tant mieux. Il n'aurait pas pu la gérer dans un environnement si hostile. « Y a pas un bouton d'alerte ? » Il l'aurait bien inventé, mais ses pouvoirs magiques avaient été remplacés par une poisse innommable et abjecte. Il n'avait même plus la foi de chercher un moyen de sortir, de badiner Helena pour la rassurer et lui faire comprendre que oui, ils allaient peut-être vraiment passer la nuit là, mais qu'il n'en avait plus rien à faire. Alors il haussa les épaules, et commença une moue digne d'une adolescente en pleine rébellion avec le système autoritaire à un dîner de famille. Une vraie moue de pro, d'Etat-major, qui reniflait l'impassibilité, mais d'où émanait une once de désespoir et de passivité subie. Il s'adossa temps sur la paroi froide, se disant au final que cet ascenseur allait remarcher de lui-même, comme un grand garçon. S'en suivit alors une phase de silence pesant, parfois interrompu par les pleurnichements d'Helena, qui n'en avait pas fini avec ses larmes incontrôlées.
D'un autre côté, cet petit incident lui donnait l'opportunité de discuter avec Helena. De faire la parlote, de la distraire et de la détournée du chemin de la crise existentielle en panique, de découvrir comment elle avait comblé ses deux années humanitaires, si elle avait gouté ou non aux délices d'un vrai surfeur australien, ou si elle préférait un exotisme moins américain. Mais dans son esprit, lui demander « qu'as-tu fait, chère amie, pendant ton voyage au pays des kangourous » revenait à lui dire « t'as bien aimé te taper pire que moi ? Et m'abandonner comme une merde accessoirement ? » Et puis, ce n'était pas parce qu'elle alignait trois mots dont un verbe bien conjugué qu'elle était parfaitement apte à tenir une conversation presque sérieuse. Alors il opta pour quelque chose de moins... cinglant. « Elle était bonne la bouffe en Australie ? » C'était assez pourrie, comme question. A vrai dire; aussi nulle et futile que la première paire de chaussettes de son existence. Mais cela rompait le silence presque gênant qui cherchait à tâtons un moyen de sortir d'entre ces murs, et au moins, il n'était pas question de papoter entre nanas sur ses prétendants, parce qu'avec la greffe de calme que Rudy avait subi, il était peu probable qu'il survive à la discussion. Il espérait alors que le sujet ne dérive pas sur la question.
Spoiler:
L'heure indécente, le retour. En vrai je trouve ça assez pourri, mais l'heure pardonne, dira-t-on. Et le dernier paragraphe, ça devait être sous l'emprise de la faim, sorry.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Ven 8 Juin - 11:12
Helena hocha la tête, peu convaincue, quand Rudy lui assura que ce n'était pas de sa faute s'ils étaient coincés là. Elle émit un reniflement tout plein de classe et d'élégance et se calma un peu, même si ses yeux restaient embués. Il était bien gentil ce garçon mais il ne pourrait pas retirer toute la culpabilité de ses épaules à l'aide de quelques mots seulement. On ne balayait pas des craintes, même irrationnelles, d'un simple coup de baguette magique. Tous ces démons n'allaient pas abandonner Helena comme ça, ils l'aimaient trop, elle abritait trop d'angoisses endormies qu'ils pouvaient s'amuser à réveiller et à gonfler comme des ballons de baudruche, jusqu'à ce qu'elles explosent littéralement. Elle grommela « N'empêche que si t'étais pas venu, tu serais pas coincé. » Ses mots auraient été incompréhensible s'ils n'avaient pas été prononcés dans un ascenseur minuscule, au milieu de la nuit. Elle savait qu'elle avait raison. Elle appréciait qu'il veuille la rassurer mais elle ne se voilerait pas la face. Elle s'y refusait.
La jeune fille chercha encore pendant quelques temps après un moyen quelconque de sortir de là, sans succès. Dans les films, les héros ouvraient une trappe dans le plafond, avant que la cabine dévale les étages restant et provoque une explosion spectaculaire. Dans la réalité, c'était autre chose. En levant les yeux, elle voyait bien quelque chose qui ressemblait à une ouverture, mais, même saoule, elle avait comme un doute sur le fait que Rudy la laisse monter sur ses épaule pour ouvrir le panneau, et qu'il ne fasse rien pour l'empêcher de jouer à Tarzan en se hissant en haut des fils métalliques, comme l'homme-gorille le faisait avec les lianes. Cette possibilité s'envola. Alors, Helena commença clairement à désespérer. Son compagnon d'infortune ne l'aidait pas beaucoup à améliorer la situation. Elle était crevée, elle en avait marre et lui, il était paisiblement appuyé contre la paroi, l'air de n'en avoir royalement rien à cirer. Il semblait prêt à accueillir paisiblement l'annonce de sa mort prochaine dans cette cage de fer. Son impassibilité était insupportable. Elle fut tentée de réduire à néant le faible espace qui les séparait et de le secouer comme un vieux prunier pour qu'il se bouge un peu, pour qu'il fasse au moins semblant de s'intéresser à leur sort.
Elle était en train de considérer cette option quand il ouvrit la bouche. « Elle était bonne la bouffe en Australie ? » Helena resta figée sur place, horrifiée. Elle s'attendait à tout, sauf à ça. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, elle fixa Rudy, attendant un signe qui lui indiquerait qu'il n'avait pas dit ce qu'elle avait cru entendre. Mais rien ne vint. Elle avait cessé de pleurnicher, trop choquée par la brutalité de ses mots. Ce mec n'était pas seulement sadique, il était aussi masochiste. Il avait vraisemblablement envie qu'ils passent le reste de leur temps à parler d'un sujet désagréable, à avoir des envies de meurtres, à geindre, pleurer, se taper la tête aux murs, jusqu'à l'évanouissement. Elle fronça les sourcils et répondit d'un ton prudent, suspicieux « Oui. Pourquoi ? » elle s'en voulut immédiatement. Elle n'avait aucune envie de savoir pourquoi il lui avait demandé ça. Sûrement pour se venger du mal qu'elle lui avait fait, pas pour lui demander quelques recettes à ajouter à son livre de cuisine.
Elle commença à paniquer. La fatigue et l'alcool qu'elle avait ingurgité amplifiaient toutes ses émotions, poussant chacune d'elle à son paroxysme. Une vraie tragédie, dont elle n'était que le pantin de chiffons. Elle aurait bien fait les cent pas mais elle ne disposait ni du courage ni de la superficie nécessaires à cet exercice. La brunette se laissa donc, une fois de plus, tomber sur le sol. Assise dans un coin, loin du dangereux cinglé avec qui elle partageait l'espace, elle serra ses genoux contre elle. L'air toujours grave, les lèvres pincées, elle commença à tripoter machinalement sa plaie. Elle ne saignait presque plus. C'était rouge, brillant et un peu collant, c'était rigolo. Elle entreprit alors d'arracher les petites peaux sur les bords de la blessure. Ca ne la détendait pas vraiment mais elle avait besoin de s'occuper les mains pendant qu'elle essayait de contrôler le flot de pensées qui déferlait en elle. Ce qui s'était passé au pays des kangourous n'était pas vraiment sa faute, elle avait juste essayé de servir au mieux les intérêts de tous. Échec cuisant sur toute la ligne mais elle ne l'avait pas voulu. Elle cessa brutalement de toucher à son genou et enroula ses bras autour de son corps, elle se sentait vulnérable, prise au piège. À moins de gratter le plancher avec ses ongles jusqu'à l'user tellement qu'un trou y apparaisse, elle n'avait aucun moyen de s'échapper. Aucun ? Il lui restait le sommeil. Dans les bras de Morphée, son chevalier bourreau ne pourrait plus la tourmenter. « T'avais raison. 'vais dormir. » annonça-t-elle. Puis elle enfouit sa tête dans ses genoux, faisant disparaître l'image de celui qui comptait tant pour elle. Elle se rendit alors compte, qu'au delà de son angoisse, elle était en colère. Elle était fâchée sur Rudy. Il avait tout gâché en balançant sa phrase assassine. Il s'était senti obligé de remuer le couteau dans leurs plaies respectives. Or, il n'y avait pas de raison pour qu'il soit le seul à jouir de ce plaisir. Elle ajouta alors, d'une voix parfaitement audible bien qu'un peu étouffée en raison de sa position « Et c'était génial l'Australie, si tu veux savoir. » des lames de rasoir désespérément lancées dans les airs. Certaines pourraient retomber sur elle, meurtrières, mais cela en valait la peine si, ne serait-ce qu'une seule, allait se planter dans la chair de Rudy.
Comme prise de spasmes, elle se tortilla ensuite dans tous les sens et ôta le vêtement que le jeune homme lui avait cédé. Tant pis si elle avait froid. Elle le roula en boule et lui lança dessus. « Tiens, ta veste. » Elle lui en voulait vraiment, à ce type qui l'avait traquée dans les bars pour pouvoir lui faire des reproches à son aise. Elle n'aurait pas été étonnée qu'il se soit lui-même arrangé pour bloquer l'ascenseur, afin de l'accabler tranquillement. Il l'avait cueillie dans un état proche du coma éthylique, il aurait pourtant dû savoir qu'elle était à fleur de peau, que le moment était bien mal choisi pour faire ne seraient-ce qu'allusion à l'Océanie. En plus sa tête recommençait à tourner. Stupide soirée ! Les paupières fortement serrées, appuyées sur ses jambes, elle commença à remuer nerveusement, sans trouver de position convenable pour accueillir le seul en mesure de la délivrer : le marchand de sable.
HJ:
Non mais dis pas ça, toi c'était parfait, as usual
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Sam 16 Juin - 0:03
« N'empêche que si t'étais pas venu, tu serais pas coincé. » Elle avait toujours cette petite voix enfantine, cette petite moue têtue qui lui faisait comprendre par le regard qu'elle ne rejetterait pas la faute sur lui. Ça le changeait tellement, de la voir se dévaloriser. De la voir s'auto-culpabiliser, alors qu'il avait toujours été le type qui l'accusait à tort, et elle la petite égoïste impudente, la nana parfaite qui n'avait rien à se reprocher. Ça allait même jusqu'à le troubler, de voir qu'il s'entendait presque bien avec elle, qu'il n'était pas en train de se cracher dessus leur venin respectif, comme des serpents à sonnettes en alertes. Mais il n'allait pas se plaindre. C'est donc en souriant qu'il déclara: « C'est un peu trop tard pour revenir sur ce qui est passé, tu ne crois pas ? Autant chercher à tuer le temps dans cet ascenseur plutôt que de discuter sur pourquoi j'ai décidé de te venir en aide. » Il faillit lui réclamer un merci, et lui lancer qu'il aurait très bien pu choisir de ne pas venir. Mais il percuta, avec un train de retard, tout le sens de sa phrase. Parce que oui, il venait de prôner ô combien il fallait tirer un trait sur ce malheureux passé, créateur de tous les maux qui les hantaient depuis leur retrouvailles, m'enfin ils n'avaient pas cessé de revenir dessus à cette soirée pleine de charité. Alors voilà Rudy, maintenant tu vas te la fermer et prier pour qu'elle n'ait pas relevé la subtilité.
Mais il avait besoin d'en rajouter une couche. « Et puis si j'étais pas venu, tu serais en train de te faire violer sans t'en rendre compte. » Certes, ce fut exagéré, un peu trop amplifié, voire à la limite du choquant pour le coefficient de bouleversement que subissait Helena dans la phase trois de la descente de son ivresse. Néanmoins il était repu de paroles. Il détourna alors la tête, appuyé contre sa paroi paisible et lisse. Ce qu'il demandait, c'était un minimum de reconnaissance, pas de se jeter la pierre éternellement, et subir un débat de sourds.
Voir Helena s'agiter était assez drôle. Enfin s'agiter... il n'y avait pas franchement la place pour sautiller, apeurée, dans trois mètres carrés. La seule chose envisageable et réalisable était de se ronger les ongles jusqu'aux os. Helena avait quant à elle opté pour les pleurnichements. Assez pénibles, il fallait avouer. Mais dans son impassibilité stoïque, Rudy dissimulait cette exaspération. Puis l'ennui les rongeant, il sortit sa question pourrie, qui eut l'air d'ébranler considérablement son interlocutrice. Apparemment, les conversations d'ascenseur n'étaient pas son fort. « Oui. Pourquoi ? » Il ne s'attendait pas à ce “pourquoi” si violemment jeté. Il sentait son ton irrité, agacé. Alors il pensa aux premières réponses qui lui vinrent. Pour ne pas te demander combien de kilos t'as perdu en sport de chambre ! Pour ne pas m'ennuyer comme un rat mort en parlant au mur ! Pour que t'arrêtes de pleurer ! Pour que je sache ce qu'a fait pendant deux ans la fille que je me suis tué à oublier ! Bon, ces paroles étaient peu catholiques, et très inappropriées. Cependant il n'avait rien d'autre à lui fournir comme justification, à part un bégaiement incompréhensible, un bredouillement de mots qui n'en étaient d'ailleurs sûrement pas. « Euh... ben... » Le visage de Rudy se décomposait peu à peu, cherchant quelque chose à dire, alors qu'elle semblait le foudroyer du regard. Du moins c'était son ressenti. « Je sais pas, une question en l'air. Tu veux qu'on discute de... je sais pas, ton boulot ? Tu fais quoi depuis que t'es rentrée ? » Il parlait précipitamment, comme pour calmer les ardeurs fulminantes d'Helena. Aborder l'Australie avait éveillé en elle un sentiment de méfiance. Et il ne voulait pas énervée un être ivre, de peur d'être assassiné.
Puis la colère se transforma en panique. Elle retomba à nouveau par terre, se laissant choir sur le sol froid, à l'opposé de Rudy. Et elle remuait, là, assise, visiblement très mal à l'aise. Alors il s'en voulut, de l'avoir offensée, d'avoir fait renaître en elle de potentiels mauvais souvenirs. Il culpabilisait, à son tour. Il voulut grommeler quelque chose, s'excuser, mais rien ne sortit de sa bouche, qui en avait sûrement trop dit. Tout semblait se répéter éternellement. Ils ne pouvaient pas se sourire sans s'envoyer des regards âpres peu après. Ils étaient condamnés à un cercle vicieux. Elle déclara alors qu'elle comptait finalement bel et bien dormir. Rudy la regardait faire de loin (enfin c'était relatif, dans un ascenseur), depuis sa propre place. Le mur qui semblait avoir été abattu replaçait peu à peu ses briques, bâtissant fermement la délimitation de deux mondes. Chacun le sien, séparé par une centaine de galaxie. Les ponts qu'ils avaient construits entre leur deux être étaient tombés aux mains de la maladresse, puis de son chef, le mépris. Et depuis leur barrière fictive, il entendit à nouveau sa petite voix frêle crier à quel point l'Australie était génial. Ça lui sembla bien faux. Mais il se laissa prendre au jeu. Il se demandait ce qui avait pu cloché là-bas. Ça avait pourtant été son choix, à elle, de partir. Et même s'il avait tenté de l'en empêché, elle s'était entichée à cette décision et rien ni personne ne lui avait barré la route jusqu'à sa rampe d'embarquement. Alors bon, pourquoi tant d'anxiété, de remords, de troubles face à cette évocation ?
Il avait désormais les bras ballants, ne sachant trop quoi faire, quoi dire. Le silence avait repris son trône après avoir vaincu leur voix. Jusqu'au moment où Helena, alors qu'elle gigotait sur place, ne sachant pas tenir en place, lui tendit sa veste. Ou plutôt, la lui balança de part et d'autre de l'ascenseur, avec fureur, en prenant soin de viser le visage. Rudy n'arrivait plus à suivre les pensées de sa compagne. Et en retirant le vêtement étalé sur sa face, il la vit fourrer sa tête entre ces genoux. C'était l'alcool qui la rendait si lunatique ? Ou peut-être était-on à la mauvaise période mensuelle... Enfin les causes importaient peu, on s'intéressait ici plus aux conséquences assez difficiles à gérer. Il décida alors de s'avancer doucement vers elle, sans mouvement brusque, et prit place assis par terre, juste en face de son corps recroquevillé sur lui-même. Il avait des élans de gentillesse qui supposaient de la prendre dans ses bras, par pure amitié réconfortante, ou du moins ce qu'il restait de cette dite amitié, mais il avait bien trop peur que son geste soit mal interprété et qu'il se voit violemment rejeté, ce qu'il aurait pris pour de la légitime défense après tout. Car oui, à la base il était avec elle pour se racheter, pour se faire pardonner de son attitude assez peu gentleman à la soirée de charité. L'alcool retardait juste ces excuses au lendemain. Bref, il se contenta alors d'ouvrir la bouche, avec prudence cette fois. « Je voulais pas te fâcher, je suis désolé ». Il avait l'impression d'être dans un bac à sable et de demander pardon à son voisin pour avoir écrasé son pâté. Et au fond, c'était le trop plein de cocktails qu'avait ingurgité Helena qui rendait cette scène puérile. « On est pas obligés de parler de l'Australie, tu sais, je voulais juste tuer le temps, j'avais aucune mauvaise pensée ». Il préféra se justifier en amont, avant qu'elle ne s'enflamme et n'accuse le premier venu (soit lui ici) pour le malheur qui la hantait, et qu'elle s'infligeait presque elle-même. Mais ils s'étaient peut-être trop pris à leur jeu de rôle, celui où ils incarnaient chacun un martyr abattu, terrassé par l'autre, pour mieux prouver sa culpabilité. Alors il approcha tout de même sa main de son bras et fit une sorte de caresse, qui n'avait cependant rien de romantique, pour essayer de faire sortir son visage d'entre ses jambes, d'entre son trou noir infini qui ne suscitait de la pitié chez personne.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Ven 22 Juin - 15:08
Enfermés. Cernés par quatre murs de fer, quatre lourdes parois glacées, impersonnelles, insensibles. Ils étaient suspendus au-dessus du vide, quelque part entre deux étages, coupés du reste du monde, en autarcie parfaite. Leurs souffles se mêlaient dans l'étroitesse de l'espace, ils n'auraient pu faire autrement. Inspirer et expirer, jusqu'à manquer d'oxygène, jusqu'à étouffer, jusqu'à l'évanouissement. Prisonniers contre leur gré, sifflotant leur détresse sans croire vraiment à la délivrance. Helena trouvait l'atmosphère de plus en plus pesante. Pendant des jours et des nuits, elle n'avait plus eu en tête que l'envie de revoir le jeune homme. Elle avait été obsédée par l'idée récupérer Rudy, de retrouver la passion qui les unissait, l'attraction qui aimantait leurs âmes troublées. Mais maintenant, il en était tout autrement. Elle avait l'impression de faire un mauvais rêve, d'autant que ses sens étaient brouillés. Les impressionnistes des avant-gardes avaient tout à envier à son ivresse. Pour elle, pas besoin de flou, pas besoin de surimpressions pour être projetée dans un univers surréaliste.
Lorsqu'il reprit la parole, elle ne comprit pas son allusion, elle enregistra ses mots signifiant qu'il valait mieux laisser le passé là où il était et aller de l'avant, mais elle n'en saisit pas le sens. Sa tirade suivante ne fit, en revanche, que trop facilement sa percée dans son cerveau embué. Elle laissa échapper un petit cri d'horreur mêlée de surprise, choquée par ses dires. C'était sans doute la réaction qu'il attendait en parlant de viol sur le ton de la conversation. Contre toute attente, sa fierté refit surface, l'espace d'un court instant, juste le temps de lui rétorquer « J'sais m'défendre. » sachant néanmoins que c'était complètement faux. Elle était pertinemment consciente que les seuls sports qu'elle eut jamais pratiqués – à savoir l'équitation et la voile – ne lui étaient d'aucune utilité à ce niveau-là, qu'elle avait du mal à tenir sur les deux bâtons qui lui servaient de jambes et que ses poings n'auraient pas assommé une mouche malade. Cependant, elle était capable de crier très, très fort. C'était déjà ça.
Se rendant compte de ce qu'elle avait demandé et des réponses qu'elle pourrait avoir à supporter, la jeune fille devint ensuite particulièrement anxieuse. Elle se rongeait les sangs, redoutant les paroles qui allaient suivre, comme un vaccin particulièrement douloureux. Elle se transforma en bête apeurée, farouche. Boule de nerfs à laquelle Rudy tendit timidement la main, prenant le risque de se faire violemment griffer. Elle le fixait avec méfiance, les yeux étincelants. S'était-il rendu compte de la peur qui avait déferlé en elle ? Sans doute. Elle n'était pas en situation idéale pour ne rien laisser paraître, pour se comporter en petite lady impassible. Il dit vouloir parler de son travail. Elle ne trouvait pas les conditions parfaites pour lui apprendre qu'elle avait commencé à dessiner, que ça lui plaisait et commencer à parler tranquillement canson, mines de plomb et cancans sur les voisins. Alors elle haussa les épaules avec nonchalance, sans quitter son air méfiant. « Études. » elle le jaugea un moment puis sembla se dire qu'il n'y avait pas de risque à lui demander si lui-même travaillait toujours au milieu de femmes à moitié nues à longueur de journées. « Toi ? » mais elle n'avait pas vraiment envie d'en parler, elle craignait que leur conversation dérape à nouveau. Même s'exprimer par monosyllabes ne la protégeait pas. C'est à ce moment qu'elle partit s'asseoir sur le sol crasseux. Comme un animal blessé, elle se terrait dans un coin de la machine sournoise. Elle attendait le coup qui l'achèverait, mais elle était prête à donner cher de sa peau. Avec la prudence d'un dompteur professionnel – mais pas pour autant la confiance qui allait avec – Rudy se rapprocha d'elle. Helena sentit sa présence s'imposer à ses côtés. Elle se crispa quand son ombre projetée par l'entêtante lumière jaunâtre commença à peser sur elle. Il tenta de la rassurer en se justifiant, en s'excusant même. Il était désolé. Sans qu'il puisse le voir, elle l'écoutait attentivement et le son de sa voix serrait toujours un peu plus la gorge de la jeune fille. Elle tremblait vaguement, emportée par des émotions trop nombreuses pour qu'elle puisse les décrire. Elle avait envie de croire en ses mots, mais dans son délire, elle doutait maladivement de leur sincérité. Elle resta sans réaction, laissant planer un silence qu'elle voulait pesant. Puisqu'elle ne savait pas ce qu'elle devait penser des déclarations de son compagnon de cellule, elle ne savait pas non plus ce qu'elle devait y répondre. Elle n'avait de toutes façons aucune envie d'émerger du cocon qu'elle venait de se créer, entre ses propres bras. Elle pouvait presque oublier l'ascenseur maudit et s'imaginer dans sa chambre, sous une couette chaude, prête à rejoindre Rêverose. Non, pas sous une couette chaude, elle avait trop froid pour que son esprit puisse évoquer la sensation de chaleur. Elle n'aurait peut-être pas dû se débarrasser de la veste, tout compte fait.
Une main se posa alors délicatement sur son bras, la faisant tressaillir. Elle frissonna au contact maladroit des cinq doigts glissant le long de son humérus. Prenant son courage à deux mains, elle leva finalement son visage défait. D'humeur prolixe, elle se contenta de hausser une nouvelle fois les épaules, l'air de dire que ce n'était rien. Il avait manifestement réussi à désamorcer la bombe qui menaçait d'exploser. De toutes façons, la furie se sentait de plus en plus fatiguée. Elle avait puisé dans ses dernières réserves d'énergie pour détester Rudy de son mieux. Cette entreprise était vaine, elle ne parvenait pas à simplement le haïr, c'était beaucoup plus complexe. Les problème, c'était justement que ses sentiments envers lui étaient aux antipodes de ce qu'ils auraient sans doute dû être. Ses yeux picotaient désormais plus que jamais et ses paupières étaient tellement lourdes qu'elle restaient fermées de plus en plus longtemps à chaque clignement de ses yeux. Ses petits poings vinrent frotter ses mirettes puis sa main se posa brièvement sur celle de Rudy, la gratifiant d'une légère pression, lui signifiant que c'était bon maintenant, qu'il pouvait s'arrêter puisqu'elle n'aurait plus le courage de se battre contre lui ou quelque autre fantôme. Pas avant le lendemain en tout cas, excepté peut-être dans ses cauchemars. Elle laissa alors sa tête lourde basculer sur le côté, le regarde vide. Elle cligna des paupières. Une fois, deux fois, trois fois, puis elle sombra dans un sommeil profond. Nul doute qu'elle aurait aimé être la Belle au bois dormant. Tout aurait été simple : s'endormir cent ans et être réveillée par le baiser du prince charmant, un homme forcément fait pour elle, le tout menant à un mariage sans questions, une vie sans prises de becs. En fait, ça risquait d'être drôlement chiant, la vie de princesse. Plus elle s'enfonçait dans ses rêves, plus ses traits se détendaient. Le personnage torturé qu'elle avait campé juste avant s'effaçait docilement de son visage. Elle semblait libérée de tout tracas et sa respiration s'était régularisée. Peu de temps après qu'elle se soit assoupie, un cliquetis se fit entendre, suivi de près par un bruit de soufflerie et un tressautement de l'ascenseur. L'endormie n'ouvrit pas l'oeil pour autant.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Mar 26 Juin - 18:18
Elle continuait de le soupçonner, de braquer ce regard accusateur sur lui. Elle était devenue une sorte d'animal sauvage qu'il n'arrivait plus à apprivoiser. Si bien que ses réponses étaient sèches au possible. « Études ». Bien. Au moins, cela était clair et précis. Mais il ne comprenait cependant toujours pas d'où émanait cette crainte, cette peur, cette nécessité de répondre par des phrases brèves. Lui qui désirait simplement s'informer sur sa vie, se prenait une raclée d'incrimination à chacune de ces phrases nominatives, tant le besoin de dissimuler chaque parcelle de la vie privée d'Helena Van Dijk était palpable. Il ne pouvait même pas connaître la filière de ses études. Elle pouvait autant étudier la sexualité des nénuphars que le succès de Stefan Zweig post-mortem. Il savait néanmoins que les maths n'étaient pas son fort, et qu'il était fort peu probable qu'elle n'aille s'engager dans des études matheuses. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne cessait de tricher durant leurs interrogations hebdomadaires, alors qu'ils étaient encore les grands gamins amoureux vivant leur romance lycéenne avec grâce et innocence. C'était l'époque où il connaissait Helena, car il doutait en effet qu'elle soit restée aussi intacte, inchangée depuis le jour où il regarda son avion décoller depuis l'aéroport, avec son allure de débile, et il priait pour qu'elle ait perdu en cruauté. Par contre, il la voyait plus étudier dans l'art, ou les langues. Connaissant la profession de son père, ce n'était pas franchement une surprise. Ou alors avait-elle entreprit des études de diplomatie internationale, histoire de suivre la voie tracée par son adhésion à Greenpeace. Mais au fond, il voulait que ce soit elle, qui lui dise ce qu'elle étudiait, et non les films bouseux qu'il se faisait tout seul, avec lui même.
Elle ne désira pas d'étaler et préféra faire durer le mystère, en ne continuant certainement pas sur sa propre personne. Non. Elle opta pour un « toi » aussi sec et peu appréciable que sa première réponse. Rudy désira alors omettre volontairement la nature de son boulot à temps partiel pour éviter toute altercation et rester dans un cadre de paix, si étroit soit-il. Il garda un ton plat, histoire de ne pas s'emporter comme elle semblait se retenir de faire, et il lâcha « Etudes, aussi. Je continue en droit. » Elle était censée le savoir, en plus. En deux ans, sa situation professionnelle et estudiantine n'avait pas franchement eut l'occasion de bouger. Une routine presque lassante, de laquelle elle s'était extirpée avec grâce, embarquant à l'autre bout du monde, et quittant ce quotidien morne. Ce pourquoi il regrettait son départ reposait aussi sur la capacité qu'elle avait à rendre cette monotonie plus appréciable. Parce qu'il ne s'ennuyait pas, quand elle était avec lui. Ou moins. Que ce soit par leur niaiserie prépondérante dont ils étaient follement amoureux, ou par leurs disputes incessantes auxquelles ils étaient abonnés. Même dans leur haine mutuelle, il y avait des bons côtés.
Puis quand elle partit se terrer dans son coin, gardant cette rage étouffée en elle, bien qu'elle ne passait pas inaperçue, Rudy lui pardonna son regard suspicieux. Elle semblait si tourmentée qu'elle, et lui ne savait pas comment agir. Comme d'habitude. De toute façon il n'agissait jamais comme il fallait, et il ne comptait plus les exemples qui venaient illustrer sa sottise. Si bien qu'il ne pouvait pas juger si Helena ferait mieux de lui répondre, ou avait eut raison de lui parler avec ce ton si abrupt. Si elle n'aurait pas dû retrouver un semblant de gentillesse à son égard, gentillesse qu'il aurait préférée à cet emportement brutal. Alors il la laissa enfouir son regard entre ses genoux, cachant son visage de la lumière, fuyant ses paroles. Et il tenta juste de la réconforter, espérant qu'elle n'aille pas se concerter avec elle-même pour lui déferler ensuite une haine impardonnable. Car ce qu'il le chiffonnait le plus, c'était qu'elle puisse lui en vouloir, et lui en vouloir sur le long terme. Ça le rongeait, qu'elle puisse l'incriminer. Il ne connaissait pas le degré de rancune qu'elle pouvait abriter, mais Helena n'était pas du genre à sourire quelques minutes après s'être faite marcher sur les pieds. Non pas qu'il aille la blâmer, parce qu'il le méritait. Franchement. Mais il aurait donné beaucoup pour qu'elle puisse lever son visage et lui offrir un sourire, un mot qui soit autre qu'accusateur ou dénonciateur.
Néanmoins, il eut bien fait de tendre la main vers elle. Helena sortit son museau d'entre ses jambes et montra ses yeux, qui semblaient plus apaisés qu'auparavant, du moins ce qu'il pouvait voir de ses pupilles, sous ses paupières déjà presque endormies. Puis elle passa sa main sur la sienne, lui signifiant que tout allait bien, peut-être même que la colère était tombée, ou commençait à se faire moins présente dans ses pensées. Il n'en savait rien, mais ce geste montrait au moins qu'ils ne comptaient pas s'emballer dans une guerre de mots jusqu'au bout de la nuit. Elle finit ensuite par s'endormir, sans aucune parole. Rudy fit alors un quart de tour pour venir s'appuyer lui aussi sur la paroi de l'ascenseur, attendant que le saint esprit ne les touche de sa grâce innée et fasse bouger cette foutue cage mécanique. Il dut attendre vingt minutes pour que ses prières soient entendues. La cabine bougea et il se sentit monter. Ils s'arrêtèrent à l'étage juste au-dessus. Les portes s'ouvrirent sur son voisin du dessous. Celui-ci lui annonça qu'une panne d'électricité avait touché tout l'immeuble et que le courant venait de revenir. Rudy se leva et le remercia, avant de tenter de bouger le corps d'Helena en essayant de ne pas la sortir de son sommeil visiblement profond. Il monta alors jusqu'à son appartement, sa damoiselle sur les bras, et bien qu'ayant des difficultés à ouvrir la porte de son cher logis, il réussit à s'extirper du couloir sans la réveiller. Il la disposa ensuite sur son lit, en se disant qu'un canapé serait pour lui toujours plus agréable qu'un sol d'ascenseur, et qu'il se devait de jouer le gentleman jusqu'au bout. Il prit soin de virer les quelques chaussettes sales qui traînaient ici et là, pour paraître un minimum propre. Il aurait bien passé un coup d'aspirateur, en bonne femme de ménage qu'il était, mais il préférait ne pas éveiller quelques soupçons de haine en plus de la méfiance que sa rescapée pouvait déjà lui porter. Puis il alla se chercher une couverture et vint se fourrer au fond de son lit improvisé sur le tissu âpre et troué de son sofa, avant de sombrer lui aussi dans un sommeil profond. Au fond il était beaucoup trop gentil pour les traits dont il avait hérité. Le royal Rudy se faisait la malle devant l'ivre Helena.
Spoiler:
C'est trop nul. Enfin ça l'est toujours moins que ce que j'avais écrit hier soir. Désolééee (promis le réveil sera mieux). Et si tu veux que je commence le lendemain, tu me dis.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Ven 29 Juin - 11:20
La lumière du jour filtrait avec de plus en plus d'insistance à travers les rideaux diaphanes, chassant l'obscurité qui avait régné sur les lieux durant toute la nuit. La pièce était de taille moyenne et, sans être digne d'un capharnaüm, on devinait aisément qu'elle était habitée. Quelques indices comme des sous-vêtements dépassant d'une armoire, dans laquelle ils avaient manifestement été fourrés à la hâte, faisaient penser qu'il devait s'agir du territoire d'un garçon d'une vingtaine d'années, probablement célibataire. Pourtant la silhouette qui commençait à s'agiter sous les draps n'était pas celle d'un étudiant vaguement désordonné. Il s'agissait d'une jeune fille dont les longs cheveux ondulaient lassement sur toute la surface de l'oreiller. Un peu dérangée par la clarté de la journée, elle poussa un grognement et enfouit son visage dans le coussin en le serrant fort entre ses bras. S'il n'y avait eu que cela, elle aurait pu se rendormir bien vite, mais un autre désagrément fit rapidement son apparition. Quelque chose entreprit d'escalader son dos. Oui, oui, on était en train de la piétiner. Helena entrouvrit difficilement ses paupières, qui n'avaient sans doute jamais éprouvé autant d'affection l'une pour l'autre. Ses pupilles se firent alors violemment agresser par l'éclat du soleil, et elle découvrit, perchée au-dessus d'elle, une petite tête poilue qui l'observait avec attention. La bête la salua d'un « brouuuuit !? » joyeux. Helena voulut lui lancer un Bonjour, le chat mais sa gorge était trop enrouée pour pouvoir émettre des mots corrects. De toutes façons, ce n'est pas comme si son interlocuteur comprenait les paroles humaines. Elle ouvrit la bouche, se ravisa et donna une petite tape sur la tête de l'animal avant d'essayer de retourner dans son sommeil réparateur. Malheureusement pour elle et sa fatigue, la boule de poils ne l'entendait pas de cette oreille. Elle sauta au bas du lit avec un petit pouf caractéristique. Sa tête se faufila ensuite sous les couvertures et, d'un coup sec, ses griffes vinrent se planter dans les orteils de la jeune fille. La chasse aux pieds était officiellement ouverte. Alors que la bête poussait de petits bruits joyeux en tapotant ses mollets, la belle poussa un cri de douleur entre le bêlement et le beuglement, digne de Garou.
La seule façon de mettre fin à cette torture fut de se redresser rapidement et replier ses jambes sous elle. La manoeuvre ne se fit pas sans peine. Elle ressentit en effet un mal de crâne terrible dès le moment où sa tête se souleva, quittant le polochon douillet. Elle ferma alors les yeux et cacha son visage dans ses mains. La victime du chasseur resta ainsi pendant un instant, alors que le chat se lovait au bout du lit, pris d'une envie subite de se toiletter. Lorsque la jeune fille décida qu'elle pouvait desserrer les paupières sans trop de risque, elle en profita pour jeter un oeil sur ce qui l'entourait. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte qu'elle n'était pas dans sa chambre. La sienne était plus grande… et mieux rangée. Et maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait même pas de chat. C'est à ce moment qu'elle s'aperçut aussi qu'elle avait dormi toute habillée. Quelqu'un avait cependant eu la délicate attention de lui ôter son gilet et ses souliers, la laissant seulement en jeans et débardeur. Et subitement, elle sut où elle était. Elle connaissait cet endroit, elle y avait élu domicile pendant longtemps : elle se trouvait dans le lit de Rudy. Son souffle se fit court. Elle regarda à côté d'elle, s'infligeant un nouvel élancement au niveau du front. Que s'était-il passé ? Comment avait-elle atterrit là ? Et si Rudy n'était pas là, endormi dans sa couche, où était-il passé ? Sous la douche ? Peut-être était-elle seule dans l'appartement ?
Elle prit la dure décision de se lever. Elle se tourna, posa les pieds à terre et se mit sur ses jambes. Une fois de plus, ce fut comme si elle se cognait la tête au mur. Elle souffrait manifestement d'une gueule de bois carabinée, voilà au moins une chose dont elle ne doutait pas. Une chose qui expliquait également pourquoi ses souvenirs étaient si vagues. L'ancienne habituée des lieux commença à déambuler dans les différentes pièces, vacillant, s'agrippant aux meubles et s'armant de toute sa volonté pour mettre un pied devant l'autre. Le petit félin, lui, s'était rendormi. Elle pesta intérieurement contre l'hypocrite qui était venu la faire lever pour pouvoir profiter du matelas. Dans la cuisine, elle appuya sur le bouton de la cafetière. Une bonne dose de caféine ne pourrait lui faire que du bien. Elle oublia simplement de mettre du café dans un filtre. Au mieux, elle obtiendrait de l'eau chaude, parfaitement imbuvable. En attendant que la machine ait terminé son travail, elle continua son exploration. Sans le vouloir, elle remarquait des changements effectués depuis son départ. Elle tomba nez à nez avec une nouvelle horloge qui lui apprit que midi était déjà bien passé. Ses affaires à elle, avaient été remplacées par d'autres, ou par des petits tas de désordre. Si elle n'avait pas été à l'ouest et toujours à moitié endormie, elle en aurait profité pour faire un peu de rangement. Ses pas la menèrent ensuite dans le salon. Elle y découvrit un corps allongé en travers du canapé. Elle s'approcha aussi délicatement que son état le lui permettait et se rendit compte que la chose était vivante. Elle n'eut aucun mal à reconnaître Rudy. Il avait l'air si paisible qu'Helena se sentit fondre. Oubliant qu'elle n'avait aucun souvenir de la nuit qu'elle venait de passer, oubliant la crainte qu'elle avait de l'avoir laissé jouer avec elle, elle regarda son torse se soulever et se rabaisser lentement. Elle sourit même en l'entendant pousser quelques ronflements, chose qui, pourtant, avait plutôt eu tendance à l'énerver pendant plusieurs années. S'apercevant que sa couverture avait glissé sur le sol, elle la ramassa et la remonta sur ses épaules. Cela fait, sentant ses mains si proches de son visage, elle ne put s'empêcher de lui caresser furtivement la joue et de chasser quelques cheveux rebelles de son front. Silencieusement, elle se dirigea vers le fauteuil à côté du divan et s'y installa précautionneusement, veillant sur le sommeil de son hôte. En s'asseyant, elle se rendit compte que son pantalon la gênait. Il lui collait aux jambes, il était poisseux et, bizarrement, il lui rentrait dans le genou. Avec étonnement, elle découvrit le trou et la blessure au milieu de celui-ci. Elle haussa les sourcils, incapable de se rappeler de comment c'était arrivé. Elle fit glisser son jeans le long de ses jambes, jusqu'à ses pieds. Elle aurait été heureuse de se sentir un peu moins sale si elle n'avait pas été aussi préoccupée par son mal de tête. Elle s'empara alors d'un plaid qui traînait par là – sans doute pour les longues soirées d'hiver de Rudy – et couvrit ses gambettes. Il était hors de question qu'elle se balade simplement en petite culotte en territoire ennemi. Helena aurait bien filé en douce, profitant du sommeil du ronfleur, mais il était sans doute le seul à pouvoir lui expliquer où diable elle avait traîné. Et puis, au fond, elle n'avait pas oublié la soirée du bal de charité, ni les jours qu'elle avait passé à attendre qu'il l'appelle. Maintenant qu'elle l'avait enfin sous la main, elle avait plutôt intérêt à en profiter. Elle commença alors à attendre que le café soit prêt, espérant qu'il apaiserait ses maux, qu'il desserrerait l'étau invisible emprisonnant son crâne.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Dim 1 Juil - 1:39
Ses pensées viraient vers un orchestre symphonique de chimères et de rêves, bercées par ce doux sentiment d'harmonie et de paix intérieure. Était-ce une réconciliation avec soi-même ? Une bonne action ? Une bonne conscience ? Ou seulement un peu trop d'alcool qui avait rendu le sommeil de Rudy si paisible ? Il n'empêche que le bourdonnement dont il était souvent victime aux lendemains de soirées avait muté ce matin là en une douce mélodie de violon, qui le tirait peu à peu de l'inconscience. Néanmoins, le processus de réveil fut brutalement déchiré par un cris au loin. Une corde de piano mal accordée dans la musique que composaient ses viscères ? Une grosse caisse plus prépondérante que prévue ? Sans pour autant le sortir de son sommeil, la brutalité de cet hurlement vint troubler sa sérénité et il se mit bien vite à retrouver le goût fade de la réalité. Des courbatures qui tiraient ses jambes de tout leur long et qui compressaient ses mollets de tous côtés. La salive pâteuse du réveil mélangée à la consommation de bières en trop grande quantité. Et l'odeur inhabituelle de ses draps, qui allaient même jusqu'à sentir la cendre par endroit et picotaient ses sinus, chatouillant âprement son nez. Aurait-on osé fumer dans son lit ? Et à bien s'y pencher, ces mêmes draps étaient rêches, abruptes. Pourtant ils étaient appréciés pour leur douceur par les membranes cutanées de Rudy. Autant dire que ce réveil tournait au bizarre. Et cette onde d'étrangeté vint se renforcer par une caresse de la part de sa couverture et la mobilité de ses cheveux, désertant son visage. Bien. Ou il perdait la tête, ou le monde extérieur à son esprit était habité.
La première chose qu'il vit en entre-ouvrant ses paupières collantes, attachés comme des sangsues à leur pupille respective, fut son plafond. Au moins il reconnaissait les lieux. Il n'avait pas finit au milieu d'un squatte de camés, ou au fond d'un lit d'hôpital. Bien. Il était déjà lourdement rassuré. Ses yeux se refermant, il fit un quart de tour avant de les ouvrir à nouveau. Cette fois-ci, il découvrit des pieds. Ces membres n'étaient manifestement pas les siens. Déjà parce qu'ils avaient à vue d'œil au moins cinq pointures de moins que les siens, et surtout parce qu'ils étaient vernis. Alors à moins qu'il ne se soit découvert quelques tendances gay pendant la nuit, ces orteils ne lui appartenaient pas. Suivant alors la longueur du plaid qui recouvrait les organes reliés à ces mêmes pieds, il découvrit la silhouette d'Helena. Clignant d'abord des yeux, persuadé qu'il s'agissait encore d'un de ses rêves, et qu'il n'avait pas encore eut l'opportunité de se réveiller pleinement, il finit par sursauter de stupeur, quand sa raison prit les commandes de son cerveau, détrônant son inconscient. Ses souvenirs se remirent alors peu à peu à leur place. La soirée d'hier. Le coup de téléphone. Le Muffy's. Les toilettes. La pluie. L'ascenseur. Et puis Helena. La douce Helena éméchée qu'il avait du secourir pendant cette longue nuit, au risque de la retrouver éventrée dans un caniveau par Jack the ripper. Il voulut dire quelque chose, pendant qu'il se relevait, s'appuyant sur le dossier du canapé et se frottant les yeux. Pour casser ce silence un peu trop pesant, et puis pour avoir l'air moins ridicule. Il se sentait en effet assez stupide, là, torse nu sous sa couette, venant de se réveillé, en face de son ex, visiblement en petite culotte, qui semblait plus paisible et moins dérouté que lui sur le moment. La seule chose qu'il réussit à bafouiller fut « B... Bonjour. », avec une envie suicidaire dès la dernière lettre prononcée, tellement son attitude était peu... professionnelle. La tableau était alors assez comique: deux enfants pudiques se rencontrant pour la première fois, cherchant à dissimuler chaque parcelle de leur pâle peau aux yeux de l'autre. Surtout que, ce n'était pas franchement comme s'ils ne se connaissaient pas. Combien de fois avait-il pu voir les sous-vêtements d'Helena, et bien souvent en dessous. Peut-être qu'elle pouvait porter des airs de sainte-nitouche par moment, elle n'était pas une petite fille prude pour autant.
A vrai dire, Rudy se sentait vulnérable. La demoiselle en face de lui n'était plus la nana complètement ivre de la veille. Elle avait parfaitement retrouvé sa conscience, ce qui voulait dire que chaque mot qu'il prononçait avait un sens pour elle. Et ses phrases bourrées de sous-entendus n'allaient plus passer inaperçues dans les méandres de sa gueule de bois. Alors il pesait ses mots, avant de les prononcer. « Ça va mieux ? Tu veux peut-être un truc contre le mal de tête ? Je pense que ça ne te ferai pas trop de mal, vu la soirée d'hier... » Il essaya de sourire, mais ses traits encore endormis peinaient à s'étirer. Ou alors la gêne le crispait, ou alors il aurait bien sommeillé encore une heure ou deux. Les deux étaient plausibles. Les deux étaient vrais. L'embarras, c'était surtout dû au fait qu'il aurait bien crié à son hôte à quel point il était désolé pour les retrouvailles catastrophiques qu'ils avaient vécues, et rajouter tout ce qu'il avait sur le cœur, à savoir notamment sa culpabilité et son envie de se faire pardonner. En quelque sorte, le processus avait commencé dès l'instant où il avait eut la gentillesse et le dévouement de venir la chercher au bord du comas éthylique au Muffy's. Puis l'amabilité de l'accueillir chez lui, en dépit du risque qu'elle vomisse toutes ses tripes à nouveau et retapisse le carrelage de sa salle de bain. Enfin vu la mine qu'elle arborait, là, assise en face de lui, avec sa petite couverture sur les genoux, elle avait l'air... fraîche. En bon état. Loin des élans poisseux de la veille. Plus paisible qu'une personne normale ayant failli rester coincée dans un ascenseur. Mais Helena était une des rares personnes à ne pas ressembler au réveil à une guerrière ayant combattu à Bagdad. Alors ça lui rappela le temps où elle vivait encore ici, et les moments matinaux qu'il passait à admirer son visage, éclatant et doucereux bien que tranquillement endormi. Le temps où durant leur niaise romance ils se déclaraient de jolies paroles mielleuses autour de leur tasse de café, et se disputaient, hurlant des cris acerbes et haineux pour savoir qui accaparerait la salle de bain le premier. Il se disait qu'au fond une attache faîte uniquement d'amour et d'eau fraîche aurait été bien trop fade et monotone pour eux, et que jamais ils n'auraient duré aussi longtemps sans ces altercations pour rythmer leur vie. En repensant au passé, il sourit, le regard dans le vide, ayant oublié Helena le temps de s'autoriser quelques mièvres souvenirs.
Le beau au salon ronflant s'éveilla assez peu de temps après qu'Helena se soit installée dans le fauteuil. Il sembla avoir beaucoup de mal à émerger. Il commença par fixer le plafond d'un ai hébété pendant quelques minutes, avant de se rendre compte qu'il avait de la compagnie. D'un coup, il parut plus alerte, il entreprit même de se redresser en s'aidant de son nouvel ami, le divan. Celle qui l'observait depuis un moment sourit légèrement en voyant qu'il n'était pas capable de passer de position couchée à assise par lui-même. Il aurait bien fait de penser à muscler un peu ses abdominaux au lieu de se transformer régulièrement en puits à bière sans fond. Il lui bredouilla ensuite un bonjour complètement dénué d'assurance auquel elle répondit par un sourire plus franc, n'ayant pas fort envie de s'écorcher directement la gorge. Tous ces symptômes de lendemain de veille commençaient à l'inquiéter un peu. Connaissant sa petite nature, elle savait qu'il y avait des chances pour qu'elle ait chopé une crasse. Elle estimait qu'elle avait déjà eu de la chance de n'avoir eu qu'un petit rhume après son escapade sous la pluie avec Abbey. Le calme avant la tempête ; elle allait certainement payer toutes ses imprudences maintenant : extinction de voix, pharyngite, laryngite, qui aurait pu savoir ce qui l'attendait ? Elle pria pour un nouveau rhume pendant que son interlocuteur enchaînait « Ça va mieux ? Tu veux peut-être un truc contre le mal de tête ? Je pense que ça ne te ferai pas trop de mal, vu la soirée d'hier... » Au moins, elle avait vu juste à un niveau : Rudy était au courant de ce qui s'était passé la veille. Et s'il lui demandait si ça allait mieux, cela voulait dire que son état avait dû être déplorable, d'une façon ou d'une autre. Un petit détail l'interpela. Quelque chose la dérangeait dans son comportement. Il ne s'agissait pas du fait qu'il lui propose une aspirine. Pour Helena, il était normal qu'on s'occupe d'elle, qu'on se jette sous ses pieds pour lui éviter de marcher dans une flaque d'eau. Elle ne pensait donc pas à un piège, l'idée qu'il puisse remplacer l'aspirine par de la mort au rat ne lui effleura même pas l'esprit. Non, ce qui la chiffonnait, c'était l'air gêné qu'il tentait de dissimuler. Elle sentait comme de la culpabilité derrière ses mots, ou au moins un certain inconfort. L'absence de ses souvenirs commençait clairement à se faire pesante. Que diable s'était-il passé ? Est-ce que tous les deux ils avaient… ? Pas moyen de s'en rappeler. La jeune fille s'en serait volontiers tapé la tête aux murs – de toutes façons, ça pouvait difficilement faire plus mal – si cela avait pu lui être d'une aide quelconque. Il n'y avait qu'une solution pour rassembler les pièces manquantes du puzzle, elle allait devoir se renseigner à la source. Helena grogna légèrement avant de s'éclaircir la gorge. Cela brûlait déjà légèrement, bien, voilà qui était prometteur. D'une voix tellement merveilleuse qu'elle aurait pu servir pour une campagne de sensibilisation aux dangers du tabac, elle dit « Je veux bien, pour la tête. » la fin de sa phrase avait fini dans une gamme nettement plus haute, avec un son étranglé. Le visage de la jeune fille adopta une moue frustrée. Un bonbon au miel – ou plutôt un paquet – aurait été, lui aussi, le bienvenu.
Elle nota alors que les couvertures recommençaient à tomber des épaules de Rudy, découvrant un peu son torse nu. Elle se mordit légèrement l'intérieur des joues. Volontaire ou non, c'était de la provocation. En se levant du fauteuil, et donc en réveillant les protestations de son crâne, elle annonça de sa voix enrouée « J'ai fait du café. » du pas le plus assuré dont elle était capable, elle passa devant le propriétaire des lieux en laissant délibérément le plaid glisser sur ses hanches, découvrant le bord en dentelle de sa petite culotte bourrée d'élasthanne. Elle était vengée. Longue migration vers la cuisine commença alors. Elle ne se demanda pas si elle était suivie ou pas. Malgré cela, elle eut tout de même le temps de se dire que, même si elle aimait bien Rudy, il se foutait le doigt dans l'oeil jusqu'aux orteils si il espérait qu'elle lui apporte son café jusqu'au salon. Bon, d'accord, il avait dormi sur le divan pour lui laisser le lit, mais elle ne lui avait rien demandé. En tout cas, elle croyait ne lui avoir fait aucune requête, elle n'en savait plus rien. Ses pas la menèrent vers l'armoire dans laquelle la vaisselle du petit-déjeuner était habituellement rangée, de son temps. Par chance, cela n'avait pas changé. Elle sortit deux mugs qu'elle posa sur la table de la kitchenette. La cafetière, elle, n'avait toujours pas terminé son travail, il était grand temps de remplacer cette antiquité. Helena se tira une chaise et s'y affala en se disant vaguement que Rudy ferait bien d'opter pour la machine de George. Elle sentit alors qu'elle avait le courage nécessaire pour poser la question qui lui brûlait les lèvres. Sur ce qu'elle voulait être le ton de la conversation, elle s'adressa à son hôte « Rudy…? Qu'est-ce qu'il s'est passé hier soir ? » pas la peine de tergiverser ni de tourner autour du pot pendant un siècle. Autant aller droit au but, arracher le sparadrap d'un coup vif. D'ailleurs, tant qu'à faire, autant s'enfoncer un peu plus. « On n'a quand même pas… tu sais. » malgré elle, une certaine anxiété perçait dans sa voix cassée. Mais s'il ne s'était rien passé entre eux, si ils n'avaient pas remis le couvert, comment expliquer l'air perturbé de Rudy quelques minutes auparavant ? La jeune femme, après ces paroles, eut subitement un intérêt profond pour les tasses à café devant elle, et commença à y chipoter nerveusement, à les faire danser sur la table ou encore tourner entre ses mains l'une après l'autre. Elle avait l'impression que la machine à café qui continuait à crachoter derrière elle comme un asthmatique après un cent mètres haies ne suffisait pas à camoufler les battements de son coeur qui s'était lancé dans un twist endiablé, risquant à tout moment de briser ses côtes et déchirer les tissus de sa poitrine.
Helena devait se fendre intérieurement la poire en le regardant émergeant de son sommeil aussi profond que celui de la Belle au bois dormant. Depuis qu'il avait ouvert les yeux, elle communiquait par des sourires plus ou moins moqueurs, semblant ne pas vouloir s'user la voix. Peut-être était-elle devenue muette pendant la nuit ? Une méchante bonne fée voulant la punir pour ses écarts déviants de leur dernière soirée lui avait retiré la parole ? Ou alors la petite sirène de Disney s'était emparée de son corps. La nuit n'avait pas franchement réussi à Rudy non plus pour aller se faire de tels films. Elle avait tout simplement dû attraper la crève, point final. Néanmoins, mis à part ce détail, elle avait quelque chose de changé depuis la veille. Certes, elle avait retrouvé pleinement sa conscience, mais elle avait une sorte de regard à la fois vide et méfiant, comme un animal sauvage pour la première fois en contact avec une forme de civilisation. On aurait pu pensé qu'elle avait subi un lavage de cerveau pendant son sommeil, et qu'elle avait tout oublié, même l'usage de la parole, ce qui pouvait expliquer son mutisme. Cependant, elle réussit à répondre, malgré un ton de voix oscillant entre un do aigüe et un ré grave et ses réponses brèves n'ayant quant à elle pas mutées, éventuel signe d'énervement. « Je veux bien, pour la tête. » Rudy retira alors la couette qu'il avait sur les épaules, alors qu'Helena s'apprêtait à se lever, tout en lui indiquant son initiative quant au café. En passant devant lui, elle fit tomber le plaid de ses genoux, laissant à l'air libre ses longues et fines jambes qui n'étaient pas franchement inconnues au jeune homme. Et au vu de sa démarche assurée, c'était à croire si elle ne le faisait pas exprès. Il se retint quand il voulut se racler la gorge, pensant alors que le geste aurait été mal placé, et pas vraiment bien vu de la part de la demoiselle (ou comment passer pour un gros lourd devant la fille qu'on essaye de récupérer). Il l'imita alors, ne la suivant pas jusqu'à la cuisine, mais se dirigeant vers la salle de bain, là où sa trousse à pharmacie était rangée, et notamment les boîtes de médicaments génériques anti-maux de têtes, princes charmants des gueules de bois. Il en sortit deux, se disant que même s'il n'était pas aux bords des toilettes à cracher ses tripes, un cachet ne lui ferait pas de mal, et retourna jusqu'à la cuisine, où Helena avait renoué avec la cafetière. Visiblement, elle n'avait pas oublié l'emplacement des mugs, et en sortit deux avec aisance, avant de s'asseoir, pendant que lui préférait s'adosser au mur, de peur de tomber de fatigue sur sa chaise. Tout cela avait une connotation étrange dans l'esprit de Rudy. Revoir son ex, là, dans cet appartement où ils avaient habité tous les deux, prenant un semblant de petit-déjeuner (presque) naturellement, comme avant. Ça le troublait, c'était bizarre. Parce que ce n'était justement pas naturel de se comporter de la sorte, alors qu'elle était censée le haïr un minimum, même s'il avait eut la bonté de lui venir en aide alors qu'elle se trouvait en état d'ivresse prête à se faire embobiner par un poivrot de bar. Alors il se frotta les yeux, en soupirant discrètement, avec l'espoir que tout ceci allait très vite se terminer. Et se terminer bien, de préférence, histoire qu'il ne sente pas maudit par les cieux.
Helena lui fit sortir la tête de ses mains en l'interpellant un peu trop brutalement. Du moins, ce qui sortit de sa bouche fut brutal; elle n'avait visiblement aucun souvenir de la veille, et s'en voyait quelque peu perturbée, à tripoter les hanses des tasses plantées devant elle. Et allait jusqu'à penser qu'ils avaient pu renouer un peu trop... charnellement. « On n'a quand même pas… tu sais. » Rudy avait cette grimace abasourdie collée au visage. Non pas qu'il trouve le fait de coucher avec Helena répugnant. Si c'était le cas, il aurait des questions à se poser. Mais remis dans le contexte, cela semblait assez relever du fantastique. « Non non, pas du tout ! », fit-il, un peu troublé par la scène vraiment anormale qu'il était en train de jouer. Il fronça alors les sourcils, alors qu'il essayait de replacer dans son cerveau les évènements dans le bon ordre chronologique, tout en racontant leur soirée mouvementée. « Tu m'as appelé hier soir, vers une heure du matin, ou deux heures. T'étais complètement bourrée au Muffy's, je sais pas comment t'es arrivée là-bas. Enfin bref, je voulais pas te ramener chez toi, à cause de tes parents, donc t'as dormi ici, après qu'on soit restés bloqués dans un ascenseur, à cause d'une panne d'électricité. » Évoquer le coup de l'engueulade au sujet de l'Australie relevait franchement du détail. L'omettre était donc futile et ne constituait pas un mensonge en soi. Et puis, Helena devait déjà tenter d'avaler tout ça avant d'apprendre ô combien Rudy avait été intelligent de vouloir ouvrir une conversation sur le goût des kangourous d'Océanie. Il essaya ainsi un sourire qui se voulait rassurant, pour l'aider à renouer avec ses souvenirs, et ce fut en lui adressant ce regard tranquillisant qu'il remarqua qu'elle avait toujours sa plaie au genoux « Ah oui et tu t'es écorchée la jambe en voulant danser, au Muffy's. » Il évita aussi de préciser le joli moment qu'elle avait pu passer aux toilettes la tête penchée au-dessus de la cuvette. Ces choses-là sont des instants que l'on préfère oublier.
La cafetière avait finit son travail forcé quand Rudy s'en empara. Il servit les deux tasses qu'Helena avait fini par lâcher et vint s'asseoir en face d'elle. Voyant que le liquide fumait depuis son mug, il préféra atteindre avant de se brûler intensément la langue et le palais, et de perdre un de ses cinq sens. Alors il guettait Helena, essayant de savoir si elle allait rompre le nouveau silence qui s'était installé entre eux. Il n'en pouvait plus, de cette pression. Il avait l'impression que trente tonnes écrasaient ses épaules, et qu'il était condamné à les subir jusqu'à ce que son hôte ait décidé de partir. Cependant, il avait besoin qu'elle soit avec lui pour qu'il puisse enfin se décider à aborder le sujet de leurs fameuses retrouvailles. Fatigué de ce malaise, il décida donc de délier sa langue et dénué de tout contrôle il lâcha: « Je suis désolé pour le bal de charité. J'aurai pas dû... faire tout foirer ». Et il grinça des dents en répétant intérieurement ce qu'il venait de dire. Il pria aussi, avec l'espoir que l'image d'Helena pliant bagage ne soit pas la seule réaction qu'elle ait à manifester.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Sam 14 Juil - 22:16
Ils se retrouvaient tous les deux dans cette chère cuisine, tout ce qu'il y a de plus banal. La vieille complice de leurs matins brumeux, la compagne de leurs réveils difficiles. Elle avait été le témoin privilégié de leurs embrassades, de leurs déchirements, des leurs réconciliations. Aujourd'hui encore, c'était, une fois de plus, entre ses murs que semblait se jouer une scène-clef de leur histoire. Toute la mémoire de l'endroit, les nombreux souvenirs inhérents à la kitchenette, pesaient sur le subconscient d'Helena. Ni l'un ni l'autre des anciens amants n'osait soulever l'étrangeté de leur présence en ce lieu ou la bizarrerie du partage pacifique de ces quelques mètres carrés malgré les récents événements. C'était comme si, en le taisant, ce sentiment singulier s'évanouirait. Un non dit stratégique, en quelques sortes. Pour une fois, sans s'être concertés, ils étaient d'accord sur quelque chose. Ils devaient penser que garder cet énorme secret de polichinelle les aiderait à sauver les meubles.
Quand la voix d'Helena perça le silence, Rudy parut quelque peu gêné. Il lui assura qu'ils n'avaient rien fait ensemble. Peut-être même le lui affirma-t-il un peu trop vivement. La jeune fille ne sut pas si elle devait être soulagée de ne pas s'être laissée avoir ou se sentir vexée. Oui, peut-être avait-elle le droit d'être un peu blessée dans sa fierté, prendre cette déclaration précipitée comme un signe du déclin de sa beauté, de sa jeunesse, de sa désidérabilité. Ne sachant quelle réaction il valait mieux choisir, elle se contenta d'afficher une petite moue. Mais ça ne s'arrêtait pas là, son orgueil n'avait pas fini d'en prendre pour son grade. Le cadet des Gavennham reprit en lui narrant paisiblement les événements de la veille. Il commença par lui avouer qu'elle était morte bourrée. Elle s'y attendait, au vu de la gueule de bois qu'elle était en train de subir, mais imaginer l'état dans lequel il l'avait retrouvée l'inquiétait. Tendue, elle serra les doigts sur le plaid qui ne l'avait pas quittée. Le reste était plus facile à entendre. Cela expliquait au moins de manière assez convaincante la raison de sa présence dans les murs de cet appartement. Elle arqua un sourcil quand il lui apprit qu'ils s'étaient retrouvés coincés dans un ascenseur, étonnée de ne pas se souvenir de quelque chose d'aussi traumatisant. Elle soupçonna Rudy d'éluder certains épisodes de leur nuit mouvementée. Elle était pratiquement certaine qu'elle avait au moins dû faire une crise de panique ou autre chose, d'au moins aussi stupide. Subitement, sans qu'il y ait un lien avec les pensées dans lesquelles elle avait été plongée jusque là, une question importante fit son arrivée dans son esprit. « Et ma voiture ? Où est-ce que je l'ai laissée ? On est rentrés avec ? » elle cru qu'avoir perdu son moyen de locomotion serait la cerise sur le gâteau, mais elle relativisa bien vite grâce à la réplique suivante du narrateur de ses exploits. « Ah oui et tu t'es écorchée la jambe en voulant danser, au Muffy's. » Ainsi donc, c'était ça le secret de son genou rougi. Elle avait dû se donner en spectacle, comme une abrutie, voulu monter sur les tables,… peut-être même sur le bar, et dégringoler de son piédestal. Elle tira vivement la couverture au-dessus de sa tête et poussa un gémissement plaintif. Elle ne boirait plus jamais. Elle sentait ses pommettes chauffer, dans sa cachette improvisée. Elle détestait rougir, mais c'était tout bonnement incontrôlable. Elle avait honte, elle voulait disparaître. Elle décida de rester planquée, peut-être même de rouler sous la table, toujours enroulée dans son plaid, et d'y passer le restant de ses jours… ou au moins jusqu'à ce que Rudy soit suffisamment âgé pour être atteint de la maladie d'Alzheimer.
Elle daigna toutefois ré-exposer son visage à la lumière du jour, formant une capuche en pilou sur sa tête, quand Rudy, s'étant emparé des mugs, revint avec une tasse fumante qu'il posa sur la table, devant elle. Elle saisit alors la petite pilule, plaçant de grands espoirs en son pouvoir de guérison. Si elle s'était écoutée, elle aurait directement pris deux grammes, oubliant les conseils avisés de sa mère et les recommandations scientifiques de la pénible notice. Maintenant que le breuvage magique était prêt, elle allait pouvoir la prendre, sans risquer de s'étrangler en essayant de l'avaler à sec. Elle enfourna alors le médicament, confiante, prit une grande lampée de café et faillit la recracher aussitôt ! C'était affreux, tout bonnement immonde. Du jus de chaussette aurait sans nul doute été bien plus savoureux que la chose ignoble qu'Helena se força à avaler, pour deux bonnes raisons. La première était qu'elle ne voulait pas gâcher l'aspirine ainsi que sa promesse de calmer ses maux de têtes et d'estomac. La seconde était qu'elle avait des tout de même de bonnes manières. Elle avait reçu une éducation qui lui interdisait de se laisser aller à ce genre de sauvagerie. Elle fit la grimace, dégoûtée, en commentant à haute voix « C'est dégueulasse. » et Rudy n'aurait pas besoin d'un Qu'est-ce que c'est dégueulasse ? car le goût de la boisson justifiait à lui même l'existence du terme. S'il voulait se rappeler de sa définition exacte, il n'avait qu'à tremper ses lèvres dans la boisson, cela lui reviendrait bien vite. La jeune fille se mordit la lèvre. Elle savait ce qui avait causé le désastre. Dans son demi-sommeil, elle avait tout simplement oublié de remplir un nouveau filtre. L'eau chaude s'était déversée sur le marc de café de la veille, donnant naissance à l'immondice ayant traumatisé ses papilles. Elle se garda bien de dire que c'était de sa faute et la reporta presque sur son compagnon de petit déjeuner « Tiens, tu ne prépares pas le café la veille ? »
Malgré toutes ces anecdotes fort banales, le climat ne s'était pas vraiment assainit. Helena s'en préservait à sa façon, cachant toujours sa honte sous son nouveau doudou. Rudy, lui, décida de crever l'abcès. « Je suis désolé pour le bal de charité. J'aurai pas dû... faire tout foirer » La mâchoire inférieure de la brunette se désolidarisa de la supérieure en entendant ces mots. Il s'excusait. Vraiment, le bal de charité avait été un énorme fiasco, c'était vrai. Mais ce n'était pas beaucoup plus sa faute que celle d'Helena. Bien sûr, elle pensait qu'il avait eu une attitude déplacée et qu'il s'était juste amusé avec elle. Évidemment, elle se positionnait en victime du grand marionnettiste Rudy. Mais qu'il soit désolé, et qu'il l'admette de surcroit, c'était quelque chose de rare. Elle avait du mal à appréhender tout ce que cette déclaration signifiait. Elle aurait sans doute dû le rassurer, lui dire quelque chose du genre Ce n'est pas grave, C'est oublié ou Ne t'en fais pas mais rien de tout cela n'arrivait à franchir la barrière de ses lèvres alors que ses cils battaient comme les ailes d'un papillon hyper-actif. Le temps qui séparait l'instant présent de sa dernière rencontre avec le jeune homme fut tout ce à quoi elle put penser. L'entracte pendant lequel elle avait passé chaque minute à guetter un signe, un geste, une manifestation quelconque de celui qu'elle avait brutalement retrouvé. Cette interminable période où, à chaque occasion, elle vérifiait son téléphone, sa messagerie, et refusait de s'en séparer un seul instant. S'il s'excusait, il dissipait un peu les théories selon lesquelles il ne s'intéressait plus à elle, ou était trop occupé avec d'autres pour prendre le temps de la recontacter. Dans un souffle rauque, les mots parvinrent finalement à rouler entre sa langue et son palais « Pourquoi tu ne m'as pas appelée ? »
"HJ":
Il reste peut-être des incohérences, faudra que je relise demain matin ¬¬
Il se surprit en train de se gratter le menton. Il n'était pas franchement le genre de type à posséder un tic attitré lors de ses bouffées de stresse, telle une nana qui se rongerait les ongles jusqu'au sang. Mais il n'avait pas grande utilité à tripatouiller le bas de son visage, et cet acte ne représentait pas une quelconque habitude. Il étiqueta alors le mouvement de ses doigts contre sa barbe mal rasée comme étant le signal d'alarme d'une situation pas vraiment plaisante. Et il n'avait pas besoin de ressasser éternellement les adjectifs qu'il pouvait attribuer à cette peinture d'une matinée typique qu'il avait sous les yeux. A bien les regarder, ils étaient franchement si peu différents. Il partageait l'embarras d'une scène bien trop normale pour être le fruit de la réalité. Et cette gêne visible autant par le visage d'Helena que par les grimaces dissimulées de Rudy traduisait bien qu'ils formaient un mélange homogène, sans être non plus deux clones parfaitement similaires. Ils avaient leur spécificité, que ce soit de la lâcheté, ou de l'égoïsme poussé à l'extrême. Ils avaient leurs propres réactions programmées selon le type d'échange qu'ils entretenaient.
Alors qu'il lui racontait leurs mésaventures de la veille, quelque peu plus détendu que lorsqu'il s'agissait de parler d'une éventuelle partie de jambes en l'air (il nota d'ailleurs la petite moue, mais ne sut pas comment l'interpréter), il la sentit rougir jusqu'à la pointe de ses cheveux encore humides. C'en était presque mignon. Assez pour chasser, pour quelques secondes cependant, le malaise qu'avait Rudy. Cela paraissait si improbable de trouver une once d'agréable entre ces murs, à cet instant présent. Elle alla même jusqu'à relever son plaid de sorte à recouvrir son visage, telle une petite fille ayant peur des représailles après avoir englouti le dernier cookie du paquet. Il esquissa alors un sourire. Il aurait bien voulu lui dire qu'il n'allait nullement la juger, ni se moquer allégrement de la scène du vomi ou de la danse ratée, de son bleu comique ou même de son état peu glorieux, mais ses cordes vocales semblaient en grève, manifestant sûrement pour un trop plein de pression peu commode. Puis, dans une détresse semblable à celle étant née sous une couleur pourpre au creux de ses joues, elle demanda où sa voiture avait passé la nuit. Il fallut quelques instants à Rudy pour se remémorer où diable avait-il jeté les clés. Certain qu'ils ne les avaient pas sorties de sa poche de jean, qui d'ailleurs devait probablement traîner à cette heure-ci non loin de son lit improvisé, il tenta de la rassurer. « Elle est restée en face du Muffy's. Je doutais sérieusement de tes capacités à assurer une conduite en toute sécurité, et de la réaction des policiers si j'étais passé à l'éthylotest. »
Il s'installa ensuite en face d'elle, les tasses de café visiblement prête à être dégustée avec délectation. Délectation finalement inscrite aux abonnés absents à en voir la tête d'Helena. Il la regarda ingurgiter sa dose d'aspirine et vit naître un rictus peu appréciable quand elle porta son mug à ses lèvres. Le petit-déjeuner, en plus d'un contexte des plus gênants, était dégueulasse comme elle lâcha si bien. Il n'eut même pas l'audace de confirmer ses dires en goûtant le breuvage qu'il avait entre les mains et se contenta de vider le contenu de sa tasse et de celle de sa demoiselle secourue dans l'évier. De par la couleur de leur “café”, le filtre n'avait pas dû être changé, et datait d'une nuit au moins. La flemmardise qu'il pouvait avoir, même devant la nécessité de jeter un vieux filtre utilisé allait un jour le tuer. Il s'excusa alors, préférant être désolé plutôt que de lui lancer un regard noir trop impulsif qui aurait pu signifier t'es-vraiment-débile-c'est-pas-compliqué-de-changer-un-foutu-filtre et qui aurait rappeler à Helena et à lui ô combien rejeter la faute sur l'autre était un vice doucereux, pêché capital qu'ils aimaient tant. « C'est pas grave, ça m'arrive aussi d'oublier. » Il se leva et se posta devant la machine à café, prêt à contrer l'immonde substance qu'Helena avait cru bon de préparer. Dos à son invité, il pouvait enfin adresser de vilaines grimaces, dues à un embarra peu affable, à son appareil électro-ménager, métaphore le temps de quelques secondes de cette matinée atypique âpre à digérer, qui parcourait avec peine ses viscères rugueuses. Alors il saisit calmement un nouveau filtre d'une main, et s'empara du pot de café en poudre de l'autre, et opéra au rituel matinal qu'avaient en commun les individus lambdas adeptes du pur arabica moulu. La remarque qu'elle fit ensuite le secoua, pendant qu'il était toujours dos à la table où se tenait Helena. « Non, j'oublie toujours maintenant. » Autrefois (et l'emploi d'“autrefois” traduisit une certaine nostalgie du temps où ils vivaient en parfaite harmonie) il avait effectivement l'habitude de préparer son café la veille. Mais la disparition de la jolie brune l'avait plongé dans l'oubli maladif de ce genre de tâche quotidienne. Dorénavant, il lui arrivait bien trop souvent d'allumer sa machine à café sans se rappeler qu'il avait une fois de plus oublié de changer le filtre. Ce genre de situation, celle qu'il vivait aux côté d'Helena présentement, était donc plutôt fréquente, et lui fit se rappeler de ses belles années. Il alla ensuite se rasseoir, préférant la position assise lorsqu'il s'agissait de parler de choses plus sérieuses, à savoir une autre couche d'excuses, d'un ordre cependant plus important. Il avait l'impression de danser un ballet classique, et d'implorer le pardon de la foule à chaque froissement de justaucorps.
« Pourquoi tu ne m'as pas appelée ? » Il y avait de multitudes de réponses à cette unique question. D'abord, il aurait beaucoup donné pour avoir eu la force de l'appeler. Sauf que le courage manquait sérieusement à l'appel ces temps-ci, et il se retrouvait comme un imbécile à attendre un coup de téléphone d'Helena, bien que ce n'était pas franchement à elle de s'excuser, mais plutôt à lui. Seulement il avait encore (et aura certainement toujours, jusqu'au jour où il ira consulter un psy) un mal de chien à assumer ses erreurs, bien qu'un pas ait été franchi lorsqu'il prononça, ou plutôt bredouilla, des paroles demandant pardon pour une certaine soirée caritative. Une autre cause de ce silence radio autour de cette paire de jeunes gens était qu'il pensait dur comme fer, avec une foi religieuse, qu'Helena désirait sa mort plus encore qu'elle ne désirerait une quelconque assistance si elle se noyait en pleine mer. Autrement dit, Rudy avait le sentiment que cette jolie demoiselle préférait mourir plutôt que de le voir encore en vie. Donc bon, à penser ce genre de trucs, il n'avait pas très envie d'aller provoquer le diable. C'est pourquoi il hésita à répondre, car il était conscient que ses idées toutes faites sur les jugements d'Helena pouvaient s'avérer être faux. « Je pensais que tu m'en voulais trop pour m'adresser la parole. » Il lui aurait volontiers fait un discours plus poétique. Néanmoins tout lui manquait. La force, peut-être même la volonté. Elle ne semblait effectivement pas en mesure de se jeter dans ses bras et de lui crier qu'elle acceptait ses excuses avec le plus grand plaisir du monde. Lui non plus n'aurait pas agi de la sorte. Non. Il se serait juste renfermé sur son cynisme pompeux et se serait certainement emporté dans un déluge de vulgarités les plus agressives. Sauf que l'on parlait d'Helena. Et qu'elle constituait probablement un symptôme de bipolarité dans son organisme, braquant son cerveau en mode shuffle quant aux réactions qu'il devait adopter face à elle et aux phrases qu'il lâchait. La meilleure des solutions aurait sûrement été de faire table rase, de tendre la main et de se présenter, de la même façon qu'ils s'étaient rencontrés sur les bancs de l'école. Bonjours, je m'appelle Rudy, j'ai vingt-trois ans.
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Ven 7 Sep - 12:41
La quête de ses souvenirs continuait. La seule personne en mesure de lui fournir les pièces du puzzle que son cerveau endolori cherchait à reconstituer était Rudy. Ce qu'il lui avait révélé jusqu'à présent était, certes, quelque peu gênant mais il semblait toujours assez mal à l'aise face à la jeune fille. Un inconfort qui s'apparentait à celui qu'elle-même ressentait sans pour autant coïncider avec. Serait-il capable de lui cacher quelque chose ? Il lui avait affirmé qu'ils n'avaient pas couché ensemble – avec un peu trop d'enthousiasme à son goût, soit dit en passant – mais cela ne signifiait pas qu'il ne s'était rien passé. Elle commençait à se demander sérieusement si était bon de continuer les investigations. Peut-être avait-elle déjà suffisamment creusé. Elle ne désirait pas donner le coup de pelle fatal, elle avait réussi à reconstituer une vague idée de ce qu'avait dû être la soirée. Un dernier regard mental au puzzle inachevé et elle prit la décision de l'abandonner un moment. En fait, elle ne voulait plus rien faire avant d'avoir bu son indispensable dose de caféine revigorante. Ce dont elle avait besoin en ce moment, c'était d'un bon coup de fouet.
Heureusement pour elle, après son échec cuisant, Rudy décida de prendre les rennes de l'opération. Sans aucun état d'âme, il envoya le contenu imbuvable de leurs tasses faire un long voyage les tuyauteries poisseuses de son évier. D'un geste assuré, – bien plus que tous ceux qu'Helena avait pu avoir ce matin-là – il sortir un nouveau filtre et y versa la quantité adaptée de poudre à l'odeur entêtante. Ce faisant, il lui tournait le dos et continuait à échanger des banalités. Elle avait déjà appris que sa voiture était restée quelque part sur le parking du Muffys, ce qui l'avait rassurée mais lui avait également appris qu'elle devrait se rendre à pieds jusque là, effort qui lui semblait pratiquement insurmontable dans son état. Elle avait esquissé un sourire quand Rudy avait sous-entendu qu'il n'était pas très net non plus durant cette fameuse nuit. Lui au moins se souvenait beaucoup plus clairement de ce qui s'était passé, il n'était donc pas assez entamé pour avoir le syndrome du trou noir mais suffisamment pour ne pas être en état de prendre le volant. Cela ne faisait que confirmer que la brunette avait effectivement eu un taux d'alcoolémie honteusement élevé. Son fameux sourire s'était donc perdu dans le grognouffement – nda : néologisme à l'ineptie totalement assumée, croisement contre nature de grognement et pouffement – qu'elle avait laissé échapper.
Maintenant, il tentait manifestement de la rassurer en lui assurant que sa bévue n'était pas grave. Toujours dans son dos, elle haussa nonchalamment les épaules. Elle n'avait pas envie de lui répondre. Séparer ses mâchoires lui semblait requérir trop d'énergie si ce n'était pas pour bailler. Elle le laissa donc s'affairer en silence devant son percolateur, jusqu'à ce qu'il fasse une remarque : il oubliait toujours de préparer son café la veille, désormais. Cela troubla un peu l'impassible Helena. Il faisait manifestement référence au temps où ils vivaient sous le même toit. Il fallait dire qu'Helena était une personne bien organisée et qu'il valait mieux que tout roule comme elle l'entendait. Elle était rarement prise de court. Les chaussettes dépareillées ? Ca ne lui arrivait jamais. Le linge humide jeté sur le dos le matin, faute de mieux ? Connaissait pas. La panne de papier toilette en situation critique ? Impensable. La boule qui avait doucement commencé à fondre au creux de sa gorge renfla d'un coup, si bien qu'elle avait l'impression qu'elle était désormais visible à l'oeil nu et que n'importe qui pourrait distinguer cette pomme d'Adam disproportionnée qui venait de pousser. L'étrangeté de la situation qu'elle s'était forcée à réprimer revenait la heurter de plein fouet. Elle en voulut à Rudy. La nervosité et la gueule de bois formaient un couple tout ce qu'il y a de plus désagréable. Heureusement, l'aspirine commençait doucement à faire son petit effet et l'étau serré autour de l'habituellement soyeuse chevelure de l'étudiante lâchait lentement prise. Cela ne l'empêchait pas de toujours ressentir quelques vertiges lors desquels la cuisine tanguaient dangereusement devant ses yeux, comme si un réalisateur fou s'était emparé de la caméra et prenait le plus grand plaisir du monde à l'envoyer en l'air, à la faire virevolter dans des mouvements désordonnés. C'était sans doute très novateur mais si elle avait eu le choix, Helena s'en serait fort bien passé.
Vint ensuite le moment qu'elle attendait. Elle avait enfin posé la question qui lui brûlait les lèvres depuis longtemps, depuis le bal de charité en réalité. Oui, elle l'avouait, il avait été au coeur de ses pensées pendant tout ce temps mais non, il était hors de question qu'elle le lui dise à lui. Elle avait une fierté tout de même, merde… et ce même si elle avait visiblement était bien entamée dans les heures précédentes. « Je pensais que tu m'en voulais trop pour m'adresser la parole. » C'était donc ça ?
La brunette tombait des nues. Comment pouvait-il penser qu'elle lui en voulait quand elle était celle qui était rongée par les remords ? Comment avait-il pu être assez stupide pour s'imaginer qu'elle ne voudrait plus lui adresser la parole alors qu'elle lui avait assez clairement sauté dessus au bal de charité ? Elle avait beau être toujours vaseuse, elle sentait doucement ses entrailles se tordre et ses artères bouillonner, l'énervement était en train de la gagner. Elle n'était pas seulement en colère sur Rudy parce qu'il avait pu faire ces interprétations hâtives, non. Elle s'en voulait. Elle aurait dû être capable de réprimer ses ardeurs. Elle le savait qu'elle ne pouvait pas simplement se repointer, comme une fleur, et récupérer la vie qu'elle menait à Arrowsic. Ou plutôt, récupérer Rudy. Elle avait fait énormément d'efforts… pour rien. Cette attraction irrépressible envers ce vendeur de lingerie cynique et trop sûr de lui était absurde. Même là, en caleçon, avec des croûtes au coin des yeux, une barbe naissante courant sur le menton et des dents pas encore brossée, elle le trouvait insupportablement séduisant.
Pendant quelques secondes, on n'entendit plus que le gargouillement de l'eau chaude dans la machine à café et les petites bouloches nerveusement arrachées au plaid sur les frêles genoux de la brunette. Et puis « Comment tu as pu penser ça ? » elle évita soigneusement de dire qu'elle le trouvait idiot. « Pourquoi aurais-je refusé de t'adresser la parole ? Ca me semblait évident, je t'avais dit de me rappeler, que j'attendrais de tes nouvelles » elle ne savait plus si elle l'avait dit en toutes lettres mais elle était sûre de le lui avoir fait comprendre. « j'aurais bien pu continuer à attendre comme une imbécile que le téléphone sonne. Tu sais quoi ? J'ai l'impression que t'en avais juste rien à faire. Peur ou pas, si tu t'étais soucié un minimum de… de nous » ça virait au feuilleton à l'eau de rose. Sa voix commençait à trembler. Elle n'avait pas envisagé de faire de longue tirade et une réminiscence du goût du jus de chaussette se faisait sentir par ses papilles, réveillées par sa salive. Il fallait clore rapidement, avant qu'elle ne craque. « alors tu m'aurais appelée. Et ne me fais pas croire que tu n'avais pas assez confiance en toi, je sais que ce n'est pas ça qui te manque. Tu pouvais même m'envoyer au diable, je voulais juste savoir à quoi m'en tenir. » Même si, soyons honnête, elle ne l'aurait pas laissé l'envoyer chier aussi facilement. Elle était peut-être capricieuse mais au moins, elle savait ce qu'elle voulait, même si elle ne savait pas forcément ce que cela impliquait. Ce qu'elle voulait, c'était lui. Si jamais il avait décidé de définitivement tirer un trait sur elle, elle ferait au moins en sorte qu'il le regrette. Parce qu'il n'y aurait pas de raison qu'elle soit la seule à souffrir du pouvoir qu'il exerçait sur elle. « Le café est prêt. »
Sujet: Re: « Singin' a reckless serenade » Mer 12 Sep - 17:35
« Tu pouvais même m'envoyer au diable, je voulais juste savoir à quoi m'en tenir. » Il était en train de se prendre la claque de sa vie. La dure gifle brûlante qui allait jusqu'à saigner sur sa joue, laissant pour trace l'empreinte des fins doigts d'Helena. Il avait déjà connu des mots âpres à digérer, à avaler, et à encaisser. Mais ceux là résonnaient, et il se sentait franchement con. Juste con, parce qu'il aurait pu l'appeler sereinement, au lieu de se cacher, attendant que le hasard prenne les choses en mains, comme leur rencontre imprévue de la veille. Il aurait pu juste aller la voir, s'excuser, et basta. Tout aurait été réglé, et leur romance empotée et niaise aurait repris sa route comme si de rien n'était, traçant un chemin similaire à celui qu'ils avaient emprunté deux ans auparavant. Deux foutues années où il n'avait fait que remuer ses erreurs, et ressasser son échec cuisant auprès de la seule fille à laquelle il arrivait à s'attacher réellement. Et en y pensant, il se sentait horriblement vieux. Il se voyait comme un quarantenaire, cherchant à récupérer son ex-femme pour finir sa vie, tout simplement parce qu'il n'arrive pas à avancer. Mais il avait vingt-trois ans. Un âge un peu trop jeune pour se soucier d'un avenir sur le long terme avec une seule et unique femme, à savoir Helena. Cependant, c'était la seule à lui tenir tête, à l'envoyer bouler au moindre faux pas, et donc, grâce à une logique implacable tellement spontanée et réfléchie, c'était la seule à laquelle il s'accrochait éperdument, comme un gamin.
Toujours accoudé contre le plan de travail, dos à la machine à café, il se repassait en boucle ce qu'elle venait de lui lancer en pleine face, après avoir perdu son air innocent et perdu. Non, cela n'avait pas été évident qu'elle attende de ses nouvelles. Du moins pas de son point de vue. Et si, il en avait quelque chose à faire, d'eux. Sa voix commençait alors à doucement flancher. « Je suis… désolé. » Au fond, il ne l'était même pas, désolé. Parce qu'il ne pouvait tout simplement pas deviner qu'Helena était en train d'attendre un signe de vie de sa part, alors qu'il l'avait envoyée balader le soir de leurs tragiques retrouvailles. Il ne pouvait pas deviner qu'elle l'aurait accueilli avec un grand sourire. Pour lui, elle voulait juste le tuer et danser sur sa tombe, jusqu'à ce qu'elle puisse le ressusciter pour le massacrer à nouveau. Et puis, jamais, jamais il ne l'aurait envoyée au diable.
« Le café est prêt. » Il s'en foutait du café. Il l'aurait bien balancé par la fenêtre, avec la cafetière en prime, histoire de tuer quelqu'un de matinal qui passerait malencontreusement sur le trottoir pour défouler l'énervement qui le possédait. Maintenant il regrettait. Il regrettait de ne pas être allé la voir, de ne pas avoir pu composer son foutu numéro, et de ne pas avoir eut le courage de prononcer trois mots, les mêmes qu'il venait d'émettre, d'une voix rocailleuse mal réveillée, entre la gêne, et la tristesse de s'en être pris plein la tronche pour une faute qu'il n'avait pas commise. Il ne savait pas qu'elle aurait décroché si son prénom s'était affiché sur l'écran de son téléphone. Et un de ses problèmes, c'était bien de ne pas se soucier des autres, de ne regarder que ses propres malheurs, sans se soucier d'autrui, et tout cela, sans remords. Au fond, peut-être que l'état d'âme d'Helena lui était indifférent, parce qu'il était trop rongé par ses propres dires, ses propres actes, et notamment le glacial au revoir de la soirée caritative. Et peut-être aussi que son subconscient lui criait que recommencer avec cette fille était la pire erreur de sa vie. Que ça ne valait pas la peine, et qu'il n'allait qu'en souffrir un peu plus, histoire de pousser son cynisme à son apogée, de le muter en un humour noir mortuaire et glauque pour que le monde qui l'entoure s'intéresse un peu plus à son malheur et à sa petite personne. C'était ça, son égoïsme cinglant.
Il chassa sa voix qui ne réussissait qu'à bafouiller depuis tout à l'heure quelques maigres excuses, qu'il ne pensait qu'à peine. Il fronça les sourcils, fuyant le regard d'Helena, trouvant le linox de la pièce un peu plus intéressant que d'habitude, avec ses losanges blancs et autres formes géométriques, typiques d'une cuisine, en somme. Puis il daigna ouvrir la bouche, avec un ton presque sec, entre énervé et confiant, un peu plus que son timide « désolé ». « On a vingt trois ans Helena. - il marqua une pause. L'assurance qu'il avait réussi à rassembler semblait s'échapper. Mais il tint bon et la rattrapa de justesse. - Tu sais ce que c'est d'avoir vingt trois ans ? On est des foutus gamins. On a peur des relations à long terme, parce que ça signifie au fond qu'on pourra pas baiser avec sa future voisine. Et qui plus est, on est des foutus gamins égoïstes. On est égocentriques, on aime pas partager. On aime pas partager notre vie. Parce que tes chaussures prennent toute la place dans l'entrée, parce que tu ramasses jamais tes cheveux dans la salle de bain et tu laisses toujours traîner tes dessins sur la table à manger. Voilà pourquoi on a pas envie de recommencer. Voilà pourquoi j'hésitais à t'appeler. Parce qu'on sait pas passer outre ces détails pourris. Notre foutu égo est obligé de s'arrêter devant, et d'aller cracher son âme outragée sur l'autre. Alors dis-moi qu'on a grandi. Dis-moi que t'as grandi. Que si on se donne une dernière chance, on sera pas aveuglés par la merde qu'on a dans les yeux. Parce que le problème, c'est nous, en temps que cas isolé. Pas nous, en temps que couple empoté. » Par sa future voisine, il pensait à Elizabeth, à qui il irait d'ailleurs sûrement toucher quelques mots, lui indiquant qu'elle allait devoir revoir à deux fois son infidélité quand l'envie de lui rendre visite la prendrait. Mais actuellement, il avait beaucoup plus envie de s'allonger sur son linox, finalement parsemé de petites miette de pain, de minuscules épluchures de légumes, de pépins de raisins et de tâches de nutella invisibles à l'oeil nu, du haut de ses un mètre quatre vingt, et d'attendre la mort, de la même façon qu'un décédé attend que l'on referme son cercueil alors qu'une horde de personne relativement hypocrites se donnent la peine d'adresser leurs plus sincères condoléances à la famille du défunt. Il voulait s'auto-gifler aussi fort qu'elle l'avait fait à travers ses paroles. Il hésita même à prendre sa cuiller à café à et se l'enfoncer dans le cœur, ou du moins tenter de percer sa peau ne serait-ce que d'un millimètre de profondeur. Il aurait bien aussi pris le plaid qu'elle tenait sur ses genoux, pour s'y cacher et imiter un déguisement de fantôme pour ne plus jamais avoir à montrer une quelque forme d'humanité. Il se demandait s'il n'était pas en train de dérailler, et si elle allait prendre avec allégresse la tirade qu'il venait de lui faire. Il n'en était pas franchement fier, mais cela résumait plutôt bien ses pensées présentes.
Il sortit alors de sa transe suicidaire pour au final s'y enfoncer un peu plus. « T'es partie. Pendant deux ans. » Il n'avait pas franchement envie de retrouver le débat qu'ils avaient eut lors de leur dernière soirée passée ensemble, à se rejeter mutuellement la faute. Il avait juste besoin de se justifier, parce qu'il se considérait innocent dans toute cette histoire. Pas seulement innocent, mais aussi victime, en fin de compte. C'était elle qui l'avait planté à l'aéroport, et lui avait été le pauvre malheureux en mal d'amour. De son point de vue, il était l'homme parfait qu'on avait délibérément fait souffrir. Il n'avait donc rien à se reprocher, et encore moins de ne pas l'avoir appelé, même s'il regrettait quand même un peu – au fond, c'était un homme de contradiction, mais passons. Il se surprit alors à s'approcher d'elle, ignorant foncièrement le café frémissant dans son dos. Il avait envie de lui murmurer les trois mots niais au possible, mais dans un moment de faiblesse, il préféra agir plutôt que de prendre la peine de parler. Il saisit d'une main presque tremblante sa nuque, attirant ainsi son visage vers le sien, et vint l'embrasser doucement, faisant passer ce geste imprévu et peu calculé pour une trêve pacifiste. Il se décolla ensuite d'elle, se releva énergiquement et lâcha d'une voix un peu trop dynamique. « Je suis aussi désolé pour ça. » Puis il marcha à grandes enjambées dans la salle de bain, pour s'y ouvrir les veines dans sa douche, faute de baignoire.