❝ they say bad things happen for a reason but no wise words gonna stop the bleeding ❞
“the marks humans leave are too often scars”
« Putain je te déteste Aaron ! » Jessie claque la porte de sa chambre et fait tomber un cadre du mur en passant. Je regarde les morceaux de verre en soupirant. J’entends déjà ma mère hurler en rentrant. Je tourne les talons et j’entre dans ma chambre, pour me vautrer dans mon lit. La sonnerie de mon téléphone retentit alors dans la pièce. Je réponds presque immédiatement.
« Alors, comment ça s’est passé ? » Je soupire.
« Pas comme je le souhaitais. » Silence.
« Je devrais peut-être aller lui parler… » Je me relève un peu et me racle la gorge.
« Non, surtout pas. Elle a l’air assez remontée comme ça. » Je passe une main dans mes cheveux. Je ne sais pas comment j’ai fait pour me mettre dans un bordel pareil. Tout ça à cause de Laureen. Ou grâce à Laureen. Je ne sais pas trop. Laureen, c’est ma petite amie depuis maintenant quelques mois. Et autant vous le dire : j’ai galéré. J’aurais pu avoir n’importe quelle fille au lycée. Je ne veux pas me vanter, mais je suis assez populaire et j’ai déjà eu plusieurs occasions de me caser. Mais non. J’ai choisi de me battre bec et ongles pour obtenir l’attention de Laureen, une fille qui a deux ans de moins que moi, en plus. Le hic, c’est que je viens d’apprendre que c’est la meilleure amie de ma sœur, Jessie. Je ne sais même pas comment on a fait pour s’en rendre compte aussi tard.
« Aaron ? » « Hum ? » « Ça va aller, t’en fais pas. » Un sourire s’esquisse sur mes lèvres. Elle a le don de me faire sourire dans n’importe quelle situation. Nous parlons encore pendant de longues minutes, puis finalement, au moment de raccrocher, je me sens un peu plus serein. Mais Laureen a eu tort : les rapports avec ma sœur sont devenus hostiles. On s’engueulait pour un rien. Nos parents en avaient marre de nous, ils ne savaient pas quoi faire. Laureen et Jessie ont cessé de se voir. Tout a changé. Bien sûr, je me sentais coupable. Mais je ne savais pas quoi faire pour arranger la situation. Et puis, un beau jour, elle a tout simplement décidé de m'ignorer. Elle semblait m’avoir rayé de sa vie pour de bon. Nous vivions sous le même toit, mais c’était comme si nous étions des inconnus.
Et puis, il y eut ce fameux soir.
« Je te déteste ! Je te déteste putain ! » Elle ne fait que répéter ça à longueur de journée. Je lève les yeux au ciel. Je suis vraiment fatigué de cette situation. C’est alors qu’elle se jette sur moi et me plaque contre le mur. Ses mains viennent attraper mon cou sans même que je ne m’en rende compte. Putain, mais qu’est-ce qu’il lui prend ? Je la regarde, abasourdi. Ses mains se resserrent contre mon cou, et je sens ma respiration devenir un peu plus courte. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Je mets alors mes mains sur les siennes pour essayer de les desserrer.
« Jessie, arrête ! Tu me fais mal ! » dis-je en suffoquant. Celle-ci n’écoute pas. Elle a l’air complètement ailleurs. Je me demande si elle a prit quelque chose. Je n’ai pas envie de lui faire de mal, mais je n’ai pas tellement le choix. Alors je la pousse avec ma jambe et je la fais tomber par terre. Je la maintiens avec mes deux mains. Je la regarde et j’essaie de reprendre ma respiration calmement.
« Mais qu’est-ce qui te prend bordel ? » Je ne décolère pas, mais j’aimerais comprendre. C’est alors qu’elle se met à s’effondrer en larmes. De lourds et longs sanglots interminables. A ce moment-là, je sens mon cœur se serrer. Est-ce de ma faute ? Est-elle dans cet état à cause de moi ? Je ne sais pas. Je ne sais pas grand chose. Au bout de longues minutes, elle finit par me confirmer – entre deux sanglots – ce que je craignais.
« Tout ça, c’est à cause de toi. Si je me sens aussi mal, c’est à cause de toi ! Tu as ruiné ma vie ! » Je la regarde avec étonnement. Je ne sais pas quoi dire. Je ne comprends pas. Dans un instant d’inattention, je desserre mon emprise sur elle. C’est à ce moment-là qu’elle en profite pour se relever. Et puis, ensuite, tout va très vite. Des cris hystériques, des coups, et puis Jessie qui dévale l’escalier et finit au rez-de-chaussée, inconsciente. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Mes parents l’ont envoyé quelque part aux Etats-Unis, dans un centre spécialisé. Apparemment, elle souffrait d’une sévère dépression et elle avait une quantité de substances illicites assez importante dans son corps. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas comment tout cela est arrivé. Je ne comprends pas comment je n’ai pas pu me rendre compte que ma propre sœur faisait une dépression.
“standing in the hall of fame, and the world's gonna know your name”
« Promets-moi que toi et moi, ça va durer. » Un léger sourire s’affiche sur mes lèvres. Elle voit bien que je ne la prends pas au sérieux, alors elle durcit son regard et se rapproche de moi histoire que je l’écoute bien. Elle laisse planer le silence pendant un instant, ce qui me rend un peu anxieux. Que va-t-elle me dire ?
« Ecoute Aaron. Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’avec toi. Et je ne veux pas que la distance soit un frein entre nous deux. Je t’aime Aaron, et je veux que tu me promettes que tu feras tout pour que ça marche. » Ah oui, elle est vraiment sérieuse. Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais réussi à être à l’aise dans des situations pareilles. Mon truc à moi, c’est faire rire les gens, faire des conneries. Je n’aime pas me prendre la tête, ou dire ce que je pense, ce que je ressens. Cela fait bientôt deux ans que je sors avec Laureen. Je ne sais pas si c’est la femme de ma vie, mais je me sens bien avec elle. Malheureusement, nous allons tous les deux partir dans des endroits différents pour faire nos études. Elle part à Columbia (New York) dans deux ans, et moi à Harvard (Cambridge). Ce n’est pas vraiment la porte d’à côté. Je passe une main dans ses cheveux et la regarde longuement. Je crois que c’est bien la première fois que je me rends compte à quel point je tiens à elle. Je regrette de l’avoir un peu négligé parfois, de ne pas avoir fait suffisamment attention à elle. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, et ça me fait un peu peur. Nous ne sommes plus au lycée à présent. Nous sommes en train de devenir adultes. Je ne le réalise que maintenant. Je ne sais pas si je suis prêt.
« Bien sûr Laureen. Tu sais bien qu’il n’y aura toujours que toi. Et dans cinq ans, quand on sera diplômés, on se retrouvera ici et on achètera la maison près du lac. Je te le promets. » Je dépose un baiser sur son front et elle vient se blottir dans mes bras. Ce sont nos derniers instants ensemble. Nous voulons tous les deux en profiter.
« Rends-moi fier fiston ! » Je n’ai jamais vu mon père avec un tel sourire. Je vais aller étudier à Harvard, comme lui, pour devenir avocat, comme lui. Oui, je n’ai pas été très créatif. Mais bon, je sais que c’est ce qu’il a toujours voulu pour moi. Il aurait été très déçu si je n’avais pas suivi le même chemin que lui. Mais la route s’annonce ardue. Mon père est un avocat très reconnu, et il va falloir que je travaille dur pour me faire un nom.
« T’en fais pas ! » dis-je avec un sourire rempli d’optimisme. Je monte alors dans le jet privé de mon père, direction Cambridge.
Quatre ans. Quatre ans de pur bonheur. J’ai profité de ma vie étudiante comme il le fallait. Je passais autant de temps en cours qu’en soirée. Mon colocataire était génial, mon appartement était génial, tout était génial. Malheureusement, Laureen et moi avons fini par s’éloigner. La distance a eu raison de nous. Même si nous avions les moyens pour faire des vols Cambridge - New York, nous n’avions simplement pas le temps. Nous menions tous les deux des vies différentes, des études à réussir. Notre promesse n’était plus qu’un lointain souvenir.
« Bienvenue à Baker & McKenzie ! » Ça y est. J’y suis. Je suis avocat dans l’un des meilleurs cabinets d’avocat du monde. A Chicago. Je ne pensais pas que ça allait être aussi rapide. Mon avenir s'annonce radieux. Je n’ai pas encore mon propre bureau, mais je compte bien faire mes preuves. Je compte bien devenir le meilleur avocat que le monde n’ait jamais vu.
“i don't want this moment to ever end, where everything's nothing without you”
Je lis l’article une troisième fois tout en finissant de boire mon café.
« Avocat prometteur », « audacieux », « brillant ». Je ne lis qu’en diagonal l’article, au final. Je ne lis que ce qui m’intéresse. Mon père m’a déjà appelé il y a cinq minutes de cela. Il était complètement hystérique. Oui, je dois dire que je suis fier du chemin que j’ai parcouru. C’est alors que j’entends quelqu'un toquer à la porte. Je lève les yeux de mon journal, et le pose directement sur mon bureau quand je m’aperçois que c’est mon patron, Paul.
« Félicitations pour l’article Aaron ! Continue comme ça. » Je le remercie et attends pour qu’il me dise ce qu’il est vraiment venu faire dans mon bureau.
« J’aimerais te présenter ma femme : Caryl. » C’est alors qu’une magnifique femme brune passe le pas de ma porte. Je manque de faire tomber ma tasse de café tellement je suis abasourdi par sa beauté. Je n’ai jamais vu une femme pareille. Ja-mais. Je me lève immédiatement et je dis, d’une voix peu confiante :
« Enchanté. » Elle me tend la main et je la serre fermement en souriant. Wow. Est-elle vraiment réelle ? Paul commence alors à balbutier quelque chose, j’entends restaurant, golf, mais je n’écoute pas. Mon regard reste planté dans celui de cette femme. Caryl. Mon cœur commence à s’emballer. C’est à ce moment-là que tout a changé.
« Tu t’en vas déjà ? » Je regarde Caryl qui est en train de se rhabiller à une vitesse éclair.
« Oui, Paul et moi avons prévu d’aller au restaurant ce soir. » Je baisse un peu les yeux et me rallonge confortablement dans mon lit.
« Oh. » Je crois qu’elle remarque ma mine déçue, puisqu’elle s’approche de moi pour me déposer un baiser sur les lèvres.
« Ne t’en fais pas, je reviendrai après. Il s’endort toujours rapidement quand il a bu du vin de toute façon ! » Son rire remplit la pièce de chaleur et me fait sourire. Bordel, pourquoi est-ce que je me sens tout bizarre quand je suis avec elle ? Nous avons commencé à nous voir assez rapidement. Il est clair qu’il y avait quelque chose de fort entre nous. Paul n’a même pas été un problème. Il est toujours très occupé, alors il ne se rend pas compte de ce qu’il se passe sous son nez. Quel imbécile.
« Tu vas me manquer. » dis-je, sans vraiment réfléchir. Elle me donne un regard absolument craquant.
« T’es mignon. » Elle passe une main dans mes cheveux et se lève pour finir de se rhabiller. Elle est juste splendide. On ne dirait vraiment pas qu’elle a huit ans de plus que moi. Je pourrais la regarder pendant des heures. Elle prend alors son sac et m’adresse un sourire.
« A tout à l’heure ! » dit-elle, avant de s’éclipser. Je soupire et regarde le plafond pendant de longues minutes. Je crois que je suis amoureux.
“there are wounds that never show on the body that are deeper and more hurtful than anything that bleeds”
Les coups continuent, encore et encore. Je me demande bien si cela va s’arrêter un jour. Je ne sens plus mon corps. Ma vision commence à être trouble. Je ne fais même plus d’efforts pour résister. Peut-être que je l’ai mérité. Néanmoins, ce n’est pas les coups qui font mal. C’est l’attitude de Caryl qui me transperce le cœur. Elle ne me regarde même pas. Elle agit comme si j’étais un parfait inconnu. Elle est complètement insensible à la scène qui est en train de se passer. Seul un drap habille sa peau nue. Paul a fini par découvrir la vérité. Au bout de trois ans et quelques. C’est un imbécile, mais pas complètement non plus. Je vois du sang sortir de ma bouche. Je saigne sûrement à d’autres endroits, mais je n’ai pas la force pour regarder. Je me contente de subir les coups. Est-ce que je vais mourir ? Au moins, j’aurais eu une belle vie, et mes derniers instants auraient été avec la femme que j’aime. Au bout d’un moment, les coups s’arrêtent.
« Je vais te réduire à néant, Aaron. Je te le promets. » Oh, je n’en doute pas une seule seconde. Paul est un homme puissant. Terriblement puissant. Je suis certain qu’il y a des choses que j’ignore sur lui. Et puis, il s’éloigne de moi et tourne les talons pour prendre la sortie. Mon regard s’attarde sur le visage de Caryl. Elle me regarde, mais elle ne dit rien. Pas un mot. Pas d’au revoir. Non. Elle se retourne, attrape le plus de vêtements possibles, et s’en va, elle aussi. Sans même hésiter.
Après ça, tout est allé très vite. Paul a mis sa promesse à exécution. Le lendemain, un carton avec les affaires de mon bureau était déposé chez moi, et j’étais sur la liste noire de tous les cabinets d’avocat, même les moins prestigieux. Et puis au bout d’un moment, j’ai fini par ne plus avoir d’argent pour payer mon loyer, alors je me suis retrouvé à la rue. Pendant des mois, je suis resté dans les rues de Chicago, à écumer tous les bars, à chercher un endroit où dormir. Les hivers étaient particulièrement difficiles. Et puis, un beau jour, une vieille dame est venue me voir et m’a proposé de m’héberger. Elle est sortie de nulle part, telle un ange. Je ne comprenais pas trop pourquoi elle voulait héberger un déchet comme moi, mais j’ai accepté. Je n’allais pas refuser une offre pareille. Elle m’a nourri, elle a pris soin de moi. Comme une mère. Je n’avais personne d’autre qu’elle. Mon père n’a plus donné de nouvelles après ce qu’il s’était passé, ma mère non plus. Je ne leur en veux pas tellement finalement. Moi non plus je n’aimerais pas avoir un fils comme moi. Jackson, le petit-fils de la vieille dame (qui s’appelait Malya) enchainait petit boulot sur petit boulot, et un jour il m’a proposé un poste qu’il avait effectué des semaines avant. Jardinier. Je lui ai dit que je ne m’y connaissais absolument pas en jardinage, mais il a insisté. Il a dit que j’apprendrais vite. Et il a eu plutôt raison. C’est comme ça que j’ai commencé à reprendre ma vie en main. Certes, ce n’est pas un métier très prestigieux, mais ça m’a permis de tenir le coup et gagner de l’argent à nouveau. Et puis comme ça, je pensais à autre chose qu’à l’échec qu’était ma vie.
« C’était vraiment une femme merveilleuse. » dis-je en murmurant. Je ne le regarde pas, mais je comprends que Jackson hoche la tête. Nous regardons tous les deux la tombe de Malya, en silence. Nous nous laissons bercer par les souvenirs que nous avons avec elle. Elle m’a sauvé, et je n’ai rien pu faire pour elle. Foutu cancer. Malya a été le rayon de soleil de ma vie. Je n’aurais jamais pu remonter la pente sans elle. Je lui dois tout. Absolument tout. Je savais que j’allais la perdre un jour, mais je ne pensais pas que ça serait aussi tôt. Je m’étais habitué à sa présence. Maintenant, je dois tout recommencer. Tout seul. Je ne sais pas si je vais y arriver. Mais j’aime penser que quelque part, elle gardera toujours un œil sur moi.
« Bon, je vais devoir y aller. Je dois m’occuper de plein de choses. Tiens, Malya m’a dit de te donner ça le jour où cela arriverait. » Jackson me tend une lettre. Je le remercie, et je le prends dans mes bras pendant un instant.
« Prends soin de toi Jackson. Et merci pour tout. » Nous savons tous les deux que nos chemins vont se séparer. Plus rien ne nous retient à Chicago à présent. Jackson quitte alors le cimetière, et je m’assois devant la tombe de Malya pour lire la lettre. Mon cœur commence à s'accélérer. La lettre est longue, belle, remplie d’optimisme et d’amour. Ses derniers mots sont :
« Promets-moi que tu seras heureux Aaron. C’est la plus belle chose que tu puisses faire pour moi. Je serai toujours là, quelque part, ne t’en fais pas. Tu n’es pas seul. Ti amo. » Les larmes coulent sur mes joues. Malya avait des origines italiennes. Je me rappelle que quand elle s’énervait, elle s’énervait en italien et je ne comprenais rien. C’était sans doute mieux comme ça.
« Je t’aime aussi Malya. » Je jette un dernier coup d’œil à la tombe, avant de partir à mon tour. Je ne sais pas où je vais aller, mais je n’ai plus peur de l’inconnu à présent. Rien ne pourra être pire que ce que j’ai vécu ici.