My whole life I was made to believe I was sick when I wasn't but 'til I grew
up, now I blew up, it makes you sick to your stomach, doesn't it ?
Je suis né en juin. Le quatre. Ma mère était persuadé d'avoir mis au monde un ange. En fait, ce fameux quatre juin, ma mère a mis au monde un enfant destiné à ne jamais se sentir à sa place, où que ce soit... Un étranger. Quelqu'un qui ne ressent rien mais qui espère ressentir quelque chose à un moment donné de sa vie. Quelqu'un à part... Moi.« Mon fils, ma fille... Votre enfant est très talentueux, il a mis les larmes au yeux à sœur Elizabeth en chantant l'autre fois. Malheureusement, je crains qu'il ne soit atteint d'une maladie... Mentale peut-être? Il ne parle jamais. Tout ce qu'il semble savoir faire c'est chanter. » Le curé me regarda et secoua la tête l'air désespéré.
« Regardez, je me demande s'il est même capable de comprendre ce qu'il entend... » Je fronça les sourcils. Bien sûr que je le comprends. Mais moi, je ne parlais presque pas. Je n'aimais pas parler, je trouvais ça moche. Chanter, c'est beau, ça, j'aimais faire. Mais parler, non. Et puis, le silence est beaucoup plus beau que les paroles.
« Je dois dire mon père qu'on s'est longtemps demandé si Gabriel n'était pas arriéré... On lui a fait passé un grand nombre de tests. Dieu nous a donné un fils très intelligent qui n'aime pas s'exprimer autrement que par la musique et l'art. Pourtant, on le traite très bien et on est incapable de comprendre pourquoi il est comme ça. Mais si Dieu l'a voulu comme ça, on l'accepte et on fait avec. » Ma mère m'adressa un sourire triste et avait les larmes aux yeux. Dans un geste de réconfort et de soutien, mon père posa une main sur son épaule et l'attira pieusement vers lui. Voilà comment le monde entier m'a toujours vu : comme un garçon bizarre. C'est là qu'une chose étrange et qui choqua les trois adultes qui me regardaient avec pitié se produisit : je souris. C'est aussi à ce moment-là que ma mère se laissa aller à de bruyants et interminables sanglots tandis que mon père me regardait avec mécontentement et que le curé secouait la tête comme il y a quelques minutes.
« Ma brave fille, ne pleurez pas. L'important est que Gabriel soit en bonne santé, le reste s'arrangera grâce à notre Seigneur et au temps. » A l'époque, j'avais du mal à comprendre pourquoi les gens me regardaient de travers sans arrêt. On habitait dans une grande maison banlieusarde à proximité de New York où mes parents étaient tous les deux médecins. Ils prétendaient pouvoir guérir les gens grâce à de l'eau bénite et de quelques plantes sacrés. Balivernes. Ce n'est que plus tard que j'ai compris pourquoi je faisais tâche quand je me roulais dans notre herbe qui faisait la fierté de ma mère devant notre splendide maison : je n'étais pas normale. Les gens normaux ont des sentiments, des obligations, des valeurs et toutes les mœurs de la société à adopter. Moi j'avais exclu tout ça de ma vie. Les sentiments, je ne les vis pas comme les autres. Quand j'en ai, c'est comme multiplié par mille de la norme et ça en devient maladif. Alors que tout le monde se plie à des règles bien spécifiques, je n'en fais qu'à ma tête. Je n'étais pas un faiseur de troubles. Mais je faisais ce que je voulais, sans me demander si c'était bien ou mal. Et surtout, j'étais incapable de mentir. Heureusement, je ne parlais pas beaucoup sinon, j'aurais fait le malheur de mes parents déjà assez exaspérés d'avoir un fils comme moi.
« Gabriel, j'ai quelque chose à te montrer... Viens. » Je regarda ma mère, un peu curieux de savoir ce qu'elle avait à me montrer, et la suivit sans broncher. Ma mère était une de ces personnes que j'aimais bien entendre parler. Son accent suédois me faisait rêver et avait le don d'adoucir la brutalité de certains mots. Je la suivis donc jusqu'au grenier où elle faisait du rangement à cette période-là. D'un carton qui avait pris la poussière, elle sortit un album photo.
« Ce sont les photos de mon enfance. Je voulais te montrer tes grand-parents. Ainsi que ton oncle. » Je grimaça. Je ne connaissais pas ces gens, qu'est-ce que je pouvais en avoir à faire de les voir en photos? Ça ne m'intéressait pas mais j'étais sûr que ma mère allait se mettre à me détailler chaque photos et je pourrais de ce fait l'entendre manier les mots avec sa voix de grande dame et son accent d'ailleurs. Ne me voyant pas réagir, elle ouvrit l'album en grimaçant elle aussi, elle avait espéré que je me montrerais au moins enthousiaste.
« Tiens, regarde... Là. J'avais le même âge que toi, dix ans. Et là, c'est mon frère, il avait quinze ans. C'était déjà un adolescent et le pauvre était recouvert de boutons. » Ma mère se met à rire doucement. Si ça devait me faire plaisir de voir ça, je ne voyais pas en quoi... En tout cas, ça avait plus l'air de faire plaisir à ma mère qu'à moi. Cessant de rire, elle me montra une autre photo.
« Ça, c'est ta grand-mère et à côté, le monsieur à l'air sérieux, c'est ton grand-père. Ils étaient dans leur restaurant, c'est moi qui ai pris cette photo... Je devais avoir quoi? Dix sept ans peut-être... C'était un peu avant que j'emménage à New York. » Mon regard se posa sur la photo et ne put s'en détacher. J'avais l'impression de me voir en plus vieux. C'était donc mon grand-père? Je devais paraitre émerveillé parce que ma mère me demanda si j'allais bien. Je lui répondis en hochant la tête. J'avais un grand-père suédois alors... Et en plus, il me ressemblait. Et il avait un restaurant... Doucement, je me leva, l'air songeur et j'abandonnai ma mère à son rangement. Sans dire un mot bien sûr. Ma mère en avait conclu qu'elle avait encore échoué en essayant de me faire parler. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que cette nuit-là, j'étais retourné dans le grenier et que j'étais venu prendre la photo. Depuis je ne la quitte plus et c'est comme ça que je me suis mis en tête que je ferai de la photographie mon métier.
L'adolescence. La période de ma vie où j'ai le plus parlé. Ça aurait du faire plaisir à mes parents de me voir parler autant. Sauf que non. Pourquoi? Parce que je parlais au mauvais moment pour dire de mauvaises choses.
« Gabriel ! Tu t'es encore battu?! Mais c'est incroyable, si tu continues Dieu te punira et tu sera renvoyé de ton lycée. Et sans le bac, tu fera quoi hein? » Mon père était visiblement énervé. Moi je ne m'énerve pas, je reste tout le temps d'un calme olympique.
« Dieu n'existe pas, je ne serai pas puni. » Mon père qui était déjà très rouge vira au rouge vif. S'il n'avait pas été aussi pacifiste, il m'aurait frappé. Mais je préférais qu'il ne me frappe pas, j'avais déjà assez d'ennuis avec ça au lycée. J'étais "le mystérieux" même si j'utilisais un peu plus souvent mes cordes vocales pour parler. Ça forçait l'admiration des filles et la haine des garçons qui se faisait voler la vedette par ce qu'il qualifiait de "pédale muette". Moi quoi. Il est vrai que j'ai toujours apporté un soin particulier à mon apparence, j'aimais me sentir beau et aussi soigné et bien habillé que mon grand-père sur la photo. C'était beau. J'aimais bien les belles choses. Évidemment, on me faisait souvent des remarques là-dessus, on me croyait gay. Enfin, les garçons me pensaient gay. Les filles, elles, me trouvaient "trop mignon" et "trop stylé". Mais ils m'indifféraient tous et je me fichais d'être au centre des rumeurs du lycée. Les cours aussi me désintéressaient pourtant j'écoutais bien et ça me permettait d'avoir de brillantes notes. Heureusement, j'étais inscrit à l'option "art". Je me donnais à fond pour ces cours et j'avais des notes plus qu'excellentes. Bref, assez divagué, je dois finir ma petite anecdote.
« Écoute-moi bien et sache que j'irais dès demain me confesser pour ce que je vais dire. Tu n'es plus mon fils. J'ai été tolérant beaucoup trop longtemps et j'en ai assez. Dans six mois, tu auras dix huit ans et tu auras ton bac. Je ne veux plus te voir après. » Mon père, contrairement à ma mère, s'est toujours forcé à m'aimer. Il ne m'a jamais vraiment aimé en fait, il s'en faisait juste un devoir. Il me donnait de l'amour. Un amour hypocrite. Un amour qui n'était pas un amour donc. Ma mère était complétement soumise à mon père. Quand il lui a fait part de sa décision, ma mère en a pleuré pendant des mois et des mois mais n'a rien fait pour le faire changer d'avis. Mon bac en poche et enfin majeur, je quitta la maison familiale sans aucun regret et aucun remord. Une nouvelle aventure commençait pour moi et je devais avouer que la voix de ma tendre mère me manquerait peut-être un peu.
Je me suis trouvé un coin tranquille. Je vis dans un tout petit appartement mais j'y suis bien. Mes murs sont plein de photos et mon lit est aussi mon canapé. Je n'ai eu besoin de personne pour commencer des études et faire quelque chose qui me passionne. Quand il m'arrive de m'ennuyer, je pense à l'amour. J'aimerais tellement être amoureux. Pourtant, ce n'est pas une maladie qui semblait vouloir me toucher et le monde entier continue à m'indifférer. Il y a bien des exceptions. Oui, il y a des gens qui me fascinent. Des gens beaux, des vieux plein de rides, des enfants souriant, des SDF... Mais je n'en suis pas amoureux. J'ai gardé mon goût pour l'esthétisme et j'ai un look d'artiste déluré qui au final est très classe. Je parle seulement quand j'y suis obligé donc pas souvent... Les gens m'ont accepté même s'ils ont longtemps cherché pourquoi j'étais si différent d'eux, ils ont fini par comprendre : je suis LE garçon honnête de la ville. Quand ils ont besoin d'un avis sur quelque chose ou quelqu'un, ils viennent me parler. Par contre, on ne me confie rien. Je ne sais pas tenir un secret à cause de ma franchise. Au final, je me plais bien ici. Dans la mesure du possible, on me fiche la paix même si je suis bizarre et trop direct, les gens ne se formalisent plus là-dessus. Je suis la bizarrerie de la ville et tout le monde s'y est accommodé au point de ne plus me prêter d'attention. J'ai réussi à me fondre dans le paysage. Suis-je vraiment si "étranger" au monde alors?