and you can see my heart beating you can see it through my chest.

J’étais assise sur un banc, les bras engourdis par le froid, les cheveux en bataille qui montraient le travail que j’avais fourni aujourd’hui, les yeux rivés sur mes chaussures, la tête vide. Le vent soufflait sur mes frêles épaules découvertes. J’avais chaud. Trop chaud. A vrai dire, j’étais complètement épuisée par ma journée de travail au restaurant. Il y avait eu beaucoup de clients et beaucoup de nettoyage à faire. J’étais passée partout : aux toilettes, à la vaisselle et au service. Ce n’était pas possible de travailler autant pour un salaire peu méritant. Mais bon, il fallait bien que je vive, et ce travail était la seule chose que j’avais réussi à trouver. Il faut dire que j’avais arrêté les études alors je ne pouvais pas avoir quelque chose de très prestigieux. D’ailleurs, je me demandais bien ce que j’allais faire de ma vie. Je n’avais pas de situation stable. J’étais tel un oiseau migrateur : volant au fil des saisons, changeant constamment d’avis et d’environnement. Je n’avais pas d’objectif, pas de but à suivre, rien. J’étais comme inerte. Et j’avoue que cela me laissait à force. Certes, j’étais venue à Arrowsic pour penser toutes mes blessures, et bien que j’avais du mal à redevenir celle que j’étais vraiment, j’avais envie de faire quelque chose. Faire chose de ma vie. Vivre. Beaucoup d’idées fusaient dans ma tête. Toutes les directions étaient à ma portée, enfin, je le croyais. Mais avoir arrêté des études était quelque chose qui me freinait sur toutes les routes. Alors je me rendis à l’évidence : je devais reprendre mes études. Oui, mais quoi ? Quoi faire ?

Alors que je me tourmentais la tête, le temps continuait à s’écouler autour de moi, sans que je ne m’en aperçoive. L’automne était parti depuis bien longtemps, et des fleurs commençaient à murir un peu partout : dans les arbres, par terre. C’était un spectacle merveilleux. La nature était respectée et elle prospérait dans tout le parc. On pouvait distinguer quelques écureuils qui se réfugiaient dans les arbres, alors que le ciel commençait à devenir sombre. Je n’avais même pas remarqué à tel point le temps passait vite. Depuis combien de temps étais-je assise ici ? Personne ne faisait attention à moi de toute façon. Je m’y étais habituée. Je m’étais habituée à être une ombre, un homme invisible, bien que cela me blessait, je l’avoue. Je n’étais pas la fille qu’on remarquait et à qui on avait envie de parler, au contraire : j’étais plutôt celle qui se cachait de peur qu’on la voit et qu’on la juge. Je restais dans mon petit trou, dans ma petite cachette, dans ma bulle. J’étais fermé au monde extérieur. Malgré tout, j’essayais de cacher cette carapace qui m’entourait. Petit à petit, j’allais sortir de mon trou, de ma cachette. Lentement, j’allais percer ma bulle et casser ma carapace. J’en avais le pressentiment.

Au loin, dans la brume d’Arrowsic, un claquement régulier et saccadé perturba ce silence si harmonieux. Je reconnaissais ce bruit, il m’était familier. Je l’avais déjà entendu plusieurs fois, mais où ? Ma mémoire me faisait faillite. Impossible de savoir. Ce bruit se rapprocha de moi, devenant de plus en plus fort et agaçant. Je regardais en direction de ce son venu de nulle part, et arrivait peu à peu à distinguer une silhouette. Et puis là, le choc. Une claque en pleine figure. Un missile arrivé de je ne sais où. Un tremblement de terre. Un tsunami. Une secousse. Un étouffement. Plein de sentiments se mêlaient en moi en même temps, à tel point que je n’arrivais plus à bouger. Mon cœur se mit à battre rapidement, sans que je ne puisse contrôler cette soudaine accélération. Je n’arrivais pas à le croire. Joy était là, devant moi, en chair et en os. Mais que faisait-elle ici ? Pourquoi ici, à Arrowsic ? J’avais l’impression qu’un extra-terrestre avait atterri. Je ne m’en remettais pas. Et tous les souvenirs vinrent se secouer et remonter à la surface. New York. Les discothèques. Les garçons. L’alcool. La drogue. La concurrence. La méchanceté. L’hôpital. La manipulation. Les faux sourires. Les disputes. Ma perte. J’aurais aimé tout oublier, tout enfouir autour de moi, mais tout cela prenait une trop grande partie de moi, je le savais. J’avais envie de pleurer et de crier. Crier ma peine, ma colère de la voir ici après tout ce qu’elle m’a fait. La voir si heureuse d’elle-même, avec son air sadique que je lui connaissais tant. Non, le visage de Joy était le dernier que je voulais voir. Abasourdi, à perte de souffle, je finis par dire : « JOY ?! Mais qu’est-ce que tu fais là ?! » Je ne pouvais pas en dire plus, d’ailleurs je n’avais même pas écouté ce qu’elle avait dit, je m’en fichais. Le fait était là : Joy se tenait devant moi. Elle allait hanter ma vie, à nouveau. Elle allait me détruire, à nouveau. Non cette fois-ci, elle allait m’achever, pour toujours.