Plus jamais. Plus jamais, je ne mangerai le moindre petit fruit de mer, aussi appétissant soit-il. Oh non. Si c’est pour finir la tête au dessus des chiottes d’une part, avant d’être emmené de force à l’hosto, ce n’est pas la peine. Putain, je me souviendrai de cette soirée et de cette huitre si délicieuse, qui m’a finalement laissé un arrière gout des plus amers. Moi, Raphaël Emrick Hogan, âgé de 24 ans, je jure solennellement que plus jamais je ne toucherai le moindre fruit de mer. Voir même tout ce qui provient de ce satané Océan. Qu’on me coupe la tête si jamais je n’honore pas ma promesse.
Après quelques heures passées aux urgences, ils avaient finalement décidé de me garder toute la nuit. J’étais ravi, vraiment ravi… Un mal de bide insupportable, la gorge en feu. La honte sérieux. Une indigestion qu’ils appellent ça. Un mot plutôt mignon pour qualifier une gerbe phénoménale, non ? La nuit n’avait pas été merveilleuse… pour faire simple, je n’avais pas réussi à fermer l’œil. Et pour cause, j’avais à côté de moi, dans le même boxe, seulement séparé par un vieux rideau, un papi Alzheimer qui s’était cassé la figure quelques heures plutôt dans l’après-midi. Il avait hurlé toute la nuit, demandant à aller aux toilettes toutes les dix minutes, rétorquait qu’il ne voulait pas crever ici, et enfin, appelait sa femme pour qu’elle lui donne un verre d’eau. Ladite femme qui n’était visiblement plus de ce monde depuis longtemps vu le discours que lui avait tenu l’infirmière toute la nuit. Mais il ne voulait rien entendre, affirmant qu’il n’avait besoin que de son premier amour. Mon insomnie m’avait alors envoyé moi aussi, vers mon premier amour. J’avais pensé à Abbey. Longtemps. Pratiquement toute la nuit d’ailleurs. Drôle d’histoire.
Au petit matin, alors que le vieux monsieur s’était enfin assoupie, l’infirmière s’était excusé pour la nuit que j’avais passé avant de m’annoncer que je pourrais sortir en milieu de matinée. Et c’est ainsi que deux heures plus tard, quelques papiers à la main, j’avais enfin quitté les urgences. Je devais me rendre à l’accueil au rez-de-chaussée pour régler ma note. Comme une nuit d’hôtel. Super. J’avais le visage ravagé par la fatigue et ne pensais qu’à une chose : dormir. L’ascenseur mit un sacré temps à arriver et j’attendis que tout le monde avant de pouvoir entrer et de tomber nez à nez avec… « Tiens Abbey ! Ouais, ça va mieux… » Marmonnais-je avec une petite moue pas très ragoutante. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » l’ascenseur reprit son ascension… jusqu’à ce qu’un bruit sourd se fasse entendre et que les lumières s’éteignent brusquement. « Ooooh putain. » grinçais-je en soupirant. « Nan mais sérieux, je crois que je porte la poisse. » crispant ma mâchoire, je portai mon regard sur Abbey. Je parvenais à distinguer ses traits à la lumière verdâtre de la diode issue de secours.

J’étais surpris de voir Abbey ici. C’était plutôt une drôle de coïncidence, non ? J’avais pas mal pensé à elle hier soir, et cette nuit, et voilà que je tombais justement sur elle ce matin. Elle avoua d’ailleurs être venue pour me voir. Je souris légèrement, la trouvant vraiment adorable. Abbey avait toujours été adorable de toute façon, même gamine, elle l’était, et en grandissant, elle était restée la même. Je n'eus pas le temps de répondre que les lumières s’éteignirent brusquement et l’ascenseur s’arrêta entre deux étages. Sérieusement, manquait plus que ça. Après une indigestion, une nuit de merde passée à l’hôpital, manquait plus que je reste coincé quelques heures dans un ascenseur en panne, et là, je pourrais vraiment affirmer que j’avais une VDM… oui, une vraie vie de merde comme on les aime. Je pourrais même, dès ma libération poster cette petite anecdote sur le site web, j’étais certain de recevoir de nombreux « tu l’as bien mérité ! »… Non, c’était clair, mes potes allaient se foutre de ma gueule !

Au moins, le point positif c’était que je n’étais pas bloqué seul. Abbey était là, mais bizarrement, elle ne semblait pas aller vraiment bien. Peut-être que l’arrêt brusque de la cabine l’avait un peu secouée ? « Oh non ! Je déteste ce genre d’endroits en plus ! » S’exclama-t-elle tout en s’approchant du bouton d’appel de secours. Elle s’acharna d’ailleurs dessus, chose qui me fit arquer un sourcil. La pauvre, elle semblait vraiment paniquée tout à coup. C’était se retrouver bloquer avec moi qui la mettais dans de tels états ? Intéressant… Je m’étais approché d’elle et avait posé ma main sur la sienne, la retirant alors du bouton rouge. « Tu vas finir par le déglinguer, et là, on sera encore plus dans la merde… » Dis-je dans un demi-sourire. Mais cela ne sembla pas avoir un effet sur elle, Abbey était presque devenue blanche. « Tout ça c’est de ma faute ! Oh je suis vraiment désolé Raphaël ! » Reprit-elle avant de se crisper. J’arquais un sourcil. « Pourquoi tu dis ça… ? C’est pas de ta faute voyons, c’est cet hôpital de merde là ! » Répondis-je en soupirant. J’espérais que quelqu’un viendrait vite à notre secours. Car même si j’étais en bonne compagnie, je préférais largement rentrer chez moi et me pieuter. « Dis t’es pas claustrophobe quand même ? » Elle commençait sérieusement à m’inquiéter.

C’était une situation des plus cocasses en fait. Un joli tour du destin on va dire… Ouais, le destin avait-il voulu que je me retrouve, aujourd’hui, coincé dans un ascenseur avec Abbey ? Je l’observais d’ailleurs, cette jolie blonde. Jolie, oui, c’était le moins que l’on puisse dire. Abbey était bien plus que jolie en fait, c’était une femme sublime. Magnifique, et, sans doute trop obnubilé par mon ex, je n’avais sans doute jamais pris conscience de la beauté éblouissante de mon premier amour. Je m’en rendais à présent compte, alors que, coincé ici, j’avais tout le loisir de l’observer. Elle commençait même une mini crise de panique, et même si je tentais de rester calme et sérieux, je ne pouvais m’empêcher un petit sourire de la voir comme ça. Ha Abbey… on ne la refera pas ! Et si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. Ses mots me troublèrent pourtant… Déjà, je me demandais comment elle avait su que j’avais passé la nuit ici, mais, outre ça, je ne comprenais pas. Que voulait-elle dire par « C’est à cause de moi que tu es ici, Raphaël. » ? Est-ce que c’était elle qui avait provoqué la panne d’asceneur ? Pour le plaisir de se retrouver confiner avec moi ? Si ce n’était que cela, je ne pouvais pas lui en vouloir. Sa présence m’apaisait le cœur, bien plus que je n’avais pu l’imaginer… Et je la percevais à présent autrement que comme la petite fille avec qui je jouais autrefois à chat bougie. Je fronçais les sourcils. « Comment ça c’est ta faute ? Je capte rien, explique ! » Demandais-je en ne la lâchant pas du regard. J’étais intrigué, trop pour qu’elle ne s’arrête là. Maintenant qu’elle venait d’attiser ma curiosité, je voulais qu’elle se livre plus, car j’étais certain qu’elle ne parlait pas de la panne d’ascenseurs. Je soupirais et fini par m’adosser au mur, me laissant alors glisser contre celui-ci. L’appel au secours d 'Abbey ne semblait pas donner de suite… Alors si nous étions partis pour passer une bonne partie de la journée enfermés ici, autant qu’on prennent nos aises dès maintenant. Elle me regardait, et je ne pu m’empêcher une petite remarque, le cœur légèrement battant. « C’est marrant, j’ai pas mal pensé à toi… ces derniers temps… et pouf… te voilà… ». J’avais du mal à comprendre ce qu’il se passait dans ma tête. Pourquoi, après tant d’années, Abbey me faisait-elle cet effet là ?

J’ignorais si c’était mon manque de sommeil qui me jouait des tours ou si Abbey venait à l’instant de m’avouer un truc énorme. Non, non, cela devait être mon manque de sommeil, je ne pouvais croire ce qu’elle venait de me dire. Elle avait mis du beurre de soja dans mon plat ? C’était quoi cette histoire ? C’était quoi le but de tout ça ? Je n’y comprenais rien, mais vraiment rien du tout. D’ailleurs, je pense que mon visage me trahissait. Sourcils froncés, bouche à moitié entrouverte prête à gober des mouches, je la regardais totalement incrédule. Je mis un petit temps à réagir, ne sachant pas quoi répondre à ça. Est-ce qu’elle débloquait ?! « Que… Quoi ? » dis-je alors au bout d’un certain temps. « Mais… Pourquoi t’as fait ça ?! Tu voulais que je me retrouve à l’hôpital ? Pourquoi ? » Non, j’avais beau remuer ce qu’elle venait de dire dans mon esprit, je ne voyais pas la raison qui l’avait poussé à faire ça. Je m’étais laissé glissé jusqu’au sol. J’étais trop interloqué pour lui en vouloir ou quoi que ce soit. De toute façon, je n’en avais pas la force après la nuit horrible que j’avais passée. Je me surpris même à rire quelque peu. C’était plus nerveux qu’autre chose, mais un éclat de rire sortit de ma gorge. Unique et impassible, il s’estompa aussi rapidement qu’il était arrivé. J’étais en train de rêver. Ca devait être ça, j’étais en plein rêve. La remarque suivante d’Abbey me fit sourire. Magique… Ouais, ça, elle l’était. « C’était tellement plus cool quand on était gamins et qu’on se contentait de jouer à chat bougie… » murmurais-je alors en remontant mon regard le long de ses jambes. Un léger vent nostalgique me passa dessus alors que je nous revoyais, enfants, plus insouciant que jamais. A cette époque là, elle ne pensais pas à m’empoisonner, hein ? « Qu’est-ce que je donnerais pour retourner à cette époque… » C’était vrai qu’on était bien. Jeune, avec l’avenir devant soit… Maintenant, tout était si compliqué… Maëlle, Abbey…

Je ne comprenais rien. Rien du tout à ce qu’elle me racontait, et à vrai dire, sur le moment présent, je n’avais ni l’envie ni la force d’essayer de comprendre. J’avais la tête prise dans un étau, tambourinant telle une machine à laver lancée dans un essorage de haute compétition. Boom Boom Booom Boooom. Je sentais mes tempes me bruler et la lumière de l’ascenseur m’éblouissait. J’étais fatigué. Littéralement crevé et je n’avais qu’une envie, fermer les yeux.
Chose que je fis d’ailleurs assez rapidement, écoutant Abbey parler. J’aimais sa voix. Elle était douce et fluide. Elle était apaisante. Abbey. Pas uniquement sa voix. Elle toute entière m’apaisait sans que je ne sache réellement pourquoi. Bizarrement, je ne pensais plus trop à Maëlle, alors que c’était pourtant bien elle qui occupait toutes mes pensées d’habitude. Mais là, je ne sais pas comment si pourquoi, mon esprit se libérait peu à peu de cette brunette pour se focaliser sur la blondinette avec laquelle j’étais coincé dans l’ascenseur de l’hôpital d’Arrowisc. « Je comprendrais très bien si tu me détestes, maintenant. » Ses mots me firent sourire et je m’obligeais à rouvrir les paupières pour poser mon regard sur elle. Elle était tellement belle, bien que légèrement plus blanche que d’ordinaire. « Ne dis pas n’importe quoi, je ne vois pas pourquoi je te détesterai… » Répondis-je. Bon, d’accord, elle venait de m’avouer avoir mis du beurre de soja dans mon plat. Rajoutant même qu’elle savait que j’étais allergique au beurre de soja. Je ne comprenais pas pourquoi mais je m’en fichais.

Elle semblait à la fois surprise et soulagée de ma réponse. Je continuais de l’observer, me remémorant des souvenirs passés… Passés depuis bien longtemps, presque quinze ans même, et pourtant ils semblaient toujours aussi intacts dans mon esprit. A l’époque où nous étions gamins, nous nous fichions pas mal de ce qui pourrait nous arriver. Je me fichais pas mal de me dire que je trouvais Abbey tellement jolie avec ses cheveux blonds et ses grands yeux bleus. Je me fichais de me dire que c’était bizarre de penser à elle ainsi après des années, que c’était étrange que mon cœur s’emporte ainsi quand elle apparaissait. Oh oui, à l’époque, cela m’importait peu. Mais aujourd’hui, cela m’amenait à me poser certaines questions. J’avais les yeux brillants de fatigue et de nostalgie, et un léger sourire s’était posé sur mes lèvres. J’avais certainement l’air niais. Je fini par tendre ma main vers elle, l’attrapant et l’obligeant à s’assoir à côté de moi. « Viens… » Elle allait finir par me donner le vertige. Une fois qu’elle se fut assise, je posais ma tête contre son épaule et refermais les yeux. « J’sais pas pourquoi, j’ai pensé à toi quasiment toute la nuit… » murmurais-je plus pour moi-même que pour qu’elle m’entende. « T’es de plus en plus belle… »…