L'année universitaire d'Owen touchait à sa fin, et les cours devenaient de plus en plus épars. Aujourd'hui par exemple, il n'avait eut que deux petites heures à passer enfermé dans un amphi de l'université. Pour cela, il avait bien évidemment dut se lever tôt, mais ce n'était pas un problème pour lui. A vrai dire, il habitait encore dans son van et en temps normal, il se réveillait presque en même temps que le soleil. Les oiseaux qui se mettaient à chanter de bon matin étaient son réveil habituel, et même si leur chant était insupportable pour la plupart des gens de son âge, Owen aimait ça. Tout ça faisait partie de sa vie de vagabond, et un matin sans entendre les oiseaux marquait pour lui le début d'une mauvaise journée.

Sa journée ayant été écourtée, le jeune homme avait donc profité de l'occasion pour aller se balader. Il avait saut dans son van bien aimé, et avait prit la route au hasard... Il était sorti de la ville, et avait roulé jusqu'à trouver un petit coin de campagne qui lui convenait. Owen s'était alors garé à l'ombre d'un grand arbre, et avait sorti sa guitare. Puis il s'était installé dos à l'arbre en question, avait posé son chapeau à côté de lui et avait commencé à jouer quelques accords. Il aimait tout particulièrement ces moments-là, ces moments de solitude où il pouvait être tranquille, loin de l'agitation de sa vie quotidienne. Même si Arrowsic était une petite ville relativement calme, le jeune britannique préférait de loin le silence absolu, simplement rythmé par le bruit d'un ruisseau, ou le souffle du vent... C'était son côté poète, limite hippie, mais il l'assumait totalement. Les gens le qualifiaient d'ailleurs la plupart du temps de hippie, tout ça parce qu'il circulait en van, et qu'il trimbalait par la même occasion un énorme cliché avec lui. Mais cette comparaison le faisait sourire. Pour lui, ça n'avait rien d'insultant, bien au contraire, il appréciait beaucoup ce monde et ce mouvement des années 60 auquel il aurait aimé participer s'il était né quelques dizaines d'années plus tôt. Après avoir joué pendant un bon moment, Owen s'allongea au pied de son arbre, posa son chapeau sur son visage et entama une bonne sieste bien méritée. Celle-ci se prolongea pendant plusieurs heures, et lorsqu'il se réveilla, le soleil était déjà sur le point de se coucher. Avec un grand sourire, il se redressa donc et remonta dans son véhicule pour repartir vers la ville. En chemin, il sifflotait nonchalamment tout en tapotant son volant du bout des doigts. Malgré les examens qui approchaient à grand pas pour lui, Owen paraissait hyper détendu, comme à son habitude. C'était dans son tempérament : il ne savait vraiment pas stresser, même pour les choses importantes.

Alors qu'il s'approchait de l'entrée d'Arrowsic, quelque chose attira son attention. Une voiture était arrêtée sur le bord de la route, et une légère fumait semblait s'échapper du capot de cette dernière. Owen appuya légèrement sur la pédale de frein, mais resta figé lorsqu'il vit la jeune fille qui était postée prés du véhicule. C'était elle ! C'était cette fille qu'il ne cessait de croiser depuis quelques mois, et à laquelle il ne cessait de penser depuis leur première « rencontre ». Machinalement, Owen accéléra de nouveau et s'éloigna d'elle. Mais il retrouva vite la raison, et freina brusquement. Mais que faisait-il ? Elle avait un petit ami, et alors ? Même si au fond ce gars le rendait jaloux, il devait tout de même rester correct. Après tout, cette fille ne l'avait certainement jamais remarqué, elle ne le connaissait même pas, et il se devait de l'aider. Par conséquent, Owen fit marche arrière, jusqu'à se garer tout près de la voiture et de la jeune fille en question. Ses mains étaient comme scotchées sur le volant, il regardait droit devant lui et n'osait pas descendre de son van. C'était ridicule, complètement ridicule. Il prit son courage à deux mains, puis une grande inspiration et ouvrit doucement sa portière. Sans même descendre de son véhicule, il pencha la tête vers l'extérieur, et regarda cette fille qui attendait sur le bord de la route. Timidement, il se racla la gorge puis lui demanda : « Euh... Besoin d'aide ? ».

Le fait de reconnaître cette fille sur le bord de la route avait provoqué chez Owen une réaction... étrange. A vrai dire, même s'il ne la connaissait pas, elle le troublait. Et le jeune homme se trouvait totalement ridicule ! La première fois qu'il l'avait croisée dans la rue, il n'avait pas osé l'aborder... Alors il était resté à une bonne distance d'elle, et il s'était contenté de la regarder sans bruit, puis il était reparti dans son van le sourire aux lèvres. Mais le soir venu, il regrettait déjà son attitude de gamin timide, et il se fit promettre qu'à leur prochaine rencontre, il trouverait un moyen d'aller l'aborder, au moins lui parler. Et ce jour était venu : il l'avait aperçue au coin d'une rue, et son visage s'était à nouveau illuminé d'un sourire. Owen s'était empressé de marcher dans sa direction, mais bien vite son sourire s'effaça, et il ft contraint de passer son chemin sans même la regarder, ni lui adresser un seul mot. La jeune fille était tout simplement au bras d'un grand brun, qui se trouvait être son petit ami d'après les apparences. Le britannique était donc reparti vers son van les bras ballants et la mine déçue. Comment avait-il pu imaginé avoir une chance avec cette fille, franchement ? Elle ne l'avait même pas regardé, d'ailleurs elle n'avait pas du le voir du tout. Son petit ami était tellement grand, tellement musclé, tellement parfait que les autres hommes devaient passer inaperçus à ses yeux, et c'était bien normal. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais à sa grande surprise, Owen n'arrivait pas à oublier ce visage. Souvent, quand il dormait seul à la belle étoile, il repensait à elle. Parfois même il se surprenait à pester contre le garçon avec qui elle se promenait la dernière fois qu'il l'avait vue. La jolie blonde lui avait vraiment tapé dans l’œil mais malheureusement pour lui, il ne faisait carrément pas le poids ! Ses songes se terminaient toujours sur cette même conclusion, et il s'endormait simplement en la revoyant marcher dans la rue au bras de l’apollon qui lui servait de petit ami.

Alors quand il l'avait croisée au bord de la route, il avait presque paniqué, et en avait « oublié » de s'arrêter pour la secourir. En fait, il s'était simplement figé sur son volant, et son pieds avait été incapable de pivoter pour appuyer sur la pédale de frein. Mais fort heureusement, il s'était reprit et avait retrouvé ses esprits. Certes, il devait actuellement passer pour un vrai demeuré qui ne savait pas ce qu'il faisait, mais au moins, il s'était arrêté. C'était pour lui l'occasion rêvée d'aborder cette fille et de lui parler, tout simplement. Même s'il avait désormais perdu tout espoir de la séduire et qu'il était redevenu réaliste, il nourrissait toujours l'espoir de se rapprocher d'elle, ne serait-ce que pour devenir son ami. Après tout, c'était mieux que rien ! Et puis, les histoires d'amour à la suite d'un simple regard dans la rue, ça n'existait que dans les films de toute façon.

Par précaution (ou par timidité?) Owen avait d'abord demandé à la jeune fille si elle avait besoin d'aide. Évidemment, la question était stupide, et elle lui répondit qu'un petit coup de main ne serait pas de refus. Owen répondit par un simple sourire, puis il descendit de son véhicule. Ses yeux se fixèrent sur la fumée qui s'échappait de plus en plus gaiement du capot de la voiture, et il s'approcha de cette dernière en grimaçant un peu. « Oh... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je... je peux voir ? » demanda-t-il timidement en désignant la voiture en question. Après tout, la plupart du temps, c'est lui qui réparait son propre van, alors il avait peut-être une chance de comprendre ce qui se passait sous ce capot fumant. Bien sûr, il ne comptait pas bricoler comme il pouvait le faire sur son véhicule, mais si elle avait de la chance, cette panne ne serait pas très grave. Il pourrait donc arranger ça, au moins pour qu'elle puisse rentrer chez elle sans trop d'encombres.

Owen avait finalement prit son courage à deux mains, il avait fait en sorte d'effacer ses a priori sur cette fille, et il était descendu de son van pour l'aider. Le jeune homme devait faire preuve d'une grande concentration pour ne pas dire n'importe quoi, pour ne pas se ridiculiser. Enfin, c'était peut-être déjà trop tard pour ça ! Après avoir tracé sa route, puis changé d'avis et fait marche arrière, la jolie blonde devait sérieusement douter de son état psychologique. Elle devait le prendre pour un de ces gars qui ne savent pas ce qu'il veulent ou pire, pour un pervers qui s'était arrêté seulement après l'avoir aperçue. Et pourtant, il n'était rien de tout ça, loin de là. Il était juste horriblement et indéniablement troublé par cette inconnue. Mais pour être « efficace », il devait mettre de côté tout ça, et simplement apprendre à la considérer comme une fille normale. Après tout, il était un homme ! Il n'allait pas se laisser déstabiliser par ses yeux à tomber ! Pas après tout ce qu'il avait vécu et surmonté au cours de sa vie. Techniquement, il était beaucoup plus fort que ça.

Il lui posa alors une question, on ne peut plus banale certes, mais c'était déjà ça. Il l'avait même fait sans trop bafouiller, et rien que ça, c'était une petite victoire pour le jeune britannique. Toutefois, il n'eut pour seule réponse qu'un léger haussement d'épaules qui le fit sourire à nouveau. Mais tout à coup, il se passa quelque chose de plutôt inattendue... L'espace de quelques secondes, Owen se sentit observé, épié... Le moment sembla durer une éternité, et être beaucoup trop court à la fois. Le jeune homme resta figé pendant un instant, en se demandant ce qui était en train de lui arriver. Puis, un peu gêné, il reprit la direction de la voiture en se raclant la gorge. Il l'avait bien vue ! Elle venait clairement de le dévisager ! Mais il préféra faire abstraction de ça, ce n'était peut-être que le fruit de son imagination. Il avait probablement du interpréter un simple petit regard de la part de la jeune fille, en ce qu'il aurait voulu voir. Pourquoi l'aurait-elle regardé avec autant d'insistance de toute façon ? Mis à part pour s'assurer qu'il n'avait rien d'un psychopathe... il ne voyait rien d'autre. C'est alors qu'elle l'autorisa à jeter un œil sous le capot de sa voiture, ce qu'il s'empressa de faire. Là-dessous au moins il n'était pas obligé de parler, et il ne pouvait ainsi pas dire, ni faire de bêtise. Owen leva donc prestement le capot du véhicule, et plongea sa tête en direction du moteur qui fumait encore allègrement. Le jeune homme remonta alors son pantalon avec plus ou moins de classe, histoire de ne pas laisser à l'inconnu une vue plongeante sur son caleçon. A vrai dire, il ne se souvenait pas exactement duquel il avait enfilé ce matin, et étant donné qu'ils n'étaient pas tous vraiment neufs, il préférait éviter les visions compromettantes.

Après avoir trifouillé quelques boulons, et s'être au passage brûlé les doigts, Owen refit surface. S'il avait été en face de son propre van, il aurait essayer de dévisser et revisser quelques pièces ça et là, mais sur cette voiture inconnue, il n'osait rien toucher. Par conséquent, il haussa à son tour les épaules et afficha une petite moue désolée en direction de la belle inconnue. « Hum... Désolé, je ne veux pas faire de bêtises, il vaudrait mieux appeler quelqu'un qui s'y connaît vraiment... » Sa tentative avait échoué, mais il valait mieux ça. Au moins, il n'avait pas ruiné sa voiture sous prétexte qu'il pouvait la réparer seul. Owen, qui n'était plus sous la protection du capot de la voiture et de la mécanique, se trouvait maintenant un peu mal à l'aise face à elle. A vrai dire, il ne l'avait jamais approchée de si près, et ses yeux ne gâchaient vraiment rien à l'idée qu'il s'était faite d'elle. Au contraire, ils avaient sur lui un véritable pouvoir attractif, si bien qu'il se forçait à regarder ailleurs pour ne pas être trop déstabilisé. Maladroitement, et pour se donner une certaine contenance, il se grattait la nuque. Puis, pour briser ce silence qui s'installait peu à peu entre eux, il reprit : « Vous connaissez un garagiste plus doué que moi ? » Owen faisait vraiment tout pour se donner du courage face à elle, et cette petite note d'humour était un signe : il voulait vraiment se sentir plus à l'aise, et ne pas passer pour un petit étudiant coincé. Tout en souriant, il refixa alors son regard sur elle et s'efforça de tenir plus longtemps que la dernière fois...

Owen s'était donc plongé sous le capot de la voiture dans l'espoir de sauver cette jolie fille en détresse. Enfin, pour le coup, il avait plutôt fait ça pour se cacher, se camoufler derrière une fausse mission et surtout SURTOUT ne pas croiser son regard. Bizarrement, il avait peur de plonger ses yeux dans ceux de la jeune fille. A coup sûr, ça allait le faire bégayer, il allait dire n'importe quoi en voulant être drôle, et au final il serait pathétique. Maintenant qu'elle était là, tout près de lui, pas question de lui faire peur, Owen en voulait pas qu'elle s'enfuie en pensant qu'il n'était rien d'autre qu'un gros lourd. Tout en se concentrant sur cette maudite voiture (qui lui avait néanmoins permis de parler à sa belle inconnue pour la première fois!) il eut un juste machinal qui frisait l’indécence. Même si ce n'était pas vraiment écrit sur son front, Owen avait bien vu que la jeune fille en face de lui n'était pas réellement de la même « classe » que lui. Rien qu'en comparant leurs deux véhicules, la conclusion était vite faite... Autant dire que l'idée de remonter son pantalon plus ou moins élégamment n'avait pas spécialement était la meilleure qu'il avait eue de la journée. D'ailleurs, la réaction de la jeune fille en question ne se fit pas attendre longtemps, le britannique entendit un petit rire derrière lui. Aussitôt il se redressa pour s'excuser de ce geste déplacé, mais il avait déjà oublié la proximité du capot au-dessus de sa tête. Et ce qui devait arriver arriva : un bruit sourd se fit entendre, et Owen étouffa une injure. Sa maladresse venait tout juste de refaire surface et lui avait valu un grand coup de tête dans le métal chaud du capot. Il fronça alors les sourcils, un peu vexé et gêné à la fois, se renfrogna et replongea au plus près du moteur, sans même tourner la tête. Quel imbécile ! Il devait vraiment être ridicule, et l'inconnue devait languir qu'il s'en aille pour pouvoir appeler un VRAI sauveur !

Finalement, le piètre mécanicien qu'il était renonça, il rendit les armes sans avoir trouvé de quoi il s'agissait. Pourtant, il aurait vraiment voulu faire quelque chose, simplement pour l'aider mais aussi et surtout pour l'impressionner. En effet, même si Owen avait perdu tout espoir de séduire sa belle inconnue, elle restait tout de même un vrai mystère pour lui. Un délicieux mystère même. Il aurait tellement aimé la connaître, avoir eut le courage de l'aborder ce jour où il l'avait trouvée au bras d'un autre garçon. Ce jour-là avait été une véritable et profonde déception pour Owen. Le soir venu, il était parti s'isoler au bord d'une rivière comme il le faisait souvent, il s'était installé contre son van et avait bu. Toute la soirée, les bouteilles de bières avaient défilé, et tout ça l'avait beaucoup aidé à se faire une raison. Tout en étant résigné, il ne cessait de repenser à elle, de l'imaginer en train de marcher dans cette rue. Il pensait aussi à tout ce qu'il aurait pu lui dire s'il lui avait parlé, mais maintenant qu'elle était là, qu'ILS étaient là, tout était différent et il faisait beaucoup moins le malin.

La jeune fille avait visiblement mis quelques espoirs en lui, et Owen n'en était que plus honteux de ne rien pouvoir faire pour elle. Il afficha alors une petite grimace désolée, et s'approcha d'elle en haussant les épaules. « Oh, si vous comptiez sur moi... je suis un Mac Gyver bien décevant alors... » Il répondit au sourire de la belle en faisant de même, puis reposa ses yeux sur la voiture qui fumait un peu moins qu'avant. Malheureusement, Owen n'avait pas gardé le numéro de son propre garagiste, et le seul moyen de s'en sortir était désormais d'aller le trouver directement. Bien sûr, il devait pour cela lui proposer de l'emmener dans son van, mais le jeune homme n'était pas très à l'aise à l'idée de lui faire cette proposition. Après tout, elle ne le connaissait pas, et elle n'avait donc aucune raison d'accepter... Il ne voulait surtout pas passer pour un profiteur, mais en réfléchissant un peu plus longtemps, il ne trouva aucune autre solution. Si elle comptait rentrer en ville à pieds, la nuit la rattraperai certainement avant qu'elle n'arrive. Et puis finalement, le fait de la ramener était peut-être une occasion de reconquérir son titre déchu de Mac Gyver ! Il prit alors une longue inspiration, puis lui demanda : « Euh... Si vous voulez, je peux vous déposer en ville et... vous reviendrez ici avec un VRAI Mac Gyver... » ajouta-t-il en souriant, et en posant pour la première fois ses yeux sur elle sans les détourner au bout d'une seconde.

Owen avait donc franchi un grand pas en la regardant dans les yeux sans ciller, mais il le regretta très vite. Le temps s'était littéralement arrêté pendant ses quelques secondes où meurs regards respectifs s'étaient accrochés. Le jeune saltimbanque avant senti son cœur s'emballer dans sa poitrine, même s'il se détestait intérieurement. Pourquoi avait-il fait cela ? Au fond, il devait bien savoir quelle réaction ça provoquerait chez lui, et il devait absolument s'interdire de la séduire de quelque manière que ce soit. Elle avait déjà un petit ami, et Owen respectait ce genre de choses. Il n'était pas un de ces mecs qui venaient rouler des mécaniques devant les filles pour les forcer à devenir infidèles. Si l'inconnue était heureuse avec son grand mec frisé, il n'était pas de son ressort de briser leur histoire. Lui qui croyait s'être fait une raison, il se surprenait à l'imaginer à ses côtés, encore. Le simple fait de croiser son regard ranimait en lui ses espoirs les plus fous, mais aussi les plus interdits. La seule chose qu'il espérait à ce moment précis était qu'elle refuse sa proposition. Il aurait alors pu s'enfuir, repartir seul dans son van, et ne plus risquer de la regarder et d'imaginer les pires dérapages avec elle.

Ses yeux s'étaient une nouvelle fois dérobés devant elle, et Owen attendait presque fébrilement la réponse de la jeune femme. Elle commença par hésiter, et le jeune homme se prit à espérer qu'elle parte en courant, en le prenant pour un dangereux psychopathe et en fuyant loin de lui. Depuis le temps qu'il rêvait de la revoir, voilà qu'il ne désirait qu'une chose : son départ. Parfois, Owen était vraiment quelqu'un d'incompréhensible, et lui-même ne trouvait pas toujours les clés pour venir à bout de ses réflexions. Après quelques secondes qu'il passa à fixer pitoyablement le sol, l'inconnue reprit la parole. Contre toute attente, elle accepta d'ailleurs son « offre ». Owen resta un peu interdit devant cette décision... Ça sous-entendait donc qu'elle allait être là, tout près de lui, dans SON van, et qu'elle allait très probablement lui parler. C'était vraiment le meilleur moyen d'avoir un accident ! Il fallait qu'il se concentre à tout prix, et surtout, SURTOUT qu'il ne la regarde pas. Tout se passerait bien, elle le prendrait pour un gars coincé au lieu de le voir comme un psychopathe, mais qu'importe. Il allait simplement foncer vers le garagiste le plus proche (si tant est qu'il en trouve un !), et la déposer là. Pour la suite, elle se débrouillerait avec le Mac Gyver qu'elle attendait depuis le début. Et Owen... il retournerait simplement au fin fond de la forêt où il avait dormi la veille, et replongerait dans ses rêves dans lesquels sa belle inconnue avait toujours une place de choix. Finalement, il n'y avait pas grand chose d'autre à faire, tel était son triste destin. Il était visiblement arrivé trop tard à Arrowsic, et un autre avait prit sa place.

Sans surprise, Owen afficha à nouveau un petit sourire en coin, et s'efforça d'adopter une voix claire et assurée. « Bien.. Euh.. Je vous en prie, installez-vous alors... » proposa-t-il en désignant son van d'un geste de la main. Tête baissée, il fila à son tour vers son véhicule, et s'empressa de grimper à bord et de s'installer du côté conducteur. Les mains posées sur son volant, il ne démarra pas out de suite, et attendit qu'elle prenne bien place à côté de lui. Le jeune homme était une nouvelle fois figé, le regard fixé en face de lui. Mais après quelques seconde, il se racla a gorge afin d'accomplir une formalité qu'il avait omise pour le moment. Owen se tourna légèrement vers l'inconnue, et par précaution, il regarda plus ses cheveux que ses yeux. « Je... je m'appelle Owen » Aussitôt, il se remit face à son volant avec un petit air mal à l'aise. Franchement, on avait déjà vu mieux comme technique de présentation, et celle qu'il avait adoptée était tout simplement... pathétique, digne d'un gamin de cinq ans.

Owen grimpa alors avec agilité dans son van bien aimé, et laissé l'inconnue se débrouiller de son côté. Lorsqu'ils furent installés tous les deux dans l'habitacle, et avant de démarrer, il trouva nécessaire de se présenter ? Chose qu'il aurait d'ailleurs pu faire avant, mais soit. D'une façon plus ou moins adroite, et la voix un brin tremblante, il lui avait donc énoncé son nom, et n'attendait désormais plus qu'une seule chose : connaître le sien. Enfin. Depuis le temps qu'il l'imaginait et qu'il en rêvait, il allait enfin pouvoir mettre un nom sur ce doux visage. Même si ça ne changerait pas grand chose, Owen trouvait que le fait de connaître son identité était un pas énorme. Mais elle aurait pu s'appeler n'importe comment, rien ne pouvait de toute façon ébranler l'image qu'il s'était faite d'elle. Un ange... Voilà à quoi il la comparait souvent quand il pensait à elle. Et le fait qu'il se trompe sur sa véritable personnalité ne lui effleurait même pas l'esprit. Cette fille avait tout d'un ange, son ange. Celle qui avait illuminé sa journée le jour où il l'avait croisée, et bien plus encore. Le seul défaut qu'il lui trouvait était finalement son petit ami, mais il ne pouvait rien contre ça. Alors qu'il s'évadait une nouvelle fois dans ses pensées, la voix de l'inconnu le ramena brusquement sur Terre. Lip... Voilà qu'il n'avait plus aucune raison de l'appeler « l'inconnue », et pourtant ça lui allait tellement bien. Ce surnom donnait un certain côté mystique et inaccessible qui résumait à merveille sa position. Mais Lip, ce n'était pas mal non plus... Elle accompagna ses paroles d'un geste face auquel Owen se trouva un peu désarmé. Elle lui tendit timidement une de ses mains, et le jeune homme eut un temps d'hésitation avant de réagir. En s'apercevant qu'il traînait un peu trop, il s'empressa d'attraper cette main tendue, et resta une nouvelle fois figé quelques instants. Le contact de sa peau lui arracha un léger frisson... Combien de fois avait-il rêvé de la frôler ? Et voilà que son désir se réalisait ! Il garda sa main dans la sienne pendant quelques secondes, un nouveau moment où le temps s'arrêtait pour lui. Ses yeux étaient fixés sur leurs mains entrelacées, et il aurait voulu que cet instant dure toujours. Mais dans un sursaut de réalisme, il lâcha prestement la main de Lip pour reposer la sienne sur son volant. Sans rien dire, il démarra son véhicule, et s'inséra sur la route déserte qui menait tout droit à Arrowsic.

Ce qu'Owen avait craint quelques minutes auparavant était doucement en train de se produire, et un silence quelque peu gênant s'installait entre eux. Mais ce semblant de malaise ne dura pas, et c'est la jeune fille qui décida de briser le silence avec un question pour le moins anodine, mais qui soulagea Owen d'un gros poids. La demande on ne peut plus simple de Lip parut bizarrement très compliquée pour le jeune conducteur. Sa timidité, mais aussi sa concentration faisaient qu'il avait en général un peu de mal à répondre clairement dans ce genre de situations. Mais il prit une longue inspiration, et d'un air qui se voulait naturel, répondit : « Euh... En fait je me suis arrêté ici par hasard, et j'ai posé mes valises pour quelques jours. » Il stoppa alors l'énoncé de son histoire, et afficha un petit sourire en coin avant de continuer « Enfin, ça c'était il y a deux ans. Et il semblerait que je sois toujours là !  Et toi ?» Le jeune homme qui avait prononcé ces mots presque en riant écarquilla tout à coup les yeux et, confus, il se corrigea immédiatement : « Euh... Et vous ? » Non mais que lui était-il passé par la tête ? Elle avait une belle voiture, des allures de femme d'affaire, une veste de tailleur à la main. Lui, il était dans son vieux van dont les portes grinçaient, il n'avait pas de maison, et portait des caleçons troués, et il se permettait de la tutoyer ?! C'était le monde à l'envers. Ses yeux se reportèrent à nouveau sur la route qu'il fixa sans broncher, honteux des aises qu'il venait de se permettre en face d'elle.

Owen se trouvait tellement ridicule et impoli qu'il avait tourné la tête pour refixer la route, aussitôt sa phrase terminée. Pourtant, les deux jeunes gens semblaient avoir à peu près le même âge. Mais la classe sociale de la jolie blonde semblait un peu impressionner Owen, tout comme le fait qu'elle soit là, dans son van, dans sa maison, alors qu'il en avait rêvé pendant des nuits entières. Pour lui, cette fille restait un rêve justement, un songe, un ange qui était passé devant lui sans qu'il n'ait jamais plus l'occasion de l'approcher. Et pourtant... Le jeune homme se trouvait désormais assis à quelques centimètres d'elle, il pouvait même l'entendre respirer. Le moindre de ses gestes, ou le moindre de ses mots étaient pour lui une raison supplémentaire de s'émerveiller devant elle. Mais il devait se contenir, et éviter de « bloquer » trop longtemps sur elle, sous peine de passer pour un demeuré. Contre toute attente, la jeune femme lui répondit par un divin sourire en coin, et lui affirma qu'il pouvait la tutoyer. Un peu honteux d'avoir hésité, Owen lui adressa à son tour un beau sourire. « Pardon, tu as raison... Lip. » En prononçant son prénom, il fut parcouru d'un léger frisson, sans même comprendre pourquoi. Il n'avait jamais rencontré personne portant ce prénom, et pourtant, il l'aimait déjà beaucoup. C'était doux, simple, mignon... Bref, ça lui allait à merveille.

Le voyage continuait tranquillement, et comme s'il le faisait exprès, Owen roulait à une vitesse relativement modérée. Mais tout ça n'avait pas l'air d'agacer sa passagère, bien au contraire. Elle continua tranquillement en répondant à sa question. Selon elle, cela faisait maintenant cinq mois qu'elle était dans les parages. En entendant cette réponse, le jeune saltimbanque acquiesça, et répéta un peu inconsciemment : « Oui, c'est ça... Cinq mois... » Il avait adopté un ton rêveur , et semblait penser à totalement autre chose. En réalité, Owen était en train de se remémorer leur toute première rencontre, ou plutôt, le tout premier regard qu'il avait posé sur elle. Et effectivement, cet événement remontait désormais à quelques mois en arrière. Pendant tout ce temps Owen n'avait cessé de penser à sa belle inconnue, en restant persuadé qu'elle ne l'avait même pas vu, et qu'il ne la recroiserait plus jamais. Alors qu'il était aspiré par toutes ces pensées, il sentit le regard de Lip qui insistait un peu plus sur lui. Puis, tout à coup, il réalisa qu'il venait de parler à voix haute, et qu'il venait de lui dévoiler une partie de ce qu'il croyait avoir dit intérieurement. Très vite, il tenta d'expliquer : « Enfin, je veux dire... Oui... Cinq mois, c'est... c'est bien. Tu as eu le temps de visiter la ville, et ses alentours. On est vraiment bien ici ! C'est pour ça que j'ai décidé de m'arrêter là d'ailleurs... Les gens sont sympas, il y a tout un tas de petits coins calmes, et charmants dans la forêt... Je vais souvent dormir là-bas, juste derrière le bosquet » lui dit-il à toute vitesse, en tendant son bras vers une petite butte remplie d'arbres verts. « Je me plais beaucoup ici, vraiment. » Ridicule, de plus en plus ridicule. Pour vouloir se rattraper, il venait de lui déballer un discours complètement inutile et sans intérêt. Owen se racla une nouvelle fois la gorge, nerveusement, et ajouta tout de même un petit : « Et toi ? Tu te plais à Arrowsic ? »

Le jeune homme savait bien qu'en cas de stress, il avait tendance à raconter n'importe quoi, mais il ne pouvait tout simplement pas s'en empêcher. Lip le prenait pour un simplet, c'était certain. Mais il ne pouvait plus revenir en arrière à présent. En constatant que la lumière baissait de plus en plus, Owen enclencha les phares de son van d'un geste machinal, et garda le regard rivé sur la route qui s'étendait devant eux, et qui les menait vers Arrowsic. Du mieux qu'il le pouvait et en prenant bien soin de n'éveiller aucun soupçon, le chauffeur faisait en sorte de retarder leur arrivée au maximum. Il savait qu'une fois arrivés, Lip quitterait son van, et s'envolerait comme elle l'avait fait lors de leur première « rencontre ». Alors Owen profitait simplement du temps passé à coté d'elle, et faisait en sorte qu'il soit le plus long possible.

Pas très satisfait du discours absurde qu'il venait de lui tenir, Owen se renfrogna, et se concentra encore un peu plus sur son volant. Ce qu'il pouvait être bête et désespérant quand il s'y mettait ! La jeune femme qui était à ses côtés devait vraiment se retenir pour ne pas exploser de rire devant un tel tableau ! Pourtant, d'habitude, il ne manquait pas spécialement d'assurance... Du moins, il était capable d'entretenir une conversation censée avec n'importe qui, même dans ce genre de situations un peu hors norme. Mais devant les yeux de Lip, toute son assurance s'envolait, et il devenait alors un bien piètre parleur. D'ailleurs, le jeune homme se jura d'opter pour le silence absolu la prochaine fois, ça lui éviterait certainement de se ridiculiser. Malgré son manque d'aise palpable et son discours interminable à peine compréhensible, Lip daigna lui répondre, avec ce même sourire en coin qui le faisait chavirer à chaque fois qu'il osait tourner un peu la tête. Elle n'avait visiblement pas prit le temps de visiter la ville et ses environs depuis son arrivée, et à vrai dire, cela n'étonnait qu'à moitié le jeune garçon. En effet, la jolie blonde avait tout d'une femme d'affaire pressée, à l'emploi du temps surchargé et aux coups de téléphones incessants. Tout ça était bien loin du monde tranquille d'Owen, et franchement, il ne lui enviait pas grand chose, préférant le calme et le silence aux grandes réunions ennuyeuses. Bien sûr, il crevait d'envie de lui proposer une visite de la ville à bord de son van, mais il ne se sentit pas capable de la lui proposer. La jeune femme ajouta tout de même qu'elle avait rencontré des gens « plutôt agréables » à Arrowsic, et en entendant ces mots, Owen ne put s'empêcher de se sentir un tout petit peu concerné. Ou plutôt, il espérait se sentir un tout petit peu concerné ! Dans ses rêves, il aurait été très concerné évidemment, mais ses rêves étaient bien souvent très loin de la réalité. Il resta donc silencieux et stoïque, remarquant tout de même le petit air gêné que la jeune femme avait prit en finissant sa phrase. Cependant, il se refusa à une quelconque interprétation de cette petit expression discrète.

Le voyage continuait donc en silence, et Lip fit reposer sa tête contre le siège du van, signe qu'elle devait être tout à fait à l'aise en compagnie du jeune homme. Il esquissa un léger sourire en pensant que de cette façon, l'odeur de sa belle inconnue resterait dans son van pendant quelques jours. Oui, Owen était vraiment débile par moment, et c'est exactement ce qu'il se disait en souriant. Spontanément, Lip reprit alors la parole, brisant ainsi le silence qui s'installait de nouveau, et obligeant le jeune saltimbanque à lui répondre. Mais la constatation de sa passagère fit en fin de compte plutôt plaisir à Owen : elle semblait l'avoir parfaitement bien cerner, et il acquiesça avec un petit rire timide. « Hmm, tu ne te trompes pas non... La nature, c'est le seul endroit où je peux être tranquille, et du coup, j'y passe le plus clair de mon temps. Mais je ne suis pas un ermite hein ! C'est juste que... que je n'aime pas trop la foule, le bruit... tout ça quoi.. » Owen prit le temps de réfléchir à tout ce qu'il venait de lui dire. En fait, il s'était un peu confié, enfin, en quelque sorte. Il avait parlé de ce qui était le plus important pour lui, de sa vie en somme. Puis il secoua la tête et ajouta en souriant : « Tu dois me prendre pour un sauvage.. Désolé. Tu... tu n'as pas non plus eut le temps de visiter la forêt et ses alentours j'imagine ? » Le jeune homme avait posé cette question, comme pour se donner une deuxième chance. Il avait esquivé la proposition qu'il avait en tête une première fois, et sa dernière phrase était peut-être pour lui une façon de se tester. Même s'il était loin de se sentir capable de lui faire des proposition de ce genre, il attendait de voir comment elle réagirait devant son insistance discrète.

Au fil des kilomètres passés à ses côtés, Owen aurait du se sentir plus en confiance et plus détendu. Lorsque Lip regardait par la fenêtre, tout allait bien. C'était un peu comme si le jeune homme était seul, sauf qu'il sentait sa présence, ce qui n'était somme toute pas désagréable. Mais quand il sentait le regard de son inconnue sur lui, tout se bousculait dans sa tête. Il redevenait timide, et limite mal à l'aise. Owen devait alors se concentrer au maximum pour conduire correctement, et surtout pour ne pas plonger ses yeux dans ceux de sa voisine, sous peine de bloquer une nouvelle fois, et de les envoyer dans le décor. C'est pourquoi le jeune homme se contentait de petits regards en coin, agrémentés de sourires timides.

Le monde d'Owen semblait se trouver à mille lieues de celui de Lip. Tout ce qu'il aimait, et tout ce qu'il connaissait par cœur représentait juste l'inconnu pour elle, et inversement. Même s'il ne savait pas du tout de quoi sa vie était faite, il se doutait bien qu'elle n'avait rien à voir avec la sienne. Sa tenue et sa voiture la trahissaient au premier coup d’œil. Mais malgré le fossé qui paraissait les séparer, Owen ne renonçait pas. Souvent, les filles comme Lip le regardaient de travers quand il les croisait dans la rue. Forcément, avec ses pantalons tombants, ses chemises à carreaux et son chapeau melon, il ne devait pas vraiment ressembler aux clichés dont elles avaient l'habitude dans leur milieu. Mais Lip semblait différente. Le regard qu'elle portait sur lui n'était pas moqueur, ni méprisant. Et même s'il le mettait quelque peu mal à l'aise, il l'appréciait. Il faut dire que le jeune homme avait tellement regardé la belle inconnue (lorsqu'elle l'était encore), qu'il n'espérait plus que la situation s'inverse. Mais cette journée dépassait de loin toutes ses espérances, et tous ses rêves les plus fous. Enfin... Non, pas exactement. Pour les rêves les plus fous, il était encore loin du compte, et n'avait que très peu d'espoir qu'ils se réalisent un jour. Pour l'heure, il se contenta de répondre avec un sourire en coin : « Oh, et bien.. Je te conseille d'aller y faire un tour un jour. C'est vraiment très beau. Il y a une petite rivière qui coule au milieu de la forêt... C'est mon endroit préféré ici. »

Owen continuait donc à conduire plus ou moins tranquillement à travers la nuit qui était désormais complètement tombée. Lip, de son côté, avait tourné la tête, et semblait être absorbée par le paysage, ou plutôt les ombres qui défilaient sous ses yeux. Ne sentant plus son regard sur lui, le jeune homme se détendit un peu, et envoya tranquillement sa main vers le levier de vitesse afin d'accélérer l'allure. Son geste fut d'ailleurs un peu trop « tranquille », et surtout un peu plus large que prévu. La main d'Owen vint effleurer la cuisse de sa voisine, sans qu'il n'en ait jamais eut l'intention. Aussitôt, un frisson parcouru son dos, et il retira précipitamment sa main. Jusqu'alors, les deux jeunes gens n'avaient fait que se regarder, s'observer. Mais ce premier contact involontaire n'était pas censé arriver, pas si vite, pas dans ces circonstances ! Quel imbécile ! Intérieurement, il se traitait de tous les noms d'oiseaux, s'en voulant à mort pour ce qu'il venait de faire. Il aurait voulu dire quelque chose, s'excuser, mais il ne trouvait aucun mot qui collerait à la situation, et qui ne le ferait pas trop passer pour un pervers. Alors il se tut, et ne lâcha plus son volant. Son œil surveillait tout de même Lip, et guettait le moindre de ses mouvements. A ce moment précis, Owen n'avait qu'une seule peur : qu'elle s'indigne, e le somme de la laisser descendre pour s'enfuir loin de lui...

Owen jouait donc les guides touristiques auprès de sa belle inconnue, et il n'était as peu fier de pouvoir la conseiller ainsi. Il faut dire qu'il n'y a pas si longtemps, c'est lui que l'on conseillait sur les bars à fréquenter, les endroits où trouver un peu de calme, ou encore les parkings spacieux pour garer son van. Aujourd'hui la balle avait changé de camp, et le jeune homme était devenu un des habitués d'Arrowsic. Bien sûr, les gens le regardaient encore un peu de travers, et s'attardaient souvent sur son van avec un regard dédaigneux, mais beaucoup moins qu'à son arrivée ici. Et puis ce que les gens pouvaient penser de lui n'avaient absolument aucune importance. Il vivait sa vie comme il l'entendait, et si pour lui le vrai bonheur était de vivre dehors, ça ne regardait personne d'autre. Grand amateur de solitude, il ne dérangeait personne quand son véhicule était garé au milieu de la forêt, au bord du petit cours d'eau qu'il affectionnait tant. Depuis qu'il avait quitté sa famille et son chapiteau, Owen avait toujours vécu seul, dans son van. Et à vrai dire, il ne s'imaginait plus vraiment vivre en communauté, ni même avec quelqu'un d'autre. Il avait désormais ses petites habitudes, sa petite routine, et la vie dans un van réclamait une certaine adaptabilité que certaines de ses rares conquêtes n'avaient visiblement pas. Alors pour être tranquille, il préférait se la jouer solitaire.

Pour preuve, la simple présence de Lip à ses côtés avait suffit à le décontenancer en un clin d’œil. Évidemment, cette fille n'était pas n'importe qui pour lui, et à force de penser à elle il s'était bâti une sorte de mythe autour de sa personne. Il la voyait parfaite, pure, douce et gentille... Et en réalité, elle tait peut-être tout le contraire de ce tableau qu'il avait peint. Mais dans son esprit, il ne pouvait pas en être autrement et sa présence était un peu trop impressionnante pour lui. Si bien qu'il ne fit pas attention à ses gestes amples, et frôla sa cuisse d'un revers de main. La sensation qu'il éprouva alors le laissa comme interdit. Ce frisson qui l'avait parcouru, l'avait-elle aussi ressenti ? Certainement pas, il avait simplement du lui faire peur, et la faire sursauter, rien d'autre. Depuis le temps qu'il la voyait en rêve, Owen semblait avoir un peu de mal à faire la différence entre ses songes et la réalité. Si ses rêves lui laissaient penser que son attirance pour elle était réciproque, la vérité pouvait être toute autre. Le jeune homme sentit le regard de Lip se poser sur lui, mais il ne broncha pas. Il craignait alors le pire pour la suite de leur périple, mais contre toute attente, la jeune femme reprit la parole le plus naturellement du monde.

Owen la remercia intérieurement de cette initiative. Elle agissait comme si rien ne s'était passé. Après tout, il avait peut-être rêvé. Peut-être que leur contact n'avait pas été aussi intense qu'il ne le pensait, et elle n'avait ainsi rien senti... Soudain très intéressée par son véhicule, Lip le questionna sur sa vie dans ce van. Soulagé, le jeune homme lui répondit d'un ton un peu plus enjoué qu'auparavant : « Oui effectivement ! On peut dire que c'est ma maison... J'ai tout ce qu'il faut ici ! Derrière toi, il y a mon lit, un semblant de cuisine et toutes mes affaires. C'est bien suffisant pour moi tout seul, et puis j'ai l'avantage d'habiter partout et nulle part à la fois... » ajouta-t-il d'un air rêveur. C'est dans ces moments-là qu'il se rendait compte qu'il aimait vraiment cette vie de voyageur. Certes, aujourd'hui il s'était posé à Arrowsic, mais il n'en restait pas moins libre comme l'air...