FLASHBACK

Quelques heures avant.

« Attends, c'est pas vrai! Tu vas mettre ça? » Estomaquée, l'amie de Tessa regardait la robe qu'elle s'apprêtait à enfiler avec autant d'envie au creux de ses prunelles que d'étonnement. Tessa, quant-à-elle, ne s'en formalisa pas et ne reprit la parole que lorsque la fine robe de soie rouge ait épousé ses formes délicates. « Aide-moi à l'attacher. » Récupérant ses cheveux d'un seul côté de sa tête, elle attendit que la fermeture éclair dans son dos soit complètement remontée avant de faire un pas vers le miroir de sa chambre. Replaçant avec habileté le décolleté de sa robe et les mini-bretelles qui l'accompagnaient, elle fit un tour sur elle-même et fut ravie de voir que la robe, qui lui arrivait un peu en bas des genoux - suivait agréablement le mouvement. « Rouge, c'est un symbole de passion et d'amour fou. Ce que j'aimerais pouvoir mettre ça, moi aussi! » « C'est pas donné à tout le monde. » affirma Tessa en haussant les épaules, occupée à maquiller ses yeux. « On te trouvera une jolie robe, demain, si tu veux! » « Oui! T'as quelqu'un à charmer? » « Bien vu. Je compte bien le faire craquer. » Sans rien ajouter d'autre, elle déposa ses pieds dans des chaussures à talon aiguille d'une hauteur vertigineuse avant de disparaître dans le salon. Le jeune homme dont elle parlait et dont elle n'avait ne serait-ce aucune idée du prénom, l'avait attirée d'un simple regard. À vrai dire, elle savait qu'il avait emménagé avec un autre mec et c'était ce qui lui plaisait encore plus. Diviser pour mieux régner.

Un peu en retrait de la piste de danse, à quelques mètres seulement de l'endroit où se trouvait celui pour lequel elle s'était ainsi vêtue dans l'espoir d'attirer son attention, Tessa se déhanchait au rythme de la musique sans plus faire attention à son amie, qui dansait à ses côtés. Seul son bel inconnu l'intéressait à présent et si elle avait eu peur de ne pas le voir au bar ce soir-là, elle n'avait été que plus surprise lorsqu'elle l'avait vu franchir la porte de l'établissement. Elle lui avait laissé un long moment de répit, profitant de la musique - et du fait que la maigre piste de danse soit presque déserte - pour se laisser aller et montrer de quoi elle était capable. Elle avait néanmoins réussi à capter le regard de son inconnu quelques fois et s'évertuait à faire comme si le hasard s'en était mêlé et qu'elle avait bien mieux à faire que tenter de l'attraper entre ses griffes. Quiconque connaissait Tessa savait que lorsqu'elle affichait cet air nonchalant et indifférent qui la caractérisait si bien, c'était parce qu'elle était on ne peut plus intéressée. Elle ne savait pas ce qui l'avait attirée chez lui - le défi peut-être? - mais elle avait l'intention de ne pas repartir bredouille; il serait avec elle.

« T'as vu comment il te regarde? » demanda son amie en se mordant la lèvre, son regard passant de Tessa au jeune homme, un peu plus loin. « Évidemment. Qui ne le ferait pas? » Avec un clin d'oeil et un regard appuyé, Tessa se détourna de son amie en rejetant en arrière ses longs cheveux bruns, jouant de son déhanchement pour tenter d'attirer de nouveau le regard de cette nouvelle proie. Elle savait qu'il ne serait pas insensible à ses efforts pour le rapprocher d'elle, mais elle se demandait si cet autre mec avec qui il habitait était vraiment important pour lui. Elle en venait presque à espérer que ce soit le cas, histoire que tout ne soit pas trop facile. Si Tessa adorait qu'on manifeste un intérêt particulier pour sa personne et qu'elle aimait habituellement qu'on lui mange dans la main sans faire d'efforts, ce principe disparaissait dès lors qu'il s'agissait de draguer. Elle adorait séduire, être séduite et pouvoir se dire que ce n'était pas que le hasard, qu'elle y était vraiment pour quelque chose. Relevant les bras en fermant les yeux sous les spots lights qui dansaient autour d'elle, Tessa se mit à chanter et ouvrit finalement les yeux pour croiser de nouveau le regard de ce jeune homme aux cheveux d'ébène. Malicieuse, fougueuse, elle se désintéressa totalement de lui pour se retourner vers son amie, s'assurant du même coup de cambrer les reins sensuellement. Sans réellement s'en être rendue compte, toutes deux s'étaient quelque peu rapprochées de l'objet de son désir ce soir-là, mais Tessa s'affaira à jouer des hanches pour ne pas le laisser indifférent.

Angus est un enfoiré, qui non content de faire souffrir son meilleur ami en le repoussant pour mieux l’attirer, se joue de lui et s’en écarte dès que ce dernier à le dos tourné. Quoique, Colton n’a jamais le dos tourné, mais parfois ses yeux s’égarent, divaguent. Et cela, Angus le supporte très mal. L’attention doit être portée sur lui, et lui seul. Constamment, inlassablement. Au quel cas, il s’énerve et fait de vilaines bêtises. Comme ce soir, par exemple. Une soirée de plus sans son double, pour le faire enrager. Il s’est habillé à la va vite, sa démarche nonchalante si ce n’est vacillante laisse deviner qu’il a fumé autre chose qu’une simple cigarette avant d’entrer dans le bar. Camé jusqu’à la moelle, il a pour ambition magistrale de s’autodétruire jusqu’à en crever. Et pour quelle raison ? Il ne sait pas très bien, en résumé. Parce qu’il est perdu, paumé, à la masse, à côté de la plaque, stupide, qu’il a en marre de voir le monde à l’envers, qu‘il cherche quelque chose qu‘il se refuse d’avoir, d’obtenir, de détenir. Le bonheur ? A quoi ça sert, le bonheur ? Si ce n‘est à souffrir, encore et à jamais. Lui, il voit tout en noir et ça lui donne envie de vomir ses entrailles. La musique gueule à ses tympans, et il est en colère, déjà. Parce qu’il observe tous ces cons, qui dansent, qui boivent et se languissent. Sur les visages des hommes, il devine l’envie de chasser, de traquer. Des prédateurs à la recherche d’une gazelle à dépecer dans un lit douillé. Et les filles, qui jouent de leurs courbes, qui se languissent et viennent exciter les sens des mecs en manque. Il les hait, tous autant qu’ils sont. Et pourtant, il sait qu’il n’est pas mieux. Assit sur l‘un des tabourets du bar, Angus commande un verre et se retourne, pour analyser les alentours. Cet environnement crasseux, qu’il adorerait saccager. Rendre à l’état de ruines. Que tout finisse par un merveilleux chaos. Et enfin, il jubilera et pourra rire de bon cœur. Le regard morne, et le minois sans aucunes expressions. Il lorgne les danseuses qui se déhanchent. Des putes, rien de plus, rien de moins. Elles s’offrent aux visions des pervers et des envieux, elles ne sont que des sirènes hors de l’eau. Les pauvres putains lui font de la peine. Alors il scrute, il dévisage, il envisage et oublie ses principes. Dans l’antre de la perdition et de la presque luxure, il préfère ne plus penser et réfléchir. Ca ne sert pas à grand-chose, si ce n’est à se pourrir l’instant. Et puis quoi ? Colton. Colton. Ca raisonne dans sa cervelle, ça crispe son âme furieuse. Finalement, il aimerait l’avoir à porter de main. Bizarrement, il se sent vide, en manque, il en a besoin. Angus se pressent plus faible qu’il ne l’ai déjà, sur le point de chanceler, de s’effondrer. Et si il rentrait ? Il en a l’horrible envie. Il suffoque, comme à l’étroit. Coincé entre quatre murs qui se rapprochent, veulent l’écraser. Paranoïaque ? Juste un début de bad trip, rien d’inquiétant. Erreur ! C’est inquiétant, puisque son autre n’est pas dans les parages pour le faire revenir à la raison, pour lui sortir l’esprit de sa glaire neuronales. Papillonnant des yeux, il s’arrête. Angus délire à moitié. Trop de chaleur, trop de bruits, trop d’herbe consommée dans la rue ; aussi. Scrutant une tignasse brune, il la suit de ses pupilles à la couleur d'encre. Envouté ou fasciné par les vagues incessantes. Il descend et lèche les contours de la poupée fardée. Il y trouve un point de repère, un faisceau auquel se rattacher. Le gamin tragique parvient à ne pas se noyer. Déviant de son siège, Angus prend finalement son verre et l’avale d’une traite. Se redressant, l’ange camé aux boucles brunes s’approche de la mégère ensorceleuse, il caresse du bout des doigts sa nuque, descend sur l’épaule. Les phalanges s’aventurent dans le dos, il touche le tissu écarlate et suit tel un bon chien le rythme des notes qui raisonnent à ses tympans. Un soupir, il est las. Un sourire étire sa bouche pécheresse. Et il s’écarte, s’en va comme un fantôme, un songe. Il s’en fout, il dégage. A peine entré, déjà sorti. Sur le trottoir du Jack's Lounge, il enfouit sa main dans sa poche, et sort son paquet de clopes. Une tige blanche entre l’index et le majeur, il presse et l’amène à ses lèvres. Puis il part en quête d’un briquet, au fin fond d’une des poches de son jean troué.

Indifférente aux regards des autres posés sur elle, Tessa se contentait de repousser les mains trop entreprenantes ou de fusiller du regard ceux qui, une lueur d'espoir malsain au creux de leurs prunelles, cherchaient à lui faire comprendre qu'ils ne seraient jamais contre une virée nocturne en sa compagnie, que ce soit dans des draps de soie ou de satin. Pour une fois, la brune n'essayait pas d'allumer tout ce qui passait à sa portée et n'espérait qu'un seul regard: celui qui ne venait pas. Elle n'était venue que pour lui et lorsqu'elle le vit du coin de l'oeil disparaître de son champ de vision, un sourire à peine perceptible se dessina sur ses lèvres. Ondulant délicatement les hanches, presque assurée d'avoir atteint son but, elle laissa échapper un soupir enchanté lorsqu'elle sentit les mains du jeune homme sur elle. Plaquant son dos contre son torse avec une fougue qu'on ne lui connaissait que trop bien, Tessa cambra les reins alors que ses doigts glissaient habilement le long du corps de son partenaire et qu'elle penchait doucement la tête de manière à lui offrir son cou et sa nuque. Des frissons de satisfaction la parcoururent alors qu'elle tentait de se rapprocher davantage de lui, mais dès l'instant où elle allait se retourner, sa proie s'échappa sans même qu'elle n'ait le temps de capter ce qui venait de se passer. Esseulée au milieu du groupe de danseurs, Tessa le suivit des yeux, vexée de n'avoir été qu'un jouet le temps d'un effleurement. Sans même prendre la peine d'avertir qui que ce soit, elle se lança à sa poursuite, se faufilant aisément en jouant des coudes à travers la foule d'ivrognes venus boire un bon coup après une dure journée. La fraîcheur de la nuit glissa comme de la soie sur ses joues un peu rougies par la chaleur qui régnait dans le bar et le contraste saisissant la fit soupirer d'aise jusqu'à ce qu'elle voit son fantasme ambulant à quelques pas d'elle, lui tournant le dos. Malicieuse, elle s'approcha sans faire de bruit et entoura son torse de ses bras avant de glisser sa main à l'intérieur de la poche du jeans de sa nouvelle proie pour en sortir le briquet tant attendu. « C'est ça que tu cherches? » Son souffle chatouilla délicatement la nuque de ce dernier alors qu'elle déposait ses lèvres le long de son cou tout en allumant le briquet d'une aisance acquise par l'habitude. Si Tessa ne fumait pas régulièrement, elle était de celles qui adoraient le décollage massif provoqué par un joint. Elle n'avait jamais eu et n'aurait jamais besoin de ce genre de choses pour vivre ou s'amuser - parce qu'il était désormais clair que c'était ce qui comptait le plus à ses yeux - mais c'était là justement la beauté de ces bouffées bénéfiques à son esprit parfois embrumé.

Impétueuse, la jeune femme enflamma la cigarette avec grâce avant de déposer au creux de la poche de son vis-à-vis l'objet emprunté. Ses doigts se logèrent sous le jeans de ce dernier en caressant délicieusement la peau que lui offraient ses reins et ses courbes épousèrent avec délice le dos de son compagnon. Impatiente, la brune se perdit en caresses sur le corps de ce jeune homme qui lui faisait tant envie et ses lèvres parcoururent sa mâchoire avec un bonheur renouvelé. La musique du bar se rappelait en sourdine à ses oreilles, mais la diablesse n'y porta pas attention, toute intéressée qu'elle était par ce séduisant inconnu. « Je commençais à m'impatienter. » murmura-t-elle d'une voix suave à son oreille avant d'attraper la cigarette qu'il tenait toujours entre ses lèvres et de la glisser entre les siennes pour en tirer une bouffée. L'objet termina sa course là où il l'avait commencée et Tessa expira la fumée en détournant brièvement la tête. Fermant les yeux, détendue, elle comprit que jamais rien ne lui ferait autant d'effet que cette ivresse provoquée par la proximité de deux corps enlacés. Sentir le coeur de son vis-à-vis battre dans sa poitrine était une sensation exquise qu'elle n'était heureusement pas prête à laisser filer. Pourtant, si Tessa agissait comme s'il lui devait tout, elle avait conscience qu'il pouvait disparaître au quart de tour et la planter là comme elle n'avait jamais été plantée là dans sa vie. Elle avait pris une chance, pris une chance de compter uniquement sur son charme et ses atouts pour le séduire, et c'était trop tard pour revenir en arrière. De toute façon, si ce n'était pas lui, ce serait un autre. Mais c'était lui qu'elle voulait.