«BOUCLEZ-LA ! EST-CE QUE CE SERAIT TROP DEMANDE QU’ON N’VIENNE PAS PIAILLER SOUS MES FENETRES UN DIMANCHE MATIN ? »
Le vieux monsieur n’était pas content du tout, il nous regardait, les yeux injectés de sang, les traits crispés par un manque de sommeil évident. Mattia & moi, nous n’étions pas réellement discrets, pas réellement en forme mais réellement remontés. Tout ça c’était de ma faute, à moi, à mon passé, à mes problèmes d’adoption. Tout ça, c’était encore une connerie sortie tout droit de mon imagination. J’étais forte pour ça, ça et engrainer mes amis dans des situations rocambolesques. Mattia, c’bougre, il était l’un des seuls à supporter l’étendue de ma lourdeur. L’un des seuls ? Euphémisme. Quoique’HYPERBOLE. Nous étions aux bouts de nos propres retranchements. Les yeux cernés, la gueule étirée, livides comme des ectoplasmes. Notre nuit avait été blanche. Blanche et colorée. De bleus, de rouge, de poings. On rembobine la vidéocassette au commencement. Dans l’industrie, il y a des blockbusters et des navets. Des bons acteurs et des…acteurs, tout court. Nous étions les acteurs d’une aventure improbable, inoubliable. Mes recherches sur ma mère biologique, la pirate qui avait signé X, avaient porté leurs fruits. Elle était censée vivre dans une grande maison, avec clôture, aux abords d’une ville voisine. C’était mon mec non officiel qui avait réussi à me choper quelques informations. Excitée, je voulais aller à sa rencontre alors vous imaginez, l’état d’appréhension et de stresse dans lequel je me trouvais. Je voulais partager cela, je voulais que quelqu’un canalise cette boule qui se formait dans mon ventre. Je voulais que lui, soit là. A mes côtés parce que nous étions proche dans notre éloignement. Pauvres paumés, imbéciles heureux. Jarvis & Warrick à la Bonnie & Clyde ou encore Tom & Jerry, Dolce & Gabbana. J’aurais été Dolce pour la créativité, lui Gabbana pour son optimisme, son caractère nul à chier. Bref, je comptais sur son aide, sur son épaule parée à retenir toutes les larmes que j’pouvais chialer. Un sourire étira mes lèvres lorsqu’il pointa sa tête d’blond droit dans mon champ de vision. Un simple sms envoyé dix minutes plus tôt était censé le prévenir que sa soirée devait m’être dédiée. Sans préambule, j’annonçai la couleur : « Quand je pense que j’en suis réduite à faire la sortie des lycées », une boutade sur l’épaule, j’ajoutai : « Tu as reçu mon texto ? Tant mieux, j’ai trouvé ma mère, si on part maintenant : on y sera avant la tombée de la nuit ». Je n’étais pas confiante. Il le savait. Nous prîmes tous les deux la direction de ma voiture : « Ne fais pas cette tête, j’ai nettoyé ma caisse. Maintenant, tu n’auras pas honte de monter dedans ET…j’ai même fait l’plein de cochonneries ». Du regard je le remerciai d’être là, là où beaucoup auraient fui. Un roc c’mec. Pas gamin pour un sous ‘fin, tout dépendait des moments, disons.
«BOUCLEZ-LA ! EST-CE QUE CE SERAIT TROP DEMANDE QU’ON N’VIENNE PAS PIAILLER SOUS MES FENETRES UN DIMANCHE MATIN ? » Ses yeux rouges, par cette nuit blanche, se posèrent sur l'homme, hurlant par sa fenêtre. Ce type faisait parti de la catégorie des vieux, ceux qui dépassaient la tranche d'âge des quarante ans. Là, c'était même pire. Les rides qui creusaient son visage étaient la preuve inéluctable de près de sept dizaines d'années passés sur terre. Mais ce n'était pas tant ses rides qui obnubilaient les pensées de Mattia. C'était sa dentition. Ses dents du haut étaient en avant, presqu'aussi grosses que des pièces de dix cents. On aurait dit une dentition de cheval. Et parce que ce vieux était un râleur, parce que Mattia était fatigué, parce qu'il était aussi ivre de cette nuit passée, le lycéen le regarda avec un grand sourire et commença à hurler en rentrant sa mâchoire du bas, afin de faire apparaître une proéminence entre ses dents: « HI HANN » Il porta ses deux mains sur sa tête, et fit semblant de remuer des oreilles invisibles. Ca ne plut pas au vieux qui pesta contre lui, hurlant qu'il allait le retrouver.
Mattia en était conscient; c'était méchant, ridicule, et puéril. Mais il était tôt en ce dimanche matin, et ça, ça expliquait beaucoup de choses..
Et puis, tout avait commencé la veille au soir.
Il venait de terminer son dîner, quand il reçut un sms de Kaïs. Le sms n'était pas négociable; ce samedi soir allait lui être consacré. Ella et lui n'avaient pas prévu de se voir; chacun ayant une compétition le lendemain. Mais passer cette soirée, cloîtré chez lui, ne plaisait pas à Mattia. Alors, sans demander son reste, il s'éclipsa par la porte, dès que son beau-père eut le dos tourné. Il la rejoignit rapidement, et fut accueillit avec un grand sourire par un « Quand je pense que j’en suis réduite à faire la sortie des lycées », suivi d'une claque sur l'épaule. Mattia sourit, et ajouta aussitôt « T'as qu'à avoir des potes de ton âge, vieille! » Et aussitôt, elle ajouta. « Tu as reçu mon texto ? Tant mieux, j’ai trouvé ma mère, si on part maintenant : on y sera avant la tombée de la nuit ». Alors, c'était donc ça. Retrouver sa mère.. Depuis le jour où chacun des deux s'était confié, Mattia lui avait promis de l'aider. Si lui même savait que son père était en vie, à respirer quelque part dans cet univers, il aurait remué ciel et terre pour le retrouver. Alors oui, venir avec Kaïs ne lui posait aucun problème. Quoique.. Prendre sa voiture ne lui plaisait pas. Et aller à l'encontre d'une inconnue, quoique bien que génitrice de Kaïs le mettait mal à l'aise. « Ne fais pas cette tête, j’ai nettoyé ma caisse. Maintenant, tu n’auras pas honte de monter dedans ET…j’ai même fait l’plein de cochonneries ». Aussitôt, Mattia sourit. Parce qu'il était heureux qu'elle avait fait l'plein de cochonneries. Mais aussi parce qu'il ne voulait pas, avec sa tête de cochon, pourrir la soirée de la jeune fille, excitée de peut-être retrouver sa mère. « je monte que s'il y a des Kinder! » dit-il, faisant le gamin. Il jeta un rapide coup d'oeil dans la voiture, et en voyant les sacs dedans, il se dit que finalement, même s'il n'y avait aucun Kinder, le reste ferait l'affaire. Et surtout, son sourire s'élargit quand il vit des bonbons au coca. « Oh!! T'as des cocas!! » Là, il ne se fit pas prier. Il ouvrit la portière de la voiture, attrapa les sacs, cachant alors les bonbons au coca, et s'assit sur le siège, à côté du conducteur. « allez, vas-y chauffeur, je suis prêt! »
Cette fois, il arrêta de faire le gosse, et lui offrit un petit sourire. Il avait bien compris, tout à l'heure, par son regard qu'elle le remerciait. Il espérait ainsi lui faire comprendre que comme il lui avait promis, il serait de la partie.
Le vieux perdait la tête, sa patience (déjà aux abonnées absentes), il hurlait, vociférait, et les pitreries de Mattia ne semblaient guère arranger les choses, PIRE : ça le rendait fou. Allez savoir c’qui m’est tombé sur la caboche, pourquoi je suis rentrée dans son jeu ridicule. Allez savoir pourquoi « stupidité » a pointé tout à coup, imitant mon ami, j’en fis de même, l’âne étant pour moi un animal noble : « HI HANNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN ». Je perdais mon souffle au diable les bonnes manières, nous étions complétements claqués. « BANDE DE SAUVAGE ! BANDE DE BÊTES ! LE BLOND PISSEUX, TOI J’VAIS TE POURSUIVRE EN JUSTICE POUR TROUBLE SUR VOIE PUBLIQUES» J’éclatais d’un rire presque maléfique, le manque évident de sommeil décuplait mon idiotie décuplait tous les traits de caractères qui gagnaient à rester cachés. Dîtes-moi comment est-ce que nous en étions arrivés là ?
***
« Des kinders, toutes la franchise est dans cette caisse. Regarde de plus près, mon grand ». Un sourire étira mes lèvres, il sauta presque au plafond lorsqu’il constata que j’avais fait en sorte qu’il ait ses sucreries préférées perdues dans mon ravitaillement. Il monta aussitôt, ne perdant pas une miette de temps. Du coin de l’œil, je le vis ouvrir un paquet, excité comme une puce. Je retire ce que j’ai pu dire plus tôt, Jarvis était une vraie tête de nœud. « Tu es irrécupérable, Mattia » je lâchai démarrant ma voiture, le niveau d’huile était suffisant, celui d’essence de même. J’étais prête, il était prêt. L’aventure de ma vie pouvait enfin commencer, à ses côtés. Cette pensée me tira un sourire tandis que je passai ma seconde vitesse : « J’flippe un max’…cette nana n’a pas voulu de moi par le passé, vingt ans plus tard, je doute qu’elle ait changé d’avis », mon regard frôlait l’horizon, je retrouvai mon sérieux, prise de panique. Encore, toujours, les mêmes questions venaient m’hanter. Je ne tournai pas rond, je perdais pied. Le tumulte amorcé depuis ma venue au monde s’amplifiait. Nous restâmes bloqués dans des bouchons plusieurs heures, avant que Monsieur l’enquiquineur ne décide de revenir à la charge : « Amen, on va la faire cette pause, Jarvis. Dis-moi, ta vessie est aussi petite que ça ? C’est la deuxième fois en à peine DEUX HEURES ». J’étouffais un rire moqueur, c’mec : une vraie gonzesse. Je jaugeais l’état d’empressement de mon ami et m’engageai dans la voie menant à une station-service. Là, où j’allais profiter de la fluidité pour remplir mon réservoir : « Attends, pas si vite », il me fit face à nouveau : « Tu veux que j’achète d’autres trucs pendant que tu fais couler le robinet ? ». Je souriais, mon langage manquait de pudeur, c’est vrai : « Par contre, tu peux tirer un trait sur les boissons, ne me regarde pas comme ça. J’préfère prévenir que guérir. A ce rythme-là, ma génitrice aura l’temps de se tirer une deuxième fois ». Je le laissais partir, décidant qu’il serait bon que j’aille payer mon dû. En revenant, l’pote était déjà installé, pépère : « Bordel à cul, Jarvis. Dis-moi que tu as ton permis de conduire ». Mon dos commençait à me lancer, mes mollets subissaient le joug d’une crampe phénoménale. Je le suppliai presque du regard.
Le pire dans tout ça, c'est que son amie rentra dans son jeu. Son amie, elle qui avait quelques années de plus que lui, elle qui devait -en théorie- être plus mature. Elle l'était, en temps normal. Mais pas les dimanches matins, pas après une nuit passée dehors, pas après une soirée comme ils avaient passé. A son tour, Kais imita l'âne. Elle le faisait bien. Très bien même. Alors, un petit sourire aux lèvres, Mattia lui murmura « T'as dû être ânesse dans une seconde vie! ». C'est là que le vieux hurla, vociférant contre eux, plus particulièrement contre Mattia. Ce qu'il dit fit exploser de rire le lycéen, tout comme Kais. Le blond pisseux, c'était lui? Il s'était vu, ce type, avec sa dentition? Et puis quoi? Il voulait le poursuivre pour trouble sur voies publiques? La blague ! Lui en criant ainsi ne risquait-il pas de réveiller tout seul ses voisins? Alors, Mattia, pris dans un élan de rébellion, lui afficha un joli sourire, fit un mauvais geste, et s'exclama. « Bon courage pour me retrouver! » Sympathique adversaire; il l'encourageait même... Ses menaces ne lui faisaient point peur. Pas là. Pas en ce dimanche matin.
Retour sur ce samedi soir
« Tu es irrécupérable, Mattia » Tout ça, parce que Mattia, les yeux joyeux, le sourire sur les lèvres ouvrait un superbe paquet de bonbons. Ouais, il était irrécupérable. Mais ses bonbons, c'était toute son enfance. Et puis sérieux, il n'était pas si loin que ça de son enfance. Il aimait toujours les bonbons.. Assis confortablement, il attendit patiemment que la jeune fille mette en marche la voiture, et démarre. Elle ne tarda pas à le faire. La soirée pouvait maintenant commencer. La route défilant, fourrant de temps en temps un délice dans sa bouche, buvant de temps en temps une gorgée de coca ou de bière -quel mélange-, Mattia se taisait. Il essayait d'imaginer le bonheur que la jeune fille allait avoir. Bonheur, ou malheur. Kais le lui avoua; elle flippait. Elle flippait un max. Et lui, il ne sut pas quoi lui dire. Aller voir cette femme, c'était une chose que Kais devait faire, mais cette femme, voulait-elle la voir, elle? Si ça se trouve, elle était plus que soulagée de l'avoir abandonné, d'avoir tiré un trait sur ses neuf mois passer avec elle, à se partager son sang, son souffle.. Mais si ça se trouve, elle était triste. Peut-être qu'y a vingt ans, elle n'avait pas eu le choix. Et peut-être que maintenant, chaque jour, elle le regrettait. Ils n'en savaient rien. Mais ils allaient vite savoir. Enfin, vite, c'était mal dit. Les bouchons le samedi soir étaient rares, rares mais bien présents ce samedi soir là. Et lui, il avait envie de pisser. Encore. Elle ne tarda pas à lui faire la remarque. « J'ai une vessie de gonzesse quand je bois autant; j'y peux rien, c'est physiologique. » Consciente qu'il souffrait de martyre pour se retenir, elle prit la voie de la station-service, et s'engagea pour remplir son réservoir. Alors que Mattia filait vider le sien, il l'entendit demander s'il voulait qu'elle achète autre chose. Oui! Encore des boissons! Il avait tout vidé, tellement ça part vite tout ça! Mais non, même pas. Elle le devança, et dit que non. « J'veux rien alors » dit-il, avant de faire une moue boudeuse, et d'aller se vider la vessie.
Il était déjà installé à sa place, quand Kais arriva. Aussitôt, elle hurla, priant pour qu'il ait son permis de conduire. « ouais, je l'ai! On nous l'offre au jardin d'enfants, maintenant! » Tout heureux de prendre le volant -elle ne l'avait pas explicitement dit, mais le regard qu'elle lui lançait en disait long-, Mattia passa par dessus le frein à mains, et s'installa à la place du conducteur. « Allez, magne-toi Ka'! » dit-il pour l'inciter à monter dans la voiture. Puis, ils se mirent en route.
Les bouchons n'avaient toujours pas disparu. Dommage. Ils y passèrent près d'une demi-heure. Une demi-heure pendant laquelle Mattia râla après les autres conducteurs. Ceux qui ne mettaient pas de clignotants pour changer de file. Ceux qui ne roulaient pas assez vite, et qui laissaient 4 mètres entre la voiture de devant et la leur.. C'est dans ces bouchons que Mattia se rendit compte que non, il avait oublié de prendre son permis avec lui. Il dormait tranquillement sur sa table de nuit, à Arrowsic. Mince! Tant pis.. Il y avait peu de chances pour qu'ils se fassent arrêter, non? Puis, enfin, ils quittèrent cette grande route pour passer sur une plus petite. Et enfin, après un long moment, ils arrivèrent dans le patelin. « C'est ici? Eh bah.. c'est presqu'aussi paumé qu'Arrowsic ici.. » Il n'y avait rien. Aucun panneau n'indiquait une piscine, une patinoire, et pire encore, aucun panneau n'indiquait 'terrains de tennis'. Les pauvres..
Arrêté à un stop, Mattia jeta un coup d'oeil rapide à sa passagère. « T'es prête? Si tu'veux pas, on peut toujours revenir une autre fois. » Il comprendrait.