Départ précipité qui le laissait sans voix, l’amenait à se poser de plus en plus de questions et surtout dont il ne comprenait pas vraiment la raison. Coupable de ne pas l’avoir vu venir, depuis l’évènement, il avait perdu un peu de cette joie de vivre qu’il avait mis si longtemps à acquérir. Une perte qui semblait bien dure pour un être déjà bien rongé par la noirceur. Comprendre, cela devenait peu à peu une question de survie, le seul moyen de ne pas devenir fou face à cette absence totalement inexplicable. C’est comme si en un instant, il revenait en arrière, à ce moment où il avait été tellement persuadé que le monde entier n’en avait que faire de sa personne. Une étape douloureuse qui l’avait conduit dans le plus infâme des endroits de la terre : la prison. Rien que d’y repenser, son sang se glaçait, jamais plus il ne voulait y retourner où même revoir le regard qu’on lui lançait. Oui, durant tout le procès, il avait vu les yeux de ceux qui le prenait pour un meurtrier et cela n’avait vraiment rien de réjouissant. Exclus encore plus qu’il ne l’avait été, il se battait, depuis sa sortie, pour changer son image et garder bien cacher ses années problématiques. Personne ne voulait avoir dans son quartier un ancien taulard, surtout accusé de meurtre, un garçon qui avait simplement commis des erreurs, certes plus grandes que la moyenne mais qui ne restait toutefois que des mauvais choix. Devant ce verre qui ne se vidait pas vraiment, il repensait à ce grand-père qu’il avait tant aimé, la seule personne de sa famille qui ne lui avait pas tourné le dos, jusqu’à ce qu’il parte avec comme seul explication une lettre sans vraiment de sens. Oui, tout ne tournait pas forcément rond dans cette histoire néanmoins, il n’avait nullement le temps ni les capacités pour le comprendre maintenant. Pour l’instant, tout ce qui comptait, c’est que le bar continue de vivre. Pour Blazhe, c’était en quelque sorte un patrimoine familial qu’il voulait conserver. C’est ici qu’il avait eu sa première cuite, un soir où il était entré en douce en compagnie une jolie demoiselle. C’est aussi ici qu’il se sentait le mieux comme si ce lieu lui offrait une certaine quiétude. Oui, pour lui c’était le meilleur moyen de ne pas devenir chèvre et s’il bossait ici chaque week-end c’était plus par pur envie que par obligation. L’argent certes ne coulait pas à flot, il gagnait toutefois honorablement sa vie et pouvait parfois s’offrir deux – trois extras. Alors, s’il restait ici, dans ce lieu chargé d’émotions c’était bien plus par plaisir et pour ne pas passer le week-end, seul, dans sa bicoque bien trop grande pour lui. Un endroit qu’il n’aimait guère néanmoins, il la retapait chaque fois qu’il en avait le temps pour faire de ce lieu un véritable palace. Ayant toujours été habile de ses mains cela ne lui posait pas vraiment de problèmes. Le seul véritable souci c’est qu’il avait bien du mal à rester le temps nécessaire pour rénover l’endroit. La peur de la solitude, de replonger vers l’enfer dont il avait mis si longtemps à s’en sortir. Autant de choses qui le rendait parfois bien sombre, augmentant ce côté mystérieux qui le rendait plaisant mais aussi bien dangereux. Oui, même maintenant qu’il avait arrêté toutes ses conneries, il ne devenait pas un enfant de cœur, il se battait sans cesse avec un passé dont il ne voulait pas entendre parler. Tout cacher, c’était douloureux, compliquer, ça le hantait presque. Cela restait tout de même un mal nécessaire. Il savait, sans l’ombre d’un doute, la façon dont on le regarderait si les gens savaient, connaissaient les raisons de sa venue et surtout pourquoi il n’était plus venu durant presque dix ans. Mentir devenait peu à peu comme une seconde nature, une peau qui le recouvrait au même titre que sa carapace. Alors, il se noyait dans l’ocre de son verre pour ne pas totalement craquer. Une façon bien à lui de contourner le flot de ses pensées entre deux verres à servir. En cette heure avancée, il ne restait plus grand monde. Quelques ivrognes qui finiraient sans doute leur soirée chez eux tout en continuant de boire encore et toujours plus. En les voyants, il se revoyait quelques années avant, quand l’alcool et la drogue avaient une place prédominante dans son existence. Peut-être que sans la prison, il serait assis à un tabouret de bar ou mort. Parmi tous les habitués, il y avait une personne qui attirait son attention plus que toutes les autres. Peut-être parce qu’au milieu de temps d’hommes il était bien impossible de ne pas la voir out tout simplement parce qu’elle pétillait, seule, en train de danser comme si tout n’était qu’une fête. Malheureusement, étant un peu sur l’air, elle manquait souvent de se retrouver les quatre fers en l’air, il savait que blondie avait atteint sa limite du moins pour ce soir. « Bruce, tu fais la fermeture ce soir, je dois aider quelqu’un à rentrer. » Il ne fallait pas être devin pour comprendre de qui il était en train de parler, vidant d’une seule traite le restant de son verre, il se dirigea vers la donzelle et la rattrapa de peu. Il lui sourit tout en continuant de garder cet air un peu trop grave sur le visage tout en parlant de sa voix la plus amicale possible – un exploit pour lui. « Gale, il est temps de rentrer, allez viens je te ramène. » S’il avait su en buvant son premier verre qu’elle viendrait ce soir, nul doute qu’il aurait bu de l’eau et surtout pas les deux suivants. Oui, il ne pouvait pas la ramener en voiture dans un tel état et sachant qu’elle n’habitait pas trop loin, il ne lui restait plus qu’une seule solution et il était persuadé qu’elle se révèlerait assez drôle. « Tu sais quoi, comme tu es une cliente très spéciale, tu as droit à un retour chez toi à la hauteur. » Il était assez étrange de constater qu’il avait tendance à se montrer plus gentil envers ceux qui n’avaient pas toute leur tête comme si voir les gens allé mal l’amenait à briser un peu de sa carapace. Prenant doucement la demoiselle dans ses bras, il la recouvrit de son propre manteau avant de la ramener jusque chez elle. Pour un non expérimenté cela semblerait compliquer cependant, ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte, il n’eut qu’à prendre la clé dans le sac de la demoiselle et de remercier le manque de pluie qui dans le cas inverse aurait sans l’ombre d’un doute causé un véritable désastre. Rentrant doucement à l’intérieur, il fit très attention pour ne pas la cogner avant de la déposer doucement sur le canapé et de lui lancer un « bienvenue à la maison » totalement étrange et lui ressemblant si bien. Blazhe ou l’énigme vivante.