« ENFOIRÉS! » hurla Ross en donnant un violent coup de pied dans le tibia de son bourreau, ce qui lui valut un coup de poing dans les côtes suffisant à lui couper le souffle.
« J'aime pas ton langage. » « Va te faire foutre, connard! Elle a douze ans, fous-lui la paix! » siffla-t-il entre ses dents alors que les supplications de sa soeur parvenaient jusqu'à lui, sombres sanglots teintés d'effarement. Ses côtes endolories n'étaient rien comparé à la douleur cuisante provoquée par les plaintes étouffées de sa petite soeur, mais c'était surtout l'impression désagréable d'assister à sa destruction sans rien pouvoir faire qui le tuait. Le regard obstinément tourné vers son agresseur afin de ne pas être témoin de la scène qui se déroulait sous ses yeux, Ross se fit brusquement attraper par les cheveux et fut forcé de poser les yeux, une fraction de seconde, sur la silhouette presque inerte de celle qui avait eu le malheur de grandir dans la même famille que lui.
« Regarde ce que ça fait quand on obéit pas aux ordres. » Les paupières hermétiquement closes alors que des larmes de frayeur et d'horreur glissaient sur ses joues, Ross refusait d'assister à cette exécution barbare de ce qui restait de sa soeur.
« Libérez-là. Je ferai ce que vous voudrez, mais libérez-là! » Un rire cruel s'échappa des lèvres de celui qui, âgé d'à peu près dix-sept ans, retenait la fillette prisonnière.
« Pour qu'elle aille prévenir ceux qui te servent de larbins, Rocky? Bien joué, mais raté. Je sais pas si elle a encore assez de forces pour me repousser si je mets ma main dans sa cul ... Oh ... C'est un vrai petit soldat! » Tentant désespérément de fermer son esprit à ce qui se passait autour de lui, effrayé pour la première fois de sa vie et visiblement à bout de nerfs, ce fut le coup de feu retentissant dans la ruelle qui le fit redresser la tête, presque persuadé de voir le corps de sa soeur inerte aux pieds du tortionnaire.
Elle n'était plus là. Elle n'était plus là et il n'eut même pas la peine de regarder autour de lui pour la retrouver que la fillette en pleurs se blottissait contre lui, les liens des cordes autour de ses poignets le faisant atrocement souffrir, mais le soulagement de la retrouver levant toutes les blessures du monde.
« Faut croire que t'as une taupe dans tes rangs, salaud! Tu peux tirer sur tout ce que tu veux, mais on a dit qu'on s'en prenait pas aux gosses. Tu viens de conduire un de tes sbires dans les égouts, Gordon. Bravo. » Cramponné à sa soeur alors que l'un de ses amis avait coupé les liens qui le maintenaient prisonnier, Ross remarqua le tas informe exactement à l'endroit où se trouvait la gamine quelques instants plus tôt, dans l'ombre.
« On se reverra, Rocky. Et t'auras pas la même chance. » Il avait fait un pas vers eux, mais Ross venait de dégainer son couteau afin de le dissuader d'approcher.
« Dégage, Gordon. » Les pleurs de sa soeur s'évanouirent doucement à force de réconfort et Ross, entouré de ceux sans qui il aurait eu beaucoup de mal à se tirer d'affaire, la reconduisit en sécurité, dans le petit appartement miteux qu'ils occupaient avec leur mère, leurs deux frères et leur soeur plus jeune, âgée de quatre ans.
***
« Abby ... J'ai eu une bourse d'études, on va enfin pouvoir quitter cet enfer. J'étudierai en médecine et je saurai vous protéger, toi et le bébé. J'aurais jamais pu, sans la bourse, mais ... Je l'ai eue, Abby. Je te laisserai pas tomber, je te le jure. » fit-il alors que des larmes perlaient au coin de ses yeux. Âgé de dix-neuf ans, maintenant, Ross tenait la main de sa petite amie, violemment attaquée dans les ruelles sinistres et lugubres des bas quartiers de New York. Il lui semblait qu'il y avait maintenant une éternité qui le séparait du jour où elle lui avait annoncé qu'elle attendait un enfant, du jour où elle lui avait demandé de rester à ses côtés au lieu de prendre la fuite, du jour où il avait promis. Et pourtant, trois mois seulement avaient passé et il se retrouvait là, dans une chambre d'hôpital, à lui tenir la main alors qu'elle ne pouvait même pas l'entendre. L'hôpital de quartier était la seule chose qu'ils pouvaient se permettre alors que Ross s'en voulait à mort de ne pas avoir l'argent nécessaire pour payer les soins de santé de celle pour qui il aurait tout donné. Le bruit constant des machines finit par l'apaiser et sa tête reposa au creux de son bras, ses doigts fièrement entrelacés aux siens.
« Ross Matthew Bradford? » Sursautant violemment, Ross ne put qu'acquiescer en plissant les yeux sous la lumière.
« C'est votre petite amie? » « Oui. » « C'est vous qui l'avez emmenée ici? » « Oui. » « Les nouvelles sont mauvaises. Vous saviez qu'elle était enceinte? » « Oui je le savais. » souffla-t-il en baissant les yeux sur le corps presque sans vie d'Abbigail.
« Elle a perdu beaucoup de sang et la balle logée dans son abdomen a fait beaucoup de dommages. Elle a reçu des coups d'une violence ... » « C'est pas possible de dire les choses clairement? » l'interrompit-il, le visage ravagé par la colère, la peine et la douleur.
« Lors de l'opération, nous nous sommes vus dans l'obligation de retirer le foetus; il n'était plus viable. Je suis vraiment désolée. » avoua-t-elle en posant une main qu'elle voulait réconfortante sur l'épaule de Ross. Le jeune homme se dégagea brusquement, les sourcils froncés, en proie à une vague de colère qui n'aurait malheureusement pas dû être dirigée vers la femme médecin qui avait tenté de la sauver.
« Vous voyez ça? » demanda-t-elle avec douceur en posant le doigt sur les différentes machines qui entouraient l'adolescente alors que Ross approuvait sans bruit, persuadé de connaître la suite sans vouloir la savoir.
« Sans ça, elle mourrait. Prenez tout le temps qui vous sera nécessaire. » Les yeux rivés sur l'électrocardiogramme, les larmes s'évanouissaient sur ses joues sans qu'il ne tente de les retenir. Silencieux, il venait de comprendre qu'il venait de tout perdre, encore une fois à cause de cet enfoiré de quartier. Après lui avoir expliqué ce qu'il devait faire pour la laisser partir, le médecin quitta la salle et Ross se jeta sur tous les fils qu'il put trouver en les arrachant violemment de leur emplacement. Ravagé par la tristesse, ce fut dans les bras de sa soeur qu'il se réfugia ce soir-là alors qu'elle était venue l'attendre à l'hôpital. Il dut parler aux flics, « une question de procédure » apparemment, afin d'expliquer ce qui s'était passé. En vérité, Ross était persuadé qu'ils le croyaient coupable.
***
« Arrête, Ross! Il y a toujours des conditions! Tu voulais qu'on termine nos études, c'est fait. Tu voulais qu'on travaille tous les deux, c'est fait. Tu voulais qu'on emménage ensemble, c'est fait! Qu'est-ce que tu veux de plus? » Tout en l'attrapant par la taille pour la soulever, Ross l'embrassa avec fougue avant de la faire légèrement tournoyer.
« Épouse-moi. » L'éclat de rire de sa compagne résonna dans la chambre à coucher jusqu'à ce qu'elle voit la bague qu'il venait de lui mettre sous le nez. Une magnifique bague. Vraiment.
« Ross ... T'es pas sérieux. » « Je n'ai jamais été autant sérieux de toute ma vie. T'es la femme que j'aime. La seule. l'unique. Et tu seras toujours la femme que j'aime. Je t'aime et je ne me vois pas vivre sans toi à mes côtés. » avoua-t-il délicatement alors qu'il essuyait de son pouce les larmes de surprise qui perlaient au coin des yeux de sa douce.
« Ton père est d'accord ... » fit-il avec un sourire malicieux, persuadé d'obtenir ainsi une réaction un peu plus violente de la part de sa bien-aimée, bien-aimée qui ne manqua pas de lui arracher le nez en gesticulant.
« T'as demandé ma main à mon père? Bordel, Ross! J'ai vingt-sept ans! » C'est avec douceur qu'il attrapa son visage entre ses mains et qu'il l'embrassa le plus tendrement du monde, tentant vraisemblablement de lui montrer toute l'étendue du pouvoir d'attraction qu'elle exerçait sur lui.
« Je voulais que ce soit fait dans les règles. » murmura-t-il entre deux baisers avant de la pousser jusqu'au lit, la retenant d'une main afin qu'elle tombe en douceur sur le matelas moelleux qu'ils avaient acheté tous les deux lorsqu'ils avaient décidé de s'éloigner et de venir vivre dans une petite ville du Maine, là où la vie serait plus tranquille. Caressant délicatement ses cheveux, il plongea son regard dans le sien dans l'attente d'une réponse, qu'elle soit positive ou négative. Il l'avait rencontrée quelques années après le début de sa formation alors qu'elle venait d'entrer à l'université et si leurs rapports s'étaient révélés quelque peu conflictuels au départ, ils avaient rapidement compris qu'ils avaient bien plus de points en commun qu'ils ne l'avaient d'abord cru.
« Oui. » Ross sentit son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine alors qu'elle passait ses bras autour de son cou en riant.
« Oui, je veux t'épouser! » avoua-t-elle à nouveau alors qu'il la serrait contre lui, heureux que ses sentiments soient partagés. Pendant quelques mois, elle oublierait.