C'était un de ces dimanches pluvieux, à mourir d'ennui. Le ciel était sombre, et le déluge était tombé toutes la matinée. J'avais profité d'une accalmie dans le milieu de l'après midi pour prendre un peu d'air frais. J'avais besoin de ma dose quotidienne de moments passés dehors, sinon je me sentais oppressée et étouffée. Emmitouflée dans une veste, je m'étais mise en tête de marcher jusqu'au phare et y rester jusqu'au coucher du soleil, en espérant que le ciel se dégage jusque là afin de pouvoir admirer les derniers rayons sur l'océan agité.

J'étais donc assise, les jambes pendant dans le vide, de la musique à fond dans mes oreilles, regardant les vagues s'écraser sur les rochers en contre-bas, m'imaginant la sensation que pourrait procurer un plongeon de la hauteur où j'étais alors. J'ai toujours aimé ce qui procure de l'adrénaline. Je suis depuis mes quinze ans une adepte de saut à l'élastique et du deux cent à l'heure sur les autoroutes. J'aime le danger. J'aime l'interdit. Mais depuis quelques semaines, j'avais été contrainte de me calmer un petit peu au niveau de mes lubies. J'avais eu ce qui me pendait au nez depuis l'obtention de mon permis : un accident de voiture. Je roulais trop vite, j'étais énervée, triste et je tremblais de honte. Bref, je n'étais pas maître de mes sens, et je n'avais pas réussi à freiner à temps pour un virage particulièrement dangereux. Je m'étais retrouvée, la tête à l'envers, ma voiture ayant fait un tonneau. Je n'avais pas grand chose à part quelques égratignures aux bras et une bosse sur la tête, mais mes jambes étaient coincés dans les fracas de ma voiture en feu, m'empêchant de sortir.

Ce jour là, j'ai vraiment été persuadée pendant quelques minutes que j'allais mourir. Trop souvent on voit dans les films des voitures exploser après un tel accident, et j'étais terrifiée que le même sort ne me soit réservé. Je suis ressortie changée de cette expérience, vraiment.

Oui, j'en suis persuadée, je serais morte si Jayden n'avait pas été sur les lieux. C'est lui qui m'a tiré de mon merdier, et dans les bras de qui j'ai pleuré après m'être dégagée de ma voiture. Ça n'a pas manqué, le réservoir d'essence s'est enflammé quelques minutes après seulement que je n'en sois sortie, réduisant ma voiture à un tas de cendres. J'aurais dû cramer dedans, mais Jayden était là.

Je devrais le remercier toutes les cinq minutes, lui envoyer des fleurs tous les dimanches, je sais. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre. C'est totalement contraire à ma personnalité. Je l'admire, je suis très reconnaissante envers lui pour ce qu'il à fait pour moi, mais je suis incapable de le lui montrer. Je fais même exactement tout le contraire. A vrai dire, une part de moi lui en veut de m'avoir vue dans un état si pathétique, chialant comme une gosse et toute tremblante de peur.

Cela fait des années que je tente de prouver au monde entier que je n'ai besoin de personne, que je suis forte. Et Jayden à réduit tout cela à néant. Alors avec lui, je suis odieuse, voire méchante. C'est vrai, je ne l'ai jamais vraiment apprécié, mais jamais je n'avais été si violente dans mes propos avec lui.

Je songeai à tout cela, penchée vers le vide, les yeux perdus dans le remous des vagues, essayant de me convaincre de lui écrire un petit mot gentil en rentrant chez moi. Mais je savais que je ne le ferai pas, malgré toutes les bonnes résolutions que je voulais prendre.

Le vent frais qui soufflait sur Arrowsic me faisait frissonner. J'étais bien, perchée au dessus des vagues, laissant mon regard se perdre dans l'écume. J'aimais Arrowsic. Plus que je n'avais jamais aimé New York. Certes, la grande pomme était le lieu où s'étaient réalisés mes rêves, les souhaits que je faisait à chaque anniversaire au moment de souffler mes bougies depuis mes dix ans. Mais New York, mis à part cela, n'avait été que néfaste pour moi. J'y étais devenue amère, méchante, indifférente aux autres. C'était également là que j'avais dû faire le plus grand sacrifice de ma vie. J'avais tué, en quelque sorte, pour parvenir à mon rêve. Rêve futile. J'aurais mieux fait de ne jamais quitter ma ville natale. Mais comment aurais-je pu savoir ? J'étais naïve, à l'époque. Incapable de me rendre compte que les rêves ne sont pas fait pour être réalisés.

Et j'avais été punie pour mes erreurs. J'étais devenue une personne que je détestai, j'avais honte d'être moi, sans parvenir à changer. C'est le châtiment le plus dur, à mes yeux. Pire que la mort d'un proche, pire que la tristesse de se sentir rejeter. Se détester sois même est quelque chose d'inhumain. Ce dégoût qui naît dans vos entrailles et n'en sors jamais. Cette envie de changer sans savoir par où commencer, sans réussir à faire quoi que ce soit. J'étais devenue tellement égoïste que je n'étais même pas capable de remercier une personne à qui je devais la vie. Ç'en était pathétique.

J'espérais qu'avec le temps, toute cette rancœur caché en moi partirait. Arrowsic, calme et sans histoire, m'aidait pour cela. C'était ici qu'étaient plongées mes racines, ici que ceux pour qui je comptais se trouvaient. Un retour aux sources, un retour au temps de l'innocence. Voilà ce que représentait la ville pour moi.

J'étais absorbée par le mouvement des vagues, ne prêtant aucune attention à ce qui m'entourait. C'est une voix qui me tira de ma torpeur. « Surtout, ne saute pas ! Je ne voudrais pas te sauver une deuxième fois ! Je serais obligé de me mouiller … » En parlant du loup... Un grognement sorti de ma gorge, manifestant ma frustration de voir Jayden ici. Cependant, je m'adoucis en entendant le rire du pompier. Tant de fraîcheur, de bonheur, de simplicité dans ce rire enfantin. Voilà. C'était à ça que je voulais ressembler. Une jeune femme sans histoire, gentille, douce et forte à la fois. Et tout ce que je faisais, c'était lancer des regards noirs aux gens, les foutre dans le fond afin de me sentir plus grande.

Jayden avait monté les marches qui menaient au phare et se trouvais à présent à mes côtés. Je me levais pour l'accueillir, tout en lui réservant mon regard le plus neutre. Comme si j'en avais rien à faire. Comme si il ne comptait pas. Car ce regard, c'était le seul que je connaissais. Je croisais les bras sur ma poitrine, ne faisant aucun mouvement pour lui faire la bise. « Ha ha, très drôle, vraiment. » Je poussais un soupir exaspéré, parce que c'était le seul qui acceptait de sortir de ma bouche. Le seul qui me faisait sentir plus forte, plus supérieure. Erreur. Erreur. Me criait tout mon être. Et pourtant j'étais incapable d'agir autrement. « Ne rêve pas trop, je ne fais jamais la même erreur deux fois. D'ailleurs, j'aurai très bien pu m'en sortir sans toi. C'est pas parce que t'as ouvert la portière d'une voiture ayant fait un tonneau que t'es un héros, hein. » Je me mordillais la lèvre. Je n'aurai pas dû aborder le sujet de l'accident de voiture. Cela montrait que j'y faisais attention, que ce fameux jour me perturbait toujours. « Pourquoi tu n'irais pas faire ton jogging ailleurs ? Montrer ton joli corps de pompier musclé à des filles qui en ont quelque chose à faire ? »

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