Ma tête était lourde. Mais je me sentais vide, tellement vide. Comme si le vent avait balayé tous mes espoirs, tous mes problèmes, toutes les douleurs qui se trouvaient dans mon corps. Je l’avais encore fait. Encore une fois. Mes aller-retour aux toilettes se faisaient de plus en plus fréquent, et oui je l’avoue, ça m’effrayait. Je vomissais tout ce que je mangeais, et mon corps ne supportait pas le vide dans mon estomac. Je voyais que mon corps s’affaiblissait de jour en jour, me laissant fébrile et instable. J’étais blanche, et les cernes creusaient mes yeux avec force. J’avais envie de pleurer. J’avais envie de pleurer parce que je me sentais tellement mal que je n’avais plus l’envie de faire quoi que ce soit. Comme si j’avais perdu goût à la vie. Mais ce n’était que le début, je le savais. Je n’avais fait que reprendre mes vieilles habitues de New York, inconsciemment, sans prendre la peine de me résonner. J’avais été idiote, encore une fois. Je n’avais pas pu m’en empêcher. Et maintenant que j’avais commencé, je n’étais pas certaine que j’avais la force nécessaire pour arrêter cette bêtise. Oui, j’étais conscience que j’étais en train de te foutre en l’air. Encore une fois. Pourtant, j’avais tout pour être heureuse : ma ville natale, mes amis, et peut-être même l’amour. J’y étais presque. Je touchais du bout des doigts au bonheur. Je me sentais respirer et vivre, depuis longtemps. Je me sentais humaine, tout simplement. Alors pourquoi ? Et comment ? Comment ai-je pu replonger dans mes vieux démons, aussi facilement ? Je me croyais plus forte. Je pensais que j’étais plus forte. Mais il faut croire que la vie était plus forte que moi, et que n’importe qui d’autres.

Et parmi ce malheur dans lequel je m’enfonçais lentement, il y avait une personne gentille et incroyablement attentionnée qui m’avait tendue la main, qui s’était ouverte à moi, un peu comme par surprise, un peu comme une rencontre anodine à laquelle on ne s’attend pas. Et effectivement, je n’avais pas été prête. Je n’avais pas été prête à me faire aider, je n’avais pas été préparée à exposer ma douleur à la face du monde entier. Je voulais rester cachée, je voulais me morfondre dans un tourbillon de ténèbres sans échappatoire possible. C’était facile, c’était simple, et je l’avais déjà fait. Je ne voulais pas affronter la réalité, me dire qu’effectivement j’étais en train de tout gâcher, que mes efforts avaient été vain. Je ne voulais pas m’apercevoir que j’étais restée faible, et que ma souffrance bien que silencieuse était en train d’exploser. Mais lui, Ashton, il m’avait entendu. Il était intervenu dans un moment de faiblesse, comme un ange, comme un ange tombé du ciel. Et moi, stupide comme j’étais, j’avais été ignoble avec lui, je lui avais balancé des méchancetés, des insultes qu’il ne méritait sûrement pas. Et je m’en voulais, affreusement. Parce que je savais que je n’étais pas cette personne-là, que je n’étais pas méchante, que je n’étais pas une sale garce qui préférait affronter la vie toute seule et qui reniait tous les autres. Je n’étais pas cette personne, et je le savais. J’avais enfoui cette Abbey longtemps auparavant. Mais elle était revenue, sans que je ne comprenne, sans que je ne m’y attende. Mais je ne voulais pas être cette Abbey. Plus maintenant. J’en avais fini avec elle. Je savais que j’avais besoin des autres pour survivre. Et mon ami Ashton, lui, il était là pour moi, il m’avait aidé, et même si je ne voulais pas l’admettre, j’avais besoin de lui, et de sa force que je n’avais pas. Je m’en voulais affreusement. De l’avoir renié, de lui avoir balancé à la figure des mots que je ne pensais même pas. Je devais m’excuser. J’en avais besoin.

Il était presque neuf heures et demie, et il était très probable qu’il soit au lycée, à ordonner à ses élèves de faire dix tours de terrain, ou quelque chose de ce genre. Il avait tellement de choses à faire en tant que professeur. Ça ne devait pas être évident tous les jours. Mais alors pourquoi s’était-il préoccupé de moi ? Pourquoi m’avait-il accordé du temps alors qu’il avait tellement d’autres choses à faire ? Pourquoi moi ? Je ne méritais pas toute cette attention, toute cette générosité que je recevais de sa part. Il était tellement gentil, tellement compréhensif, et moi je n’avais été qu’une garce égoïste. La boule au ventre, je me dirigeai vers le lycée McDonell que je n’avais pas eu la chance de fréquenter. Presque tous mes amis y avaient été scolarisés, et tous m’avaient dit qu’ils avaient passé les meilleures années de leur vie, années que j’avais passé à réaliser mon rêve devenu un réel cauchemar. Mon cœur se serra un instant. Il fallait que j’aille de l’avant. Il ne fallait pas que je passe mon temps à regarder derrière moi et regretter toutes les choses que j’avais faite. J’inspirai un coup, et alla vers le gymnase, où j’entendis des bruits assourdissants de chaussures, de sifflets et de ballons rebondissant sur le sol. C’était des bruits monotones, mais agréables. Discrètement, j’ouvris la porte et me faufila dans les gradins. Les élèves étaient très appliqués, et on voyait qu’ils fournissaient beaucoup d’efforts. Il me semblait qu’ils jouaient au basketball. Sur le côté je vis Ashton, très concentré sur le jeu, le sifflet dans les mains, et parfois on l’entendait crier des interjections dans toute la pièce. Je m’assis, et attendit que le temps passe, regardant avec peu d’attention un jeu que je ne comprenais pas. Finalement, la sonnerie retentit et les élèves disparurent aussitôt. Je sentis alors le regard d’Ashton sur moi. Je me sentais gênée, après tout ce qu’il était passé, mais j’étais là pour tout arranger. J’étais là pour avancer. Je descendis alors des gradins, prit une balle qui était restée sur le parquet et commença à la balancer dans mes mains, négligemment. « Alors, c’est donc dans cette nauséabonde odeur de transpiration que tu passes tout ton temps ? » Un léger sourire s’afficha sur mes lèvres. J’étais tout de même contente de voir Ashton. Il était quelqu’un de joyeux, avec un caractère assez marqué certes, mais je l’appréciais énormément. Je me demandais comment j’avais fait pour l’ignorer tout ce temps.

Et voilà. J’y étais. J'étais devant Ashton, j'étais exposée à son regard, à son jugement. Je ne sais pas ce qu’il pensait, et je crois que je n’aurais pas aimé le savoir. De la haine ? De la rancune ? Du dégoût ? De la déception ? Tout était possible. Et je le méritais, en fait. Je méritais qu’il me déteste, après tout ce que je lui avais dit. Il n’empêche que je me sentais extrêmement mal. Depuis notre altercation, depuis longtemps en fait. C’était un mal-être qui me consumait la peau chaque jour, sans que je ne m’en rende compte, sans que je ne puisse faire quelque chose. Comme si la douleur cherchait à m’engloutir jusqu’à ce que je devienne poussière. Et le plus triste dans tout ça, c’est qu’elle y arrivait. Très bien même. Mais j’allais me battre. Je le devais. Même si j’étais extrêmement faible et fragile. Même si j’étais naïve et stupide. Même si je foutais ma vie en l’air instinctivement, sans le faire vraiment exprès. Je ne voulais pas me laisser bouffer par la vie. Je ne voulais pas la voir défiler sous mes yeux, avec amertume. Je voulais vivre, tout simplement. Je voulais sentir la vie, je voulais respirer la vie, je voulais goûter la vie. Et j’allais y arriver. Même s’il fallait que je souffre pour y arriver. Au fond de moi, je le savais. Et c’était cet espoir qui me faisait encore tenir bon. Un tout petit espoir qu’il fallait que je préserve. Et pour aller mieux je devais d’abord m’excuser auprès de lui, retrouver son amitié, et surtout sa présence.

« Eh! Je t'interdis de critiquer mon odeur naturelle ! » Pour lui, la vie continuait. Je regardais toujours Ashton d’un œil admiratif. Toujours. Il avait une telle joie de vivre, une telle prestance, une telle énergie qui me laissait palpable. Sa spontanéité et son dynamisme étaient beaux à voir. Il continuait à sourire, il continuait à rire, à rire de tout, à plaisanter, à plaisanter avec la vie, à jouer d’elle, comme si elle n’était qu’une chose insignifiante et peu importante. Nous étions si différents. Lui il buvait la vie, alors que moi je m’y laissais avaler. Pour lui tout semblait facile et pour moi tout semblait compliqué. Et pourtant, malgré nos différences, nous avions réussi à trouver un terrain d’entente, nous avions réussi à communiquer ensemble, et à présent j’avais besoin de lui si je voulais guérir. Encore une fois. Je ne pouvais jamais rien faire toute seule. J’avais toujours besoin d’une épaule, d’une épaule pour me supporter, moi et mes multiples bêtises. J’étais pathétique, tout de même. Je soupirai. Encore une journée à me morfondre dans mes sombres pensées... Mais peut-être pas pour très longtemps, après tout. « Ton odeur naturelle ? Eh bien, je comprends pourquoi aucune fille ne vient ici ! » Tout semblait si facile avec lui. Dès qu’il était là, j’oubliais tout, j’oubliais mon malheur et je me laissais aller. Comme si je renaissais, le temps d’un court instant. Et puis je sentis ses mains venir se poser sur les miennes, pour me diriger et lancer le ballon en direction du panier. Amusée par ce tour de passe passe, je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire timide. « Panier ! Une vraie championne dis-moi ! » Son sourire franc et sincère réchauffait mon cœur avec chaleur. La bonne humeur d’Ashton était contagieuse, je crois. « Une vraie championne qui ne comprend même pas les règles du jeu ! »

Et puis il me posa la question qui me rendait toujours mal à l’aise. « Comment vas-tu ? » J’hésitai, un instant. Je le fixai, avec son grand corps et son t-shirt un peu sali par la transpiration, et son sourire dont je ne me lassais de regarder. Je ne pouvais pas lui mentir. Pas à lui. Lui qui savait déjà tout, lui qui s’était immiscé dans mes secrets les plus enfouis. Je passai une main dans mes cheveux et lui répondit : « Bah, tu sais bien. Pas très bien. Mais bon, je tiens le coup. » Je ne voulais pas lui gâcher sa journée. Je ne voulais pas être celle qui lui aurait causé de l’ombre dans sa vie pimentée et pleine de rebondissements. Je ne voulais pas être un fardeau pour lui, loin de là. Je voulais juste être avec lui, et faire ce que nous avions l’habitude de faire auparavant. Je voulais juste qu’il me pardonne pour que je me sente mieux. Alors je pris ses mains chaudes dans les miennes et les serra très fort, comme si j’avais peur qu’il me laisse tomber. « Écoute Ash', si je suis venue ici, c’est pour m’excuser. M’excuser d’avoir été une telle garce avec toi, m’excuser de t’avoir balancé des mots que je ne pensais même pas, m’excuser d’avoir été une telle idiote. Je suis vraiment désolé pour tout ce que j’ai dit, tout ce que j’ai fait. » Ces temps-ci, je trouvais que je passais beaucoup de temps à m’excuser, malheureusement ce n’était pas ce à quoi j’étais forcément très douée. Je soufflai un coup, et je continuai sur ma lancée, sans réellement réfléchir. Je laissais mon cœur parler, tout simplement. Et parfois, il était plutôt efficace. « La vérité c’est que je ne sais pas trop ce qu’il m’arrive Ashton. J’ai peur. J’ai peur de l’avenir. Et par-dessus tout, je suis complètement perdue. Je ne sais pas pourquoi je fais tout ça, je ne sais pas pourquoi je continue à détruire ma vie. Je pensais être assez forte pour combattre tout ça, mais à l’évidence je n’y arrive pas. » Je plongeais mes iris dans les siens. Son regard attentionné me rassurait et me mettait en confiance. « Et toi, t’es arrivé, comme ça, comme un ange tombé du ciel, t’es arrivé de nulle part dans ma vie et maintenant je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Tu sais, moi je pensais que j’avais besoin de personne, que j’allais m’en sortir toute seule. Mais j’ai besoin de toi. Alors s’il te plait, pardonne-moi. » Et puis finalement je desserrai mes mains des siennes, soulagée. Oui, je me sentais soulagée, parce que je m'étais laissée aller à mes sentiments, et ça faisait un bien fou.

Et malgré tout, malgré ce que je lui avais fait, ce que je lui avais dit, Ashton restait le même et m’accueillait grands bras ouverts. Était-ce possible d’être si gentil ? Je ne méritais sûrement pas autant d’attention. Mais d’un autre côté, je ne pouvais pas nier que toute cette générosité me faisait énormément de bien. Je ne voulais pas l’admettre, mais la présence d’Ashton m’aidait beaucoup. Rien que sa présence. Avec son sourire, son humour, sa bonne humeur. Il était l’exemple parfait de celui qui semblait vivre sa vie pleinement. Et moi je n’aspirais qu’à une chose : pouvoir vivre, moi aussi, comme lui le faisait très bien. Et je n’allais pas laisser tomber. Car la vie valait la peine qu’on se batte pour elle. La vie valait la peine d’être vécue, j’en étais persuadée. « Donc…tu n’es pas une fille ? » Je le levais les yeux au ciel et d’un geste je bousculais son épaule avec ma main avant de dire : « Dis pas des bêtises ! » Il est vrai que ça m’avait manqué. Ces petits moments avec Ashton. Ces moments où je parlais avec lui, de tout et de rien, ces moments où je riais sans retenue, ces moments où je retrouvais un peu de vie, en fait. C’étaient des moments très courts, très éphémères certes, mais ils étaient aussi précieux que des étoiles dans le ciel. Et puis son rire éclata dans la pièce, réchauffant alors mon cœur perdu dans le givre.

Après m’avoir écouté très attentivement, il me serra dans ses bras, et je me laissais faire, parce que c’était ce dont j’avais besoin, et il l’avait très bien compris. Je n’avais même pas eu besoin de le lui dire. Ses bras chauds m’entouraient, et j’appuyais ma tête sur ses épaules dures. Son parfum effleurait mes narines avec douceur et son souffle titillait mes oreilles agréablement. J’aurais pu rester des heures dans ses bras. Parce qu’au moins, je me sentais en sécurité, comme si j’étais invincible et que personne ne pouvait jamais me toucher. « Je dois m’excuser aussi, après tout je n’avais pas à me mêler de ta vie comme ça et j’en suis vraiment désolé. » J’avais été égoïste. J’avais été froide et méchante. Lui ce qu’il voulait c’était juste m’aider. Et c’était exactement ce qu’il me fallait, sauf que je ne voulais pas l’admettre. « Non, tu n’as pas à t’excuser Ashton. Si tu n’étais pas entré comme ça dans ma vie, je ne sais pas ce que j'aurais fait maintenant. Alors c’est moi qui dois m’excuser de ne pas t’avoir laissé venir plus facilement. » Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais toujours eu le don de faire confiance aux mauvaises personnes et ignorer les bonnes personnes. Il faut croire que j’étais douée pour faire les mauvais choix. J’y étais habituée à présent. « Mais le truc c’est que maintenant je tiens trop à toi pour pas m’emmêler, pour accepter de te laisser toute seule. Tu es forte Abbey, tu es très forte, peu de personnes sont capables de surmonter ce que tu vis, tu es vraiment forte, tu as simplement besoin d’aide… et je suis là. » Les paroles d’Ashton étaient comme des vitamines pour moi. Ça rentrait dans mon corps et ça me faisait sentir tellement mieux, tellement plus légère, tellement plus vivante. « Tu sais, je pensais vraiment être forte. Mais je ne le suis pas. Je suis faible et ça me bouffe tous les jours.. » J’essayais, de toutes mes forces, je le voulais vraiment, mais plus j’avançais, et plus je m’enfonçais dans ma propre douleur. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas, qui foutait tout en l’air. Et plus le temps passait, plus je voyais la clé du bonheur s’évader au loin. « Mais merci d’être là. Ça compte beaucoup pour moi. » Et puis il ajouta : « Et t’es déjà toute pardonnée Abbey et je serais là pour toi, tant que tu auras besoin de moi. » Le pardon. C’était comme un cadeau, comme une récompense du ciel. Un bref sourire sur les lèvres, je fermai les yeux, l’espace de quelques secondes. Parce que je me sentais bien et que je ne voulais rien d’autre que sentir le corps d’Ashton contre le mien.

Et puis finalement je me desserrai de son emprise, le regard brillant. Ashton était quelqu’un de formidable. Je savais que je pouvais avoir confiance en lui. Je savais aussi qu’il ne fallait pas que je le perde. Plus jamais. Et j’allais tout faire pour le garder près de moi. Je pris sa main et l’emmena vers les gradins pour qu’on puisse parler, comme avant. Je m’assis alors et attendit qu’il fit de même. La salle était vide. On pouvait entendre dehors les élèves chahuter et profiter de la récréation. Mais le silence régnait dans le gymnase, seuls nos souffles apportaient des ondes sonores à l’immense pièce. C’était comme si nous étions dans une bulle invisible que personne ne pouvait atteindre à part nous. « Alors, comment tu vas toi ? » Je n’avais pas spécialement envie de parler de moi, même si je savais qu’il allait forcément aborder le sujet. Mais pour l’instant, je voulais juste prendre des nouvelles d’Ashton, de mon ami venu à ma rescousse dans les océans déchainés.

Je me sentais soulagée. Je me sentais soulagée parce qu’Ashton m’avait pardonnée, et parce que sa présence m’apaisait le cœur. J’avais vraiment été idiote de le laisser tomber. A force de trop se méfier des gens, parfois on en souffrait. Je me pensais imperméable. Je me pensais imperméable aux autres. Je m’étais promis que plus personne ne rentrerait dans ma vie, pas si cela signifiait que j’allais souffrir. Je voulais être seule. Je pensais que c’était mieux ainsi. La vérité c’est que l’attachement aux autres était ce qui pouvait me guérir, mais c’était aussi ma plus grande faiblesse. Peut-être parce qu’une fois que je m’attachais à quelqu’un, je m’y accrochais tellement que le moindre coup me faisait chuter dans le fond. Mais ça n’allait pas se passer de cette façon avec Ashton. J’en étais convaincue. Parce que je savais qu’il ne me ferait jamais de mal. Jamais. « T’as fini de dire des bêtises ? Si tu étais si faible, tu n’essayerais pas de te relever et tu ne serais pas venu me trouver aujourd’hui. » Je demeurais silencieuse. A vrai dire, si j’avais laissé tomber, c’était justement parce que je pensais que j’étais trop faible pour affronter la vie. Je pensais vraiment que je n’avais pas les forces nécessaires pour cela. Mais les mots d’Ashton me frappèrent comme une bombe. Et s’il avait raison ? Peut-être que l’important, ce n’était pas forcément d’être fort, mais de se sentir fort. Et ça changeait tout. Complètement tout. « Tu n’as peut-être pas tort. » dis-je, presque inaudible. « C’est normal Abbey. » Non, ça n’était pas forcément normal. Pour moi, ça ne l’était pas forcément. Parce que beaucoup de personnes m’avaient laissée tomber, et j’avais également laissé tomber beaucoup de personnes. Le fait qu’Ashton soit là pour moi signifiait beaucoup à mes yeux. Il était comme un ange tombé du ciel.

« Je crois que ça va, c'est un peu mouvementé en ce moment pour moi mais, je m'en sors pas si mal. » La vie d’Ashton était bien différente de la mienne. Il avait des problèmes avec sa sœur, avec ses amis, avec ses proches. Des problèmes que moi je n’avais pas. Les problèmes que je rencontrais, le plus souvent, c’était à propos de moi. Pour cette raison j’avais constamment la sensation d’être seule, même si ça n’était pas vraiment le cas. C’était un peu comme un combat avec moi-même. « Qu’est ce qu’il se passe ? Des problèmes avec ta sœur ? » Je souris. Même si je savais qu’Ashton préférait parler de moi, de ma santé, j’aimais aussi entendre ses histoires à lui, qui me faisaient oublier les miennes, en fait. Mais Ashton était Ashton, et je ne pouvais pas le changer. « Et toi, belle princesse, comment s'organise ta petite vie ? » « Bah, rien de spécial. Je fais toujours comme si tout allait bien, mais je sens que je vais bientôt craquer. C’est de plus en plus difficile, et je ne sais pas comment arrêter ça. Tu vois, je crois que je suis fatiguée de me battre et de sourire comme si le monde était à mes pieds. Parce que ça n’est pas le cas, tu le sais bien. » Je n’avais pas honte de dire tout ce que je ressentais à Ashton, lui qui savait déjà presque tout. « Si tu veux parler de ce que tu sais mais que t’es pas censé savoir, ça ne va pas mieux. » J’inspirais profondément, avant de dire doucement : « Je ne sais pas pourquoi je fais ça Ashton. C’est comme un automatisme, je le fais sans m’en rendre compte vraiment. Je ne réfléchis plus et voilà. Je sais que quand c’est fini je me sens incroyablement légère, et que ça fait un bien fou. » Dans ma tête tout se confondait. Je n’étais plus sûre de rien. « Mais ça fait mal un peu mal aussi.. » Je savais qu’il ne fallait pas que je replonge. Je ne voulais pas souffrir, encore une fois. Mais c’était déjà trop tard, je sentais déjà mon estomac se tordre douloureusement et ma tête divaguer. « Tu dois sans doute penser que je suis folle. » Il ne m’avait jamais jugée, en fait. Il m’acceptait comme j’étais. Comment arrivait-il à faire ça ? Je pensais que le monde entier me fuyait. Mais Ashton, lui, était venu à ma rencontre.

Spoiler:

« Évidemment que les bords de la plaie luttent pour se refermer et que l'horloge voudrait qu'on la remonte. »

Spoiler:

Il n’était pas préférable de contredire Ashton. J’avais appris un peu à le connaitre, et tout ce que je pouvais dire, c’est qu’il aimait avoir le dernier mot. C’est pour cela que quand il me dit « Je peux même te dire que j'ai raison. » je préférai demeurer silencieuse, et approuver d’un hochement de tête. Ses mots étaient tellement rassurants, c’était fou. Par ses paroles et par ses gestes, Ashton arrivait à faire quelque chose que peu de gens arrivaient à faire : me donner la confiance, me donner la certitude que oui, tout allait bien aller. C’étaient des moments comme celui-ci qui me donnaient la force nécessaire pour avancer, même s’ils étaient rares et éphémères.

Nous avions un peu de temps devant nous. Je ne savais pas exactement la durée de la récréation, mais les bruits qui s’écoulaient du couloir me disaient qu’il restait encore quelques minutes. Le temps était court certes, mais il était largement suffisant. « Je l'ai surprise avec son petit copain et en fait, je savais même pas qu'elle avait un petit copain. Le problème c'est que... enfin je l'ai surprise... tu vois quoi ? Et elle m'a hurlé dessus, je lui ai collé une gifle et depuis c'est silence radio. » Je ne pus m’empêcher de sourire face à cette anecdote. C’était le genre de choses qui aurait pu très facilement m’arriver à moi, si j’avais vécu avec mes parents. J’avais été tellement volatile. C’était le genre de choses qu’on racontait plus tard à ses amis histoire de rire un peu. Et moi ? Que raconterais-je à mes proches, à mes petits-enfants si jamais j’avais la chance d’en avoir ? Mon histoire ? Non, elle était bien trop sombre. Mais je pouvais encore modifier mon histoire. Il n’était pas trop tard. « Elle devait sûrement avoir très peur de te le dire, ce que je pense, est assez compréhensible, vu tes réactions spontanées. Je suis certaine que si elle te l’avait dit, tu aurais tout fait pour que tout s’arrête, ou tu serais allé voir son copain pour lui poser des millions de questions, j’ai pas raison ? » Les histoires d’Ashton me redonnaient toujours le sourire, parce que je les trouvais drôlement amusantes. C’était fou à quel point il s’inquiétait pour sa petite sœur. C’était adorable. C’est vrai que j’aurais aimé que Sheila s’inquiète pour moi de cette façon. Mais la relation que j’avais avec elle était très différente de celle qu’Ashton entretenait avec sa petite sœur Ella. « Tu ne devais pas te sentir très à ta place hein ? Mais tu sais, les jeunes à cet âge-là, c’est normal qu’ils fassent ce genre de choses. Je suis plutôt bien placé pour en parler d’ailleurs.. » Bien sûr, je préférais en rire plus qu’autre chose. Ce n’était pas comme si je devais en avoir honte. Je me souvins qu’à l’époque je ne pensais qu’à une chose : m’amuser. Et c’est vrai que parfois, j’avais envie de replonger à cet instant où je ne pensais à rien d’autre que de profiter de la vie. « Ne t’inquiète pas, ça va s’arranger. Ce n’était pas comme si elle avait couché avec un homme de 30 ans, c’est son petit ami. Ce n'est pas super grave. Je pense qu’il faut vous laisser du temps. » Un sourire compatissant s’afficha sur mes lèvres. Moi aussi, je voulais être là pour lui.

« Jamais, je ne penserais pas ça Abbey, jamais. » Je le regardais poser son doigt sur ma bouche et le retirer. C’était donc vrai. Ashton m’acceptait réellement comme j’étais, avec mes multiples défauts ? Je devais avouer que j’avais du mal à le croire, mais c’était ainsi. Et c’était réconfortant d’un côté, de savoir qu’il y avait quelqu’un qui vous aimait pour ce que vous étiez réellement. J’étais heureuse d’être tombée sur une perle comme Ashton. « Tu sais tu as le droit de craquer, je veux dire, faire semblant ne t'apporte rien, tu mens aux autres et tu te mens à toi-même. Tu ne devrais pas, je pense que ça ne t'aide pas réellement. » Il avait raison, et je le savais. Le truc, c’est que je ne pouvais pas m’en empêcher, et je ne savais pas pourquoi. Peut-être parce que c’était plus facile comme ça ? Pas vraiment, en fait. Mais je ne voulais pas embêter les autres avec mes problèmes. Je ne voulais pas être un fardeau. « Je sais. Mais je ne veux pas non plus m’apitoyer constamment, tu vois ? Je n’en ai pas envie. Je crois que je veux juste avancer, et oublier. Oui, c’est ça. Mais bon, ce n’est pas aussi facile que je ne le croyais. » Alors oui ça allait mettre du temps avant que je guérisse complètement de mes blessures, ça allait peut-être encore faire mal, mais j’allais y arriver, un jour. Et je me délectais d’ores et déjà de ce jour miraculeux. « Mais tu sais, on va se battre contre cette automatisme ma belle. » Ce « on » avait l’effet d’un médicament dans mon cœur. Qu’Ashton soit là pour moi, pour me donner la force nécessaire, c’était vraiment quelque chose de magique, fabuleux, extraordinaire. Je ne pus m’empêcher de verser une larme, que je séchais immédiatement. Je n’avais pas l’habitude qu’on me porte autant d’attention. « Et demain midi, tu manges avec moi. » « D’accord. » J’approuvais d'un signe de tête, avec un petit sourire. Il fallait bien que je recommence à manger. Il fallait surtout que j’arrête de vomir tout ce que j’avalais. Il fallait que je chasse mes anciens démons pour toujours.

Je devais avouer que la manière dont se préoccupait Ashton de sa famille m’amusait beaucoup. Il était si protecteur, si attentionné, peut-être même un peu trop. Mais c’était ce qui faisait de lui un homme exceptionnel, comme je n’en avais jamais vu auparavant. « C’est vrai que j’aurais peut-être mis mon grain de sel… t’as raison. » Je lui adressais un regard tendre. Je commençais à bien le connaitre, et j’en étais ravie. Passer à côté de quelqu’un comme lui aurait été une véritable erreur. Heureusement, je m’en étais rendue compte au moment opportun. « Et oui, moi aussi je peux avoir raison. » dis-je, satisfaite. En tout cas, parler de la vie d’Ashton m’amusait beaucoup plus que de parler la mienne. Mais je savais qu’au fond, si on parlait, c’était justement pour m’aider, même si ça faisait un peu mal, forcément. « Je ne me suis jamais senti aussi mal à l’aise de toute ma vie je crois ! Même si je sais que c’est normal, personnellement, je n’ai pas attendu d’avoir dix-sept ans pour ça. » J’essayais de m’imaginer la scène dans ma tête, et une chose était certaine : ça n’avait pas dû être une partie de plaisir pour aucun des trois intéressés. « Ah bon ? Je ne savais pas que tu étais précoce dis-donc. » Je lui tapotais l’épaule gaiement, avec le peu de forces que j’avais. « J’imagine qu’une nouvelle fois, t’as raison. » Je ne dis rien, me contentant de sourire et d’appuyer ma tête sur mes mains, plongeant mon regard sur l’autre côté du gymnase. « C’est plutôt grand ici en fait. » dis-je, plus pour moi-même que pour Ashton. Cette salle avait quelque chose de chaleureux –malgré l’odeur-, et c’était sans doute pour cette raison que je l’appréciais.

Et puis finalement Ashton m’adressa un sourire plein de compassion. Il était adorable. Vraiment. J’avais l’impression que son visage me poussait à avancer, et c’en était étonnant tout comme c’en était impressionnant. « Ce n’est pas facile et puis il faut du temps et que acceptes l’aide de ceux qui te tendent la main ma belle et ça, ce n’est pas s’apitoyer, crois-moi. » Accepter l’aide des autres. C’était quelque chose qui me faisait incroyablement peur. Car je ne voulais pas tendre ma main pour qu’on la laisse tomber, je ne voulais pas me fier aux gens pour qu’ensuite ils m’ignorent complètement. Oui c’est cela, j’avais peur de perdre mes amis, j’avais peur de faire confiance, j’avais peur de perdre espoir. Mais quelque chose en moi me disait qu’Ashton faisait partie des bonnes personnes, de celles qui ne vous lâcheraient jamais, pour rien au monde. « Promets-moi que quoi qu’il arrive, tu ne m’abandonneras pas. S’il te plait. » Je le regardais, les yeux brillants, pour ensuite me blottir dans ses bras chauds. Ici, je me sentais bien. « Tu vas réussir ma belle. » Je fermais alors les yeux. J’avais décidé de faire confiance à Ashton. J’avais décidé de le laisser entrer dans ma vie. Peu importe les risques, je m’étais déjà attachée à lui de toute façon. Il était mon ange, mon ange à moi.

Il est vrai que je n’avais pas connu Ashton quand il était adolescent. Je me demandais bien comment il était, comment il se comportait, s’il avait eu beaucoup de succès auprès des filles, s’il avait eu des bonnes notes, etc. Mais je ne pensais pas qu’il était bien différent de ce qu’il était à présent. « Précoce… pas tellement, simplement, que j’ai vite compris quels étaient les vrais plaisirs de la vie. » Un sourire s’afficha sur mes fines lèvres. Moi aussi j’y avais goûté, aux « vrais plaisirs de la vie ». Peut-être même un peu trop. Mais j’étais frivole et inconsciente à l’époque, et en y réfléchissant bien, c’est vrai que j’avais eu un tableau de chasse plutôt rempli. Mais cette partie de moi, je crois que je ne le regrettais pas tellement. Ça n’était pas quelque chose que je pouvais me reprocher à présent.

Et alors que j’étais blottie dans ses bras, je l’entendis prononcer ces quelques paroles : « Je te le promets ma belle. » Une promesse, qui, je le savais, était une vraie promesse. Je pouvais faire confiance à Ashton. Il m’avait prouvé qu’il allait être là pour moi tout le temps, dès que j’en avais besoin, à n’importe quelle heure de la journée, peu importe la météo. Ashton faisait partie de ces gens qui devenaient indispensables une fois qu’on les avait rencontrés. Il était mon ange. Mon ange qui veillerait sur moi pour toujours, j’en étais persuadée. Et à présent que je d’avais décidé de reposer ma tête sur ses épaules musclées, je n’allais plus le quitter. Jamais.

Il m’avait semblé que le temps s’était arrêté. Que la terre s’était arrêtée de retourner, le temps de quelques instants. Que le monde avait cessé son cours pour nous laisser un moment de répit, à tous les deux. Pourtant, ça n’était pas le cas. Le son strident de la sonnerie me fit sursauter et me ramena à la réalité plus tôt que prévu. Ashton devait assurer ses cours, et ce n’était pas moi qui allais lui en empêcher. Après tout, il avait une vie, et il n’avait pas tout son temps à m’accorder, même si je le souhaitais, un peu égoïstement. « Je vais devoir m’occuper des petits monstres maintenant. » Je hochai la tête en guise de réponse, et me retirai de ses bras chauds. « D’accord. » dis-je. Je n’avais pas envie de le quitter, mais il le fallait bien. « Passe une bonne journée Ashton. » Je me levai alors, et il fit de même. Un bref sourire sur les lèvres, je lui dis : « Et on se voit demain alors ! » avant de tourner les talons vers la sortie. J’étais venue ici complètement angoissée et tourmentée, mais je sortais l’esprit libéré. Je me sentais légère, comme une douce plume.