« De toute façon, j’te déteste. T’es pas mon père ! T’es méchant, tu fais du mal & en plus… bah tu me fais peur. & t’aimes pas maman. Laisse-nous tranquille, j’ai plus envie que tu sois mon père, t’es nul ». Vivement tu te redresses. Ta couverture camel descend sur ton torse nu & le dévoile dans sa totalité. Musclé, mais surtout secoué par cette respiration haletante, saccadée & bruyante. D’une main tremblante, tu commences par toucher ton visage, puis ébouriffes tes cheveux déjà peu disciplinés. Il n’est que quatre heure trente. La faible intensité du réveil éclaire d’ailleurs le blanc de tes draps ; signe que tu as pour une fois passé la nuit seul. Aucune femme. Aucune intrus & inconnue n’est donc le témoin de cette terrible scène. Parce qu’au fond, tu as honte de te foutre dans de tels états pour un môme. Pour ce môme… Ton môme. Hier, tu as fait sa connaissance, & tout s’est foutrement bien passé. Vous avez longuement discuté, il t’a montré quelques photos prises lors de ces six dernières années. &… il a réussi à t’émouvoir, un peu. Tu ignores ce que cela signifie mais… ce cauchemar doit rester un cauchemar, tu en es plus que persuadé. Il est juste inconcevable que tu le déçoives. Fatigué, tu t’allonges de nouveau & remontes un peu la couverture jusqu’à tes pectoraux. Téléphone portable en main, tu grimaces à cause de l’agression lumineuse & soupires de soulagement en repensant à ton fameux jour de congé.
« Lize, sérieusement ?! Ok, ok, on avance la séance. T’as franchement d’la chance d’être gaulée comme une déesse. À demain, 8h » Sans attendre, je raccroche & enfonce mon téléphone dans la poche de mon pantalon. Ma nuit a été désastreuse & en plus de ça, l’une de mes plus fidèles clientes vient de faire glisser son horaire de sorte à me foutre en l’air ma prochaine grasse matinée. Demain, hors de question de la retrouver à dix heure, comme convenu. Ça sera huit heure. Quelle garce. Un profond soupir s’échappe de mes lèvres tandis que mes fesses trouvent appui contre mon plan de travail. Cette journée de congé s’annonçait bien. & finalement ? J’n’ai aucune idée de la façon dont je vais pouvoir m’occuper. Appeler le petit ? Trainer dans les rues d’Arrowsic, sans but ? Tenter une approche vers mes parents ? Ça me rend malade d’être inactif. Ainsi, sans réfléchir davantage, j’empoigne les clés de mon appartement & lance un bref regard en direction de l’horloge accrochée au mur. Il est suffisamment tôt pour que je me défoule. Ma voiture lancée à vive allure m’emmène directement sur le parking de mon local afin que je puisse récupérer quelques affaires qui me seraient sans doute d’une grande utilité pour torturer ma chère cliente, demain matin. J’aurais pu, effectivement, les prendre avant ce fameux cours – & il s’agissait d’ailleurs de ma première intention – mais avec un horaire aussi proche de l’aube, c’est hors de question. Pour une fois, je m’y prends à l’avance. & je gagnerai ainsi quelques précieuses minutes de sommeil.
À l’intérieur, j’arpente les couloirs. Le silence me pousse à croire que je suis seul. Depuis peu, pourtant, je partage la salle avec un deuxième coach. Beaucoup plus jeune & beaucoup moins compétent. Il est là provisoirement & heureusement ; je déteste partager ce qui m’appartient – même s’il me paye un loyer. Les mains dans mes poches & perdu dans mes pensées, je peine à rester concentré. & un corps se heurte inexorablement au mien, m’arrachant un ronchonnement des plus mauvais. Mais en relevant mes yeux, je remarque la présence de mon ancienne petite-amie. Anna. J’ignorais qu’elle s’exerçait. & ça m’étonne. Bouche entrouverte, je m’apprête à la saluer… mais c’est sans compter cette putain d’ignorance. Que lui arrive-t-elle ? J’imaginais qu’après nos retrouvailles, nous pourrions nous croiser sans se fuir comme la peste. À croire que je n’ai pas été suffisamment convaincant.
« Hey. J’nie pas l’fait que tu aies besoin d’une douche, très rapidement mais… » commençai-je en dégageant les cheveux blonds qui m’empêchent de voir son visage autrefois sans cesse abimé par mes mains. Son corps est recouvert d’une fine pellicule de transpiration. Il est donc vrai qu’une douche ne serait pas du luxe mais, je n’ai aucune envie de la voir partir comme ça, sans avoir eu droit à ne serait-ce qu’un maigre regard. « On vit tous les deux ici, on va être amenés à se croiser c’est obligé… Malheureusement pour toi, je sais ! » Un profond soupir s’échappe de ma bouche, & je faufile nerveusement mes doigts dans ma tignasse brune. Soudainement, je repense à ma précédente journée. Ruth a perdu notre enfant. & parallèlement, mon avocate a accouché de notre petit garçon. Bordel, Anna me haïra davantage lorsqu’elle l’apprendra… & j’espère pouvoir lui dire moi-même – bien que cela ne la regarde pas, au fond. « Tu veux une astuce ? Si tu tiens tellement à rester loin de moi, ne traine pas ici. Il y a d’autres salles de sport, d’autres coach. & pour info, je passe jusqu’à six jours sur sept ici » Quoi de plus normal, finalement ? J’ai ouvert ce local avec mes propres moyens. Je suis à mon compte. L’ignorait-elle ? Ou cherchait-elle juste un moyen de me croiser ?