« Je te promets que tu vas forcément trouver un mec pour toi ici. » Jamie m’entraînait par le bras vers le bar en question. On avait 16 ans et on jouait déjà les caïds à boire, fumer et draguer, je fis signe à ma meilleure amie que je voulais finir ma clope et elle rentra donc sans moi. Je profitais de l’air frais –qui me faisait passer les quelques verres d’alcool déjà avalés- avant de jeter mon mégot et de pénétrer dans le bar, balayant la pièce du regard. Jamie me faisait des grands signes : elle était déjà assise et bien entourée. Elle avait toujours su si faire, il y avait pas à dire : elle était là, minaudant comme si de rien était, faisant semblant de prêter attention à ce que le gars lui disait. Sacré Jamie. En me dirigeant vers ma table, je vis Gab accompagné de Noam, comme d’habitude, après tout il était rare de les voir l’un sans l’autre : des années qu’ils se connaissaient et se considéraient comme des frères. Je décidais de les ignorer, je ne voulais en aucun cas déranger leur soirée mec ce qui risquait d’être aussi gênant pour eux que pour moi : le vendredi c’était entre potes, pas touche.
Quelques heures plus tard, mon frère Gabriel s’avança vers nous
« Je rentre Athé, je te ramène ? » J’acquiesçais et laissais donc ma meilleure amie entre de bonnes mains … ou tout du moins je l’espérais. Néanmoins l’inquiétude ne me gagnait pas vraiment, Jamie était du genre débrouillarde et se baladait toujours avec une bombe lacrymo au cas où. Une fois arrivés à la maison, Gab me demanda de le suivre dans sa chambre, il s’assit sur le lit et me toisa le regard inquiet.
« Tu penses quoi de Noam ? » Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Qu’est-ce qu’il lui passait donc par la tête ? Mon frère arbora une moue vexé, sourcils froncés et lèvres pincées
« Je suis sérieux Athéna. » Je stoppais mon hilarité et haussais un sourcil, surprise et confuse, détaillant le visage de Gab : il était vraiment sérieux.
« Qu’est ce que tu veux que je te dise ? T’as peur qu’il te fasse de la concurrence ? Car si c’est le cas je suis désolée mais oui il peut tout à fait te voler une ou deux proies. » Je savais que mon frère était du genre collectionneur mais je n’aurais jamais pensé qu’il puisse faire passer une fille avant Noam c’était même impossible.
« Non c’est pas ça. » Il se leva et me fit face avant de prendre mon visage dans ses mains
« Je veux que tu me promettes un truc. » « Quoi ? » « Noam est pas un garçon pour toi, ne le laisse jamais t’approcher. Je veux pas qu’il te fasse du mal, et surtout, je ne veux pas avoir à le détester. C’est mon meilleur pote tu sais. » Je souris devant cet élan de protectionnisme : sacré Gab il fallait toujours qu’il s’inquiète pour rien.
« Je te le promets. » il sembla soulagé et je pus sortir de sa chambre. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il lui était passé par la tête, pourquoi ça le prenait aujourd’hui. Dans mon esprit tout était pourtant clair : Noam et moi c’était impossible. Il avait toujours représenté le mec impossible à avoir et même si je savais que jamais rien ne pouvait se passer entre nous, il dégageait un truc qui me perturbait, il représentait la tentation à laquelle je ne pourrais jamais céder. C’était le meilleur porte de mon frère, l’intouchable et j’aimais beaucoup trop Gabriel pour le trahir ainsi.
Il y avait foule au sein de la boite de nuit et on était là, bande de joyeux buveurs, entrain de danser n’importe comment. Gab avait 23 ans et un anniversaire ça doit se fêter comme il faut. Ce que nous faisions allègrement. La musique me vrillait les tympans tandis que je dansais avec un inconnu, je me sentais dans un autre monde, emportée loin de tous mes soucis de jeune adulte de 21 ans. Une mèche de mes cheveux me barrant la vue, je la retirais rapidement et mon regard se posa sur le meilleur pote de mon frère : Noam, tout comme moi il profitait de la soirée au bras d’une jolie demoiselle. Il releva la tête et nos regards se croisèrent, je lui adressais un sourire mais aucun de nous ne vint voir l’autre. Je ne voulais pas tenter le diable, surtout après tout ce que j’avais bu. Je me souvenais toujours de la promesse faite à Gab, et rien ne pourrait me faire le trahir.
Vers quatre heures du matin, nous prîmes la route du retour, chez nos parents, pour finir notre soirée tranquillement. Par excès de confiance, ils nous avaient laissés la baraque pour la soirée, de toute façon nous étions trop nombreux pour finir dans mon appart ou celui de Gab.
J’éclatais de rire à une blague de Noam et posais une main sur l’épaule de Gabriel pour retrouver l’équilibre, l’alcool me tournait la tête. Gab monta dans la voiture et je le suivais, montant côté passager, tandis que Noam emmenait nos autres compagnons.
Je n’ai pas très bien compris ce qu’il s’est passé ensuite. Gab a adressé un sourire complice à Noam qui acquiesça de la tête. Je sentais la connerie venir, vraiment car je le connaissais par cœur le frangin. Il avait cette fichu manie de trouver la bêtise à ne pas faire et quand Noam était dans les parages cette manie était décuplée. Gab démarra à toute vitesse et doubla la deuxième voiture. J’agrippais mon siège en riant. Enivrée par la vitesse et surtout par l’alcool, je ne comprenais pas le danger que nous courions. Le feu passa à l’orange et je ne me sentis d’un coup plus très à l’aise. On allait passer au rouge, putain. Je jetais un coup d’œil à mon frère, bien trop concentré sur la route, on passa le carrefour et je vis dans la fenêtre conducteur deux phares se dirigeant droit vers nous. On allait crever. Je n’ai pas eu le temps de crier, pas eu le temps de le prévenir. Choc violent. La douleur envahit mon corps puis se fût le noir complet.
J’essayais de bouger un peu, mes yeux s’ouvrirent péniblement, il y avait de la fumée partout. Du sang aussi, j’espérais que ce n’était pas celui de Gab. Je tournais ma tête vers lui et le vis, inconscient le visage ensanglanté. Ma tête me faisait horriblement souffrir mais je tentais de bouger un peu vers lui. Il fallait que je l’atteigne. Il fallait qu’il se réveille. Je n’ai pas le temps de tenter de réveiller Gab qu’on me retirait déjà de la carcasse de la voiture
« T'inquiète pas princesse je vais te sortir de là ! » Je n’ai pas eu d’autres choix que de me laisser faire, trop faible, je sentais déjà que mes paupières se refaisaient lourdes. Noam me déposa plus loin. Une explosion se fit entendre et je sombrais dans l’inconscience.
Bip.Bip.Bip. Ce bruit ne s’arrêtera donc jamais ? Je m’agitais et tentais péniblement d’ouvrir les yeux. Sans succès. J’essayais de parler. Mais rien à faire, mon corps semblait être aux abonnés absents. Mes souvenirs me revenaient petit à petit : le camion qui fonce droit sur nous, le choc, le visage ensanglanté de Gabriel à mes côtés, Noham qui me sort de la voiture et l’explosion. Mon cœur s’emballa, tandis que la douleur de la perte de mon frère se réveillait, il fallait que j’ouvre les yeux, il fallait que je parle à mes parents, il fallait que je vois Gabriel car c’était impossible. Il ne pouvait mourir, c’était de mon frère qu’on parlait bordel. Mes paupières finirent par s’ouvrir et je fus tout d’abord éblouie par la lumière qui se dégageait de la chambre d’hôpital. Assis sur une chaise, mais la tête posée sur le lit, Noam semblait endormie. S’il était là aujourd’hui sans Gabriel à ses côtés c’est que tout ce que j’avais cru me souvenir s’était réellement passé. Mon frère nous avait réellement quittés. Je posais mon regard sur le jeune homme encore dans les bras de Morphée. Tout ça c’était de sa faute à lui. Noam. Lui qui avait accepté de faire cette stupide course bordel. J’avais envie de le tuer, la, tout de suite. Maintenant. Mais à ce moment-là il leva la tête et son regard me frappa. Toutes mes envies de meurtre s’évanouirent d’un coup tandis que je scrutais les prunelles de Noam. Triste n’était pas un mot suffisamment fort pour décrire ce que je voyais dans ses yeux. Il était dévasté, torturé. Si je le tuais, j’étais persuadée que ça l’arrangerait bien mais je n’étais pas comme ça. Je n’avais absolument pas la force, ni le cœur de le faire souffrir davantage. Pourquoi n’avait-t-il pas sauvé Gab à ma place ? Je n’aurais pas eu à supporter cette souffrance qui semblait me déchirer le cœur à chaque minute.
Aucun de nous deux ne parlait, et nous savions que c’était mieux ainsi. Les jours défilèrent et la présence de Noam finit par devenir réconfortante. Il m’aidait à survivre, à ne pas abandonner l’espoir qu’un jour la vie redeviendrait belle.
Le jour de ma sortie arriva enfin. Un mois que je l’attendais de pied ferme. J’ouvris les yeux et m’agitais, mon regard se posa sur ma main gauche où il n’y avait désormais plus de perfusion. A ma droite, la tête de Noam reposait comme à son habitude, endormi. Je n’ai jamais su comment il arrivait à dormir dans une telle position et surtout je ne comprenais pas pourquoi il ne rentrait pas dormir chez lui. La culpabilité semblait l’avoir fait devenir mon chien de garde attitré, car il restait la plupart du temps avec moi à part durant une ou deux heures où il rentrait chez lui se rafraichir et changer de vêtements. Mais, en tout cas, quand je me couchais il était assis dans ce qui était devenu « son » fauteuil et le matin il était là à moitié affalé sur mon lit. Et ce matin-là n’échappait pas à la règle.
Je passais une main dans ses cheveux et lui caressais doucement le front. Il grogna mais ouvrit les yeux. Durant un mois, nous n’avions pas parlé car parler auraient conduits très certainement à une dispute. Je lui en voulais, il avait tué mon frère. Lui parler ça aurait été comme laisser libre court à ma colère. Mais aujourd’hui, c’était la fin de mon séjour à l’hôpital et je savais qu’une fois chez moi, j’aurais besoin de Noam plus que jamais. La solitude me terrifiait.
« Ca te dérangerait de m’accompagner chez moi ? » Surpris, il laissa passer quelques secondes avant de me sourire
« Non, bien sûr que non. » Très rapidement, on prit nos petites habitudes on débarquait chez l’un ou chez l’autre sans prévenir, quand l’envie nous prenait. Aucun de nous deux ne parla de Gabriel, c’était un sujet défendu car trop sensible. D’ailleurs nous n’avions pas été sur sa tombe non plus. C’était impossible, trop douloureux. Ca aurait été accepté de ne plus le revoir et je n’étais pas assez forte pour ça. Pas encore.
C’était une après-midi habituelle passée chez Noam à se regarder un bon film. On se faisait passer le joint chacun à son tour. J’inspirais la fumée avec un plaisir indescriptible. Depuis la mort de Gab, je n’étais devenue que l’ombre de moi-même. Je sortais peu, fumait beaucoup. La seule personne que je voyais c’était Noam, il m’aidait à garder la tête hors de l’eau, sa présence était comme le joint : indispensable. Je ne regardais pas vraiment le film pour tout dire, j’étais plus concentrée sur les sensations que la drogue me procurait : la tête posée sur l’épaule de Noam, la cuisse calée par-dessus sa jambe, je me sentais en sécurité. Néanmoins, une scène du film, me réveilla quelque peu : un passage osé, un peu chaud me remémorait le fait que je n’avais plus connu ça depuis la mort de Gab. Je jetais un coup d’œil à Noam, l’envie prenait possession de mon corps sans que je ne le comprenne vraiment. Je ne réfléchissais plus, mon cerveau semblait déconnecté par ce que j’avais fumé un peu plutôt. Je posais une main sur le torse de Noam et remontais doucement vers son visage. Il ne me repoussa pas à mon grand soulagement. Il mit sa main dans mes cheveux avant de la laisser glisser jusqu’à mon cou, la mienne vint se loger sur sa hanche pour l’attirer vers moi. J’approchais mon visage du sien, emportée par l’envie et j’effleurais sa bouche de mes lèvres. Il réagit sur le champ et m’embrassa passionnément. Ce fût comme une libération, des années de frustration à oublier que Noam m’attirait d’une façon disproportionnée. Il m’allongea sur le canapé, se postant au-dessus de moi. Je voulais qu’il me serre plus fort, je voulais sentir davantage sa peau contre la mienne. Pour la première fois depuis la mort de Gab je me sentais revivre. Je ne voulais pas que Noam me lâche, jamais.
Mais une odeur de brûlé vint interrompre notre engouement, il s’écarta de moi en lâchant un simple
« Merde ». Et je revins bien vite à la réalité : le souvenir de Gabriel me revint en pleine figure. Je l'avais trahi. Trahis sa belle promesse que jamais je ne laisserais Noam m’approcher. Trahis doublement pour avoir embrassé celui qui l’avait tué. Prestement je me levais du canapé et partis chercher ma veste avant de lui lancer
« Je suis désolée mais j’ai complètement oublié, j’ai un rendez-vous important à la banque ! » Je lui adressais un sourire qui sonnait vraiment faux et sortis de l’appartement.
Une fois rentrée chez moi, l’envie de partir, de quitter cette ville se fit pressente, je fis mes valises et téléphonais à mes parents pour qu’ils ne s’inquiètent pas et le lendemain j’étais partie pour la Louisianne. Là-bas je pu reprendre mes études, mon moral se fit meilleur, je cicatrisais de la perte de mon frère, de l’impossibilité d’être avec Noam.
Les mois passèrent nombreux, j’avais finis par dire au revoir pour de bon à mon ancienne vie. J’avais de nouveaux amis, avais eu quelques hommes avec qui ça n’avait pas pu marcher. Mais un coup de fil inquiet vint déranger mon quotidien, un ami à moi et à Noam me contacta, inquiet de la situation.
« Allo ? » « Athéna ? » « Oui » « Ecoute je suis désolé de te déranger, mais faut que je te parle de Noam, il… il a vraiment mal tourné tu sais. Depuis que t’es partis, c’est un enfer ici. » Je ne disais rien silencieuse, tandis que la plaie béante qui avait mis tant de temps à cicatriser se rouvrait sans plus de difficultés.
« Athéna, faut que tu reviennes, pour lui. Ou pour Gab au moins, tu sais qu’il ne voudrait pas que Noam soit si mal. S’il te plait. » « Ecoute, si Gabriel est mort aujourd’hui c’est en partie de sa faute, Noam n’est pas mon problème, qu’il se débrouille tout seul. » Et je raccrochais sans ménagement.
Je ne pus dormir pendant quatre jours, mon esprit était tout entier tourné vers Noam, à la souffrance qu’il devait subir. Ne supportant plus de ne pas savoir, de ne pas le voir, je pris ma décision et décidais de revenir à Arrowsic.