Anxieuse, je me dirigeais vers l'accueil. J'espérais ne pas tomber sur une connaissance. Je ne voulais pas entendre, hey qu'est-ce que tu fais là ? Je ne voulais pas avoir à m'effondrer. Parce que je ne faisais que ça. Je n'étais bonne qu'à ça. Verser des larmes et me blottir dans le silence. Ne pas savoir quoi faire. Quelle décision prendre. A qui en parler. Je ne savais plus rien. Alors, j'avais décidé d'aller voir le médecin. Parce que c'est ce qu'on fait dans les cas là. Même s'il est bien trop tôt pour faire une échographie. Une simple prise de sang me suffirait. Pour savoir depuis combien de temps environ. Pour je ne sais pas quelle raison. Je savais simplement qu'il fallait le faire. Mais, j'y allais à reculons. Parce que je n'étais pas prête à avoir un enfant. Parce que j'avais dix-sept ans. Parce que j'étais perdue. Et seule. Terriblement seule. Mais, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi n'est-ce pas ? J'aurais pu avorter sans même en parler à Mattia. Le problème aurait été vite réglé. Ou alors j'aurais pu en parler à mes parents. A mon frère. A une amie. Mais, je ne l'avais pas fait. Par conséquent je ne pouvais m'en prendre qu'à moi. J'étais une grosse trouillarde qui ne voulait pas mêler un proche de plus à cette affaire. Je ne voulais pas les voir réagir comme Mattia. Je ne voulais pas me sentir abandonner une nouvelle. Alors, j'avais choisi de me taire. Tant que je le pouvais encore du moins. « Bonjour, j'ai rendez-vous avec le docteur Bradford. » Avec un petit sourire l'infirmière leva le nez de son écran d'ordinateur. Elle m'indiqua un endroit ou m'asseoir en me signalant qu'il n'allait pas tarder.

Je tirais nerveusement sur mon t-shirt. Heureusement que c’était Ross. Parce qu’il me suivait depuis toute petite. Parce que lui il serait là pour moi. Je pourrais lui parler sans crainte. Sans qu’il me tende des brochures sur l’avortement comme si c’était des mouchoirs. Heureusement que c’était lui. J’étais déjà suffisamment angoissée. Je n’avais pas besoin qu’un autre médecin m’ausculte. J’enroulais mes cheveux autour de mon doigt. L’attente me semblait insupportable. J’avais envie de vomir. De prendre mes jambes à mon cou.

Cependant, un médecin s’approcha de moi. M’empêchant de fuir. « Bonjour Ella, le docteur Bradford étant absent, je le remplace aujourd’hui. ». Je restais là, interdite. Elle n’aurait pas pu me prévenir l’autre ? Que je prenne un autre rendez-vous ? Je n’avais pas envie de voir quelqu’un. « Vous me suivez ? » J’acquiesçais vaguement. Je ne savais même pas par quel miracle mes muscles le suivaient. Mon esprit rêvait de faire demi-tour. « Ce jeune interne m’assistera pendant la visite. ». Il avait toujours son sourire sur les lèvres en me désignant son élève. Je posais mon regard sur ce jeune homme. Fernando ? Non, ce n’était pas possible. Là j’avais terriblement envie de fuir. Je ne savais même plus quoi penser de lui. De sa dernière phrase dans l’ascenseur. De son aventure avec Teddy. Je ne savais pas vraiment qu’il était. Et je ne voulais qu’il apprenne ma grossesse. J’avais envie de fuir. Et pourtant je venais de mettre les pieds dans le lieu de consultation.

JE NE PEUX PAS SOIGNER TA MALADIE, C'EST UNE MALADIE DES SENTIMENTS.

Sept heures. Le réveil sonne. Je me lève avec le sourire, comme à chaque fois que je vais à l’hôpital. J’ai passé un bon week-end, surtout grâce à Teddy en fait. Une bonne distraction qui m’a fait un peu oublier Kai. Je me sens désensorceler. J’espère que maintenant, j’arriverai enfin à la voir comme une simple amie. Il faudrait d’ailleurs que je pense à lui téléphoner, histoire qu’on se fasse quelque chose entre potes.

Je me prépare, j’enfile un simple et jeans et un petit pull gris. Je m’en fiche un peu de ma tenue en fait, puisque je devrai me changer à l’hôpital pour mettre ma blouse bleu d’interne. Il ne me faut pas plus de quinze minutes pour être prêt et en chemin pour le travail. Je suis content de m’y rendre, comme tous les jours. Ce que j’aime dans ce métier c’est que chaque jour est différent et je ne sais jamais à quoi m’attendre. En plus, maintenant que je gagne en expérience, on me laisse faire de plus en plus de choses par moi-même. Je marche d’un pas franc et rapide. Je n’habite qu’à une vingtaine de minutes à pied de mon lieu de travail, ce qui est plutôt rapide. Je pourrai tout à fait prendre le bus, mais je préfère marcher, humer l’air du matin, me dégourdir les jambes, respirer avant d’être enfermé toute la journée.

Ce matin, j’apprends que le docteur Bradford sera absent et qu’il va être remplacé par le médecin qui me supervise. C’est bien, je verrai des patients différents pour une fois. Notre première patiente est une vieille femme de 90 ans qui a une rare énergie pour son âge. Elle est obligée de venir chaque semaine pour un contrôle de routine alors qu’elle n’a absolument aucun problème de santé. Elle me fait rire. Elle s’amuse à me draguer pour rire, à me faire du rentre dedans. Je me prends au jeu et la scéance part vite en délire. Au bout d’un certain temps, le docteur Jonhson s’occupe tout de même de nous rappeler à l’ordre. « Vous êtes bien plus marrants que le docteur Bradford, vous devriez le remplacer plus souvent » dit-elle avant de me faire un clin d’œil qui voulait tout dire. « Monsieur Gautier, j’aimerais bien que vous passiez chez moi jouer à l’infirmier un de ces quatres » Cette remarque salace me plie en deux et notre joyeuse patiente s’en va. « Maintenant, nous avons une patiente de 17 ans, Ella Clarke. » Ella, la Ella de l’ascenseur ? Je ne connais pas son nom de famille, mais c’est bien possible. Ce serait à la fois gênant et marrant de la revoir dans ce contexte. En espérant bien sûr qu’elle n’a pas relevé ce que j’avais dit dans l’ascenseur. De toute façon, on va pas pouvoir en parler devant le docteur Jonhson.

Elle entre. C’est bien elle, elle semble se décomposer en me voyant. J’ai l’impression qu’elle n’est pas très heureuse de me revoir. Ou alors, peut-être que ce n’est pas contre moi mais tout simplement parce qu’elle n’est pas dans son assiette. « Salut Ella » Je lui souris et reste sagement à côté de mon superviseur qui lui demande le pourquoi du comment de sa visite.

C’était flippant. Qu’il soit là. Que je tombe sur lui. C’était la première fois que je détestais Arrowsic. Je lui en voulais. D’être trop petite. De ne pas pouvoir me confronter à des inconnus. Je lui en voulais de ne pas me laisser respirer. De m'étouffer. De me mettre constamment face à la difficulté. J’avais envie de vomir mon stress. De pleurer mon angoisse. De trouver n’importe quel prétexte pour me barrer. Pourquoi fallait-il qu’il soit interne ? Pourquoi fallait-il que je tombe sur lui ? Je ne le détestais pas. Je ne savais plus quoi penser de lui. Mais, là n’était pas le vrai fond du problème. J’aurais simplement voulu ne pas tomber sur une connaissance. Rester anonyme. Pour une fois. « Salut Ella ». Il me fit un petit sourire. Je lui faisais un petit signe de la main. Avec un maigre sourire. Je déglutissais péniblement. Je détestais cette situation.

Je me concentrais sur le médecin. J’aurais tellement voulu que ce soit Ross. Mais non. Enfin il me demanda ce qui m’amenait là. Un accident docteur. Une simple petite erreur. Un amour un peu trop fort. Un acte un peu trop fou. Une envie. Une pulsion. Rien d’autre docteur. Simplement la conséquence d’un des meilleurs moments de ma vie. J’inspirais profondément. Il ne fallait pas que je regarde Fernando. « Paraît qu’il est conseillé aux femmes enceintes de faire une prise de sang… » Je ne voulais pas voir le visage du médecin. Encore moins celui de Fernando. Même s’il n’avait rien à dire. Même s’il couchait avec Teddy. Je ne voulais pas avoir à affronter quelconque regard. « Je vais laisser mon interne s’en charger si ça ne te gênes pas ? » Super. Trop top. Mais, non ça ne me gênais pas. Je m’en fichais. Qu’on en finisse au plus vite. Que je sorte d’ici. Que je fuis toute conversation. Je faisais un petit non de la tête. Je n’avais pas envie de parler. Même pour dire oui, je peux servir de cobaye.

L’homme me fit un sourire. Ça sentait la conversation sur l’avenir de l’enfant à plein nez. « Tu sais Ella… » Je secouais la tête de gauche à droite. Comme une petite fille. Je ne voulais pas avoir cette conversation. Vraiment pas. « Non c’est bon, je sais de quoi vous allez me parler. Ça ira, je m’en passerais. » Je lui faisais un petit sourire vaguement désolé. Il ne pouvait pas me forcer à l’écouter. Je ne savais pas ce que j’allais faire de l’enfant. Je connaissais mes options. Je les tournais dans tous le sens. J’y réfléchissais constamment. Je ne faisais plus que ça. Alors, non je n’avais pas besoin d’en parler.

Le bipper sonna et vu la tête du médecin, c’était urgent. « Fernando, je te laisse avec Ella. Je passerais voir comment tu t’en es sorti. » Il sortit rapidement de la pièce. Sans nous demander notre avis. Et en fait, ce que je voulais été en train d’arriver. A croire que la chance m’avait définitivement tourné le dos.

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Ella semble mal en point, mais vraiment. Pas juste un peu, vraiment. Je m’inquiète tout à coup, je stresse. En général, ça ne me fait pas cet effet là, parce que je ne connais pas la plupart de mes patients. Ella, je la connais. On a peut-être discuté qu’une seule fois. Pourtant, être coincés dans un ascenseur pour plusieurs heures, ça tisse des liens. Je me suis senti responsable d’elle dans notre boite métallique, ben là, c’est un peu la même chose en quelque sorte.
Avant qu’un son ne sorte enfin de la bouche de la jeune fille, mon cœur bat à fond, j’ai assez peur de ce qu’elle pourrait dire et j’espère m’être fait du mauvais sang pour rien. Je remarque qu’elle évite nos regards au docteur et à moi. Je ne cherche pas à attirer son attention, je respecte son mal aise.
« Paraît qu’il est conseillé aux femmes enceintes de faire une prise de sang… »

Ca fait l’effet d’une bombe. Ella, enceinte. Ella, avec un petit embryon dans le ventre. 17 ans et enceinte. Moi qui me suis toujours moqué de ces filles adolescentes qui tombent enceintes bêtement alors qu’elles ne sont même pas majeures. Comme dans ces émissions pourries sur MTV. Là tout à coup, je reprends tout mon jugement à zéro. Ca m’étonnerait qu’Ella l’ait fait exprès. Comment peut-on vouloir d’un enfant à 17 ans ? Je ne sais vraiment pas quoi dire, le docteur Jonhson non plus. Je ne pense pas qu’il ait déjà eu beaucoup de cas comme ça à Arrowsic.

J’entends à peine ce que dit Jonhson, je suis encore trop secoué. J’ai les yeux baissés, je ne regarde plus Ella. Je réfléchis. Il faut que je reste professionnel. C’est trop dur. Il parait que c’est moi qui doit faire la prise de sang. Ca ne m’étonne pas de mon superviseur, il est du genre à déléguer les choses qu’il n’a pas envie de faire. Ce cas est un peu délicat, c’est vrai. Il se barre même de la pièce ce con. Qu’est-ce que je suis sensé faire moi ? Qu’est-ce que je suis sensé dire ? J’ai du mal.

Un petit silence s’installe, mes yeux se redressent sur Ella, qui elle a toujours la tête baissée. « Ella… Pour être honnête, je ne sais pas trop quoi te dire. Je vais pas te faire la morale ou te donner des conseils, parce qu’au fond je suis pas tellement plus vieux que toi et je saurai pas quoi faire non plus dans ton cas. » Mon dieu, je me mettais soudainement à la place de son copain alors que je n’en connaissais même pas l’existence. J’espère au moins qu’il est la pour elle. « Ta famille est au courant ? T’inquiètes pas, je vais pas balancer, je serai muet comme une tombe si tu me le demandes. »

Je me dirige vers les instruments du docteur. Je prends la seringue dont j’ai besoin, quelques compresses et un produit désinfectant. Ma main tremble. Je me pose quelques instants. Je suis complètement dépassé par la situation.

Le silence s’installa. J’avais toujours la tête baissée. J’appréhendais le moment où il romprait ce silence. Le moment où je devrais parler. Affronter je ne sais quoi. Je n’avais pas la conversation depuis que j’en avais parlé à Mattia. Mes réactions se limitaient à la colère et la tristesse. Larmes et coups de gueule. Ce n’était pas moi. Mais, j’étais incapable de réagir autrement. Tout ça à cause d’un petit monstre. D’un petit machin minuscule. Un truc plus petit que moi. « Ella… Pour être honnête, je ne sais pas trop quoi te dire. Je vais pas te faire la morale ou te donner des conseils, parce qu’au fond je suis pas tellement plus vieux que toi et je saurai pas quoi faire non plus dans ton cas. » Ça devait bien arriver un jour. Il devait bien rompre le silence. « Y a pas grand-chose à dire de toute façon je crois. » Je ne lui dis pas ça méchamment. Simplement avec cette peine qui commence à me hanter.

J’avais presque envie de me confier à Fernando. Parce qu’il était toujours le même. Il était toujours aussi sympathique. Même si sa phrase me rester en tête. Même si je n’oubliais pas qu’il avait une aventure avec Teddy. Je n’avais pas envie de lui reprocher. D’être méchante. Peut-être parce qu’il n’avait pas réagi comme Mattia ? Je veux dire, il ne m’avait pas méprisé. Il ne m’avait pas abandonné dans cette pièce. C’était peut-être pour ça que j’avais envie de lui faire confiance. De passer outre ce qui me trottait dans la tête. Même si j’y viendrais forcément. En tout cas, j’étais heureuse que Fernando ne soit pas si différent de la fois où nous nous étions rencontrés.

Je relevais les yeux vers lui. J’évitais soigneusement son regard. Mais, au moins je n’avais pas les yeux baissés.« Ta famille est au courant ? T’inquiètes pas, je vais pas balancer, je serai muet comme une tombe si tu me le demandes. » Ça c’est sûr que j’allais lui demander. Je n’avais pas envie que ça se sache. Je ne voulais pas en parler à ma famille. Pas tout de suite. Peut-être plus tard. Peut-être pas. Le plus tard ça serait pas mal. Et pas du tout encore mieux. « Non. Je n’ai pas le courage de leur dire. Je crois que tant que j’ai encore le choix, je ne vais rien leur dire… il vaut peut-être mieux qu’ils ne sachent jamais. » Qu’ils ne sachent jamais. Ça voulait bien dire avorter. Passer cet évènement sous silence. Faire comme s’il n’avait jamais existé. Je n’avais pris aucune décision. Mais, c’était celle qui revenait le plus souvent dans ma réflexion. « Et, je veux que tu sois muet comme une tombe. » Je soufflais. S’ils devaient l’apprendre, c’était de ma bouche. Même si je n’en avais pas vraiment l’intention. Même si je tenais à éviter ça.

Je le regardais se diriger vers ses ustensiles. Il tremblait. « T’es sûr que tu vas t’en sortir ? » ça me rendait assez anxieuse. Non parce que je voulais bien qu’on me fasse une prise sang. Mais pas en une vingtaine de tentatives.

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Ella enceinte. Ella enceinte. Ella enceinte. J’ai beau me le répéter plusieurs fois, j’ai du mal à y croire. C’est trop moche, trop gros pour être vrai. Je brise le silence, il le fallait bien. Je pense qu’à l’heure actuelle, d’autres personnes prendront volontiers le rôle de moralisateur, ce n’est donc pas à moi de le faire. Au contraire, je peux la soutenir. Je ne sais même pas si quelqu’un est là pour elle d’ailleurs. « Y a pas grand-chose à dire de toute façon je crois. »

C’est vrai. Enfin non. Moi j’ai quand même quelque chose à lui dire. « Je sais qu’on ne se connait pas beaucoup Ella mais il faut quand même que tu saches que je suis là pour toi si tu as besoin. En temps que médecin, enfin on va plutôt dire infirmier, mais aussi en tant qu’ami. » J’ai partiquement chuchoté la fin de ma phrase. Comme si c’était mal, comme si elle ne devait pas l’entendre. Oui, je proposais mon amitié à une jeune fille de 17 ans. Qu’est-ce que ça peut faire, à 21 ans je ne suis pas encore un papy. Elle doit avoir besoin de quelqu’un à qui se confier, quelqu’un qui puisse la protéger de ce mal qui la ronge, quelqu’un qui peut écouter et ne rien lui reprocher. Pas son petit ami, pas sa famille, pas sa meilleure amie. Quelqu’un d’extérieur. Moi. Elle relève enfin les yeux vers moi, mais elle évite toujours mon regard. Peut-être trop honteuse ou trop atteinte par la situation. Je ne vais pas l’en blâmer. Je vais la laisser venir, la laisser agir à son envie, à sa guise. C’est elle la patiente, c’est elle la victime. Et ce petit être en elle, ce fœtus qui n’a rien demandé, qui doit certainement lancer sa futur – ou pas – mère dans de grande réflexion sur son existence. Ca me rassurerait que sa famille sache, alors je demande, bien sûr. « Non. Je n’ai pas le courage de leur dire. Je crois que tant que j’ai encore le choix, je ne vais rien leur dire… il vaut peut-être mieux qu’ils ne sachent jamais. »

Finalement, la réponse ne m’étonne pas plus que ça. Ce n’est pas le genre de nouvelle que l’on annonce pendant le repas du genre « au fait, j’ai eu une bonne note en math, mais je suis aussi enceinte, ça c’est moins cool. » Comment annoncer une telle nouvelle à ses parents lorsque l’on a 17 ans ? Ce n’est pas possible, il n’y a pas de bonnes manières, il n’y a pas de bons moments. Il n’y a que le choc de l’annonce, les larmes et éventuellement les cris. Dans sa réponse, elle sous-entend aussi un avortement. C’est vrai que c’est la première chose à laquelle j’ai pensé lorsqu’elle en a parlé. Peut-être parce que c’est ce qui est arrivé à une amie lorsque j’avais 16 ans. Elle était tombée enceinte après sa première fois, avec son petit ami de l’époque. Elle a tout de suite décidé d’avorter, sans en parler à personne, à part à moi. Je l’avais plutôt encouragé à ne rien dire et à en finir. Finalement, je trouve que je n’avais aucun droit sur son choix, j’aurai pas du l’influencer. Après coup, son copain qui était un de mes potes l’a appris. Il ne nous a plus jamais adressé la parole que ce soit à elle ou à moi. Plus jamais. Je n’en parlerai pas à Ella. D’ailleurs, je ne dirais rien qui puisse l’influencer, rien. « Et, je veux que tu sois muet comme une tombe. »

Ca, c’était évident pour moi. J’acquiesse simplement, avec un sourire compatissant. Ca y est, je ne peux pas repousser ce moment éternellement. Je dois la faire cette foutue prise de sang. Je dois faire mon travail. Oui, je suis aussi la pour conseiller et écouter les patients, mais je dois aussi agir. J’ai la seringue à la main. Tout. Ella me sent hésitant. « T’es sûr que tu vas t’en sortir ? »

Il le faut. Absolument. Je serre les dents et je prends son bras. « Oui, ça va aller. Je l’ai déjà fait mille fois. » C’est vrai, ce n’est pas la prise de sang qui m’inquiète, qui me stresse. C’est elle. Je me calme. J’applique un peu de désinfectant dans son bras. Je vise une veine et je pique. J’y vais doucement pour qu’elle ne sente pas grand-chose. Pendant que je remplis ma seringue, je cherche à l’amener à la détente. « C’est peut-être con de demander ça, mais en dehors de ça, rien de neuf depuis la dernière fois ? » J’ose esquisser un franc sourire et enfin elle me regarde. Ses grands yeux bruns plongent dans les miens, je les sens impregner de larmes, mais son visage semble moins sombres que quelques minutes auparavant. Comme si, j’avais quand même réussi à la calmer, au moins un tout petit peu.

Je ne savais pas ce qu’il pensait vraiment de la situation. Tant qu’il ne jugeait pas à voix haute, ça allait. Je n’avais pas envie de ça. Je n’en avais pas besoin surtout. J’étais assez douée pour me démonter toute seule. Pour m’insulter. Me détester. Non, vraiment, je n’avais besoin de personne pour ça. « Je sais qu’on ne se connait pas beaucoup Ella mais il faut quand même que tu saches que je suis là pour toi si tu as besoin. En temps que médecin, enfin on va plutôt dire infirmier, mais aussi en tant qu’ami. » J’esquissais un petit sourire. C’était gentil de sa part. Mais, je ne voulais impliquer personne d’autres là-dedans. Ce n’était qu’un tas d’emmerdes. Et il y aurait bien assez de monde concerné. Bien assez de vies chamboulées. Deux pour le moment. C’était déjà un score trop élevé à mes yeux. Il y aurait pu en avoir qu’une seule si j’avais été moins conne. « Merci. » C’était simple. Mais, je ne savais pas quoi dire d’autre. Je savais que Fernando était un ami. Que je le connaisse ou peu, ça ne changeait rien. Et ça me faisait plaisir qu’il soit là pour moi. Sauf qu’il ignorait encore que j’avais tendance à tout faire pour épargner les autres. Même si pour ce coup-ci c’était loupé. Et en beauté.

Il n’avait pas eu l’air surpris en entendant que mes parents n’étaient pas au courant. J’étais certaine qu’il comprenait. Ce n’était pas quelque chose qu’on pouvait lâcher comme ça. Ce n’était pas facile à dire. Et il n’y avait pas de bonne situation. De bonne façon. De bon moment. Ce moment, s’il venait à arriver, serait un massacre. Cris. Insultes. Larmes. J’imaginais le pire. C’était normal de ne pas vouloir leur avouer. Oui, j’étais certaine que Fernando comprenait ça. Tout comme j’étais certaine qu’il comprenne que je lui demande le silence. Il acquiesça avec un petit sourire. Je lui en étais reconnaissante.
Je ne m’inquiétais pas pour son silence. Un peu plus quant à la prise de sang. Il tremblait. Il avait l’air vraiment anxieux. Alors, non, je n’étais pas très rassurée. « Oui, ça va aller. Je l’ai déjà fait mille fois. » Je lui souriais. Et il finit par la faire cette prise de sang. Parfaitement réussi. Je n’avais presque rien senti. Même si j’étais relativement habituée. « C’est peut-être con de demander ça, mais en dehors de ça, rien de neuf depuis la dernière fois ? » Je relevais les yeux sur lui. Je m’autorisais enfin à croiser son regard. Il avait un sourire franc sur le visage. Je haussais vaguement les épaules. Une grossesse. Une rupture. Et une réconciliation avec mon frère aussi. C’était déjà pas mal. Même si pour mon frère, il risquait de m’en vouloir à nouveau en l’apprenant. Enfin bref. « Hum eh bien, j’ai réfléchi à ce que tu m’avais dit dans l’ascenseur avant de filer prendre ton bain et j’ai entendu parler de toi au lycée mais, mis à part ça rien. Et toi ? » Ou comment essayé de trouver un moyen pour poser les questions qui me tracassaient. Bon si je n’y arrivais pas, je les poserai directement. Ce n’était pas un problème.

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Je devais dire à Ella que j’étais là pour elle. C’était une évidence pour moi. Je suis généreux, c’est dans ma nature. Je ne supporte pas de voir quelqu’un qui va mal. Je ne supporte pas rester à côté, à regarder et à rien faire. La jeune blonde me répondit simplement « merci ».
Finalement, malgré mon petit coup de stress et ma main qui tremble, je réussis parfaitement sa prise de sang. Puisque c’est une processus assez long et que pour faire de bonnes analyses il faut une grosse quantité de sang, je décide de discuter. Bien évidemment pas de sa grossesse, parce que je pense que si elle veut m’en parler, elle saura le faire. Je n’ai pas le droit de la fusiller de question, je n’ai pas le droit de lui donner des conseils, je n’ai pas le droit de m’en mêler. Je lui pose donc une question banale, histoire de savoir si tout va bien dans sa vie – si on oublie trente seconde qu’elle porte un fœtus dans son ventre.
« Hum eh bien, j’ai réfléchi à ce que tu m’avais dit dans l’ascenseur avant de filer prendre ton bain et j’ai entendu parler de toi au lycée mais, mis à part ça rien. Et toi ? »

Merde, merde, merde. Le genre de question que je redoutais mais que, au vu des circonstances, je pensais qu’elle n’allait pas me poser. Et c’est alors que je réponds le plus naturellement du monde « De quoi tu parles ? Ah, quand je t’ai dit que mon père s’était fait assassiné ? » Elle fait oui de la tête. Je fais très bien le mec qui ne comprend pas de quoi elle parle alors qu’en réalité j’ai compris tout de suite. D’ailleurs, je n’ai pas arrêté d’y penser depuis le soir dans l’ascenseur. Cette grosse connerie que j’ai sortie, la grosse gaffe. « Mon père est bien mort. Et ouais, il s’est fait assassiné en quelque sorte par un caïd nommé cancer ! » C’est fou ce que je mens bien. Dans une autre vie, j’aurai pu être comédien. Non, quand même pas. Parce que je sais mentir sur ce genre de truc, certes, mais si il s’agit de cacher ce que je ressens où de prétendre être quelqu’un d’autre, je suis une grosse daube. Là, je mens pour ma sécurité, pour ma survie. Ella semble avaler mon mensonge. Heureusement que mon talent de menteur sert à rattraper mon talent de gaffeur.
Par contre, je dois avouer que je ne comprends pas du tout la deuxième partie de son affirmation. Elle a entendu parler de moi au lycée ? Je ne savais pas que j’étais la star des teenagers. C’est un peu kiffant quand même. Mais, curieux comme je suis, je demande quand même : « Tu dis que tu as entendu parler de moi au lycée ? Comment ça se fait ? »

Je pense que je suis tellement loin d’imaginer ce qu’elle va me dire que j’ai le sourire jusqu’aux oreilles. J’affiche mon éternelle bonne humeur que je compte bien essayer de refiler à Ella. Je me dis que si je positive, peut-être que j’arriverai à lui remonter un peu le moral. L’essentiel, c’est de ne pas m’apitoyer sur son sort. Elle le fait certainement assez toute seule.

Malgré la situation, je voulais que Fernando réponde à mes questions. Premièrement parce que je voulais penser à autre chose. Et deuxièmement, parce que ça me perturbait. J’y pensais vraiment. Ma curiosité naturelle. La grossesse ne l’avait pas fait disparaître. « De quoi tu parles ? Ah, quand je t’ai dit que mon père s’était fait assassiné ? » Je hochais la tête positivement. De quoi pourrais-je parler d’autre ? Il n’avait rien dit d’autre d’aussi important. D’aussi particulier. Ou alors je n’avais pas relevé. Ce qui serait tout de même étonnant. En tout cas, lui ça n’a pas l’air de l’inquiété. Il semblait tout à fait normal. A l’aise. « Mon père est bien mort. Et ouais, il s’est fait assassiné en quelque sorte par un caïd nommé cancer ! » Ça c’était moche. Même si Fernando avait eu l’air de se réjouir de sa mort. Dans l’ascenseur. Je trouvais ça moche. C’était une mort lente. Douloureuse. Quelque chose que je ne souhaitais pas au gens. Même si je ne l’avais vécu. Il n’y avait pas besoin de ça pour savoir que c’était affreux. Enfin bon. Fernando avait eu tout de même une façon bizarre de dire les choses dans notre bloc. Coincé. Mais, peut-être que la situation l’avait fait dérapé un peu. Un surplus d’émotions. De stress ? Peu importe. Je le croyais. C’était l’essentiel, non ? « Je comprends mieux maintenant ! » Je riais légèrement en lui faisant un clin d’œil. Ouais, c’était plus clair et moins intriguant comme ça.

Bon par contre pour l’histoire avec Teddy, il n’avait encore rien dit. Peut-être parce qu’il avait honte ? Ou alors c’était censé rester secret ? Si tel était le cas il avait tiré la mauvaise carte. Elle n’était pas du tout discret. Elle s’en ventait. Ouais, j’espérais pour lui que ça ne devait pas être un secret. « Tu dis que tu as entendu parler de moi au lycée ? Comment ça se fait ? » Je le regardais, surprise. Il se moquait moi ? Il ne s’attendait pas à ce qu’elle s’en vente ? Ça devait vraiment être un secret ? Putain. Je ne savais même plus si je devais parler. Ou s’il était préférable de me taire. Je me mordais la lèvre inférieure. Tic. Tac. « Bah, t’as pas une petite idée ? » Je le regardais avec un petit sourire désolé. Il ne devait pas avoir quinze mille mineure dans ses conquêtes, si ? En fait, ça devenait presque effrayant de penser que si. Je ne le voyais pas comme ça. Et puis, s’il en avait un tas, elles devaient être au lycée. Ça ne rimait à rien. Vraiment. Il aurait dû comprendre de quoi je lui parlais. « Teddy, ça te dit quelque chose non ? » Je doutais sérieusement qu’il me dise non. Qu’il fasse celui qui ne savait pas. Mais, bon, sait-on jamais. Je ne voyais pas Fernando comme ça. Et puis il n’avait aucun intérêt à le faire. Mais, je pouvais me tromper.

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Mon mensonge avait passé. Cool. Tant mieux. Ouf. Je respire un bon coup, soulagé. Je savais que ça allait marcher, je le savais. Je connais mon potentiel, je me connais. Je sais. Mais comment ne pas avoir cette petite boule au ventre ? Comment ne pas se crisper face à un tel enjeu ? Parfois, j’ai l’impression que je grossis les choses, que ce ne serait pas si grave si je disais la vérité à quelqu’un. Mais que ferai-je si cette personne le répétait à une autre, puis l’autre à quelqu’un d’autre encore ? Pour finir, tout Arrowsic serait au courant. Parce que c’est comme ça que les choses se passent ici. Si quelqu’un est au courant d’un secret, tous les habitants ne tarderont pas à le savoir. Je peux gérer une personne, mais pas toute une ville. Qu’est-ce que j’en sais qu’après ma « couverture » ne sera pas grillée ? C’est pas comme s’il ne s’agissait uniquement de mon argent. Ces gens là veulent ma mort. Pourtant, je pense qu’Ella, mieux que personne en ce moment, serait amène de garder ce secret. Elle pourrait me comprendre avec sa grossesse cachée. Mais c’est déjà bien assez lourd pour elle de porter un seul secret. Inutile de la charger d’un autre, surtout d’un comme ça. « Je comprends mieux maintenant ! » J’acquiesse simplement, parce que je n’ai pas envie de m’étendre sur le sujet. Moins je parle de mon père, moins je mens, mieux je me porte.

Je sors la seringue de la peau frêle d’Ella. La prise de sang est terminée. Je tamponne son bras d’un petit bout de tissu et je lui mets un petit pansement. J’ouvre rapidement la porte et j’appelle une infirmière lui demandant d’amener l’échantillon de sang au labo et de faire une analyse. « Voilà, dans dix minutes ce sera prêt. J’ai demandé une analyse complète histoire d’être le plus discret possible. Les infirmières parlent beaucoup… En attendant, je devrais te faire le contrôle de routine, mais je pense pas que ce soit nécessaire. » Je préfère donc que l’on discute. Du moins, j’aimerais en savoir plus sur l’autre chose qu’elle a dite.

Je me suis fait remarqué à son lycée ? Pourquoi les élèves parlent-ils de moi ? C’est pas comme si j’y avais été ou comme si je connaissais qui que ce soit là-bas. Bon, mis à part Ella et Mattia, mais ce n’est pas eux qui iraient lancé je ne sais quelle discussion ou rumeur sur moi. Vraiment, je ne vois pas pourquoi je serai un bon sujet de conversation. Alors je demande. « Bah, t’as pas une petite idée ? » Ella semble gênée en demandant ça. Non, vraiment pas. « C’est à cause de l’ascenseur ? » dis-je sans grande conviction. Mais non, je ne pense pas. D’ailleurs, elle me fait non de la tête. Ce n’est pas ça, je m’en doutais. « Teddy, ça te dit quelque chose, non ? » Teddy ? Teddy comme la fille qui est venue poser chez moi le week-end dernier ? Teddy la fille avec qui ça a un peu dérappé ? Teddy, celle qui m’a remonté le moral ? Non, pas cette Teddy là, je vois pas pourquoi on en parlerait au lycée. Sauf si… « Oh mon dieu. » Sauf si elle était lycéenne et… mineure. Je ne peux pas croire que c’est vrai, pourtant la réalité me saute aux yeux. Teddy, c’est pas vraiment un nom courant. À ma connaissance, y en a pas d’autres ici. Merde. « Teddy est lycéenne c’est ça ? » je demande en me prenant la tête dans les mains. Je dois en avoir le coeur net, mais je crois que j'ai fait une connerie là.

Je le croyais. Sur la mort de son père. Pourquoi en serait-il autrement ? Il n’avait pas d’intérêt à inventer une telle chose. Peut-être que c’était de la naïveté de ma part. Encore. Mais, j’avais confiance en Fernando. Il m’en avait fallu peu pour lui faire confiance. Mais, j’étais comme ça. Avec tout le monde. Je ne pouvais pas croire qu’il me mentait. Surtout sur la mort de son père. C’était assez important tout de même. Bref. Je me retrouvais avec un joli pansement. Et mon sang confié à une infirmière. Je ne savais même pas ce que je devais attendre de ces résultats. Certainement pas grand-chose. Seulement la confirmation que j'étais bien enceinte. Et je n’avais pas vraiment de doutes là-dessus. « Voilà, dans dix minutes ce sera prêt. J’ai demandé une analyse complète histoire d’être le plus discret possible. Les infirmières parlent beaucoup… En attendant, je devrais te faire le contrôle de routine, mais je pense pas que ce soit nécessaire. » Je lui souriais. Je savais que les infirmières étaient de vraies pipelettes. Et je le remerciais de sa discrétion. Tout comme je le remerciais de ne pas m’examiner. Je n’en avais pas envie. Ni vraiment besoin. Mis à part le bébé, j’allais très bien. « Merci, je vais finir par t’être redevable avec tout ce que tu fais pour moi. » Je lui faisais un petit clin d’œil. N’empêche que ce n’était pas totalement faux. Si j’avais l’occasion de lui rendre la pareille, je le ferais. Sans hésiter.

Il avait l’air de vouloir comprendre pourquoi on parlait de lui au lycée. Ça avait vraiment l’air de le surprendre. Si bien que je lui demandais s’il n’avait pas une petite idée. Et apparemment, non. Il ne voyait pas du tout. Il était à côté de la plaque. « C’est à cause de l’ascenseur ? » Je lui faisais un non de la tête. De toute façon il n’y avait pas eu grande conviction dans ses paroles. Il se doutait que ce n’était pas ça. Je ne faisais que confirmer. Alors, je lui parlais de Teddy. Là, ça allait forcément lui dire quelque chose. Là, il allait forcément comprendre. Ou au moins commencé à comprendre. Et la réaction ne tarda pas. « Oh mon dieu. » Oh mon dieu quoi ? Leur secret était découvert ? Ou Oh mon dieu quelle connerie cette gosse a-t-elle bien pu inventer ? Il était tellement surpris. Il avait viré au blanc. Comme ça blouse. Un prénom quelques secondes de réflexions et il en était malade. Alors, je ne savais pas trop quoi penser. De leur histoire. De leur aventure. Je ne savais pas vraiment pourquoi Fernando réagissait comme ça. Et en fait, je m’emmêlais les pinceaux. Il se prit la tête dans ses mains. « Teddy est lycéenne c’est ça ? » Je fronçais les sourcils, comme si j’avais mal entendu. Bien évidemment qu’elle l’était ! Mais… s’il l’ignorait, ça changeait pas mal de chose. Il ne savait même pas qu’il avait couché avec une mineure. D’où sa réaction… Oh putain. Dans quoi j’avais mis les pieds encore ? Qu’est-ce que Teddy avait manigancé avec Fernando ? « Tu l’ignorais ? » Je soufflais. Désolée pour lui. Désolée de devoir lui apprendre. « Teddy est au lycée, elle a dix-sept ans… même si elle fait plus. » C’est vrai que Teddy faisait tout pour paraitre plus âgée. Plus mature. Ce qui au fond, était un enfantillage. C’était comme voler les chaussures à talons en étant petite fille. Un désir de grandir plus vite. Alors que dans sa tête on est encore si jeune. Enfin, moi je trouvais ces comportements similaires.

JE NE PEUX PAS SOIGNER TA MALADIE, C'EST UNE MALADIE DES SENTIMENTS.

L’infirmière était partie avec le sang d’Ella. Le docteur ne revenait pas. Ce qui me laissait seul avec la jeune fille. J’avais fait part de mon essai de discrétion auprès de l’infirmière et Ella semblait être touchée par ce geste. « Merci, je vais finir par t’être redevable avec tout ce que tu fais pour moi. »

Elle sourit et semble beaucoup plus sereine. Peut-être qu’en quelque sorte elle est soulagée d’avoir quelqu’un pour la soutenir. Puisque ses parents ne le savent pas et que je ne sais rien de son petit ami, j’ignore si en dehors de moi, quelqu’un est prêt à l’aider dans cette épreuve. « Ne t’inquiètes pas Ella, je ferai tout pour que les choses se passent bien pour toi. » dis-je en souriant. Au même moment, je sors mon petit calepin et je note quelque chose. « Voici mon numéro de téléphone si tu veux me joindre, pour parler ou pour quoi que ce soit d’autre. Je suis là. » Je déchire la petite feuille et la lui tend avec un petit clin d’œil. J’essaye d’être le plus doux possible et de me montrer rassurant. Je veux juste qu’elle se sente bien, entourée et surtout pas seule.

Décidemment, je n’y comprenais rien à cette histoire. De toute évidence, Ella s’attendait à ce que je comprenne de quoi elle parlait, comme si il s’était passé un truc incroyable, un truc dont tout le monde parlait. Non, vraiment, je ne voyais pas. Comme je l’avais imaginé, ce n’était pas à cause de notre périple dans l’ascenseur. Qu’est-ce que ça pouvait être d’autre alors ? Elle me parle de Teddy. Oui, Teddy je la connais, nous avons couché ensemble, elle a posé nue pour moi. Mais comment les lycéens se retrouveraient-ils à en parler. En dehors de ce jour-là, je ne l’ai jamais vue. Ca ne peut être que ça. Mais pourquoi ? Tout à coup je comprends et je me sens piégé. Teddy est mineure, ça me semble évident. « Tu l’ignorais ? »

Bien sûr ? Comme si j’étais du genre à sauter sur tout ce qui bouge, comme si j’étais du genre à attendre devant la sortie du lycée pour les piocher dès le plus jeune âge. « Elle m’a dit qu’elle étudiait le droit à l’université. » dis-je tout bas, la tête dans mes mains. Je suis préoccupé. Tout bourdonne dans ma tête. Teddy, son âge, les conséquences de mes actes, ce que je dois faire. Ce que Ella et tout son lycée doit croire. Je vais passer pour un pervers, pour un imbécile. Ce n’était même pas prévu, je n’en avais même pas envie à la base. Elle n’était même pas venue pour ça. « Teddy est au lycée, elle a dix-sept ans… même si elle fait plus. »

Je soupire. Je ne relève pas la tête. C’est idiot, maintenant c’est presque à moi d’être consolé. Ma situation n’est pas pareil que celle d’Ella mais ça reste grave. J’ai enfreint la loi. Elle était consentante, mais je n’avais aucun droit de faire ça. C’est toute mon image qui va être ruiné. Je vais être le risé de toute la ville. « Elle m’a dit qu’elle avait 20 ans. J’y crois pas. Je suis dans la merde. J’y crois pas. » Je ne cesse de le répéter. « J’y crois pas. Et elle la dit à tout le monde c’est ça ? » dis-je en remontant ma tête, plongeant mon regard dans le sien, ayant perdu toute trace de sourire de mon visage.

Fernando était adorable avec moi. Quelque part ça me gênait. Parce que je ne voulais pas l’impliquer dans cette histoire. Je savais d’avance que rien de positif n’en ressortirait. Et il n’avait pas besoin de ça. Parce que personne n’en avait besoin. « Ne t’inquiètes pas Ella, je ferai tout pour que les choses se passent bien pour toi. » Il sortit son calepin et nota un truc. Je ne savais pas comment lui dire que ça me touchait. Que je lui étais reconnaissante. « Voici mon numéro de téléphone si tu veux me joindre, pour parler ou pour quoi que ce soit d’autre. Je suis là. » Je prenais la feuille du bout des doigts. Je lui faisais un beau sourire pour lui dire merci. Je ne trouvais pas les mots. Ça me semblait tellement impensable toute cette attention. Je ne pensais pas que quelqu’un pourrait agir si gentiment. Pas en me sachant enceinte en tout cas. Peut-être parce que je me cramponnais à la réaction de Mattia ? Peu importe. Je ne méritais pas tout ce qu’il faisait pour moi.

Fernando n’avait pas besoin que je l’entraîne dans cette histoire de grossesse. Il en avait déjà bien assez avec Teddy. Parce que je l’entraînais doucement vers la vérité. Celle qu’il ignorait. Je venais de lui dire que Teddy était mineur. Qu’elle était au lycée. Qu’il avait agi contre la loi. Ça faisait suffisamment mal comme ça. Je venais de lui révéler quelque chose qu’il aurait peut-être mieux fait d’ignorer. En tout cas, Teddy aurait certainement voulu qu’il l’ignore. Ça j’en étais presque certaine. Sinon elle n’aurait pas eu d’intérêt à lui mentir. « Elle m’a dit qu’elle étudiait le droit à l’université. » Il parlait à voix basse. Comme pour lui-même. Comme pour se remémorer les nombreux mensonges de la jeune femme. J’avais de la peine pour lui. Je m’en voulais de lui avoir annoncé comme ça. Il venait certainement de tomber de haut. Et maintenant, il devait se sentir mal. Pris au piège dans une sale affaire. Même si Teddy avait été plus que consentante. Au niveau de la justice, ça ne changeait rien. Mais, d’un autre côté, la justice n’était pas obligée de mettre son nez là-dedans. Il fallait simplement qu’il évite de recommencer. Non ?

Il soupira avant de relever la tête. En fait, le plus dur dans cette histoire, ça allait être le regard des gens. Parce que tout le monde sait tout à Arrowsic. Que l’intimité était réduite à la taille des toilettes et encore. Ouais, le plus dur allait d’être jugé. De sentir les préjugés. J'en savais quelque chose. « Elle m’a dit qu’elle avait 20 ans. J’y crois pas. Je suis dans la merde. J’y crois pas. » Il n’arrêtait pas de le répéter. J’avais envie de le prendre dans mes bras. De lui dire que ce n’était que Teddy. Que ce n’était pas le premier mec plus âgé avec qui elle couchait. Mais, ça n’arrangerait pas les choses. Et ça ne changerait pas sa situation. « J’y crois pas. Et elle la dit à tout le monde c’est ça ? » Il plongea ses yeux dans les miens. Son visage était plus triste. J’avais perdu son sourire. J’avais perdu Fernando. Il était tout pâle. Tout mal. Je comprenais le mal-être qu’il pouvait ressentir. « Pas tout le monde, simplement quelques copines… mais, j’ai entendu la conversation. » Et je ne l’avais écouté en entière. Le peu que j’avais entendu m’avait suffi. Je n’avais pas besoin d’entendre parler des ébats de Teddy. Ni des ébats de personnes d’ailleurs. Je ne savais pas trop comment consoler Fernando. « Tu ne pouvais pas savoir qu’elle te mentait, t’as pas à t’en vouloir autant. » Et elle l’avait voulu. Il ne lui avait pas fait du mal. Il lui avait simplement succombé.

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Je ne peux pas accepter ce qu’Ella vient de me dire… Pour moi, c’est impossible. Teddy a bien 20 ans, elle est bel et bien étudiante en droit à la fac. Demain, j’ai cours, c’est mon seul jour de cours. Je vais la voir j’en suis sûr. Bordel, non, je ne peux pas accepter qu’elle m’ait menti. Je ne peux pas accepter qu’elle se soit moquer de moi comme ça, je ne peux pas accepter qu’elle ait à ce point abusé de ma confiance. Le week-end dernier nous n’avions que trois ans d’écart. À présent, nous en avons six. C’est trop, beaucoup trop. Surtout pour une mineure. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ? C’est elle qui m’a allumé, c’est elle qui m’a poussé à bout avec ses poses plus qu’osées. C’est sa faute, pas la mienne. Ma seule erreur a été de m’être fait embobiné comme un con, d’avoir été naïf.

J’ai peur, peur qu’elle en ai parlé à tout le monde, peur de passer pour un con, peur de passer pour un pervers. Moi qui était perçu comme quelqu’un de sympathique, de souriant et d’amusant, j’allais être le vieux con qui se chope des minettes, celui qui est regardé de travers, le mec accessible. J’ai peur du regard des autres. Non, en fait je n’ai pas peur du regard des autres, j’ai juste peur du regard d’un personne. D’une certaine rousse. Même si je me persuade du contraire, je ne l’ai pas oublié. Je pense toujours à elle. Trop. « Pas tout le monde, simplement quelques copines… mais, j’ai entendu la conversation. » Lorsqu’Ella dit « quelques copines », j’ai peur qu’elle en fasse partie. Parce qu’il ne manquerait plus que ce soit l’une de ses amies. Là, ce serait le bouquet. Mais non, elle avait simplement entendu la conversation. Je me calme un peu. Je respire. Je relève les yeux. « J’irai lui toucher un mot, histoire qu’elle se taise et qu’elle reste loin de moi. » Ouais, fallait que je lui parle. À tout prix. « Tu ne pouvais pas savoir qu’elle te mentait, t’as pas à t’en vouloir autant. » Ella cherche à me rassurer, alors qu’en principe, ça devrait être le contraire. Faut que je me reprenne. « Je sais, c’est juste qu’elle s’est bien foutue de ma gueule. J’avais besoin d’un modèle pour peindre des nus. J’avais bien spécifié sur l’annonce que je voulais une femme majeure. J’aurai du vérifier sa carte d’identité, je voulais juste pas jouer à la police quoi. » La jeune blonde me regarde d’un air tendre, avec un petit sourire. Je le lui rends. Même si ce n’est pas grand-chose, ses paroles m’aident.

On tape à la porte, c’est l’infirmière avec les résultats. Elle me donne la feuille et elle reste planté là, comme une vilaine plante verte. « Merci Meredith ! » dis-je d’un ton sec histoire de la faire partir. Elle s’exécute en soupirant. De toute évidence elle voulait en savoir plus. Ce genre d’attitude a le don de m’exaspérer. Je parcoure la feuille des yeux jusqu’à ce que je tombe sur la bonne case. « Comme tu t’en doutais, tu es bien enceinte. Et ça fait… environ 3 semaines. La procédure veut que je te dirige vers un psychologue pour t’aider dans ton choix, mais franchement… Au diable la procédure. Il n’y a que toi qui puisse choisir. Ne te laisses pas influencer Ella, vraiment. » Son visage est redevenu lugubre. J’aimerais vraiment l’aider, mais je sais qu’il n’y a rien a faire. Le mal est fait. Tout ce qui est en mon pouvoir, c’est d’être là, de lui apporter mon soutien, ce que je m’éfforce à faire. J’essaye de la regarder normalement, ne me comporter normalement, elle n’a certainement pas besoin que l’on s’appitoie sur elle. Je pense qu’elle a juste besoin de normalité et je suis bien décidé à le lui apporter.

Spoiler:

Je me doutais qu’il ne pouvait pas y croire. Qu’il voulait qu’elle soit étudiante. La croiser en fac de droit et pousser un soupir de soulagement. Mais, ce n’était pas le cas. Fac de droit, Teddy. C’est quelque peu ironique. Elle avait tout de même poussé Fernando au détournement de mineur. Le pauvre… Il devait avoir peur. Que tout le monde le sache. De passer pour un pervers. « J’irai lui toucher un mot, histoire qu’elle se taise et qu’elle reste loin de moi. ». Je hochais la tête positivement. Oui, ce n’était pas une mauvaise idée. Tant qu’il ne devenait pas violent. Parce que là, ça serait plus grave. « Tant que tu ne la frappes pas, c’est une bonne idée. » Je lui faisais un petit sourire. Même si j’étais sérieuse, je ne pensais pas qu’il ferait ça. Fernando était quelqu’un d’agréable. Délicat. Pas du genre à frapper. Certainement pas sur une fille. « Je sais, c’est juste qu’elle s’est bien foutue de ma gueule. J’avais besoin d’un modèle pour peindre des nus. J’avais bien spécifié sur l’annonce que je voulais une femme majeure. J’aurai du vérifier sa carte d’identité, je voulais juste pas jouer à la police quoi. » Ah ouais quand même ! Là j’en voulais à Teddy. Qu’elle baise avec tes types plus âgés rencontrés dans des bars, d’accord. Mais, qu’elle mente délibérément à Fernando ? Qu’elle aille vers lui sans scrupule, pour du sexe. Sans se demander quelles étaient ses valeurs ? Ça faisait un peu sale garce. Prête à tout pour du sexe. Ou gamine prête à tout pour gagner un pari. Dans tous les cas, ce n’était pas très mature. A croire qu’elle était barge. Inconsciente. Qu’elle pensait sérieusement qu’il n’y avait pas de conséquences au bout de ses actes. Je savais que je ne devrais pas penser comme ça dans ma situation. Mais, ce n’était pas voulu. Je n’avais choisi de tomber enceinte. C’était un accident. Et pas une décision prise dans le dos de Mattia.

Quelqu’un toqua à la porte. Les résultats de ma prise de sang. Et une infirmière bien curieuse. « Merci Meredith ! ». J’esquissais un sourire. Si elle n’avait pas compris qu’elle devait dégager. C’était mieux comme ça. Je n’avais pas besoin qu’elle s’incruste. « Comme tu t’en doutais, tu es bien enceinte. Et ça fait… environ 3 semaines. La procédure veut que je te dirige vers un psychologue pour t’aider dans ton choix, mais franchement… Au diable la procédure. Il n’y a que toi qui puisse choisir. Ne te laisses pas influencer Ella, vraiment. » J’avais presque oublié. Presque. J’avais réussi à sourire. Et là plus rien. Trois semaines qu’il était là. Trois semaines qu’il foutait ma vie en l’air sans même le vouloir. Mais, je n’avais pas envie de parler de lui. De ça. A un psychologue. Procédure ou non. Et j’étais bien heureuse que Fernando le comprenne. « De toute façon, je n’y aurais pas mis les pieds mais, c’est gentil de ne pas me forcer. » J’esquissais un maigre sourire. Un sourire triste. Qu’est-ce que j’allais faire maintenant ? Je ne savais pas quelle option choisir. Je ne savais pas ce que je devais faire. Et en fait, peut-être que je devais me laisser influencer. Contrairement à ce que tu disais Fernando. C’était peut-être plus simple, si la décision ne venait pas de moi. Je ne savais plus trop quoi penser. « Je ne sais ce que je vais faire Fernando. Je sais pas si finalement, c’est pas plus simple de laisser les autres choisir pour moi. » Je baissais les yeux. C’était plus simple. Oui. Mais, pas ce que je voulais.

Hj - NAWAAAK la mienne est nulle, la tienne est cool

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Faut vraiment que j’aille parler à Teddy. Je suis en colère, très en colère. Mais je ne suis pas du genre à exploser, à être incontrôlable. Je sais dire ce qu’il faut, je sais comment me comporter. C’est pour ça que les mots d’Ella me font rire. « Tant que tu ne la frappes pas, c’est une bonne idée. » En effet, c’est pas comme si j’ai envie d’être accusé d’avoir couché avec une mineure + de l’avoir frappé. J’ai pas envie de subir la peine de mort. Non, je sais j’abuse un peu, mais bon. J’ai pas envie de subir de peine du tout. C’est plutôt elle qui devrait aller en prison. C’est elle la criminelle, la menteuse. J’pourrais porter plainte, dire qu’elle m’a violé. Non, ça marcherait pas. Pour ce genre de chose, les femmes ont plus de chance, elles passent plus facilement pour des victimes. « T’inquiètes Ella, je suis pas du genre violent moi, même si je suis espagnol. » Les espagnols ont le sang chaud, c’est bien connu, mais ce n’est pas mon cas. Je sais rester calme et patient, il m’a fallu beaucoup de self control pour supporter mon père toutes ces années.

Je lui explique pourquoi Teddy était chez moi, ce qui nous a amené à coucher ensemble, comment elle m’a piégé, comment je suis tombé dans le panneau. Comme un con.

Les résultats de la prise de sang tombent : aucun doute possible, Ella est enceinte de 3 semaines et elle s’apprête à prendre la décision la plus importante de sa vie. Je suis sensé l’amener chez un psy pour qu’il l’aide à prendre sa décision. Mais en réalité, il n’aide pas, il influence, il manipule sa patiente pour qu’elle choisisse ce que lui veut qu’elle choisisse. Je trouve ça affreux, imoral. Je n’enverrai pas Ella là-bas. « De toute façon, je n’y aurais pas mis les pieds mais, c’est gentil de ne pas me forcer. » Un maigre sourire se dessine sur son visage. Mais je sais qu’elle se force. C’est évident dans une telle situation. À cause d’une malheureuse erreur ou d’un malheureux accident, Ella n’est pas prête de sourire à nouveau. Du moins, pas naturellement. Du moins, pas en ne se forçant pas. J’ai mal pour elle. Elle semble déchirée, je le sens dans notre silence. Je m’approche et je prends sa main. « Je ne sais pas ce que je vais faire Fernando. Je sais pas si finalement, c’est pas plus simple de laisser les autres choisir pour moi. » Plus simple… Non. « Plus simple peut-être, mais beaucoup plus douloureux. Cette décision t’appartient. Si tu laisses les autres décider à ta place, tu risques de le regretter toute ta vie. De toute manière, tu resteras marquée pour toujours par ta décision, mais il faut que tu écoutes ton cœur. Crois moi Ella, n’écoutes pas les autres. » J’insiste bien sur la dernière phrase. Je repense à mon amie, celle qui avait avorté, je n’avais pas le droit de lui dicter son choix. Aujourd’hui c’est pareil avec Ella, même si j’ai mon opinion là-dessus, je ne dirai rien. Et quoi qu’elle choisisse, je la comprendrai et je serai là pour elle. « J’imagine que tu sais qu’il ne faut pas trop tarder si tu veux… Si tu ne veux pas le garder » dis-je la voix tremblante. C’est vrai que j’ai toujours été pour l’avortement, surtout dans le cas de grossesse prématurée, mais.. Comment dire ? Aujourd’hui, c’est différent. Je ne peux nier que nous sommes trois dans cette pièce. Je ne peux pas nier que je sens sa présence à lui aussi : au bébé, à l’embryon, au fœtus, peu importe. Je sens qu’il y a quelque chose et ça me met mal à l’aise de parler de sa destruction.

Il riait. Je savais qu’il n’irait pas frapper Teddy. Même si elle le méritait certainement. Il était capable de se contenir. Contrairement à certain. Comme mon frère. Ou comme Mattia. « T’inquiètes Ella, je suis pas du genre violent moi, même si je suis espagnol. » Je riais. Ça me rappelait mon énumération de stéréotypes. Mais, non. Il n’y avait pas que les espagnols qui avaient le sang chaud. Et il y en avait comme Fernando qui ne l’avait pas.

Enfin, ça c’était le moment où je ne pensais plus aux résultats. Mais, ils étaient arrivés. Comme un cheveu sur la soupe. Un truc qui vient casser l’ambiance. Me rappeler que j’ai un bébé dans le ventre. Un petit monstre. Il est là depuis trois semaines. Et je devrais aller voir un psy. Pour qu’il m’incite à le tuer. Mais, comme je l’avais dit à Fernando ? Je n’irais pas. Au pire, il y avait déjà Mattia pour me faire comprendre qu’il fallait que j’avorte. Lui et plein d’autre si je venais à en parler. Il n’était pas à blâmer dans l’histoire. Du moins, pas pour sa réaction. Il avait fait avec ses émotions. Je n’allais pas revenir là-dessus. On ne pouvait le blâmer que pour cet accident. Tout comme moi.

Fernando s’approcha de moi. Pour prendre ma main. Comme s’il savait que je ressassais des souvenirs douloureux. Que j’hésitais. Et surtout que je me perdais. J’envisageais de laisser la décision aux autres. C’était tellement plus simple. Même si ce n’était pas ce que je voulais. Je retournais le problème. Dans tous les sens. De toutes les façons. C’était le bordel dans ma tête. J’avais envie de de pleurer. Rien ne me conduisait à une fin heureuse. J’avais des remords avant même d’agir. J’étais tétanisée par une décision qui finirait par m’attirer des ennuis. Ou me rendre malheureuse. Je n’avais pas le choix d’emprunter un mauvais chemin. Oui, j’avais vraiment envie de pleurer. J’avais mal à la tête. Au ventre. Bref, mon mal être était revenu avec les résultats. « Plus simple peut-être, mais beaucoup plus douloureux. Cette décision t’appartient. Si tu laisses les autres décider à ta place, tu risques de le regretter toute ta vie. De toute manière, tu resteras marquée pour toujours par ta décision, mais il faut que tu écoutes ton cœur. Crois moi Ella, n’écoutes pas les autres. » C’était tellement simple à dire. Mais, mon cœur ne me disait plus rien. Il se contentait de battre. Il était détruit par les mots de Mattia. Par la présence même de ce bébé. Et quand bien même il voudrait s’exprimer, je ne voulais plus l’écouter. J’avais trop mal. Et je n’avais pas envie de prendre cette décision. Qu’elle me marque jusqu’à la fin de ma vie. Je soufflais. Je ne voulais pas répondre. Je ne pouvais pas répondre. J’étais au bord des larmes. Et je ne trouvais pas les mots justes. Pour exprimer ma pensée.

Enfin, la voix tremblante de Fernando rompit à nouveau le silence. « J’imagine que tu sais qu’il ne faut pas trop tarder si tu veux… Si tu ne veux pas le garder » Je hochais la tête. Tristement. « Pour avorter… ouais, je sais. » Les mots ne me faisaient pas peur. Plus peur du moins. J’avais eu le temps de les apprivoiser. Avortement. Adoption. Éducation. Regrets. Manque. Problèmes. Tout ça avait fini par rentrer dans ma tête. Et ça ne me faisait plus rien de les dire. « Je ne vais pas tarder à prendre rendez-vous… je pense. » Dit la raison alors que le cœur meurt un peu plus. Dire cette phrase à voix haute. C’était comme si j’avais fait mon choix. Mais, je n’étais sûre de rien. J’avais peur. Et je n’avais pas envie de le tuer. J’avais les regrets avant même de le faire.

JE NE PEUX PAS SOIGNER TA MALADIE, C'EST UNE MALADIE DES SENTIMENTS.

Être enceinte, porter un enfant, donner la vie, créer un petit être, assurer la survie de l’espèce humaine. Que de visions différentes de cette même chose. De ce même processus. Ce fardeau pour certains et ce cadeau de la vie pour d’autres. Dire que tout commence par de simples petites cellules et qu’au final cela donne un être de chair comme Ella ou moi. Qui peut prédire que le tas de cellules assemblées que porte Ella dans son ventre n’a pas un brillant avenir devant lui ou elle. Qui peut prédire qu’il ou elle croquerait la vie à pleine dent. Personne. Et je suis persuadé qu’Ella essaye de ne pas y penser. Moi j’y pense, allez savoir pourquoi. Je ne devrais pas, mais c’est un fait. J’y pense. Comment mettre fin à une grossesse alors que l’on vient à peine de se faire à l’idée qu’on en vit une ? À mes yeux, c’est tout bonnement impossible. Je me rappelle, il y a trois semaines, une femme, de la trentaine est passée à l’hôpital pour se faire avorter. Comment je le sais ? Les infirmières qui parlent trop, beaucoup trop. Elle était froide, sûre d’elle et elle n’hésitait pas une seule seconde, elle ne voulait pas d’enfant. Jamais. Je ne peux pas comprendre un avis aussi tranché sur la question. Je ne dis pas que je meurs d’envie de faire des enfants tout de suite, mais oui, j’en aimerais. Un ou deux. Quand j’aurai trouvé la femme de ma vie. Mais c’est vrai qu’à mes yeux, un enfant doit être le fruit de l’amour et il doit être promis à une vie stable, ce qu’Ella ne pourrait pas tellement lui offrir. Dans son cas, je ne peux m’empêcher de retourner toutes les possibilités dans ma tête. J’en arrive très vite à la solution qu’il n’y a aucun bon choix. Ils sont tous abominables. Mais elle doit en faire un, absolument. Et je ne jugerai pas.

Les yeux d’Ella brillent. Inutile de préciser qu’elle est au bord des larmes, ça se voit. Quand j’aborde le sujet de l’avortement, le fait qu’elle n’a pas tout son temps pour se décider, je la sens encore plus fragile. Encore plus tremblante, hésitante, malheureuse. C’est la réalité des choses, elle doit prendre la décision qui va changer sa vie. Machinalement elle ouvre la bouche : « Pour avorter… ouais, je sais. » C’est dur de voir des mots si cru sortir de la bouche d’une jeune fille de 17 ans. D’une infâme banalité. Cruelle. « Je ne vais pas tarder à prendre rendez-vous… Je pense. » Mon cœur manque un battement. Cette réplique me choque. Je ne m’attendais pas à ça, pas au fait qu’elle ait déjà pratiquemment fait son choix. Même si ça semble logique, même si c’est probablement ce qu’aurait fait n’importe quelle autre adolescente d’Arrowsic. Comment affronter une grossesse sous les yeux des hauts juges d’Arrowsic ? Comment se pointer au lycée et faire comme si de rien était ? Sous les yeux de tous. Ella devrait tout abandonner : la natation, les sorties entre copine et peut-être même les études dont elle rêvait. Tout. Comment pourrais-je lui souhaiter ça ? Non, impossible. Et pourtant ce qu’elle vient de dire me fend le cœur. « Ella, quoi que tu choisisses je serai là à tes côtés, c’est promis. Je ferai tout pour te faciliter les choses ». J’esquisse un maigre sourire. Je ne suis même pas sûr qu’il soit visible, mais je fais au mieux. C’est étrange. Ella et moi, on se connait à peine. Pourtant, il y a cette confiance et cet affection qui ne nous quitte pas. Parfois les amitiés sont facile. Malgré la différence d’âge, malgré tout, c’est juste facile. Normal.

Nous sommes en plein silence quand le docteur Jonhson repointe le bout de son nez. Il ouvre la porte brusquement et en nous regardant déclare : « Hé bien, c’est quoi ces têtes de chien battu ? Quelqu’un est mort ? » Ouais, toi bientôt, connard. J’ai des envie de meurtres tout à coup. Pauvre con. Pauvre con. Il rie, ce qui accentue ma colère. Quel manque de respect. Je me demande comment ce pauvre type ne s’est pas encore fait rayer de la liste des médecins de l’hôpital. Aucun tact, aucune compassion. Juste un caractère de con. Je m’enfoutiste. Avant que je ne puisse répliquer, il ajoute « J’espère que vous avez fini, y a d’autres patients qui attendent ! » Ella fait un signe de la tête et se lève, commençant à rassembler ses affaires. Je n’ose même pas la regarder. J’assinne Jonhson du regard, histoire qu’il comprenne. « Je pars aussi, tu diras à la secrétaire que je suis malade. » Connard. Je suis malade de voir qu’il existe des gens comme toi. Connard. Je suis malade qu’Ella souffre autant. Connard. Je suis malade d’être impuissant. Merde. Merde. Merde. Il n’a rien le temps d’ajouter, que je suis parti, suivi de près par Ella. Je me retourne. « Appelles moi si tu as besoin, n’oublies pas. » Je m’éloigne. Je regrette de la laisser, mais je sais qu’elle doit aussi vouloir être seule. Je suis sorti de l’hôpital, elle aussi. Je me retourne une dernière fois. Je crois qu’elle pleure. Je me retiens d’y aller. Je continue ma route.

Je n’avais pas envie d’avorter. Pas plus que de le donner. Pas plus que l’élever. Je n’avais pas envie de choisir. Je n’avais jamais été douée pour ça. Je faisais toujours tout de travers. J’allais bien souvent dans le mauvais sens. Je n’appliquais jamais les choix de mon cerveau mais, ceux de mon cœur. Le moindre choix foutait ma vie en bordel. Mais, celui-ci, il était pire que tous les autres. Parce qu’il n’y avait pas de bonnes issues. Alors, j’avais beau dire, je n’allais pas prendre rendez-vous. Pas tout de suite. J’avais encore besoin de temps. Je n’avais pas le courage de prendre mon téléphone. De perdre cet enfant. Il me fallait du temps pour accepter. Comme il m’en avait fallu pour comprendre que j’étais enceinte. Comme il m’en avait fallu pour assimiler les mots. Les options. « Ella, quoi que tu choisisses je serai là à tes côtés, c’est promis. Je ferai tout pour te faciliter les choses » Mais, dans tous les cas, ça ne sera pas facile. Qu’il soit là ou non. Que je prenne tel choix ou un autre. J’allais en baver. Bien plus que pour n’importe quelle compétition de natation synchronisée. Mais, Fernando était adorable. J’avais confiance en lui. J’avais de l’affection pour lui alors que je le connaissais à peine. Je n’avais pas le courage de dire merci une nouvelle. Mais, mon regard le faisait pour moi.

C’était le grand silence. On aurait pu entendre une mouche voler. Mais au lieu de ça, c’est l’autre qui revient. Le super docteur qui m’a laissé avec Fernando. Même si finalement, c’était mieux comme ça. « Hé bien, c’est quoi ces têtes de chien battu ? Quelqu’un est mort ? » Je ne le regardais pas. Ça ne m’amusait pas. Je me demande même ce qu’il foutait là. Il n’avait pas besoin de repasser. Fernando s’en était très bien sorti sans lui. Et certainement mieux que lui. Parce que ce type avait l’air de se foutre de la gueule du monde. Plus préoccupé par l’argent que lui rapportent les patients que par les patients eux-mêmes. J’aurais mille fois préféré que ce soit Ross. Lui au moins il n’était pas comme ça. « J’espère que vous avez fini, y a d’autres patients qui attendent ! » Je fis un signe de la tête. Me pressant pour rassembler mes affaires et partir. Je n’avais pas envie de rester là. Surtout pas dans la même pièce que cet homme. « Je pars aussi, tu diras à la secrétaire que je suis malade. » Je le regardé surprise. Je ne savais pas si c’était ce type qui l’énervait, ou l’histoire avec Teddy. Peut-être les deux. Enfin, je le suivais sur son départ. « Appelles-moi si tu as besoin, n’oublies pas. » Je hochais la tête positivement.

Il s’est éloigné. Et moi aussi. J’avais à peine fait quelques pas que je pleurais à chaude larmes. J’avais encore ce goût amer. Cette sensation d’avoir fait une grosse connerie. Et d’être bloqué. Sans pouvoir revenir en arrière. Mais ce n’était qu’une sensation. C’était la réalité.