« Vas travailler ! » « Quoi ?!! Encore un zéro ? » « Qu’est-ce qu’on va faire de toi Leonard… » « Regarde ton frère, lui au moins il trouvera un travail et il gagnera de l’argent » « Tu gâches ta vie… Tu ne réussiras jamais. » Lorsque ce genre de phrases fait partie de votre quotidien, que vous les entendez tous les jours sans exception, répétées par vos parents et tout votre entourage, il y a de quoi vous miner le moral. Agacé, désespéré ou même blessé, n’importe qui finirait par craquer et par se mettre au boulot, se dire qu’après tout les autres avaient sûrement raison. Mais Leonard Gavennham n’est pas n’importe qui.
Ayant grandit dans une famille plutôt classique, aimante et bien rangée, Lenny semblait tout avoir pour réussir. Mais c’était sans compter sur son propre tempérament, qui lui dictait d’en faire le moins possible, et de ne faire QUE ce dont il avait envie. Plutôt calme, il ne s’attirait que très rarement des problèmes, mais au grand désespoir de ses parents, l’école ne semblait pas faire partie de ses priorités. Accompagné de son frère Rudy, il préférait de loin trainer dehors et imaginer de nouvelles conneries plutôt que de passer ses soirées assis devant un bureau. Ce qui l’intéressait lui, c’était la nature, la photographie, et ne rien faire. Mais selon M. et Mrs Gavennham, on n’arrivait à rien avec ces intérêts là. Son frère lui, s’en sortait un peu mieux quant à l’espoir que ses parents mettaient en lui. D’ailleurs, la plupart du temps il tenait le rôle de l’exemple à suivre pour réussir, ce qui soi dit en passant, faisait énormément rire Lenny. Il se fichait d’avoir un job, de gagner beaucoup d’argent et de s’acheter une belle voiture, pour lui le bonheur était ailleurs. De son point de vue, la plupart des gens qu’il connaissait sortaient du même moule, avaient tous les même idées, la même façon de voir les choses, et lorsqu’il y pensait : ça le désolait. Lenny avait parfois l’impression d’être le seul à comprendre que ce qui rendait les gens heureux, c’était les choses les plus simples. Mais après tout, même s’il était le seul, il n’avait qu’à profiter de cette chance et vivre sa vie sans se soucier des autres.

Et c’est d’ailleurs ce qu’il fit. On avait beau le traiter de marginal, de hippie, de mec bizarre ou de raté, rien de tout cela ne l’atteignait. En toutes circonstances, Lenny avait pour habitude de garder son sourire rayonnant, celui-là même qui désarmait la plupart de ses opposants. Lenny n’était pas un garçon comme les autres et il en était conscient. Mais il était heureux comme ça, et jamais il ne changerait quoi que ce soit à son existence qui ne suivait absolument aucune loi.
Lorsque vint le moment de choisir une voie pour entrer à l’université (car oui, les Gavennham avaient insisté pour qu’il s’y inscrive…), le jeune homme avait opté pour l’Art. Evidemment, tous les yeux de la famille s’étaient levés vers le ciel, et il avait également entendu quelques soupirs, mais la passion qu’il nourrissait pour la photo depuis qu’il était petit semblait parfaitement coller avec ce projet. Pour être plus indépendant, et avec l’aide de ses parents, Lenny emménagea dans un petit appartement d’Arrowsic et pour la première fois de sa vie, il dut vivre seul, sans son frère. Ce fut d’ailleurs une sorte d’épreuve pour chacun d’entre eux, mais très vite, Lenny commença à squatter chez Rudy. Il aimait son propre appartement, mais il jouait plus le rôle de repaire que de véritable résidence pour lui. La plupart du temps, il n’y passait d’ailleurs que pour arroser ses quelques plantes personnelles, trônant dans un coin du balcon, à l’abri du regard des passants. Le jeune homme décida aussi de s’acheter un van, un vieux van hippie qu’il répara avec l’aide de quelques amis s’y connaissant un peu mieux que lui en mécanique. Et le regard consterné de ses parents lorsqu’il débarquait à la maison à bord de son véhicule ne faisait que renforcer la fierté qu’il avait à le conduire. Là dedans, il pouvait aller où il voulait, dormir n’importe où et vivre dans des endroits où personne ne venait le déranger. D’ailleurs, lorsque Lenny avait quelques jours de vacances, il ne ressentait pas le besoin d’aller bien loin pour s’évader : la forêt bordant Arrowsic lui suffisait. Son van, sa guitare, son appareil photo, de quoi boire et manger pendant quelques jours et le tour était joué.
Lorsqu’il était en ville, Lenny utilisait néanmoins un moyen de transport plus conventionnel… quoi que. Il se plaisait à déambuler en skateboard dans les rues pleines de monde, et tentait même parfois quelques figures par ci par là, sans pour autant être un grand professionnel de ce genre de choses.

« AAAAAAAAAAAH LENNY ! Y’a une bête sur ton lit !!!! » « Oh mais c’est pas une bête ! Je te présente John ! » répondit-il fièrement en prenant le caméléon sur son bras. Il caressa sa tête du bout du doigt, et se retourna vers sa conquête du soir avec un sourire. Mais il put voire son visage se décomposer, littéralement, juste avant qu’elle ne tourne les talons et qu’elle sorte de l’appartement quasiment en courant. Les yeux écarquillés, Lenny fixa son caméléon, puis haussa nonchalamment les épaules. Il passerait la nuit tout seul : tant pis. De toute façon, il n’était pas du genre accumuler les coups d’un soir juste parce que c’était « cool ». Il se fichait des filles comme du reste, et même s’il aimait séduire et être séduit, sa vie ne tournait pas vraiment autour de ça. D’ailleurs, lorsqu’il voyait ces caïds se battre pour les beaux yeux d’une jolie fille, Lenny préférait s’en moquer, et retourner fumer un petit joint dans un coin. En effet, il n’était pas d’un naturel bagarreur, mais si quelqu’un venait à lui tenir tête ou pire, à s’en prendre à son frère, il pouvait littéralement se transformer et faire regretter à quiconque de l’avoir approché. Mais il ne lui fallait en général pas plus de cinq minutes pour retrouver son sourire et sa tranquillité légendaires.