Sujet: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Dim 6 Mai - 17:34
Deux heures, c'était l'heure à laquelle commençait les programmes de nuit. C'était l'heure à laquelle on sortait les digestifs après un restaurant entre quarantenaires. C'était l'heure à laquelle les étudiants commençaient à vomir à leur soirée arrosées, complètement morts pour avoir bu trois litres de bières par tête, et se pavanaient au milieu de la fête avec un sourire hypocrite sans même connaître le nom de leur hôte. C'était l'heure à laquelle on se glissait sous la couette, avec un thé et un de ses bouquins préférés que l'on aime lire pour la troisième fois. C'était l'heure à laquelle un couple de jeunes s'engueulait puis se réconciliait sur l'oreiller. C'était l'heure à laquelle les bars n'allaient pas tarder à fermer, et l'heure à laquelle ils s'inquiétaient pour les pauvres jeunes filles affalées sur leur comptoir, à lutter pour porter leur verre à leurs lèvres humides, déjà concentrées en alcool. Pourtant il était à peine deux heures quand Rudy reçut ce fameux coup de fil d'Helena.
Il était à une de ces soirées estudiantines. Une soirée qui emballait naturellement tout l'immeuble, absolument désireux de se voir pourrir une nuit à écouter des jeunes vomir et boucher les toilettes, et à sauter sur leur plafond au rythme de la musique cinglante qui résonnerait dans toute la cage d'escaliers. Autrement dit une soirée tout à fait banale, avec des étudiants banaux, des boissons banales, des chansons banales, et des discussions banales. Et puis ça lui aérait la tête, bien que les basses y résonnent sans s'essouffler ou s'arrêter ne serait-ce qu'une seconde, portées de plus par le brouhaha ambiant. Ça le distrayait aussi de s'enchaîner quelques bières et de regarder ses camarades d'amphi vomir par dessus la rambarde du balcon dont la surface était aussi grande qu'une cabine de toilettes publics. Il y avait aussi ceux qui s'embrassaient à pleine bouche dans le canapé, sans gène, prêt à forniquer devant tous les regards, trop alcoolisés pour se soucier de la foule autour d'eux. Au fond ça lui plaisait, cette atmosphère de débauche (presque) innocente, jeune, et surtout bruyante. Sauf que la voix d'un trop plein d'ivresse vint lui écorcher les oreilles quand il décrocha son téléphone. Dialecte soûl, incompréhensible et peu enivrant, dont il reconnaissant tout de même la provenance, à savoir Helena. Et à moins qu'un pervers sexuel ne l'ai droguée au GHB, il était question d'une Helena plus qu'éméchée, le menton trempant dans une flaque de whisky au bord d'un comptoir rustique. Naquît alors en lui cette inquiétude. L'inquiétude d'une maman qui ne sait pas où est parti son fils ni à quelle heure il compte revenir. Ici, il s'agissait plutôt de l'état dans lequel était Helena et si personne n'avait de mauvaises intentions à la vue d'une jeune fille un peu trop ivre -mais ça il n'en doutait pas, bien sûr qu'il y avait toujours un pilier de bar pour ramener une jeunotte bourrée dans son lit de célibataire cinquantenaire. En bref, il savait pertinemment qu'il était bon à aller la chercher, et certainement pas pour la ramener dans cet état chez ses parents. Il allait donc devoir se la coltiner chez lui. D'un autre côté il ne voulait pas gâcher une de ses seules soirées de répit de la semaine. Il lui arracha tout de même quelque renseignement, à savoir où était-elle, et il devina le reste -c'est-à-dire, en compagnie d'un, même plusieurs verres de trop. Le deuxième problème, autre que l'anxiété qui gagnait de l'ampleur en lui et qui boostait son rythme cardiaque, était l'alcool un peu trop présent dans le sang. Autrement dit, prendre la voiture était dangereux, si policiers sur la route il y a. Enfin il avait la chance de ne pas être aussi sonné qu'Helena, mais le risque était tout de même là. Et malheureusement il n'avait pas non plus de trottinette pour gagner quelques kilomètres/heures. Il serra alors les dents et appela ce qu'il s'était juré de ne jamais appelé par manque de moyens, à savoir un taxi. Et quelques minutes plus tard, après avoir salué gaiement ses compatriotes qui ne se souviendront certainement plus de l'heure de son départ au petit matin -voire même de son visage ou de son prénom-, il rassembla ses affaires et descendit pour s'engouffrer dans son taxi. Il indiqua le Muffy's, en priant pour qu'Helena ne lui ai pas balancé un mauvais nom et sortit ses dollars, une boule dans le ventre. C'était même pas si loin, il voulait juste arriver là-bas le plus vite possible, histoire d'être rassuré, et gagner du temps sur le camionneur qui aurait eut envie de lui montrer sa vidange (on notera l'image très classe).
Après avoir lâché ses billets, il entreprit de grandes enjambés jusqu'à la porte du bar et l'ouvrit brusquement, découvrant alors une jeune brune qui bavardait un peu trop près d'un monsieur au triple menton et aux cheveux ternes et gras. Le barman rangeait tranquillement ses verres, ne s'occupant pas trop de ce qu'il avait beau se passer sur son comptoir. Rudy arriva tel un preux chevalier délivrant sa princesse d'un brigand assoiffé de sang. « Bonsoir, excusez-moi de vous déranger, mais vous ne vous taperez pas cette jeune enfant innocente ce soir -regard accusateur en direction de ladite jeune enfant-, donc je vous en pris, rentrez chez vous regarder la fin du cabaret de Patrick Sebastien. » Puis sans même se soucier d'une quelconque réaction de la grosse bedaine, il lui tourna le dos pour faire face à Helena, lui retirant au passage un verre pas méga limpide des mains. « Toi t'arrêtes de boire n'importe quoi et tu restes en place le temps que ton foi se tasse un peu. » Il demanda également un verre d'eau au serveur et le mis sous le nez de sa jolie princesse à la voix rauque. Après une énorme cuite, marcher était très utile au transit de l'alcool et sa dissolution dans le sang. Mais se lever brutalement, ça donnait aussi la nausée, et il n'avait pas franchement envie de voir ses chaussures tapissées de mélasse jaunâtre-marron-verdâtre. Puis il l'aida à ne pas tomber en arrière, alors qu'elle buvait presque tranquillement. « Comment tu t'es retrouvée là, toute seule ? » Il ne pouvait cacher le fait qu'il était absolument heureux de la voir. Parce qu'il ne se lassait jamais de son regard enchanté, bien qu'elle avait l’œil un peu vitreux, les cheveux collant le long de son visage et les paupières tombantes. Mais elle lui plaisait quand même. Parce que c'était Helena.
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Lun 7 Mai - 15:03
Un traquenard, une embuscade, un sale piège. Voilà comment Helena Van Dijck, la jeune fille bien éduquée par excellence s'était retrouvée embarquée dans une étrange soirée. Au début, quand ses camarades lui avaient proposé d'aller boire un verre après les cours, elle s'était dit que se changer un peu les idées ne pourrait certainement pas lui faire de mal. Ils s'étaient tous retrouvés autour d'un verre à discuter sagement littératures étrangères et à maudire certains professeurs. Petit à petit les connaissances d'Helena étaient parties, remplacées au fur et à mesure par d'autres personnes qui étaient l'ami de X ou Y. Plusieurs fois, elle avait voulu partir mais à chaque fois, elle avait été retenue à coups de Eh Hel' on vient d'arriver, tu vas pas nous lâcher comme ça !? ou Oh ! Petite nature ! Reste encore cinq minutes ! Juste cinq minutes, quoi, fais pas la rabat-joie !. Elle avait cédé à chaque fois parce que, au fond, elle s'amusait bien avec cette bande de clampins sortis de nulle part. Elle n'avait même pas à sortir son porte monnaie, l'alcool lui tombait dans les mains comme la manne céleste dans celles du peuple élu. L'un lui offrait un verre, l'une lui proposait de goûter à sa boisson alors qu'un dernier lui laissait la fin de la sienne parce qu'il en avait marre et voulait essayer autre chose. Elle les écoutait parler cul avec une liberté déconcertante, riait à leurs blagues stupides et les suivait à chaque fois qu'ils changeaient de bar. Parfois, elle perdait une partie du groupe mais se retrouvait rapidement embarquée par une autre bande de babouins hystériques.
À partir d'un certain moment, ses souvenirs devinrent flous... Elle s'était retrouvée dans l'appartement sans dessus dessous d'un étudiant qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Elle avait tenu les cheveux d'une fille en train de vider le contenu de son estomac dans la rue. Elle avait giflé un type qui avait osé dire que Green Peace et compagnie c'était que des conneries, suite à quoi elle avait failli s'en prendre une, elle aussi. Elle avait pleuré dans les bras de la fille au vomi parce qu'elle avait pensé à Green Peace. Elle avait regardé la bagarre qu'elle avait ainsi déclenchée. Elle s'était mise à parler néerlandais, d'un coup, parce qu'elle avait eu envie. Elle était montée sur le bar et avait dansé comme une vraie traînée. Elle avait participé à un concours d'à-fonds et à un de ces fameux beer-pongs. Elle avait écrit son nom sur un miroir avec son rouge-à-lèvres. Elle pouvait aussi se rappeler d'une ambiance enfumée et bleuâtre, de l'odeur de transpiration mêlée à celle de la beuh d'un blond avec qui elle avait dansé collé-serré, de la voix de Ke$ha qui lui gueulait dans les oreilles, d'avoir passé son temps à rire et à crier sans aucune raison... et repoussé tous les garçons qui espéraient un peu trop d'elle, au dernier moment. En revanche, elle n'avait aucune idée de la façon dont elle était revenue à Arrowsic et s'était retrouvée au Muffy's. Tout s'était passé beaucoup trop rapidement. Elle avait rencontré quelques touristes de passage dans le village et s'était obstinée à leur parler dans un allemand approximatif alors qu'ils avaient un anglais tout à fait correct. Puis ils avaient dû partir et Jack était arrivé. Cet homme à l'impressionnante panse à bière avait l'âge d'être son père. D'une façon ou d'une autre, elle avait commencé à lui raconter sa vie, ses malheurs et surtout son histoire avec Rudy. Il lui payait toutes ses consommations et ce n'était jamais la même qui arrivait devant elle : Vodka, Trojka, Martini, Sangria, Whisky, Tequila, Margarita, Malibu, Mojito,... Jack n'avait cessé de lui répéter que, si elle n'était pas avec Rudy, cela voulait dire qu'elle était célibataire. Dans le doute, elle avait téléphoné au principal intéressé qui avait eu l'air plutôt énervé. De toutes façons, elle avait raccroché dès qu'il avait commencé à lui donner des ordres, furieuse d'être traitée comme une gamine. Elle était ensuite retournée s'asseoir au bar, oubliant la conversation qu'elle venait d'avoir.
Jack était en train de lui dire qu'il se faisait tard et lui proposait de la ramener chez elle, une main dégueulasse collée sur sa cuisse quand le preux chevalier en armure fit son apparition. Le taux d'alcool important dans le sang d'Helena lui fit voir la scène au ralenti. La démarche assurée, les cheveux au vent, il ne manquait à Rudy que le fidèle destrier, le brave petit poney pour avoir la panoplie complète du beau héros valeureux. Il se débarrassa du compagnon d'Helena en quelques mots. Le poivrot n'eut pas l'air ravi mais la jeune fille l'aperçut faire contre mauvaise fortune bon coeur et se rabattre sur une trentenaire en grande discussion avec le barman quelques mètres plus loin. La damoiselle en détresse protesta doucement quand son sauveur lui confisqua son breuvage et lui mit de l'eau sous le nez « Eh, j'avais pas fini. ». Elle le fixait d'un oeil hébété, elle ne comprenait pas comment il avait pu apparaître là, comme ça, devant elle. Peut-être avait-elle tellement bu qu'elle en était à avoir des hallucinations.. Elle voulut lui toucher la joue pour vérifier que sa main ne passerait pas à travers lui mais évalua mal la distance et ses doigts atterrirent brusquement sur son nez. Convaincue qu'il était bien réel, elle porta docilement le verre à ses lèvres et fit la grimace lorsqu'elle ingurgita la première gorgée. Elle trouvait ça réellement écoeurant et ne put retenir un beek de dégoût avant de le reposer sans intention de réitérer l'expérience. Il lui demanda comment elle s'était retrouvée là, toute seule. « 'Sais pas, les autres sont partis. » Elle avait du mal à aligner les mots et à les agencer dans le bon ordre pour former des phrases grammaticalement correctes. Tout cela lui demandait un grand effort de concentration. « Comment toi, tu es arrivé là ? » Elle avait bien le vague souvenir de l'avoir eu au téléphone mais c'était il y a très très longtemps, sans doute la veille.
Alors qu'elle était toujours accoudée au meuble pour éviter de tomber de son tabouret, les baffles se mirent à diffuser Don't you want me et elle se sentit soudain pousser des ailes. Les premières mesures lui avaient suffit à retrouver toute son énergie, elle avait l'impression d'être irrésistible. Elle tapota vivement la jambe de Rudy « Oh ! On va danser ! On va danser ! Ou tu gardes verre si veux. » Elle lui lança un regard supposé être enjôleur et malicieux, elle ne pouvait pas savoir qu'elle n'avait aucune crédibilité. Elle avait juste l'air absent. Son T-shirt en dentelle était trempé par — à en juger par l'odeur — de la bière — mais de la chère, de la belge — et taché par ce qui semblait être du jus de tomate, il lui manquait une boucle d'oreille et, si elle avait été coiffée au début de la soirée, cela ne pouvait même plus se deviner. Tout cela ne jouait évidemment pas en sa faveur non plus. Elle n'attendit pas la réponse du beau brun et se leva brusquement « Wouaw, olah ! » Tout venait de se mettre à tanguer dangereusement autour d'elle. Elle voulut se rattraper à son siège mais le sol rendu glissant par ce qu'elle avait renversé depuis qu'elle était là sembla ne pas apprécier qu'on le piétine en hauts talons. Elle glissa et se retrouva vivement projetée par terre, aux pieds de Rudy. « Je vais bien ! » lança-t-elle à tous les curieux qui s'étaient tournés vers elle en entendant le bruit qu'avait fait son corps en rencontrant le carrelage. Elle sentit néanmoins un petit picotement du côté de son genou et découvrit qu'elle avait troué son jeans. Embêtée de voir que le sang commençait à affluer, elle se mordit les lèvres. Si elle avait été un peu censée, elle se serait rappelé qu'elle était incapable de mettre un pied devant l'autre quand elle avait bu. Elle n'avait pas vraiment mal, l'alcool qu'elle avait ingurgité l'avait immunisée contre la douleur, et de toutes façons ce n'était qu'une éraflure... Mais merde, c'était un nouveau pantalon !
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Mer 9 Mai - 0:45
Il était heureux de la voir. Au fond il était surtout heureux qu'elle ne soit pas morte, ou tombée dans un coma éthylique dangereux, ou retrouvée violée au fond d'une camionnette parce qu'un gros Jack aurait abusé d'elle, ou autre. Mais il était là, à la regarder, alors qu'elle luttait contre l'ivresse qui avait déjà trop embrumé son esprit, contre la conscience qui se dissipait dans les méandres d'une téquila de trop, ou d'un cocktail peu limpide. Alors qu'il aurait pu rester à sa soirée très divertissante, se trouver une fille pour la nuit, histoire de dissoudre sa peine et de panser son pauvre petit cœur de trou du cul arrogant atteint du syndrome de l'amour. Il aurait pu ne pas venir la trouver, complètement soûle, et se dire qu'Helena faisait définitivement de son passé, qu'ils n'avaient plus d'avenir, et qu'il ne comptait pas renouveler une expérience désastreuse avec elle. Mais il avait été poussé par ce sentiment atroce qui le rongeait depuis leurs retrouvailles, un mélange d'espoir et de remord qui le tiraillait et qui guidait ses pensaient, aussi insupportable que doucereux. Car l'espoir c'est cette flamme qui ne s'éteint pas sous le joug de la connerie.
Elle était définitivement trop éméchée. Assez pour refuser un verre d'eau et trouver son goût fade et imbuvable. Dans ces moments-là, seul l'alcool a cette saveur qui paraît douce et délicieuse au palais, et dès que le liquide devient trop limpide, il donne la nausée. Et il était également fort probable qu'elle voit flou, ou double, voire triple. L'hypothèse de Rudy s'appuyait sur le doigt qui vint heurter son nez quand Helena porta sa main à son visage, pour vérifier si elle n'était pas en train d'halluciner. Enfin d'après lui. « T'arrête un peu de faire la gamine, oui ! T'as plus seize ans, tu te bourres pas la gueule pour le fait de te bourrer la gueule. » Et avec un regard insistant, il lui remit le verre d'eau dans les mains, avec l'intention de la forcer à boire. Il avait ce ton autoritaire, de jeune papa qui faisait ranger sa caisse de jouer à son gosse, ou de ce détenteur d'un nouveau petit labrador qui tente désespérément de dresser son animal. Enfin comparer Helena à un labrador n'était pas très glorieux. Mais il fallait avouer qu'elle avait besoin qu'on lui resserre les boulons, à cette jeune fille.
« 'Sais pas, les autres sont partis. » La pauvre avait du mal à poser sa voix sur un ton unique. Rudy ignorait complètement qui était ces autres, mais fit mine de comprendre, histoire de se sentir un peu moins déboussolé qu'elle. Il se prit ensuite la tête dans ses mains, tentant de rassembler un peu de force morale pour faire face à une Helena à l'alcool un peu trop joyeux. Il prenait sur lui, car il n'avait rien à reprocher à personne vis à vis de sa présence dans ce bar, mais aurait bien aimé découvrir son ex/c'est compliqué dans un autre état. Et il avait l'impression que plus il la regardait et l'écoutait, plus elle était ivre. Autant dire que d'ici une demi-heure, il abandonnerait tout espoir de la ramasser à la petite cuillère. Puis elle rouvrit la bouche, la lèvre un peu pendante. « Comment toi, tu es arrivé là ? » Il se frotta à présent les yeux. Très bien, en plus de l'exciter un peu trop, l'alcool l'avait dotée d'une mémoire instantanée. Il arbora un sourire très forcé, essayant d'avoir bonne figure, et se retenait de ne pas prendre sa tête pour la mettre sous un robinet, de sorte à lui raviver ses souvenirs si facilement effacés. Effort. Il fallait faire un effort. « Tu m'as appelé, il y a quoi, vingt minutes peut-être. Tu t'en rappelles pas ? Bon dieu, tu te souviens au moins de ton prénom rassure-moi ? » Il était en train de s'inquiéter un peu quand même, voyant qu'elle partait dans une phase de bad trip, ou autre coma à demi conscient. Lui même avait un trop plein de bière qui lui montait au cerveau. Mais ce n'était pas le moment de flancher. Fallait rester. Pour Helena. Peut-être qu'elle lui pardonnera même ses conneries passées, celles de la soirée de bienfaisance. Et au mieux loin d'un lit d'hôpital à décuver.
Puis la musique changea, et Helena se sentie soudainement toute émoustillée. « Oh ! On va danser ! On va danser ! Ou tu gardes verre si veux. » Elle était enjouée comme jamais, bondissait presque sur son tabouret et elle portait un faciès assez étrange, sûrement censé paraître aguicheur ou séduisant, à en juger par la tentative échouée de donner à sa voix une saveur mielleuse. Il tenta de la calmer, en l'invitant gentiment à se rasseoir, mais elle semblait ignorer complètement sa présence, et se déhancha de sorte à se lever de sa chaise. Enfin, il avait beau la prévenir, elle faisait abstraction de ses paroles et gagna de ce fait une belle chute sur le carrelage. Cet instant fut le genre de scène où l'on se cache derrière sa paume, où l'on braque son regard sur le plafond, faisant alors mine de méconnaître ce ou cette gaffeuse. Il tenta d'ailleurs de la rattraper mais peine perdue, elle s'étala de ton son long sur les dalles, sûrement froides, du Muffy's. Il lança un sourire gêné à l'audience qui venait de braquer une dizaine de paire d'yeux sur eux, intriguée par ce badaboum assourdissant, capharnaüm causé par le corps d'Helena rebondissant sur le sol. Elle avait même réussi à trouer son jean et à faire gonfler son genou en une petite croute crachant de fines flopées de sang. Il soupira un bon coup, histoire de montrer à cette soularde qu'elle en faisait peut-être -voire carrément- un peu trop. « T'as fini avec ton numéro ? Tu peux pas tenir en place trente secondes ? Roh, t'es chiante comme nana. » Il l'aida ensuite à se relever, et la retint avant qu'elle ne s'écrase à nouveau par terre. Il examina ensuite sa plaie. C'était pas bien grand, mais ça commençait à s'éponger sur son jean. Il grogna quelques mots peu compréhensibles et tira Helena par le bras vers les toilettes, jetant quand même quelques coups d'œil au cas où elle pensait à zigzaguer un peu trop dangereusement. Les WC du Muffy's, c'était un truc très rustique, pas de différenciation homme/femme, c'était quatre murs communs, avec un urinoir et un cabinet, puis un évier. Il fit alors asseoir Helena sur le bord de la cuvette et s'empara de papier toilette qu'il imbiba d'eau et porta à son genou, pour étancher son égratignure. « Bouge pas. Et dis-moi si t'as mal. » Il garda ainsi le tissu sur sa chaire à vif, attendant que l'affluence de sang ne calme ses ardeurs. Elle avait l'air un peu paumée, là, assise sur ces toilettes, à balancer sa jambe valide, le regard vide et perdu. Il avait de la compassion pour son état, pour sa démarche ivre, et sa tête qui se reposait sur son épaule gauche, un peu trop lourde pour qu'elle ne la garde soulevée très longtemps. Alors il esquissa un sourire, cette fois-ci réconfortant, lui affirmant implicitement qu'il n'était pas là pour l'engueuler toute la nuit, qu'il allait prendre soin d'elle et qu'elle n'avait pas à le redouter. Et pour prouver qu'il pensait sincèrement ce qu'il figurait par un sourire, il chassa de son visage quelque peu dépareillé ses cheveux qui semblaient avoir combattus en première ligne au front. « Puis si tu veux vomir, t'as juste à te retourner. Mais par pitié, ne repeins par ma chemise. »
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Sam 12 Mai - 2:18
Helena n'avait aucune envie de faire plaisir à Rudy, la seule chose qu'elle daignerait écouter ce soir seraient ses petits désirs personnels. Or, manifestement, ceux-ci lui interdisaient de reprendre le verre d'eau ainsi que de boire son contenu fade et écoeurant. Alors quand le jeune homme lui remit le verre entre les mains en la traitant comme une enfant, elle lui donna raison en agissant en parfaite gamine. Elle le reposa sur le bar, sans y accorder un regard, dédaigneuse. Elle avait la même attitude que ces bébés qui s'amusent à lancer leur hochet par terre pour voir à partir de quel moment leurs parents se lasseront de se lever pour aller le ramasser et le lui ramener tendrement... quitte à subir ses cris perçants à la place. Elle ne se rendit pas compte que le pauvre étudiant face à elle avait l'air complètement désespéré quand il lui dit qu'elle avait téléphoné quelques instants auparavant à peine. Il avait également eu la drôle d'idée de lui demander son prénom. La bouche pâteuse d'Helena adopta un ton excité mais quelque peu condescendant pour lui livrer une réponse. « Helena. Et 'suis sûre c'tait 'y a plus longtemps ! » Elle chercha son verre de whisky mais n'aperçut que celui que Rudy lui avait commandé et fut un peu déçue. « 'm'en souviendrais sinon. Je suis pas pétée. »
L'excitation en question disparut totalement après sa chute. La rencontre avec le carrelage avait été brutale et la bourrée était rapidement redescendue sur Terre, au sens propre comme au figuré. Elle se retrouvait là, sur le sol, le pantalon troué et complètement paumée. Elle se sentit tellement désemparée face à ce petit rien que sa gorge se serra quand le vendeur de lingerie lui fit remarquer que, franchement, elle était chiante comme nana. Et bam, d'un coup elle avait de nouveau dix ans. Dans quelques secondes elle allait se faire gronder parce qu'elle avait déchiré ses vêtements, qu'elle ne faisait jamais attention et qu'elle rendait ses parents bien malheureux parce que, sincèrement, ils ne l'avaient définitivement pas éduquée comme ça ! Heureusement, deux mains vinrent s'agripper à elle pour la relever. Elle s'accrocha aux vêtements de Rudy pour s'aider dans son ascension. Avant qu'elle n'ait eu le temps de reprendre conscience de ce qui l'entourait, elle l'entendit marmonner puis le sentit la tirer vivement par le bras. Elle se laissa faire sans opposer de résistance, elle n'avait de toutes façons pas le choix. Ce fut à ce moment qu'elle se rendit compte qu'elle avait rarement sentit le décor l'entourant tanguer aussi fort. Elle ralentissait l'allure du duo, obligée de prendre régulièrement appui sur des tables ou des dossiers de chaises pour pouvoir continuer à mettre un pied devant l'autre sans emmêler ses longues jambes à nouveau.
Lorsqu'elle découvrit qu'il l'emmenait dans les toilettes, elle fronça les sourcils. Que voulait-il donc qu'ils aillent faire là ? Non seulement elle était assez grande pour aller se soulager d'elle-même quand le besoin s'en faisait sentir mais de plus, s'il avait d'autres projets, il y avait clairement plus romantique comme endroit. D'autant que cette pièce devait sûrement être pleine de maladies, germes et champignons en tous genres qui n'attendaient que d'innocentes victimes pour s'insinuer en eux et venir leur pourrir le quotidien. Avant qu'elle ait eu le temps d'exprimer ses objections quant à leur présence dans les lugubres WCs du Muffy's, il la fit asseoir sur le trône. Ce n'était pas très stable pour dire vrai. Helena craignit d'ailleurs un instant de basculer en arrière. Par chance, elle parvint à éviter la catastrophe en prenant appui d'une main sur la cuvette — tant pis pour l'hygiène — et de l'autre sur sa propre cuisse. Quelque chose de froid entra en contact avec son genou blessé, la faisant tressaillir. Elle découvrit Rudy, un morceau de papier toilette en main, penché sur son égratignure. Elle hocha doucement la tête pour lui signifier que cela ne lui faisait pas mal. Tout ce qu'elle voyait continuait à vaciller. Elle essaya de fermer les yeux quelques secondes mais ce fut bien pire ! Elle n'avait plus aucun point de repère dans l'espace qui l'entourait, elle eut juste l'impression de tomber, comme cela arrivait parfois en rêve. Elle desserra les paupières pour découvrir un sourire réconfortant. Alors, elle se détendit un peu, peut-être qu'il n'aillait finalement pas passer son temps à lui faire des reproches au final... Elle le laissa remettre ses cheveux en place, appréciant le contact avec ses mains à sa juste valeur, et tenta de lui sourire à son tour, sans toutefois être sûre d'avoir été très convaincante. Elle décida de lui faire confiance pour prendre les choses en main car, plus le temps passait, assise sagement sur les toilettes, plus elle se rendait compte qu'elle n'était plus en mesure de s'occuper correctement d'elle-même cette nuit.
Sa remarque sur l'éventualité qu'elle vomisse ne l'amusa pas beaucoup. Si elle avait pu se rappeler de tout ce qu'elle avait ingurgité, la malheureuse aurait su que, pour dessaouler, le passage par la case éjection allait être pour ainsi dire inévitable. Il faut avouer que les effluves flottant dans la pièce n'étaient pas là pour l'aider à faire passer la nausée. Pour ne rien arranger, sa tête n'arrêtait pas de tourner, la faisant elle-même tanguer sur son siège de fortune. « Rudy, ça tourne. » Elle était agrippée de toutes ses forces, blanchissant les jointures de ses doigts. Elle avait l'impression que si elle lâchait prise ne seraient-ce que quelques secondes, elle tomberait par terre, la tête la première. Néanmoins, elle continuait à attendre sagement que son docteur en ait terminé avec sa jambe, espérant que le reste passerait à force de patienter.
Elle sentit le drame arriver juste à temps. Son ventre se serra, sa gorge suivit et elle tourna vivement la tête alors qu'elle était prise d'une horrible quinte de toux, bientôt suivie par un bruit susceptible de concurrencer le brame du cerf. L'acide lui piqua la gorge et elle se sentit subitement très faible lorsque ses bras commencèrent à trembloter. Elle fermait les yeux, attendant une suite qui ne vint pas, malgré le retour momentané d'une toux inquiétante. De sa main fébrile, elle sortit alors un mouchoir en papier de la poche de son pantalon, s'essuya la bouche et l'envoya valser dans le fond des toilettes. Elle n'osa pas regarder Rudy lorsqu'elle se redressa, prenant appui sur le mur pour tirer la chasse d'eau. Honteuse, elle murmura un piteux « Désolée... »
Elle avait toujours du mal à avoir des pensées claires, son cerveau étant comme enroulé dans une épaisse couche de coton. Cela ne l'empêcha pas de se rendre compte qu'elle s'était vraiment mise dans un sale état, que si elle n'avait pas encore touché le fond, elle n'en était pas loin et qu'elle était sûrement bien pitoyable en ce moment. D'un côté, la purge n'avait pas eu que des points négatifs puisque le monde semblait déjà un peu plus stable. En revanche, elle avait vraiment du mal à tenir debout et, une fois de plus, l'aide de son ami le mur lui fut bien précieuse. « Le genou, ça va mieux. » souffla-t-elle. En vérité, il ne lui avait jamais fait bien mal mais cela lui remonta un peu le moral d'énoncer quelque chose qui se passait bien au milieu de cet enchaînement de catastrophes qu'elle déclenchait. Toujours appuyée de tout son poids, elle ferma les yeux, épuisée. Elle se serait bien volontiers endormie là.
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Lun 14 Mai - 1:59
La barrière de la patience était en train de céder dans l'être intérieur de Rudy. Le genre de barrière qui fait des ravages au cerveau quand elle tombe, qui vous fait entrer dans une rage dévastatrice. Il inspirait calmement, parfois en fermant les yeux pendant quelques tiers de secondes, histoire de faire face à cette Helena tirant une moue de gamine devant son verre d'eau. Elle reposa donc à nouveau le liquide sur le comptoir, le défiant avec mépris et indifférence. Une dispute de bac à sable, rien de plus. Il en vint donc à la conclusion que la forcer à boire à nouveau serait un échec cuisant. Il opta alors pour la méthode forte, celle qu'elle ne pouvait refuser. Il s'emparer du gobelet et le renversa au-dessus de sa tête. Techniquement, ça ne changeait absolument rien à son état. Elle resterait soule et ivre comme une adolescente tout excitée de se bourrer la gueule, sauf qu'en plus de ça elle était mouillée. Mais lui, ça le relaxait, ça l'apaisait, de savoir qu'elle était trempée au visage. C'était sa petite vengeance, et il arbora ce sourire mesquin et discrètement victorieux, au coin des lèvres. Pas un pour rattraper l'autre. Elle déclara ensuite haut et fort son prénom. On ne l'avait pas encore perdue entièrement, elle connaissait son patronyme. Ouf. Par contre, elle avait délaissé la notion du temps, et avait ce réflexe absolument déplorable qu'ont tous les humains éméchés: elle niait avec conviction sa nature d'alcoolique. Peu désireux de se jeter corps et âme dans un débat où il serait de toute façon perdant, il acquiesça et soutint ses paroles. Oui Helena, tu n'es pas du tout pétée, c'est pour ça que tu trouves l'eau dégueulasse et que tu hurles dans un téléphone. Bah bien sûr. Un dernier petit soupir et il revint pleinement à lui.
Et puis, si Helena n'était pas si ivre comme elle le clamait, elle n'aurait pas serré son bras pour ne pas tomber. Pendant leur petite promenade vers les toilettes -oui parce qu'avec de l'alcool dans le sang, dix mètres peuvent en paraître cent- elle avait titubé si dangereusement qu'il s'était attendu à une commotion cérébrale, ou autre accident ne requérant pas un simple morceau de PQ baigné dans l'eau du robinet. Et même assise sur une cuvette pourtant stable, elle avait le besoin de s'accrocher à n'importe quoi, même la paroi lisse était une prise tout à fait assurée. Décidément, son degré d'ivresse était proche de la saturation, surtout lorsque l'on s'attardait sur son visage complètement déconnecté de lucidité ou de raison. Rudy commençait presque à s'imaginer le pire, à savoir un joli coma éthylique entre les mains. Ça pouvait pimenter la soirée. Mais s'il voulait l'épicer un peu, il préférait que ce soit dans un tout autre sens. Malheureusement, l'endroit était peu glamour et assez crade en soi, donc peu propice à une potentielle discussion de couple, histoire de bassiner encore le monde entier avec ça. Et puis Helena en soit n'était pas non plus très apte à recevoir une telle conversation. Elle était même pas en état de se tenir droite sur la lunette des toilettes, alors aligner trois mots convenant à la situation relèverait du miracle. Il avait mieux fait de rêver que son enseigne soit remplacée par celle de Victoria Secret's. « Rudy, ça tourne. » Et là vint le drame. Non non non, pas maintenant, jamais, pas ici, non, pensait-il, avec foi. Sauf que retenir ça et fermer fermement sa bouche lui aurait essentiellement fait recracher sa bile par le nez. Quand ça doit sortir, ça doit sortir, peu importe le trou. Il essayait juste de la maintenir à peu près droite, au cas où ça lui passerait, mais il comprit bien vite que cette jolie mélasse était inévitable quand elle se pencha en arrière, évitant alors de tapisser sa belle chemise portée uniquement lors de soirées étudiantes comme celle initialement prévue. En bon gentleman, il souleva ses cheveux, faisant ainsi en sorte que ça ne coule pas trop sur son haut, bien que celui-ci soit déjà tâché de substances diverses et variées. La nuit prenait un tout autre tournant que celui attendu. Il se serait bien vu en train de dévorer un plat de pâtes au pesto, un bon cocktail à la main, aux côtés de quelques types défoncés, voire d'une jolie midinette, dans la cuisine de son hôte. Non, penser à une jolie midinette alors qu'il était avec Helena était une chose affreuse. Bon, si cette fille imaginaire n'était pas en train de s'essuyer quelques traces de vomi autour de la bouche, il pouvait se permettre d'y penser, avec toutefois une grande modération. Le pire, c'était que les vapeurs nauséabondes sorties des tripes d'Helena lui donnaient des relents acides à lui aussi. Il détourna les yeux et s'empressa alors de tirer la chasse d'eau, mettant cet (énième) incident derrière lui. Elle s'excusa même, avec une voix douce, et exténuée. C'était si mignon. Il avait presque envie de lui pardonner n'importe quel acte infâme qu'elle aurait commis. « C'est pas grave. Au moins c'est sorti. Et puis ça arrive à tout le monde. Celui qui n'a pas vomi ses tripes en soirée n'est pas un vrai fêtard, hein ? » Futile phrase pseudo-moraliste censée lui remonter le moral et la sortir de ce blues post-nauséeux.
Elle se hissa ensuite sur ses jambes, prêtes à remonter sur ses hauts talons -sérieusement, mettre ces aiguilles en-dessous des pieds pour se bourrer la gueule, quel intérêt ?- et Rudy n'hésita pas à l'aider, voyant que vider ses intestins ne lui avait pas redonné l'équilibre. Elle avait retrouvé un visage plus paisible, avec une pincée de confiance en elle. Elle semblait néanmoins épuisée. Ça annonçait l'heure du dodo. Lui bâilla également. Il fallait avouer que l'alcool était facteur de fatigue. « Je pense qu'il est temps de rentrer. Tu me suis sans broncher, ok ? » Alors c'était aussi simple que ça ? Il allait la ramener chez lui, elle dormirait sur le canapé, et ils se réveilleraient le lendemain, lui debout à la regarder rêver avec un visage serein, et elle, émergeant avec ce mal de tête. Elle se demandera sûrement comment était-elle arrivée dans le salon du type qu'elle devait haïr le plus au monde, à qui elle en voulait plus qu'aux tueurs de baleines. Sauf qu'aujourd'hui, il était décidé. Par comme toutes les autres fois, non. Il était persuadé, assuré que ce qu'il ressentait pour Helena n'était pas juste l'excitation des retrouvailles, mais qu'il avait bien gardé cette flamme, tapie très, très profondément en lui, qui brûlait néanmoins toujours. Bon, il y avait plus romantique comme contexte, pour lui déclarer cette passion folle, et qui demandait d'ailleurs des responsabilités diverses comme celle de s'occuper de son âme-sœur déchirée après une beuverie (à laquelle il n'était même pas invité, mais la situation initiale faisait que cela était normal). Il attendit alors qu'elle sorte de sa transe, alors qu'elle était là, appuyée contre le mur, pour les faire s'extirper de ses toilettes répugnants, maintenant senteur des tropiques gastriques, et au mieux gagner un lit douillet.
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Mer 16 Mai - 15:08
Helena se raidit quand, subitement, le contenu d'un verre d'eau se jeta à son visage. Ses traits se contractèrent alors que le liquide s'infiltrait dans ses yeux et ses narines. Il dégoulinait le long de son visage, coulait de son menton et terminait sa vie dans son décolleté. Elle laissa échapper un cri perçant tant cela lui sembla froid sur sa peau fiévreuse. La surprise passée, elle jeta un regard outré à celui qui était à l'initiative de cette agression et rugit « Mais tu es cinglé ! Qu'est-ce qui t'a pris ?! » Furieuse, elle envoya un coup de pied en direction de son mollet. Elle manqua sa cible de peu et sentit son gros orteil protester vivement après avoir fait la connaissance du pied du tabouret de bar. Cela l'énerva davantage. C'est qu'il avait l'air fier de lui en plus, le bougre ! La jeune fille bouillait de rage. À son grand regret, elle n'avait rien à portée de main susceptible d'être balancé dans la face victorieuse de Rudy. Elle ne pouvait pas non plus commander un autre verre pour lui rendre la pareille. En effet, le serveur avait vu la scène. Après avoir levé les yeux au ciel et proféré des menaces dans sa barbe, il avait disparu dans un petit placard à balai derrière le bar. Il ne tarderait certainement pas à en sortir avec une serpillère et un chiffon pour éponger les dégâts. Elle choisit donc l'attaque verbale : « T'as vraiment une attitude de gamin. » Le fait qu'elle ait pu avoir exactement le même genre de comportement quelques secondes plus tôt ne lui traversa même pas l'esprit. Bon, on faisait plus vexant comme remarque cinglante mais au moins, la douche forcée avait rendu à Helena la capacité de formuler des phrases relativement correctes avec sujet, verbe et compléments. Il acquiesça malgré tout quand elle déclara que les effets de l'alcool n'avaient pas de prise sur elle. Elle se calma un peu, plutôt satisfaite qu'il se range à son avis. Elle lui adressa alors une mimique lui signifiant qu'il avait bien fait mais que l'incident précédent était loin d'être oublié. Elle se jura que dès qu'elle aurait retrouvé sa capacité à évaluer correctement les distances, il s'en prendrait une.
Cependant, elle ne pensait plus du tout à cette promesse lorsqu'il lui ôta les cheveux du visage pendant qu'elle perdait le peu de dignité qui lui restait encore, pliée en deux sur le siège des toilettes. Elle eut même un grand élan de gratitude envers Rudy quand il fit mine de trouver ça normal alors que, même dans son état, elle lisait derrière son expression impassible qu'il était profondément dégoûté. En se levant ce matin-là, il n'avait sûrement pas pensé qu'il passerait sa soirée dans un endroit aussi désagréable. Il s'était sans doute imaginé chez lui à regarder la télévision ou en ville avec quelques bons amis. Malgré cela, il faisait comme si de rien n'était. Elle hocha la tête d'un air peu convaincu et eut un sourire navré. Elle ne s'en rendait pas bien compte mais une petite idée faisait son chemin dans son cerveau endommagé. L'idée qu'elle avait tout de même de la chance qu'il soit sorti de nulle part et qu'il soit resté pour s'occuper d'elle. Elle doutait que Jack eut été du genre à jouer les nounous si elle s'était trouvée mal alors qu'elle était en sa compagnie. Ce n'était vraisemblablement pas le style du Dom Juan. Si Rudy avait été absent, elle se serait juste fait jeter du bar et aurait dû se débrouiller comme une grande. Elle n'avait toujours pas compris par quel miracle son sauveur était apparu au Muffy's mais elle était contente qu'il ait été là… même si elle avait désormais les cheveux trempés ce qui, accessoirement, ne l'aidait pas à se réchauffer.
Une fois de plus, elle eut besoin d'aide pour se redresser. Elle aurait pu en profiter pour s'appuyer sur lui un peu plus longtemps que nécessaire ou laisser malencontreusement traîner sa main sur son épaule. Mais elle n'en fit rien, la situation n'était clairement pas appropriée à de tels débordements. D'autant plus qu'elle était sûrement dégoûtante : le teint pâle comme un vampire, les yeux rouges, les cheveux plaqués contre sa peau,… non, vraiment, elle n'avait rien de sexy, elle lui aurait juste donné envie de grimacer et la jeter à terre avant de fuir en courant. Il bâilla. « Je pense qu'il est temps de rentrer. Tu me suis sans broncher, ok ? » De toutes façons, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pas eu le courage de protester. Elle secoua docilement la tête et lui fit signe d'attendre juste un instant. Elle tituba jusqu'à l'évier, se pencha et trempa ses lèvres dans le jet d'eau froide que le robinet délivra. Lorsqu'elle eut terminé de se rincer la bouche, le goût infect qui y avait élu domicile s'était un peu atténué. Après quoi elle ôta ses chaussures. Elle allait avoir du mal à faire un quelconque trajet avec ces monstres aux pieds. Elle se moquait pas mal de marcher à pieds nus, personne ne le remarquerait de toutes façons. Elle les attrapa dans une main et se retourna vers Rudy, prête pour le grand départ. Ils retraversèrent le bar. La clientèle eut l'air plutôt soulagée de voir qu'ils quittaient l'établissement. Quant au serveur qui était en train de passer énergiquement la lavette sur le comptoir, il les observa d'un air mauvais. Il valait mieux ne pas croiser celui-là dans une ruelle obscure. Sans doute appréhendait-il l'état dans lequel ils avaient laissé les commodités. On ne pouvait pas vraiment l'en blâmer, il n'était pas technicien de surface après tout.
L'air nocturne fit du bien à Helena. Elle respira à pleins poumons et se sentit revigorée malgré ses pensées toujours troubles. La température ambiante était agréable. Toutefois, une brise glacée venait de temps en temps refroidir sa chevelure humide. Elle se rechaussa, non sans mal, et coupa ainsi le contact avec le sol tiède. Elle eut l'illusion d'avoir un peu moins froid. Elle ouvrit alors son petit sac qui, par chance, par miracle même, était resté accroché à elle tout au long de la soirée. Elle fouilla dedans un instant et en sortit un jeu de clefs argentées auquel pendouillait un panda en peluche. Elle balaya fébrilement le parking des yeux. Ce qu'elle constata l'inquiéta. Son front se barra avant qu'elle avoue ce qui la tracassait « Je sais plus où est ma voiture… » Ca c'était embêtant. On ne perdait tout de même pas une voiture comme ça, personne n'était jamais rentré à la maison en ayant juste oublié sa voiture quelque part derrière lui. Elle grelotait en demandant à son esprit embué ce qu'elle devrait faire. Elle sentit un étrange sentiment monter en elle : un mélange de panique et de culpabilité lui serrait la gorge. « Comment je vais rentrer chez moi alors ? » demanda-t-elle, affolée. Pas un instant elle ne se dit qu'elle n'était pas en état de conduire. Pas plus qu'elle n'imagina que Rudy pourrait la reprendre chez lui. Il avait eut l'air tellement blasé pendant qu'il avait été avec elle, qu'elle était persuadée qu'il n'aurait aucune envie de continuer à se la coltiner chez lui. Elle le regarda furtivement, espérant qu'il avait une solution magique, une merveilleuse astuce pour retrouver les véhicules égarés. D'un autre côté, elle avait ce timide espoir qu'il se sente obligé de rester auprès d'elle jusqu'à ce que le problème soit résolu – ou simplement le temps de faire quelques tours du parking – pour qu'elle puisse continuer à profiter de sa compagnie. Même si ce n'était qu'un petit con à cause duquel elle allait certainement choper la crève.
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Mar 22 Mai - 19:12
Voir Helena partir au quart de tour le faisait jubiler. Elle ne se retint pas de laisser un cri strident percer les oreilles de l'assemblée ici présente, et tout en priant pour qu'elle se taise, Rudy prenait un malin plaisir à savourer son infortune. Il avait envie de s'esclaffer devant elle, de rire aux éclats. Il aurait bien commencé une bataille d'eau d'ailleurs, mais il n'avait pas assez bu pour adopter ce genre de comportement puéril, surtout dans un bar rempli d'adultes bobo de la trentaine, ou de gros poivrots habitués à trainer à cette heure ci dans une vieille auberge. Le plus drôle fut le coup de pied raté, sûrement censé s'écraser sur son mollet, mais qui manqua remarquablement sa cible et qui vint heurter le pauvre pilier du tabouret, innocent et candide, où un chewing-gum avait d'ailleurs élu domicile. « T'as vraiment une attitude de gamin. » Sa réplique, au tournant hilarant dans le contexte de cette scène, lui arracha un nouveau sourire qui se logea jusqu'à ses oreilles. « T'es très mal placée pour dire ça ma pauvre fille. » Remarque totalement objective d'ailleurs, bien qu'elle aille dans le sens de ses piques censées redonner raison à la pauvre Helena, qui, dans ses élans de colère, avait retrouvé l'usage d'une élocution correcte. Mais dans son rôle de gentleman sauveur de princesse en péril, il prit tout de même la peine de lui tendre une serviette en papier laissée de côté sur le bord du comptoir, en arborant toujours ce petit rictus infantile. « C'est bon, t'en as marre de jouer l'indignée, t'as fini ton cinéma ? » Et pendant qu'elle barbouillait son visage avec le morceau de tissu craquelé, Rudy lança un fasciés désolé au barman, lui présentant implicitement ses plus plates excuses et lui promettant de régler l'addition de sa compagne, sûrement exorbitante, dont elle avait probablement omis l'existence depuis ces dernières heures.
La scène des toilettes fut beaucoup moins tordante que l'entracte du verre d'eau. Ce n'était pas la première fois qu'il assistait à une déjection glamour d'une charmante demoiselle -le charmante était relatif dans le sens où Helena avait plutôt une tête à engendrer un zombie, mais elle restait Helena- il n'allait donc pas crier au scandale et pousser des cris de jeune fille pré-pubère apeurée devant une araignée plus mince qu'un ongle de nouveau-né. Néanmoins au fond de lui, il ne trouvait pas ça très délicieux, et tenir les cheveux d'une pauvre âme en détresse n'était pas son hobby préféré. Helena afficha donc un visage navré quand elle releva la tête des méandres des toilettes. Il en était presque désolé pour elle. Désolé qu'elle soit dans cet état, bien qu'il n'y était pour rien au monde. Il avait un élan de tendresse pour cette pauvre jeune fille perdue au-dessus d'une cuvette sale, les cheveux trempés, au bord des abysses nauséeuses, rendue désespérément ivre. S'en suivit alors un de ces films qui remue l'esprit et qui aveugle parfois un peu trop; s'il n'avait pas foiré le jour où ils s'étaient revus, peut-être qu'il n'en serait pas là à ressentir une sorte de pitié attristante pour elle. Au fond il culpabilisait presque, et avait du mal à se dire que ce tort n'était que le fruit d'une illusion inventée de toute pièce par son inconscient. Il s'auto-blâmait pour les tâches de substances étranges qui erraient sur son tee-shirt, pour son cerveau embrumé par un cocktail trop fort, pour les relents de vomi qui avaient quitté ses intestins, pour l'attitude puérile qu'elle avait. Il se retint alors de penser, et chassa ses mauvaises réflexions qui allaient le conduire à une crise de larmes digne d'une gamine de quatorze ans célibataire se trouvant trop grosse et trop moche, réduite à essuyer ses yeux humides avec des PQ.
Ils finirent enfin par quitter l'antre démoniaque au carrelage rayé et aux vapeurs peu enivrantes, après qu'Helena eut retiré ses hauts talons et aspergé sa bouche de quelques gorgées d'eau. Finalement, elle avait fini par céder, bien que l'incident du gobelet soit passé depuis longtemps. En passant par la pièce principale du bar, Rudy remarqua le soupir de satisfaction qui s'extirpa de pas mal de bouches, et tout en surveillant l'ivre milady au cas où elle s'aplatirait à nouveau sur le sol, il alla déposer quelques billets sur le comptoir, avec ce déchirement intérieur, en sachant que ces maigres dollars représentaient sa fin de mois et qu'ils venaient de lui glisser des doigts. C'était pour la bonne cause. Puis il ne fallait pas compter sur Helena pour se souvenir de ses consommations. Il la rejoignit ensuite dehors, découvrant la fraîcheur un peu trop fraîche de la nuit. Malgré tout, sortir la tête de la chaleur ambiante et aérer son esprit embrumé par l'odeur du vomi d'une certaine jeune brune lui fit du bien. Et alors qu'il pensait déjà à son lit douillet, à sa grosse couette, et à une bonne douche brûlante, il entendit sa petite voix inquiète. « Je sais plus où est ma voiture… » Le déni était une chose commune chez les personnes saoules. Et la foi en sa capacité de conduire avec dix grammes d'alcool dans le sang aussi. Dans ces moments-là, on se croit franchement invincible, peu importe l'état dans lequel on se trouve. Même nu sur les rails d'un train au son d'un TGV approchant, tant qu'on a de la cocaïne plein le nez, on est persuadé de notre immortalité. « Tu sais, j'ai pas besoin de savoir combien de verres t'as pu t'enfiler pour t'interdire de prendre le volant, que tu retrouves ta voiture ou non. » Il sauta alors sur les clés de voitures qu'elle serrait dans sa main droite, de peur que le véhicule se manifeste d'une minute à l'autre. Il ignora avec ardeur ses grognements rechignant et songea au moyen de locomotion le plus adapté. En fouillant ses poches, il se rendit compte que son porte-monnaie était resté chez son cher hôte, chez qui il serait d'ailleurs bien resté pour la nuit au lieu de jouer les baby-sitter à deux heures du matin. Les seuls billets qui trainaient dans ses poches depuis une semaine s'étaient quant à eux envolés avec la note d'Helena. Carte bleu, dernières liquidités... tout avait disparue, tout comme l'espoir d'appeler un taxi. Soupir de désolation. Il était au bord du gouffre. Un gouffre sombre, à l'odeur pestilentielle, aussi profond qu'un trou noir entraînant ses victimes dans une autre dimension. Parfois il s'adonnait à la dramatisation.
Il sentit par la suite que sa partenaire nocturne grelotait quelques peu. Instant de réflexion. En regardant attentivement le haut de son corps mouillé, et donc apte à capter d'autant plus le froid, ainsi que ses vêtements peu épais, il endossa à nouveau le rôle de messie en retirant nonchalamment sa veste. Il émit un petit grognement en la lui tendant, signifiant qu'elle pouvait la tâcher avec ses cheveux dégoulinant « tiensvasytupeuxlaprendre. » Cela n'apaisant cependant pas la panique palpable sur son visage. Elle se demanda en effet, ô miséricordieuse, comment allait-elle bien faire pour renter chez elle (à comprendre faire un boucan dans le salon de ses parents). Elle le regardait avec des yeux de gamine apeurée, attendant qu'il sorte un lapin magique de son chapeau imaginaire, ou même qu'un elfe se pointe et leur montre un chemin couleur arc-en-ciel caché sous le trottoir pour rejoindre le pays magique des fées. « Euh... écoute, je pense pas que tes parents apprécieraient de te voir dans un tel état, alors je vais pas te cacher que pour préserver l'entente de votre famille, tu seras mieux chez moi. » Il avait l'impression d'être un pervers prêt à abuser d'une pauvre camée qui s'apprêtait à traîner sur son sofa. Il espérait alors qu'elle ne relève pas cette connotation peu glorifiante. « Puis je crois qu'on va rentrer à pieds ». Il se mit ensuite en route, se souciant peu de l'avis d'Helena. Après tout, Arrowsic n'était pas un bien grand village et il n'habitait qu'à un petit quart d'heure du Muffy's. L'air allait leur faire du bien. Et alors qu'il adaptait sa cadence à celle moins rapide de sa demoiselle en détresse, leur promenade digestive furent bientôt rattrapées par un grondement céleste qui le fit sursauter. S'en suivit des trompes d'eau et autres réjouissances. C'est donc en courant qu'ils gagnèrent l'appartement Rudy, course à pieds qui s'avérait d'ailleurs sûrement plus rapide qu'une course de taxi.
Sujet: Re: « Éther démoniaque... Ça vous fait vous comporter comme l’ivrogne du village dans un roman irlandais... » Jeu 24 Mai - 19:15
Sa fureur sembla beaucoup amuser le vilain farceur. Tant mieux pour lui. Helena aurait pu se dire qu'il avait l'air irrésistible avec son air de sale mioche, fier comme tout de son mauvais tour. Mais non, elle refoula sans mal cette idée. À l'instant présent, elle avait surtout envie de le jeter à bas de ce stupide tabouret. Tabouret que son orteil n'était pas près d'oublier, d'ailleurs, ce qui ne faisait qu'accentuer sa colère. Elle lui aurait bien foutu une gifle, histoire de le calmer un peu, mais ses expériences précédentes restaient bien ancrées dans sa tête. Chaque fois qu'elle avait essayé de l'atteindre physiquement jusqu'à présent, elle avait pitoyablement manqué sa cible. Elle se contentait donc de le fixer d'un regard noir. Plus encore lorsqu'il esquissa un nouveau sourire, n'annonçant rien de bon. « T'es très mal placée pour dire ça ma pauvre fille. » Piquée au vif, elle fronça le nez et lui tira la langue. Sa réaction ne fit que rajouter du crédit à l'accusation mais qu'importe, elle n'en avait même pas conscience. « La ferme. » fit-elle d'une voix à nouveau vaseuse. Dans un élan de bonté, il lui tendit une serviette pour lui permettre de d'essuyer les dégâts. Rageusement, elle la lui arracha des mains et se tamponna nonchalamment le visage. Ce qui, en vérité, ne changea pas grand chose. « C'est bon, t'en as marre de jouer l'indignée, t'as fini ton cinéma ? » Mais qu'est-ce qu'il pouvait être énervant, ce garçon ! Le regard dans le vague, elle fit mine de n'avoir rien entendu. Puis, faisant à nouveau preuve d'énormément de maturité, la soularde le singea silencieusement dès qu'il tourna les yeux vers le serveur. C'était complètement inutile mais cela l'amusa beaucoup. C'est pourquoi elle arborait un petit sourire satisfait quand il reporta son attention sur elle. Malheureusement, ce n'est pas parce qu'elle avait eu l'air plus lucide pendant un moment que son état s'était amélioré. On n'efface pas des heures passées à s'enivrer avec un simple verre d'eau fraîche, ça se saurait. Ses excès la conduirent là-où-on-sait. Jamais elle n'aurait pensé, en partant avec les quelques élèves de son cours d'allemand, qu'elle finirait recroquevillée dans une pièce sombre aux petites heures du matin. Jamais non plus elle n'aurait cru que ce serait dans ces circonstances qu'elle reverrait celui dont elle se languissait à longueur de journées. Si on lui avait demandé, elle aurait répondu qu'elle préférerait attendre de ses nouvelles pendant des mois encore plutôt que de se retrouver dans une situation aussi dégradante. Malheureusement pour elle et sa fierté, cette décision ne lui appartenait pas.
Une fois dehors, Rudy n'abandonna pas son rôle de bonne conscience. On aurait pu lui passer une aube blanche et l'affubler d'une petite auréole, il aurait été parfait. Digne de son rôle, il interdit à la malheureuse de conduire. Avant qu'elle ait eu le temps de réagir, elle le vit fondre sur elle et lui subtiliser son trousseau de clefs. Elle protesta mais ne fit rien pour les récupérer. Non seulement elle était trop faible pour tenter une attaque frontale mais en plus, talons ou pas, il était trop grand pour elle et il n'aurait eu qu'à tendre le bras bien haut pour que le précieux soit hors de portée pour l'éternité… ou en tout cas, jusqu'à ce qu'il ait une crampe. Elle était en train de réfléchir à une stratégie perfide pour récupérer son bien lorsqu'il ôta sa veste. Avec surprise, elle se rendit compte qu'il la lui tendait. À en juger par son grommellement avant de l'autoriser à la lui emprunter, il ne le faisait pas de bon coeur. Renfrognée, elle lui répondit « Ca va, 'en ai pas besoin. » mais, ne croyant pas un seul des mots qui venaient de sortir de sa bouche, elle l'attrapa tout de même et l'enfila. Ses mains disparurent dans les manches et le peu de formes qu'elle avait s'effaça dans la masse de tissu. D'un coup, elle allait mieux. Le vent avait moins de prises sur elle et puis, vraiment, elle sentait tellement bon, cette veste. Toutefois, le répit fut de courte durée. Elle avait certes quelque chose de chaud sur le dos mais toujours pas de moyen de locomotion. Rudy ne voulait pas la laisser conduire, d'accord. Il n'avait manifestement pas envie de l'aider à chercher sa voiture, soit. Mais il avait plutôt intérêt à avoir une autre idée géniale pour la ramener chez ses parents parce qu'elle, elle n'en avait pas. Et autant préciser tout de suite qu'elle avait beau ne pas être au top de ses capacités intellectuelles, cela ne l'empêcherait pas de refuser de dormir sous un porche. « Euh... écoute, je pense pas que tes parents apprécieraient de te voir dans un tel état, alors je vais pas te cacher que pour préserver l'entente de votre famille, tu seras mieux chez moi. » Pardon ? Il fallut un moment à Helena pour assimiler ce que son ex-amant venait de lui proposer. Bien que proposer n'ait pas été le mot exact. Son ton était doux mais il n'y avait pas de question, pas d'autre alternative. Il ne faisait que lui exposer la solution qu'il avait choisie et elle n'avait rien à redire. Elle ne saisit pas bien cet aspect, pas plus que le fait qu'il voulait la ramener chez lui, ce qui aurait excité l'imagination d'à peu près n'importe qui. En temps normal, elle aurait sans doute bronché pour la forme, elle se serait entêtée un moment dans son idée première, mais elle avait tellement sommeil que, quoi qu'il lui ait proposé, elle l'aurait suivi aveuglément. Les paupières tombantes, elle hocha docilement la tête. Elle gémit en revanche quand il lui dit qu'il allait falloir y aller à pattes. Elle n'avait simplement plus le courage de mettre un pied devant l'autre, elle avait espéré trouver le confort d'un siège en cuir pas la dureté du macadam. Tant pis, comme c'était manifestement la seule solution, elle ferait un effort. Quitte à finir le trajet en rampant s'il le fallait.
De toutes façons, son hôte autoproclamé ne l'attendit pas pour se mettre en route. Subitement affolée à l'idée d'être abandonnée là, sans voiture et sans clefs, elle trottina pour rattraper la silhouette qui s'enfonçait dans la nuit. Elle s'agrippa à son bras, se moquant bien qu'il puisse ne pas être d'accord et estimer qu'il en avait déjà assez fait pour ce soir. Sa démarche était claudicante. Seul son déambulateur improvisé – à savoir Rudy – l'empêchait de zigzaguer lamentablement. Marcher était pénible mais lui faisait du bien. Son taux d'alcoolémie semblait diminuer au fur et à mesure qu'elle enchaînait les pas. Elle commençait à se faire au rythme qu'ils avaient adopté quand un grondement sourd se fit entendre. Evidemment, pas facile de repérer des nuages dans la nuit, comment auraient-ils pu prévoir lé déluge qui allait suivre ? Quand les gouttes d'eau se mirent à dégringoler du ciel, ils entamèrent une course folle. Bien entendu, Rudy était beaucoup plus rapide, presque sobre et sans escarpins idiots. « Attends-moi ! » lui hurla-t-elle d'une voix cassée qui eut du mal à passer par-dessus le bruit de la pluie s'écrasant violemment sur le sol. Sans réfléchir, elle se déchaussa à nouveau et termina le trajet nus pieds. Quand ils arrivèrent finalement au sec, dans le hall de l'immeuble qu'Helena avait squatté pendant des années, elle s'affala contre un mur et se laissa glisser par terre. Son souffle était court, le sang tambourinait dans ses tempes et ses pieds étaient pleins de crasses. Elle ne se rappelait pas avoir déjà poussé ses limites physiques aussi loin que ce soir-là. Quand, après avoir fermé la porte, Rudy la rejoignit, trempé, les cheveux en bataille, avec l'air d'un cocker surpris par l'averse, elle lui adressa un air épuisé mais néanmoins amusé, les yeux brillants sous sa tignasse emmêlée.