Lenny était étalé dans son canapé tel une épave, un animal échoué bref, il étai difficile voire impossible de trouver moins dynamique que lui. John, posté sur son torse, montait et descendait au rythme de la respiration et observait son maître d’un air de caméléon désabusé. Les yeux dans les yeux, les deux individus se regardaient en silence. Dans ces moments-là, Lenny aurait aimé que son caméléon puisse parler, juste pour savoir ce qu’il pensait de tout ce que le jeune homme avait à lui raconter. Et des choses à raconter, Lenny en avait des tonnes en ce moment. Depuis quelques semaines, sa vie était bien plus trépidante que ce qu’elle n’avait jamais été, même s’il s’en serait volontiers passé. Et toute cette agitation était due qu’à une seule et même personne : Quinn. Pourtant, la jeune femme partageait la vie de Lenny depuis toujours, mais jamais elle ne lui avait causé autant de troubles.

La fin d’un joint trainait encore sur la table basse près de Lenny, signe que malgré ses tracas, il s’efforçait d’agir comme avant. En vérité, le jeune homme essayait par tous les moyens de retrouver son était normal, celui d’un garçon que rien n’atteignait tant il était détaché de la réalité. Mais tout à coup, à cause de cette maudite histoire avec Quinn, tout ce qu’il avait toujours fuit semblait vouloir le rattraper. Lenny n’avait jamais été réellement affecté par une histoire de fille, il ne s’était jamais autant soucié de ses sentiments, et de la façon avec laquelle il devait agir en face d’une de ses « conquêtes ». Le problème était justement là : Quinn n’était pas une conquête, elle ne l’avait jamais été et pourtant… ils avaient couché ensemble. Plusieurs fois. Et maintenant, que ce soit elle ou Lenny, ils étaient tous les deux terriblement mal à l’aise à l’idée se revoir, et de faire comme si rien ne s’était passé. En même temps, ils n’avaient pas le choix. C’était ça, ou ne plus jamais se revoir et ça, Lenny était persuadé de ne pas pouvoir le supporter. Alors, de toutes ses forces, il essayait de se détacher de tout ça, de cette réalité qui le hantait, et d’agir comme le Lenny que tout le monde connaissait et qui ne se souciait d’absolument rien, à part d’être heureux.

Malheureusement pour lui, la tâche s‘avérait bien plus ardue qu’il ne l’aurait imaginé. Au lieu de reprendre sa routine habituelle, Lenny se retrouvait donc étalé sur son canapé, sous l’œil avisé de son caméléon qui le regardait réfléchir et se remettre en question sans trouver la moindre solution à son problème. Lorsqu’on frappa à la porte, le jeune homme ne prit même pas la peine de bouger. De toute façon, tout le monde savait que sa porte était toujours ouverte, alors à quoi bon se déplacer inutilement ? C’est donc sans aucune marque d’impatience significative que Lenny guetta l’encadrement de la porte qui donnait directement dans le salon où il gisait.

Son téléphone sonna aux alentours de dix heures et demi. Dans un grognement, il saisit son portable et plissa les yeux pour lire le sms qu'il venait de recevoir. Être réveillé à cette heure-ci un samedi alors qu'il ne bossait pas le désolait et il était prêt à s'énerver proprement pour incriminer le fautif. Sauf que le fautif en question se trouvait être Elizabeth, et il avait peu envie de s'embarquer dans une dispute sans fin, connaissant son répondant et sa facilité à s'engager aussi bien que lui dans un conflit où sa seule motivation était d'en sortir gagnante. Autant dire qu'imbu de sa personne contre imbu de sa personne, ça ne pouvait donner que mort d'homme. Il se retint donc d'aller l'engueuler et se concentra sur le fond du message. Bien. Ce qu'il put en tirer était que Lenny avait manifestement tenté de lui parler sérieusement. Or le laisser s'émincer ainsi dans sa vie sexuelle, qu'il soit son frère, son meilleur ami, ou son chat, il le laissait très durement passer. Rudy était loin d'être l'homme le plus intelligent de la terre. Il n'avait pas le QI d'Einstein, et de nombreuses qualités manquaient à l'appel dans la section “caractère” de son être, mais il était quand même à des années lumières d'être con. Il voyait donc, quand on le prenait pour un con. Et la situation était qu'on venait de le prendre pour un débile mental qui serait incapable de découvrir ce qui se complotait sous son nez. C'est donc absolument hors de lui qu'il se réveilla ce matin-là.

Il passa manifestement sa colère sur sa cafetière, qui se prit des coups par dizaine, puis sur le mur de sa douche, qui manqua de broyer son poing, et finalement sur sa serrure, sur laquelle il insista un peu plus, voyant qu'il avait des difficultés à faire entrer la clé dans le bon sens. Il haïssait ce sentiment. Il détestait se sentir en colère contre son frère. Premièrement parce que Lenny était son aîné. Dans son esprit, il y avait donc cette sphère de légitimité, d'autorité. C'était comme s'il avait toujours raison, quoi qu'il fasse, parce qu'il avait ce statut de premier. Et même si c'était absolument faux dans certains cas, Rudy avait ce statut de cadet. Quand leurs parents sortaient, Lenny représentait le sommet de la hiérarchie familiale. Alors pour ça, Rudy n'aimait pas devoir remettre en cause les actes de son frère. Et deuxièmement, il ne se sentait pas bien lorsqu'il devait le mépriser, parce qu'en plus d'être son frère, il était le meilleur ami qu'il n'avait jamais eut, et détester son meilleur ami, même ponctuellement, ça lui donnait envie de vomir ses tripes.

Néanmoins, Rudy prit le chemin de l'appartement de son frère, parce qu'il voulait clarifier les choses. Lenny avait sûrement ses raisons, et elles n'étaient sûrement pas mauvaises, ou avec de cruelles intentions destructrices. Il pria alors pour qu'il ne soit pas dans une de ses escapades bio en communion avec la nature – et parfois même avec une fille – et qu'il doive attendre le retour de l'homme en pagne de feuilles pour lui parler, parce que dans le cas contraire, il allait devoir choisir une victime sur qui passer ses nerfs, et il ne donnait pas cher de sa peau. Mais Dieu entendit ses prières, et quand il frappa à la porte, il remarqua que celle-ci n'était pas fermée, signe qu'il était manifestement chez lui, probablement affalé dans son canapé, on en train de laver John avec cette attention maternelle. En poussant la porte, il le découvrit avec peu de surprise sur son sofa, câlinant son caméléon. « Toi, je vais t'étrangler avec la queue de ton rat vert si tu n'as pas de raisons valables à me fournir. » Balançant son sac par terre et jetant sa veste par-dessus, il entra en trombe, se souciant peu du refus de Lenny de le laisser passer l'encadrement. Il vit ensuite la fin du joint trainer dans le cendrier de la table basse et hésita, se disant qu'il restait bien assez à fumer dessus pour se détendre et éviter d'assassiner son frère dans sa folie meurtrière, qui ne reposait d'ailleurs uniquement sur une malheureuse conversation qui aurait pu être purement innocente d'ailleurs, s'il n'était pas question de son plan cul. Finalement il céda et alluma la fin du pétard de Lenny, qui semblait vivre à deux à l'heure. « Pourquoi as-tu tant tenu à parler à Elizabeth ? » lâcha-t-il entre deux expirations de fumée.

Quelque chose disait à Lenny que le calme et la sérénité qui régnaient dans son appartement allaient très vite être perturbés par cet invité qu’il devinait être son frère avant même de l’avoir vu. La manière dont il avait frappé à la porte, ses bruits de pas… Aucun doute, Lenny l’aurait reconnu parmi des millions de gens. Et son intuition fut confirmée dès l’instant où Rudy apparut dans l’encadrement de la porte. Il avait sur le visage cette expression qui traduisait son énervement, et qui faisait d’ailleurs sourire Lenny presque à chaque fois. Le fait de voir son frère énervé lui procurait une sorte de jouissance que le jeune homme ne parvenait toujours as à s’expliquer. Rudy était drôle lorsqu’il était sur les nerfs, voilà la seule explication qu’il avait pu trouver. Et puis de toute façon, son statut d’aîné faisait qu’il n’avait absolument rien à craindre des crises de son petit frère, ce qui rendait la situation encore plus désopilante. Mais avant de se mettre à rire et de vexer Rudy, Lenny daigna tout de même écouter ce qu’il avait à dire (ou plutôt, il le fit parce qu’il n’avait pas tellement le choix). « Toi, je vais t'étrangler avec la queue de ton rat vert si tu n'as pas de raisons valables à me fournir. » En arquant un sourcil, Lenny regarda John qui avait l’air toujours aussi inspiré, et lui adressa une petite grimace amusée. Puis, sans même prendre la peine de se redresser, il reporta son attention sur Rudy et répondit d’un ton tout à fait posé : « Bonjour à toi aussi p’tit frère ! On va bien, merci. Toi aussi apparemment, ça fait plaisir ! » Lenny guetta la réaction de son frère en retenant un sourire moqueur d’émerger sur ses lèvres, et constata avec satisfaction qu’après avoir lutté quelques instants, Rudy avait craqué pour le reste de joint qui trônait comme une offrande sur la table basse.

« Pourquoi as-tu tant tenu à parler à Elizabeth ? » Elizabeth, Elizabeth… Lenny l’avait presque oubliée celle-là ! Et pourtant, elle l’avait gratifié d’une sorte de râteau dont il aurait du se souvenir ! Alors comme ça elle était allée rapporter à Rudy que son frérot l’avait accostée dans la rue, pour lui vanter les mérites des cappuccinos du petit café du coin de la rue ? Bizarre cette fille… En adoptant ce petit air innocent qui lui allait si bien, Lenny haussa les épaules et répondit : « Bah quoi… Je voulais faire connaissance ! » Ce qui, dans un sens, n’était pas totalement faux. Rudy ne lui avait jamais fait l’honneur de présentations en bonne et due forme, alors il avait voulu rattraper ça. « T’as l’air de bien l’aimer non ? » Lenny guettait avec beaucoup d’attention la réaction de son frère, et continua en pointant son index dans sa direction. « En tous cas elle, elle t’aime bien, méfie-toi ! » En réalité, Lenny n’avait pas la moindre information là-dessus. Mais c’était un moyen comme un autre d’arriver à ses fins, et de finalement savoir si cette Elizabeth était dangereuse ou non. Si elle avait la moindre chance de détrôner Helena.

Lenny avait ce sourire narquois horripilant. Le genre de sourire complètement dédaigneux qui enlevait toute crédibilité à Rudy et sa crise de colère. Il lui aurait bien sauter dessus et fait hurler jusqu'à la mort, histoire de passer ses nerfs. Mais Lenny restait un ami de taille. Et dans une semaine, quand son esprit pourra enfin être apaisé, leur bonne vieille complicité retrouvera la cours de sa vie. Et puis il avait cette manie de tout dédramatiser. Et forcément de répondre avec sa voix calme et sereine. « Bonjour à toi aussi p’tit frère ! On va bien, merci. Toi aussi apparemment, ça fait plaisir ! » Non, il n'allait pas bien. Sinon il n'aurait pas passé la pas de la porte rouge de colère, ça tombait de sens. Cependant il sentait la pointe d'ironie présente dans son ton posé. Ce que cela pouvait être insupportable de le regarder se tordre intérieurement de rire alors que lui luttait pour ne pas l'assassiner devant les yeux de son caméléon qu'il prenait pour un colocataire humain. Rudy se demandait parfois si son frère ne faisait pas aussi fumé son animal de compagnie, vu la gueule qu'il tirait et la façon dont Lenny parler avec affection à son John.

Alors qu'il avait posé la question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment, il guetta la réponse de son frère, écrasant le mégot de son joint dans le truc qui servait de cendrier. Comme à son habitude, il haussa les épaules et jouant le gamin candide qui ne savait rien. « Bah quoi… Je voulais faire connaissance ! » Faire connaissance avec le plan cul de son frère, mais quelle idée lumineuse ! C'est vrai, Rudy aurait dû présenté ses parents aussi, à Elizabeth. Et puis lui montrer une photo d'Helena. Ils auraient même pu se mettre en couple sur facebook, ou un truc du genre “en relation libre”, claquer la bise à son mari, en s'annonçant comme étant l'amant de sa femme, ben oui. Il aurait dû y penser plus tôt ! « Mais t'es complètement con ou quoi ? T'es un débile fini ou tu le fais exprès ? » Il n'osait même pas ajouter une autre insulte, de peur qu'elle soit beaucoup trop offensive, son état d'esprit étant bien trop saturé d'aigreur. Il se contenta de soupirer, ostensiblement, pour que Lenny relève et évalue le degrés d'énervement. « T’as l’air de bien l’aimer non ? » Il regretta d'avoir mis les pieds ici, et d'avoir tenté d'adopter un dialogue fraternel avec Lenny. Bien sûr que non, il n'aimait pas Elizabeth. C'était juste un moyen de refourguer l'absence d'Helena. Et puis c'était son choix, de vouloir ce genre de relation. Il n'avait tout bonnement pas à se justifier. Il était majeur et vacciné, pas besoin de trouver une excuse à chacun de ses actes. Et Helena de retour en ville, les choses allaient se compliquer. Mais au diable l'affectivité poussée !

« En tous cas elle, elle t’aime bien, méfie-toi ! » Ces mots prononcés, Rudy s'enflamma. On était en train de lui retourner le cerveau et de lui annoncer l'inverse total de ce qu'il aurait pu entendre. Il doutait très fortement de l'authenticité des paroles de son frère. Elizabeth, c'était bien la dernière personne à l'aimer dans cette ville. « Je ne l'aime pas. Et c'est réciproque. On est pas un petit couple qui se promène main dans la main, Lenny. Et puis qu'est-ce que ça peut te faire ? Je peux vivre ma vie sexuelle comme bon me semble, non ? En plus elle est mariée, cette fille. » L'intérêt que son frère portait à Elizabeth l'intriguait. Il y avait quelque chose d'étrange, qu'il essayait sûrement de cacher. Se mêler de la vie des autres, et encore plus des plans culs des autres, ce n'était en effet pas franchement l'activité préférée de Lenny.

« Mais t'es complètement con ou quoi ? T'es un débile fini ou tu le fais exprès ? » Au moins, le décor semblait être définitivement planté. Rudy était d’une humeur massacrante, et même si son frère avait commencé par s’en amuser, il s’en lassa assez rapidement. Il fallait dire que Lenny lui-même n’était pas au mieux de sa forme. Même s’il n’en montrait pas grand-chose, cette histoire avec Quinn l’affectait réellement, bien plus que ce qu’il n’aurait pu l’imaginer d’ailleurs. L’étudiant savait bien que même avec la meilleure volonté du monde, il ne parviendrait pas à duper son frère. Mais soit. Pour le moment il préférait de loin surfer sur la vague « Elizabeth » plutôt que de s’apitoyer sur son propre sort. Plus il agaçait Rudy, moins ce dernier aurait le temps ou l’envie de lui poser des questions sur sa petite personne. Et de ce côté-là, les éclairs que lançaient les yeux de son frère assuraient à Lenny qu’il aurait la paix pendant un bon moment.

Mais alors que son hôte lui répondait avec toujours autant de hargne, deux éléments de son discours firent tiquer Lenny. Le premier était bien évidemment le fait qu’il parle clairement d’un plan cul. C’était donc ça ! Il s’était peut-être un peu trop monté la tête après tout… Si elle aussi le considérait comme tel, il n’y avait effectivement pas lieu de s’alarmer. Mais ce qui laissa Lenny littéralement bouche bée fut le fait d’apprendre qu’Elizabeth était marié. Ecarquillant les yeux de surprises, il fixa son frère, cherchant une once de plaisanterie dans ses yeux… qu’il ne trouva pas, bien évidemment. « Hein ?! » Le jeune homme était partagé entre l’envie de rire, de féliciter son frère pour réussir à se taper une femme marier, ou au contraire de l’engueuler pour ça. Et puis Lenny avait beau se passer et se repasser l’image d’Elizabeth en tête, elle ne lui était définitivement pas apparue comme une femme mariée. « T’es sûr ?! Elle n’a pas l’air super préoccupée par son mari dans ces cas-là… » relança-t-il en ne pouvant s’empêcher de lever les yeux au ciel. Dans un sens, Lenny avait obtenu tout ce qu’il cherchait. Il pouvait désormais être certain que cette Elizabeth n’avait aucune chance de prendre la place qu’occupait Helena dans la vie de Rudy, et c’était bien là l’essentiel. Car même s’il ne paraissait parfois pas s’en préoccuper outre mesure, Lenny veillait toujours sur son petit frère, et sur ses relations. Enfin, plus particulièrement sur celle qu’il entretenait avec Helena. Parfois, il les trouvait niais et empotés, mais après ce qu’il s’était passé avec Quinn, il n’était plus en droit de dire quoi que ce soit ni même de se moquer. Et c’était bien dommage. « M’enfin c’est toi qui voit ! Elle est pas mal… » déclara-t-il d’un air qu’on aurait pu traduire par « je valide, tu peux continuer à te la taper tant qu’elle ne prends pas trop d’importance pour toi ».

Lenny daigna finalement se débarrasser de son caméléon qu’il posa sur le dossier du canapé dont ils s‘extirpa pour aller vers la cuisine. Là, il attrapa deux bières trônant dans le frigo et les ramena, en tendant une à Rudy. D’un coup de briquet bien placé, Lenny décapsula sa bouteille et s’installa de nouveau dans son canapé en retenant un soupir qui aurait tout de suite trahi son humeur morose. Au lieu de ça, il préféra reporter l’attention sur son frère : « Et sinon… t’es revu Helena ? » Oui il s’occupait de ce qui ne le regardait a priori pas beaucoup, oui il était chiant et insistant ce soir, mais au moins, ça lui évitait de parler de lui et de ses histoires de cœur dignes d’une vieille série télé pour adolescentes dépressives.

« Hein ?! » On aurait pu croire que Lenny venait de se faire proposer un pochon de thé vert à la place d'un gramme de beuh tellement ce genre de tête lui était inhabituel. Cette surprise un peu trop visible naissante sur les traits de son visage firent presque regretter Rudy d'avoir dévoilé un mystère apparemment si bien caché concernant le statut civil d'Elizabeth. « T’es sûr ?! Elle n’a pas l’air super préoccupée par son mari dans ces cas-là… » Il se considérait tout de même plus informé sur la vie de la jeune brune que son frère et lui lança d'ailleurs un regard signifiant l'évidence des propos qu'il avançait. Mais certes, Lenny marquait un point. Elizabeth n'était pas franchement la plus fidèle ni la plus dévouée des épouses, et son mari semblait n'être qu'un accessoire facultatif dans son quotidien, aussi insignifiant que la couleur de ses chaussettes. Il ne se rappelait d'ailleurs pas l'avoir un jour vu (et heureusement pour lui), pas même en photo, sur le buffet ou les commodes qui constituaient le mobilier de l'appartement qu'il connaissait si bien, pour avoir arraché un vêtement ici et là d'une étudiante oubliant son alliance le temps d'une emprise charnelle. Pour simple réponse, Rudy haussa les épaules, d'un air je-m'en-foutiste. Il se fichait quelques peu des choix de vie, notamment sexuelle, qu'Elizabeth pouvait bien avoir, tant qu'il n'avait pas d'ennuis quelconques. Lui même avait ce qu'il désirait, et il lui était fort simple de se débarrasser d'elle si le destin l'y forçait, bien que traiter la gente féminine de la sort n'était pas très gentleman. Puis Lenny se plut à en rajouter une couche, histoire de clore dignement l'affaire. « M’enfin c’est toi qui voit ! Elle est pas mal… » Si la pression n'était pas quelque peu retombée, Rudy lui aurait sûrement balancé n'importe quoi se trouvant à portée de main. Dans le cas présent, ç'aurait été un cendrier à moitié plein, la scène n'aurait pas dont été belle à voir. Oui, il détestait éperdument la façon dont Lenny s'émincer trop intensément dans ses relations humaines. « Pourquoi ça t'intéresse tant ? Si tu veux te la faire, t'as pas besoin de me demander la permission, tu sais. Je peux même te dire les positions qu'elle préfère. Mais s'il te plaît, explique moi ou arrête de parler d'elle. J'ai l'impression de préparer un plan à trois. » Il doutait fortement que Lenny puisse rêver de coucher avec Elizabeth, mais au point où ils en étaient, demander ne lui coutait franchement rien.

Son cher grand frère lui offrit ensuite une bière, signe pacifiste qu'il ne recherchait pas une altercation ou autre forme de dispute. Il lâcha un « merci » neutre, ne sachant pas vraiment quel ton adopter et sortit son ouvre-bouteille-porte-clé alors que Lenny faisait preuve de plus d'habileté avec son briquet. Puis, lapant une gorgée, ce dernier revint à la charge, avec une parole plus fusante encore que le sujet étiqueté Elizabeth. « Et sinon… t’as revu Helena ? » Il avala de travers. Qu'est-ce que son frère avait aujourd'hui ? Pourquoi s'accrochait-il à sa vie sentimentale ? Et alors qu'il désirait lâché un “non” dépité, un déclic retentit dans le creux de son crâne. A moins qu'il parlait d'un improbable aller-retour Arrowsic-Melbourne, comment savait-il qu'elle était de retour en ville ? Ça ne faisait que quelques semaines qu'elle était rentrée, et le bal de charité ne datait que de quelques jours. Il avait donc eut la chance d'être informé par Helena en personne de son départ d'Australie. Il fut alors partagé entre une jalousie hargneuse et une tristesse désemparée. Il n'aimait pas ressentir cela en présence de son frère, et encore moins lorsque ce dernier était à l'origine de cette boule qu'il avait dans le ventre, lui empêchant de penser calmement. Il avait déjà eu du mal à digérer la romance qu'il y avait eut entre eux. Il préféra alors chasser ces idées noires qui lui donnaient sérieusement le cafard. « Depuis quand tu sais qu'elle est à Arrowsic ? » Il remuait sa jambe à une vitesse fulgurante, anxieux face à la réponse, sûrement peu surprenante, qu'il s'apprêtait à donner. Puis, reportant son attention sur la question initiale, il enchaîna: « Je l'ai revue à la soirée caritative. » Il ne voulait pas franchement parler de ces retrouvailles catastrophiques et préférait attendre que ce soit Lenny qui aborde cette conversation, bien que son timbre de voix n'était pas très enjoué face à cette discussion.

Lenny n’était pas quelqu’un de méchant, loin de là. Mais le fait de voir son frère dans cet état-là, lui lancer les regards qu’il lui lançait, et imaginer les scénarios qu’il imaginait était carrément jouissif. Bien sûr, leurs désaccords ne duraient jamais bien longtemps mais l’ainé des Gavenhamm prenait souvent un malin plaisir en ennuyer son frère. Et cette fois il avait démarré au quart de tour avant même que Lenny ne prononce le moindre mot. Et d’ailleurs, ça l’arrangeait bien ! Plus il s’énervait, plus ils parlaient d’Elizabeth, moins il avait de chance d’être obligé de parler de lui. Ou plus précisément de Quinn et lui. Car Lenny savait qu’il aurait du en parler à son frère, Rudy était là pour ça après tout. Il lui avait toujours tout confié, jamais rien caché ou presque… Mais cette fois, sans comprendre le pourquoi du comment, le jeune homme n’arrivait pas à parler de ce qu’il se passait entre sa meilleure amie et lui. Premièrement, il avait un peu de mal à trouver les mots à mettre sur ces évènements, puisque lui-même ne comprenait pas vraiment ce qu’il ressentait. Et deuxièmement, il n’avait simplement pas envie de partager tout ça. Comme si cette histoire devait strictement rester entre Quinn et lui. Dans le petit monde qu’ils s’étaient bâti et où personne n’était censé mettre les pieds. « Pourquoi ça t'intéresse tant ? Si tu veux te la faire, t'as pas besoin de me demander la permission, tu sais. Je peux même te dire les positions qu'elle préfère. Mais s'il te plaît, explique moi ou arrête de parler d'elle. J'ai l'impression de préparer un plan à trois. » déclara alors Rudy, faisant grimacer son ainé un peu plus à chaque phrase qu’il prononçait. Cette fois, il avait gagné. La simple idée d’un plan à trois avec Rudy le dégoutait, et il préféra de loin se la fermer, et clore cette discussion déjà bien trop houleuse pour les deux hommes.

Histoire de changer de sujet plus confortablement, Lenny ramena de quoi se désaltéré, et enchaîna presque aussitôt avec le second sujet épineux du moment : Helena. Evidemment, Rudy voulut tout de suite savoir depuis quand il était au courant de son arrivée, et c’était légitime. Le ait que son frère sache avant lui que sa bien aimée était en ville avait du être un petit coup dur pour Rudy, un coup dur que Lenny était tout à fait à même de comprendre. Aussi, il baissa les yeux, se maudissant un instant d’avoir promis à Helena de ne rien dire à Rudy avant qu’elle ne le fasse elle. « Euh… ça fait… un petit moment. Je ne sais plus exactement. » Tu parles… Mais là n’était pas la question. Ce qui intéressait désormais Lenny était de savoir où en étaient les tourtereaux. Il savait bien qu’ils s’étaient quittés dans des circonstances bizarres, mais il savait aussi que Rudy était toujours fou d’Helena. D’ailleurs, il soupçonnait même que la réciproque soit vraie. « Je l'ai revue à la soirée caritative. » Aïe. A entendre le ton que Rudy avait employé, son grand frère craignait déjà le pire. Qu’avait-il ENCORE fait ? Et elle, comment avait-elle réagi ? Tant de questions qui éveillaient la curiosité de Lenny, et qu’il ne pu pas retenir bien longtemps. « Oh… Et alors ? Ca… s’est bien passé ? »

« Euh… ça fait… un petit moment. Je ne sais plus exactement. » Rudy écarquilla les yeux. Il n'arrivait plus à savoir si l'homme qui était assis en face de lui était toujours son frère. En temps normal, il aurait couru chez lui, et de sa voix fraternelle, il lui aurait annoncé la nouvelle. Cette nouvelle, qui n'était pas n'importe quelle nouvelle. Il n'avait pas compté les soirées où, le cerveau embrumé par une herbe exotique, il avait maudit le nom d'Helena pour les dix siècles à venir. Toutes ces fois où il avait fait suer Lenny au possible, racontant ses niaiseries, ses promenades mains dans la main dignes d'un roman de gare. Son frère, c'était ce type qui encaissait toutes ses peines de cœur les plus dégueulasses, les plus répugnantes, les plus cuculs du monde, et qui trouvait au fond les bons mots protecteurs. Et Rudy avait de son côté toujours été là pour lui. Il ne s'était pas emballé quand il avait appris qu'Helena était partie se consoler avec son frère. Il avait encaissé, et n'avait pas montré la moindre hostilité à l'égard de Lenny. Parce qu'il y avait ce lien entre eux. Ce lien de sang, qu'ils avaient exploité dans leur intérêt jusqu'à devenir inséparables. Et aujourd'hui, ça commençait à foirer. « Je te faisais confiance. T'es vraiment chiant. C'était quoi tes raisons pour cacher ce détail ? Elle t'a dit “surtout, ne dis rien à Rudy” ? Et ça aurait changé quoi ? C'est pas pour autant que je serai allé lancer des cailloux à sa fenêtre avec trois accords de guitare. » Il finit d'un trait sa moitié de bière restante, la reposant ensuite sur la table basse, regardant le tapis bien plus intéressant que le visage de son frère, devenu synonyme de traitre. Il soupira. Il ne sut s'il s'agissait d'un soupir de déception ou de rage contenue, mais dans son souffle, il rejeta quelques bribes de hargne.

Il considéra ensuite sa deuxième réplique. Il posa sa tête sur son bras appuyé contre l'accoudoir du fauteuil, le regard vide. La vérité était qu'il avait pris peur. Seulement, il se sentait tellement faible d'avouer ceci à Lenny. Il avait envie d'inventer un bobard, lui dire qu'il avait dû partir en trombe, la laissant là, ou qu'il s'était bourré la gueule au champagne à volonté et avait faillit vomir sur ses beaux escarpins. Il avait envie de lui dire n'importe quoi, mais certainement pas qu'il avait été un gamin terrifié. Parce qu'au fond, il n'était qu'un puéril adolescent apeuré face aux relations humaines, et encore plus sentimentales. Parce que les mots « couple », « vivre ensemble », « relation à long terme » lui arrachaient des frissons et lui provoquaient des sueurs froides dans son sommeil. Il avait souvent l'esprit d'un type de quinze ans, et face à ses responsabilités vis à vis d'Helena, encore plus. Mais il assuma. Il assuma, se disant que lui, contrairement à Lenny, il était prêt à ne pas dissimuler la vérité sur les faits passés. Et de toute façon, s'il était toujours en contact avec Helena, il n'aurait pas tardé à le savoir, qui plus est avec sa version qui devait probablement rabaisser Rudy au rang de vermine pourrie et sanguinaire. « Non, ça s'est pas bien passé. Parce que j'ai flippé. Sur le coup, je savais pas ce que je devais lui dire. On s'est d'abord craché dessus, et après, quand ça commençait à... à aller mieux, je lui ai dit que j'étais pas sûr, qu'il y avait toujours un risque que ça casse comme la dernière fois. » Il marqua une pause, laissant le silence s'installer avant de soupirer à nouveau. « Et puis je suis parti, comme un con. » Autant dire qu'il n'était pas vraiment fier de cette soirée.

Lenny s’était bien fait avoir, et il en prenait pleinement conscience aujourd’hui. Désormais face à son frère, face à ce regard qu’il lui lançait comme s’il avait été un étranger, Lenny n’eut d’autre choix que de baisser les yeux. Quoi qu’il en dise, il se sentait terriblement honteux, et regrettait déjà d’avoir accepté de tenir au secret le retour d’Helena. En réalité, le mot « secret » avait toujours été prohibé, et ne faisait même pas partie du vocabulaire des frères Gavennham… Mais en ce moment, Lenny manquait à tous ses devoirs de grand frère modèle. Et pourtant jusqu’à aujourd’hui il ne s’était pas trop mal débrouillé, ou du moins, toujours bien rattrapé. Peut-être était-ce à cause de ses tracas avec Quinn… Peut-être devenait-il simplement un frère moisi… Dans tous les cas, il avait la vague impression d’avoir trahi son frère, et cette simple constatation fut suffisante pour lui faire retrouver son sérieux. « Je te faisais confiance. T'es vraiment chiant. C'était quoi tes raisons pour cacher ce détail ? Elle t'a dit “surtout, ne dis rien à Rudy” ? Et ça aurait changé quoi ? C'est pas pour autant que je serai allé lancer des cailloux à sa fenêtre avec trois accords de guitare. » Lenny aurait pu rire, ou au moins sourire devant les répliques toujours aussi perspicaces de son frère, mais cette fois il se contenta de soupirer. L’heure n’était plus à la rigolade, et le fait d’avoir déçu Rudy hantait désormais l’esprit du jeune homme. « Je… J’en sais rien, désolé ! Je me suis dit qu’elle avait ses raisons, enfin… je sais pas moi ! C’est votre truc, pas le mien ! » Alors qu’avec Elizabeth il s’était clairement mêlé de ce qui ne le regardait pas, cette fois Lenny assurait qu’il ne voulait pas s’interposer entre Helena et son frère. Et en s’en rendant compte, il se fit grimacer lui-même. « Ecoute, je sais à quel point tu tiens à elle et… je préférai qu’elle te l’annonce elle-même… je crois. »

Mais outre le fait qu’il se déçoive lui-même, Lenny s’inquiéta au moment où son frère lui avoua avoir revu Helena. Et visiblement, il avait raison. A entendre Rudy, leur entrevue s’était très mal passée, et ça le touchait. Le jeune homme avait eu peur, et avait préféré fuir plutôt qu’affronter la réalité. Mais sans que Rudy n’en connaisse les raisons, Lenny le comprenait tellement… Lui-même, juste avant un nouveau dérapage prévisible avec Quinn avait fuit, et l’avait plantée toute seule au milieu d’un champ en bordure d’Arrowsic. Ce souvenir laissa Lenny songeur, et il dut se redresser en se raclant la gorge pour se reconcentrer sur le cas de son frère. « Hm… Je comprends que… Enfin, je comprends. Mais si ça commençait à aller mieux, ça veut dire que… y’a encore un espoir non ? Ca devrait pouvoir s’arranger Rudy, il s’agit d’Helena ! Ce que tu veux, c’est être avec elle pas vrai ? » Le jeune homme braqua son regard sur son frère pour se donner l’air convaincant, mais sa propre histoire et son expérience avec Quinn lui donnait un ton loin d’être assuré. « Il doit bien y avoir une solution… » dit-il, plus pour lui-même que pour Rudy.

Oh putain, c'est nul, tu sais quoi ? On peut faire comme on avait dit je crois !
Genre, on passe à notre prochain RP quoi Le post-révélation de Quinn !

Au fond Lenny avait raison. C'était leur truc, pas le sien. C'était le problème d'Helena et Rudy. Son frère désirait juste s'écarter de leurs soucis sentimentaux pourris et dénués de bon sens. Parfois, il arrivait quand même à atteindre une certaine sagesse, et il n'était pas incapable de sortir quelques bonnes paroles. Et bien qu'il ne soit pas le grand frère rêvé, c'était son aîné, à lui. Ainsi que son meilleur ami. Tout ce qu'il disait n'était donc pas toujours le fruit d'un joint un peu trop chargé. Mais cela ne l'empêchait pas d'avoir cette petite rogne envers le fait que ce-dit meilleur ami lui avait caché un détail un peu trop important. « C'est que... c'était pas franchement prévu qu'on se revoit. Elle m'a pas vraiment appelé avec sa voix enthousiaste pour me dire qu'elle était rentrée, du coup je sais pas si sans toi, et sans le bal de charité j'aurai eut des nouvelles de son retour. »

« Hm… Je comprends que… Enfin, je comprends. Mais si ça commençait à aller mieux, ça veut dire que… y’a encore un espoir non ? Ca devrait pouvoir s’arranger Rudy, il s’agit d’Helena ! Ce que tu veux, c’est être avec elle pas vrai ? » En écoutant son frère, Rudy se demandait s'il n'était pas devenu un saint depuis les cinq dernières minutes. Il l'avait rarement vu aussi compatissant que durant cette réplique. Ça le troublait quelque peu, mais il fit abstraction, se concentrant sur l'énervement que ses dernières révélations lui avaient procurées et les paroles qu'il se repassait dans sa tête de façon plates et monocorde pour enlever ce ton sympathisant inhabituel qu'avait eut Lenny. Oui, il voulait être avec elle. Seulement c'était compliqué. Il ne se voyait pas vraiment l'appeler avec les glaciales paroles qu'il avait eut pour elle, après un baiser pourtant trop désiré. C'était comme ça, il fallait qu'il foire tout ce qu'il entreprenait quand cela concernait des relations sentimentales d'être humain à être humain. Parfois, il avait juste envie de ressembler à un crapaud qui se dore la peau au bord d'un étang, de faire la cour à de belles et vertes grenouilles, et d'enfanter des nénuphars qui iraient décorer le pied des roseaux. C'était beaucoup plus bucolique et calme que de passer la nuit à préparer un discours plausible qui ne serait même pas reçu allégrement par Helena, ce qui était compréhensible. Il ouvrit alors la bouche, n'ayant pas la tête à s'enfiler une autre bière. « T'as sûrement raison, il doit y avoir une solution. Je l'ai juste pas encore trouvée, mais je vais y réfléchir proprement. » Il se leva, adressa un sourire sans que le cœur n'y soit vraiment et se dirigea vers la porte de l'appartement de Lenny. « A la prochaine frérot ! ».

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