AJ & ZEK

Le week-end était terminé depuis officiellement plus d’une douzaine d’heures pour AJ mais celui-ci n’avait pas jugé utile de se rendre au lycée par un si beau lundi. Ce n’était pas faute d’avoir pris la bonne résolution de ne plus sécher les cours (suite aux demandes insistantes de Zek), mais la fin de semaine ne s’était pas déroulée selon ses désirs.

Pour commencer les réjouissances son père avait brusquement décidé qu’il fallait qu’ils passent plus de temps en famille. Peut être aurait-il du se faire cette réflexion quinze ans plus tôt, mais soit. Ils étaient partis ensemble à Portland le samedi matin, ce qui n’avait rien de franchement habituel. Et ils s’étaient baladés ensemble. AJ avait découvert des parcs et des restaurants dont il ne connaissait pas encore l’existence (il fallait admettre qu’en général il préférait visiter les bars ou discothèques) ,… Un sentiment de malaise avait persisté tout au long du séjour aussi atypique que brusque. Ils s’échangeaient les banalités d’une famille contrefaite jusqu’au bout des ongles qu’on voit dans les séries B. Pathétique. Le retour a Arrowsic le dimanche soir avait été ponctué par l’annonce du divorce de ses parents. Le dire de but en blanc dans la voiture aurait été une bonne idée, empêchant ainsi AJ d’éviter une discussion puisque obligé de resté dans le véhicule, mais une discussion avec ses deux parents s’empêchant de placer une phrase complète était difficile à concevoir. Le départ furieux se serait bien fait une fois arrivé devant le domicile familial si son père ne le lui avait pas interdit, laissant planer des menaces.

C’est donc tout naturellement qu’AJ avait décidé de ne pas aller en cours le lundi suivant, prolongeant de la sorte un week-end qui avait mal commencé pour tourner un peu plus mal. Après avoir trainé dehors pour constater à quel point il n’y avait rien à faire dans le trou du cul du monde, il s’était bien entendu pointé chez Zek, louant le ciel d’avoir un double des clefs. AJ avait tué le reste de la journée en fouillant dans l’historique de l’ordinateur du collègue de son père, téléchargeant quelques films à ajouter à la vidéothèque de son amant avant d’opter pour s’avachir sur le canapé (après avoir récupéré une chemise trop grande pour lui de Zek), une bouteille de Coca Light et un pot de glace acheté plus tôt pour pouvoir déprimer en bonne et due forme.
La glace portait d’ailleurs bien son nom Chocolate Therpay.
Trouvant une chaîne passant des émissions de télé réalité tout ce qu’il y avait de plus grotesque AJ en profita pour ressasser son week-end, maussade. Même l’arrivée d’un Russel à la recherche de câlins (ou plutôt de nourriture) ne réussit pas à lui rendre le sourire. Il se contenta de partager sa glace avec lui le laissant s’installer sur son torse comme bon semblait au minuscule chat. Dans la version officielle des choses AJ avait trouvé ce chat seul dans la rue, probablement abandonné, mère et frères et sœurs morts. En réalité c’était une jeune fille de son lycée qui devait se débarrasser de la portée qui envahissait sa pauvre demeure. Mais cette version là était bien moins tragique que celle qu’il avait sortie à Zek en agitant le chaton sous son nez, promettant qu’il s’en occuperait. Confier des responsabilités à AJ était aussi intelligent que d’offrir un ipad à un môme de cinq mois. Le jeune homme avait finit par ne daigner s’occuper de chat que lorsqu’il fallait lui faire des câlins. Le reste ne l’intéressait pas.

AJ & ZEK

Lundi.

Un jour qui passe. Et puis un autre. Jusqu'à la fin de la semaine. Jusqu'à ce que certains paradis artificiels reviennent à Ezeckiel. Pêché de luxure, tout au creux de ses bras. Mais amour tout de même. Tendre, bien que caché. Ça faisait longtemps maintenant qu'il n'avait pas passé un week end seul, en tête à tête avec son ordinateur. Mais après tout il l'avait fait pendant de si longues années, pourquoi donc ce manque de quelqu'un, quelqu'un très précis ne se ferait-il ressentir que maintenant?

Il lui appartenait maintenant son tendre amour. De pied en cap, il était à lui. Et autant qu'il se jurerait de jamais ne le laisser partir, il sait bien qu'il n'a aucun pouvoir. Qu'un jour très probablement l'étiquette portant son nom se décollera de la mémoire de son jeune amant. Qu'un jour il partira, tout simplement. Et bien qu'il le sache pertinemment, dorénavant, il se dit que peut-être, il a une chance que sa chance, son sourire dure. Chaque jour est une chance quand il est là, avec ses yeux de glace, son sourire tendre et ces lèvres qui en plus de laisser passer jour après jour des litres de glace se révélaient être une merveille à bien d'autre chose.

Et la monotonie, le temps de quelques heures est remplacée par quelque chose, une vie avec un tant soit peu de sens. Lui. Lui il en a du sens. Assez pour qu'Ezeckiel n'ait plus rien d'autre en tête que lui. Âme soeur, autre moitié, peu importe comment vous choisirez de l'appeler.

Il est Lui. Lui en grand. Lui qui est tout. Et chaque jour, le seul sourire qui s'étire sur les lèvres d'Ezeckiel, Il peut bien savoir qu'Il en est la cause. Parce qu'il est son tout. Son Éternité.

Et le week end s'est révélé monotone.

Glace, histoire de l'imiter, enroulé dans une couverture encore porteuse de Son odeur. Glace, tiens, pour une fois qu'il pouvait en manger le pauvre Ezeckiel sans que son Autre s'attaque à ses réserves. Autant en profiter. Les yeux fixés à un écran ou un autre, un chaton roulé en boule sur ses genoux. C'est qu'il ne sait pas dire non. C'est qu'il cédera toujours aux caprices de son Ange. Aussi simplement que ça.

Mais la semaine reprend. Et le travail. Et la monotonie.

Son patron à une tête digne de quelqu'un qui viendrait d'enterrer sa famille.
Il ne pose pas de question.
Baisse les yeux.
Si seulement tu savais comme je l'aime, ton fils.
Tu me tuerais probablement.


Et le soir il pousse la porte de son appartement, le nez plongé dans un livre lu déjà trop de fois, dents plantées dans un bagel. Il s'étonne, de trouver la porte ouverte, mais l'expression sur son visage s'efface bien vite.
L'Ange est là, avec un sentiment porté sur le visage digne de celui de son père.
Pas un mot n'est prononcé quand il s'installe sur le divan, abandonnant livre et nourriture sur la table basse. Il se penche. L'embrasse.
Son monde a du sens à nouveau.
"Tu devrais être en cours amour."
Il passe une main dans ses cheveux. Il ne porte rien qu'une chemise blanche, trop grande. Et Ezeckiel ne sait que dire. Que faire. Relativement asocial, il n'a jamais vraiment su se montrer éloquent.
"Qu'est-ce qui s'est passé?"
Faute de tact, autant y aller clairement.
Il le connait.
Il ne sera pas vexé.
Celui qui est toujours appelé Zek par son amant se penche.
L'embrasse.
Il ne se lassera jamais de la saveur de ses lèvres.

Il jette un coup d’œil en direction de l’entrée en entendant Zek arrivé, mais AJ ne bouge pas. Il garde les yeux sur l’écran de la télévision, caressant machinalement le chaton toujours sur son torse. L’adolescent ne bouge pas non plus lorsqu’il vient s’installer à côté de lui. Il hausse les épaules à la question. Rien que l’idée d’en parler lui noue la gorge et lui donne envie de chialer comme un gosse. Il pioche un peu de glace dans le pot, et met la cuillère dans sa bouche, la coinçant entre ses dents. Il ne supporte pas les gens qui font du bruit en mangeant, mais exceptionnellement AJ ne se gène pas pour faire tous les bruits de sucions imaginable. C’est drôle que ça lui fasse autant d’effet de savoir que ses parents se séparent. Il était persuadé de s’en foutre éperdument d’eux. Mais il faut bien répondre à Zek. Alors il hausse de nouveau les épaules. « Je regarde la télé avec Russel. » Il se redresse légèrement avant de prendre de nouveau la glace et tendre la cuillère au chat qui lape avec reconnaissance. La réponse est digne d’un gosse de cinq ans et demi, mais il se sent comme un gosse de cinq ans et demi pour le moment. AJ plonge de nouveau la cuillère dans le pot de glace, et la porte contre ses lèvres, donne un coup de langue. Le chat tend le cou, intéressé. Mais ce n’est pas pour lui. AJ se redresse un peu plus, dégageant le chat de son torse, et cette fois c’est à Ezeckiel qu’il tend la cuillère avant de changer d’avis et l’essuyer sur son visage, sa joue, son nez, ses lèvres. Ca le fait sourire doucement. Il abandonne le pot de glace par terre, ne s’occupant pas du chat qui va y plonger sa tête. AJ étale la glace sur les joues de Zek avec le dos de la cuillère, avant de la laisser tomber par terre.

« Tu m’as manqué. » Il l’embrasse doucement sur la joue. C’est froid et ça a un goût de chocolat. AJ étouffe un rire. C’est plus nerveux qu’autre chose. « Tu m’as vraiment manqué. » Doucement il dépose sur son visage de nombreux baisers entre deux coups de langues digne d’un chaton. Bientôt la glace est de l’histoire ancienne, bien qu’il soit encore poisseux. AJ essuie machinalement ses doigts sur la chemise qu’il a sur le dos avant de s’adosser contre le dossier du canapé. Il pose sa tête contre l’épaule de Zek, promenant doucement ses doigts sur son bras. « Je peux dormir ici ce soir ? »

Il sait d’avance la réponse. Quoi qu’il arrive AJ a ce qu’il veut. Ca a toujours été comme ça. Parfois il faut insister, parfois non. AJ enroule un bras autour de celui de son aîné et c’est son visage qu’il enfouit contre son épaule. C’est drôle, il n’a jamais eut de mal parler avec Zek. En général c’est un moulin à parole, même si c’est pour dire n’importe quoi. Là ça bloque. AJ embrasse doucement son épaule, ce fichant du contacte désagréable du tissu contre ses lèvres. Il appuie de nouveau sa joue contre son épaule. « J’ai piqué une de tes chemises parce que mes fringues étaient dégeu. Je les ais mise au sale. » Ses vêtements ne sont pas au sale, mais traînent sur le sol de sa salle de bain, ils ne sont pas particulièrement dégeu non plus, mais AJ s’imagine devoir justifier l’emprunt temporaire de la chemise. Ou plutôt il a besoin de meubler le silence qui le met mal à l’aise. Il se redresse pour presser ses lèvres contre les siennes avant de reculer brusquement pour tenter de fouiller ses poches. « Elles sont où tes cigarettes ? »

Couleur.
Lumière.
Flammes de l'enfer
Vie.
C'est ce qu'il est l'Autre. L'Amant, le tout et la perfection. C'est ce qu'il sera toujours.
Touche de couleur contrastant dans une vie sans nuances.
Avant même qu'il ait le temps d'ajouter un mot, ou de retirer la veste de son costume, la substance froide, terne, mais si sucrée est étalée sur son visage.
Et son ange comme un animal apprivoisé en lèche jusqu'à la dernière goutte, avec des gestes d'un érotisme enfantin. Troublant.
Et un flou artistique s'empare du monde qui fut le sien.
Lois et limites ne sont plus.
Lois et limites ont depuis longtemps disparues.
Il sourit.
La pièce, comme son âme est traversée d'un rayon de soleil, alors que la main de l'homme se pose sur la cuisse nue de son amant, alors qu'il se penche pour l'embrasser tendrement. Ses lèvres, sa langue, bouche entière ont un gout sucré, et la peau encore pâteuse, reflétant la lumière de son aîné n'aident en rien.
L'arôme de chocolat a envahi leurs sens déjà, mais Ezeckiel n'avait pas besoin de cela.
Il n'a besoin que de lui pour ne pas finir fou. L'unique et le seul, qui sera dans ses bras, dans ses rêves, pour toujours.

Il sait pertinemment que quelque chose ne va pas. Si tout était parfait, il connaîtrait déjà le moindre passage de sa journée, au moment même de passer la porte. Si tout allait bien, le bel ange n'aurait pas au visage cet air alangui, presque morbide. Et comme une poésie, douce valse des mots, on devine voguer en nuage autour de lui trop de pensées néfastes. Et Ezeckiel ne fait même pas attention aux doigts poisseux s'essuyant sur la chemise immaculée que son amant a enfilé.
Il ne fait plus attention à rien.
Il lui a manqué.
Et tout se brouille autour d'eux.
Bulle de savon, fine, mais protectrice.
Bulle s'est logée là, les entourant de ses bras.
Et l'homme se penche, l'embrasse à nouveau. Le serre contre lui. Peu importe les tâches qui devront en résoudre. Une main à l'arrière de la tête de son ange, là, il pourrait le briser. D'un geste.
Mais il lui fait confiance.
Et il a raison. Il le serre juste fort, enfouissant ses longs doigts dans la chevelure claire de son amour. Il l'embrasse sur la tempe. Il se perds, entre arômes et odeurs, alors que ses yeux se ferment.
Dieu qu'il l'aime.

Il recule légèrement après un temps, chassant la main baladeuse de sa poche pour glisser entre les lèvres du pâle Adonis une cigarette, l'allumant de bon gré. Peu importe les maladies et autres joyeusetés incurables, ils seront ensemble dans la mort comme ils l'ont été dans le vice.
La flamme éclaire le visage du plus jeune homme d'une lueur infernale, presque morbide. Et l'objet de malheur une fois allumé s'éloigne de son doux visage, sur lequel Ezeckiel ose poser une main tendre, caressant sa joue du bout des doigts.
Sa voix n'est qu'un murmure.
"Bien sûr"
Car il sera toujours là.
"Dis moi..."
Car il veut l'aider.
Car il l'aime.
Et car rien jamais ne pourra l'arrêter.

AJ tira sur la cigarette, leva légèrement le visage pour souffler du mieux qu’il pouvait la fumée chimique hors de ses poumons. Il ferma les yeux le temps de quelques secondes, une mince fumée s’échappant de ses lèvres entre-ouvertes. Il aimait bien l’odeur des cigarettes d’Ezeckiel. Elle était rassurante et à la manière de la madeleine de Proust l’agressait de milles souvenirs, le faisant voyager dans le temps, des années en arrière. C'était agréable. Avec des gestes lents il se pencha pour effleurer les lèvres d’Ezeckiel des siennes avant de secouer la tête. Non, pas envie. AJ se lèva, l’abandonnant pour traverser la pièce et se rendre dans la cuisine. Il ne prit pas la peine de contourner la table basse, préférant marcher dessus, le port de tête exagéré d’une impératrice reflétant l’image du prince gâté marchant en souverain dans son royaume illusoire.

Il tira une autre bouffée de cigarette. Le petit prince voudrait bien être plus grand. Il veut toujours être plus grand. Les adultes sont drôles de penser que les enfants n’ont rien à craindre de leur vie qui débute. Ils ont à craindre les monstres sous le lit prêt à agripper leurs jambes dès quelles sortent des couvertures. Ou encore ceux du placard qui les observent par la porte entrebâillée. Tu te souviens de son souffle brûlant, de l’odeur putride quand tu passais devant avant de courir sauter dans le lit et te cacher sous la couverture ?

Addison n’a plus peur des monstres sous le lit ou du placard. D’autres ont remplacés les anciens. Le temps passe.

Il ouvrit la porte du réfrigérateur pour s’emparer de la bouteille de coca cola ayant été mise au frais à son intention. Il la posa sur le bord du plan de travail pour récupérer un verre, et jeta la cigarette qu’il avait à peine entamée dans l’évier. Non, pas envie. Joli tire. Ses doigts se referment finalement sur une assiette blanche qu’il envoie violemment au sol. Elle éclata au sol. Ca n’allait pas mieux pour autant. Les débris immaculés sur le carrelage noir de la cuisine offraient un contraste harmonieux et esthétique. AJ s’agenouilla, empoignant le plus gros morceau de porcelaine. Dans un instant dénué de réflexion il se coupa la paume de la main qui ne tarda pas à se teinter de rouge carmin. La blessure était plus impressionnante que grave. Addison garda son regard fixé sur sa main, la gardant immobile. Le morceau de porcelaine retomba sur le sol avec un gracieux cliquetis. AJ laissa échapper un bref gémissement de douleur, refermant sa main en un poing serré. Il leva les yeux vers Ezekiel, s’asseyant sur un emplacement du sol vierge de débris de porcelaine. Addison écarte les jambes pour essuyer sa main sur ses cuisses. Il tire sur la chemise blanche qui se teinte à son tour d'une jolie couleur rouge. Il se touche avec des grimace. (Regarde-moi. Je veux toute ton attention. Ca fait mal putain)Ca n'a rien d'agréable. C'est juste douloureux. « Tu sais quoi ? On devrait baiser. Tu veux pas qu’on fasse ça ? J’ai pas envie de parler. Tu me sautes ok ? Tu me faire voir les étoiles jusqu’à ce que j’en oublis mon nom, ou n’importe qui dans cette ville de merde. Je veux tout oublier! Tu veux pas faire ça, hein ? » Il se laissa tomber sur le sol en position fœtal pour se mettre à pleurer bruyamment, s’essuyant maladroitement le visage ne faisant qu’étaler un peu plus de sang partout. Sa main ne saigne plus beaucoup. « Mais après je vais me souvenir. J’ai pas envie. Je veux pas d’après, tu sais. » Il bégaie, ne se comprend lui-même qu’à peine. Un gamin de sept ans. Il respire plus fort. Ses poumons se soulèvent en rythme irrégulier, son cœur bat à une cadence trop rapide. Misérable spectacle, pathétique. C’est minable. Il se calme doucement. Une carcasse chez le taxidermiste. Un ange dans un baisodrome. « Je crois que c’est de ma faute. Mes parents s’aiment plus. »