Le soleil était haut dans le ciel, les nuages disparaissaient au loin et le vent était omniprésent. Décor automnale, presque autant que l'atmosphère post-noël qui s'abattait déjà sur Arrowsic. Les boutiques avaient déjà enfilé leur manteau pour l'hiver, couvrant leurs vitrines de décorations grotesques mais charmantes. Partout régnait comme une odeur de fête avant l'heure, comme si le temps semblait s'être brusquement arrêté l'espace d'une seconde pour sauter directement la période qui séparait toujours la fin de l'été de l'hiver ! Les gens étaient impatients d'en arriver à ouvrir leur cadeau sous le sapin et à chanter les premières phrases de Jingle bells entourés de toute leur famille. Leonie était indifférente, complètement vaccinée contre le virus de noël, ou de Thanksgiving. Elle marchait dans les rues d'Arrowsic sans dédaigner sourire, les décorations ne l'enchentaient pas. Plus autant que lorsqu'elle n'était encore qu'une petite fille. La magie ne l'approchait plus car Leonie était une cause perdue. L'ivresse des soirées autour d'un bon feu ne la transportait plus comme autrefois. Quant au lait de poule, elle préférait ne même plus y penser. Il était loin le temps de l'innocence, celui où, impatiente, elle se levait aux aurores du 24 décembre pour affronter le froid, les cookies laissés par le Père Noël et pour ouvrir ses premiers cadeaux. Les surprises ne la touchaient plus, c'est pourquoi s'affichait sur son visage une parfaite indifférence à l'effervescence alentour. Halloween même pas encore arrivé que déjà, les étoiles de noëls, les sapins et les boules prenaient leur place dans les vitrines des petits marchés sur la place. Pathétique était le mot qu'elle employait souvent lorsqu'elle décrivait avec quelle absurdité la ville et les citoyens d'Arrowsic pouvaient se montrer aussi... sensibles à cette fête, on ne peut plus commercial !

Elle marchait, emmitouflée dans un manteau de marque, les bras croisés sur sa poitrine. A son épaule, un sac tout aussi cher que les bottines à talon haut qu'elle avait enfilées en sortant de sa chambre d'hôtel. Chez Leonie, rien n'était moins cher que 300$, car lorsqu'on a de l'argent, on le montre. Sa philosophie était peut-être archaïque mais elle avait au moins le mérite d'être honnête. Honnête parce que contrairement aux autres milliardaires du coin, elle était la seule à exposer sa véémance sans avoir peur d'en faire trop. Les cheveux tirés en un chignon haut sur l'arrière de son crâne, elle portait ses lunettes de soleils rondes pour masquer les cernes qui s'affichaient sous ses yeux. Le petit rendez-vous de la veille avec son ex-mari avait réussi à remuer en elle plus de ressentiment qu'elle n'aurait pu l'imaginer. L'aimait-elle vraiment encore ? Elle ne savait plus quoi penser à présent. Après la nuit blanche qu'elle venait de vivre, une bonne dose de caféine était de mise. Tranquillement, mais sûrement, elle avançait, déambulait. Les gens étaient pressés, les gens la bousculait mais jamais de manière grossière et rustre. La plupart des badaus qui osaient la faire vriller prenait le risque de se prendre une humiliation publique et notoire. Leonie était un monstre de fierté, elle le savait et son orgueil l'emporterait toujours sur sa raison. D'une démarche féminine, féline et gracieuse, elle évitait les obstacles jusqu'à se rendre à ce petit café dans le coin de la ville dont elle se souvenait... malgré le temps ! Petit sourire narquois en coin, elle poussa la porte d'entrée et le tintiment de la cloche la fit frémir. Les regards se tournèrent vers elle tandis qu'elle ota ses lunettes de soleil, tant pis pour les cernes soupira-t-elle intérieurement. Elle se dirigea vers la queue, et fit preuve de toute la patience du monde, redoublant d'effort pour ne pas avoir à se plaindre de l'attente... n'était-elle pas une Arkansas, après tout ?