Sur la route menant à l'appartement d'Ashton, Mattia marchait, son gros sac de tennis sur son épaule. Il n'était pas le seul dans la rue. Un petit vieux arrosait son jardin quelques mètres plus loin, las de faire cette tâche. Son visage contrastait avec celui de Mattia. Le jeune tennisman gardait le regard dans le vide, mais arborait la mine des jours heureux. Un large sourire, presque idiot, s'étalait sur son visage. Son coeur battait la chamade, et ce n'était pas le lourd sac rempli d'affaires de tennis qui en était la cause.
Perdu dans ses pensées, il n'aperçut pas la petite vieille, accompagnée de son mari, promenant son formidable petit toutou. Il la bouscula. Il avait bien senti quelque chose, mais il était tellement captivé, obnubilé, qu'il ne réalisa pas la présence de ce couple. Pas même lorsqu'il entendit un « Jeune homme, vous pourriez faire attention! ». Ces mots, ils les entendirent, mais ils n'allèrent pas jusqu'à son cerveau. Ce dernier était bien trop occupé à le rendre heureux.

Il fut bien vite arrivé devant la porte de l'immeuble. Et pour une fois depuis près d'une semaine, il fut ravi de monter les quelques marches qui restaient. Croiser le regard d'Ashton ou celui d'Ella ne lui posait pas de problème aujourd'hui. Il était bien trop heureux pour que la déception, ou une colère, ne l'atteigne. Ca faisait d'ailleurs un bon moment qu'il n'avait pas ressenti un aussi grand bonheur. Il semblait presque idiot, là, à monter les marches, la tête complètement ailleurs. Mais c'était bon, vraiment bon de ressentir ce sentiment. De savoir que pour une fois, plus rien ne pouvait l'atteindre. De se dire qu'enfin, après des semaines de tourments, il rencontrait enfin le Bonheur. Avec un grand « B ».
Ravi, Mattia ouvrit la porte de l'appartement à la volée. Il balança son sac dans un coin de la pièce, et jeta un regard autour de lui. Visiblement, Ella était là. Ses chaussures étaient là, postées près de l'entrée. Elle devait donc être dans le coin. A moins qu'elle n'eut utilisé une autre de ses innombrables paires de chaussures -ce qui était tout aussi possible. Ashton, lui, ne semblait pas être présent. Qu'importe. Il l'attendrait. Pour une fois, il n'allait pas s'enfermer dans sa chambre, et attendre paisiblement que le temps passe en essayant de se faire le plus discret possible. Ca, c'était ce qu'il faisait depuis l'accident. Pour éviter de décevoir Ashton. Pour éviter de recroiser le regard assassin d'Ella. Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, il n'avait pas peur de sortir de sa tanière. Ni une, ni deux, il balança ses baskets dans un coin de la porte; une de ses chaussures vint se coucher sur celle d'Ella, tandis que l'autre se posa en plein milieu de l'entrée. Il n'y prêta pas plus attention que cela, et il alla directement se poser sur le fauteuil. Il attrapa la télécommande, et alluma la télévision. Il zappa, se déchainant sur cette pauvre télécommande. Mais que ce soit un documentaire, un film, ou un jeu, rien ne l'intéressait.

Son esprit était bien trop occupé. Il ne cessait de sourire et de repenser à tout cela. Il regardait, snas voir, la télé. Le bonheur s'infiltrait dans tout son corps, et là, affalé sur le fauteuil, fatigué par toutes ses émotions, il prenait peu à peu conscience de ce qu'il lui arrivait. Bon sang. Ce qu'il était heureux !

Les yeux rivés sur la télévision, Mattia gardait son immense sourire sur son visage. Il pouvait le dire; il avait rarement été aussi heureux. Heureux avec un grand « H ». Il avait le regard rivé sur l'écran, tout ce qui se disait, tout ce qui s'y passait, il l'entendait, mais n'y prêtait pas plus attention. Son esprit était bien trop occupé. Il s'imaginait déjà, et rien que cela, ça le faisait jouir de plaisir. Il vit du coin de l'oeil Ella dans l'entrée prendre quelque chose au sol, et sortir de l'appartement faire quelque chose, avant d'y re-rentrer quelques secondes plus tard. Il s'en fichait. Peut-être qu'elle jetait un truc. Peut-être qu'elle était partie arroser des plantes. En fait, il évitait tout simplement son regard.

La croiser était difficile. Même manger un repas avec elle lui demandait un effort surhumain. Il s'en passerait volontiers, et si Ashton n'insistait pas pour leur demander de manger ensemble, nul doute qu'ils mangeraient chacun dans leur chambre, des écouteurs sur les oreilles.. Alors, ils dinaient ensemble, dans un silence de plomb. Il ne voulait rien lui dire. Et dès qu'il laissait échapper quelque chose, il faut dire qu'Ella répliquait, et que c'était fini. Ils s'engueulaient, encore et encore.. Ils étaient devenus des montres, des chiffonniers. Toujours prêts à se battre.

Mais aujourd'hui, Mattia n'était pas dans cette optique-là. Il n'avait plus en tête Ella. Il la vit s'approcher de lui. En la voyant du coin de l'oeil, il la vit en robe. Punaise ce qu'elle était belle! Mais aussitôt, il aperçut son énorme ventre. Et presqu'aussitôt, il concentra son regard sur la télévision. Avec ce ventre, elle était beaucoup moins jolie. Elle allait être maman. Elle allait avoir ce bébé. Beurk. Cette image le rendait fou. Son regard posé sur l'écran, il y vit des petites bestioles -des termites apparemment-. Le journaliste expliquait comme ces petites bêtes se reproduisaient. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la vie des termites, c'était une monarchie. Des couples roi-reine, et des ouvriers. Les couples faisaient les bébés. Les ouvriers cherchaient à manger. Mais depuis quand regardait-il cette chaine et cette émission débile? « Je peux changer ou… la reproduction des termites t’intéresse vraiment ? ». Il jeta un bref coup d'oeil à Ella. Son sourire disparut, avant de réapparaitre. Il avait essayé de montrer qu'elle le dérangeait. Mais ce sourire refusait de s'en aller.

« Je regarde, ça se voit pas? » Et reportant son regard sur la télévision, il se concentra. Ainsi donc, il y avait l'essaimage. C'est à cette période que les termites s'envolent, forment des couples, et tombent à certains endroits. Si tout se passe bien, ils forment alors une nouvelle colonie.. Essayant de lui montrer qu'il était vraiment intéresse, Mattia ajouta alors quelques mots « C'est cool comme film. T'aimes? » Oui, Mattia l'ennuyait. Il voyait bien qu'Ella voulait prendre la télécommande, et changer de chaine. Peut-être voulait-elle regarder un film à l'eau de rose que seules les filles regardent. C'était ça sans doute. Elle voulait voir le dernier George Clooney.. Il secoua la tête, et se permit d'ajouter encore « On a de la chance. Eux, ils peuvent faire un millier de gosses par an.. » Paf! Petit pic. Pas bien méchant, dit sur un ton gentil, avec un large sourire sur le visage.

Chercher Ella était devenu une habitude ses derniers temps. Et là, malgré le bonheur qu'il ressentait, malgré l'envie de rire qu'il avait, il ne pouvait s'empêcher d'essayer de la trouver. Il fallait voir le bon côté des choses; Au moins, il ne la fuyait pas.. Et puis, il ne pourrait bientôt plus le faire..

Il abusait. Il en était conscient. Mais il ne pouvait s'en empêcher. Parler à Ella, c'était parler à la mère de ce futur bébé. Alors, aussitôt, il repensait à elle, à eux, à leur avenir foutu, à tout ce que ce bébé avait fait comme dégât. Alors, forcément, obligatoirement, il se sentait allé mal, et elle en subissait les conséquences. Il faut bien avouer qu'en plus, avec ses hormones, Ella en rajoutait toujours une couche. Il était loin le temps où Ella restait calme en toute circonstance. Avec ses hormones, elle avait presque le caractère de Teddy. Un brin hystérique. On ne pouvait quasiment plus l'approcher sans qu'elle ne morde.
La preuve encore là. A peine avait-il dit que les humains avaient de la chance, car les termites pouvaient faire des millions de gamins, Ella ouvrit la bouche. Pour répliquer bien sûr. « Ouais et surtout tu n’as pas eu à m’ouvrir l’abdomen pour me mettre en cloque. ». Lui ouvrir l'abdomen? C'était quoi ces bestioles? Elles étaient un brin sadiques quand même. Ouvrant ses yeux en grand, Mattia releva la tête vers elle. Il n'avait pas entendu ça dans le reportage -mais il fallait avouer qu'il n'avait pas suivi grand chose-. Il l'observa se lever, sans dire un mot de plus. Tellement outré parce qu'il venait d'apprendre. A moins qu'Ella plaisante.. « Si tu tiens vraiment à le regarder, sache qu’il repasse le documentaire demain après-midi. Et si, comme je le pense, c’était uniquement pour me faire chier, je te conseille de mettre la chaine sport, il y a du tennis, il me semble que c’est toujours ta passion non ? Ou ça aussi ça a changé ? ». Ca a changé? Elle le prenait pour qui bon sang! Il n'était pas une girouette; le tennis, c'était son oxygène. Sans tennis, il ne vivrait plus. Parfois, il s'imaginait, dans un futur où il ne pourrait plus pratiquer le tennis. C'était le néant. Le noir complet. Comme si il était enfermé dans un cercueil, et qu'il faisait tout le temps nuit noir sur lui. Il hocha alors la tête, et la regarda. Elle s'était postée, le dos contre le mur. Il lui balança alors aussitôt la télécommande.

« vas-y, mets ce que tu veux! Et pour ta culture, les matchs de tennis ne commencent qu'à 11h. Il est trop tôt. » Sur ce, il s'enfouit bien profondément dans le canapé, les yeux toujours rivés sur la télévision. Il observa un instant l'écran avant d'ouvrir encore une fois la bouche, et de dire, cette fois, haut et fort. « Et puis, tu sais, je ne sais pas si j'ai vraiment envie de regarder les matchs...» Il s'interrompit alors, laissant le silence s'installer. Il se doutait que malgré tout, Ella trépignait. Elle voulait en savoir plus. Elle voudrait au moins comprendre pourquoi il disait cela. Et lui, il gardait ce sourire béat sur son visage. Il respirait le bonheur. Il se redressa alors et observa Ella. Il lui fit un petit sourire. « Viens t'asseoir à côté Ella, je te laisse gérer la télé, et je me calme. J'ai quelque chose à te dire. » Il la regarda plus tendrement. Il s'était calmé oui. Il avait envie de partager son bonheur avec quelqu'un, et à qui d'autre pouvait-il le partager? Il y avait bien évidemment d'autres personnes qui seraient aussi heureuses que lui, mais Ella, malgré tout ce qui s'était passé, tenait une place privilégiée. Même s'ils ne pouvaient se parler longtemps sans s'engueuler. Même s'ils ne pouvaient se voir trop longtemps sans avoir envie de se taper dessus. Elle restait quand même Ella

Elle semblait surprise par ses propos. Tant mieux. C'était l'effet qu'il comptait esquiver. Ca l'amusait de voir Ella, son ancienne Ella, quelque peu jalouse -surtout après l'histoire qu'il y avait eu avec Jona- essayer de trouver une raison à son bonheur. Elle devait sans doute s'imaginer cent milles choses. Qu'il avait une nouvelle petite amie. Qu'il allait partir à l'autre bout du monde. Elle était loin de se douter de la véritable raison de son bonheur, de son grand bonheur. En tout cas, elle l'observait, sourcils levés, surprise. Et lui, il détourna son regard, observant la chaine qu'elle avait mise; la chaine de sport. Il parlait effectivement tennis. C'était l'émission d'avant matchs. L'émission qui dit qui a le plus de chance de gagner. Cette émission, Mattia ne la regardait jamais. Les journalistes démontraient par A plus B lequel pouvait le mieux s'en sortir. Ils critiquaient, jugeaient. Alors qu'eux même ne jouaient pas spécialement bien au tennis.

Alors, il lui demanda de venir s'asseoir à côté de lui. Lui annonçant qu'il se calmerait. Qu'il avait quelque chose à lui dire. Elle fit une petite mine boudeuse, et pourtant elle finit par venir s'asseoir à côté de lui. Et lui, il regardait toujours la télévision, un grand sourire sur les lèvres, excité de dire son bonheur, et en même temps, amusé de faire languir Ella. Il la sentait bouillonner à côté de lui. Elle zappait, sans rien dire. Mattia regardait toujours l'écran, se demandant comment aborder le sujet, et surtout se demandant si elle-même allait demander ce qu'il en était. Ca aurait été plus simple. Parce qu'il était heureux, complètement heureux, mais qu'en même temps, il avait un peu peur de le lui dire. Avouer sa joie alors qu'elle ne peut plus l'être. « Qu’est-ce que tu voulais me dire ? » Enfin, elle le lui demanda. D'une manière distante. Comme si elle avait peur de tout ce qu'il allait lui dire. Comme si elle espérait qu'il ne dise pas une connerie. En entendant ce ton de voix, Mattia posa son regard sur elle. Il l'observa un instant, laissant échapper son sourire de son visage. « T'as hâte de savoir hein? » demanda-t-il, retrouvant enfin son sourire. Ses yeux remplis de joie s'étaient posés sur elle, et pour la première fois depuis bien longtemps, il avait l'impression d'être sincère avec elle. D'habitude, quand ils se voyaient, il devenait assez méchant; une manière quelque peu inhabituelle de sa part.
Il mit un pied sur le canapé, remettant son genou à hauteur de sa tête, et posant cette dernière dessus. Il regarda un instant la télévision, tout d'un coup gêné. Et si, Ella n'aimerait pas? Et si, Ella deviendrait quelque peu jalouse? Il perdit encore une fois son sourire. Il grimaça même, avant d'ouvrir la bouche. « J'ai trouvé quelqu'un. » Il posa de nouveau son regard sur son ex-petite amie, de plus en plus enceinte. « Pas une petite amie!! » lâcha-t-il prestement se rendant compte de ce qu'elle pouvait de suite penser. « J'ai trouvé un entraineur. » Il l'avait dit. Il l'avait lâché. Il avait trouvé un entraineur.

Pour l'empêcher de dire quoi que ce soit, il tenta alors de s'expliquer, d'en dire un peu plus. « Depuis la semaine dernière, il y avait un type avec Ted. Je n'y ai pas du tout prêté attention. Je pensais que c'était un de ses amis en vacances ici. » Il passa sa main sur son genou, et jeta un petit coup d'oeil à Ella. « J'ai appris ce matin que c'est un entraineur. On a discuté, il veut me passer pro. » Cette fois, parce qu'il venait de le dire, il sourit de plus en plus. Passer pro. Il avait toujours rêvé d'entendre cette phrase. De le dire. C'était chose faite maintenant. Même s'il redoutait la réaction d'Ella; parce que malgré tout ce qu'il disait, si Ella avait son rêve brisé aujourd'hui, c'était à moitié par sa faute..

Il paniquait. Il stressait. L'idée de lui avouer la raison de son bonheur le brulait, mais l'ennuyait. Elle, elle avait tout abandonné. Jamais, jamais elle ne finirait par jouer les jeux olympiques -il savait qu'elle avait regardé avec attention ces jeux de Londres- en natation synchronisée. S'arrêter pendant neuf mois, et reprendre après était quasiment impossible. Surtout quand on avait vécu des transformations corporelles comme elle le vivait. Parce qu'attendre un bébé, ce n'était pas pesé trois-quatre kilos en plus. C'était avoir une dizaine de kilos en plus, et même si les kilos d'Ella lui allaient bien -oui, Mattia l'observait, et oui, bien que son ventre était immonde, il ne la trouvait pas moche. Bien au contraire- ce n'était pas sûr que ce sport permette autant de superflue.
Mais trêves de plaisanterie, Ella voulait savoir. « Ouais, je veux savoir ». Elle était curieuse. Toujours. Comme la plupart des filles. Et lui, il essayait de trouver le meilleur moyen de le lui dire. Sans essayer de la vexer.

Après avoir quelque peu bougé et trouvé une position plus confortable, il se lança enfin. Balançant qu'il avait trouvé quelqu'un. C'était petit de dire ça. Petit et mesquin. Il n'avait même pas pensé à la connotation que cela pourrait avoir, et aussitôt, il s'était rattrapé. Pour lui annoncer la véritable raison.

Il ne lui laissa pas le temps de parler. Il expliquait toute la situation. Il se mordait les lèvres. Ses yeux se posaient de temps en temps sur Ella. Et c'est là qu'il vit l'expression du visage d'Ella. Aucun trait de son visage n'exprimait une quelconque colère. Elle aurait pu, après tout. Il vivait un rêve éveillé. Il lui avait volé son rêve. Mais au lieu de paraître jalouse, énervé ou de ressentir un quelconque autre sentiment qui aurait mis mal à l'aise Mattia, son visage respirait la joie. Un large sourire s'afficha sur ses lèvres, et il n'en fallut pas moins pour qu'à son tour, les lèvres de Mattia imitent celles d'Ella. « Mais c’est génial ! Tu dois te sentir trop fier ! ». Tu dois te sentir trop fier. Pas vraiment. Il était fier de jouer aussi bien, de mettre de sacrés balles, et de réussir à passer pro en aussi peu de temps. Il faut dire qu'il avait abandonné cette idée, de devenir pro depuis l'histoire de son beau-père. Mais s'il n'était pas si fier aujourd'hui, c'est parce qu'il se disait, qu'Ella, elle aussi, mériterait sa place, dans son sport. Et qu'il l'en avait empêché. Tout ça parce qu'il avait oublié de mettre un préservatif ou parce qu'une capote avait cassé (il ne se souvenait même plus..). « Et tu commencerais quand ? Mais c’est trop cool ! ». Elle semblait plus qu'enthousiaste. Plus qu'heureuse pour lui!
C'est là qu'il l'observa d'une façon dont il n'avait plus l'habitude. Comme avant. Avec des yeux pleins de respect, de fierté. De voir qu'elle ne lui en voulait pas. Il essaya d'enlever cette fichue idée de sa tête, et reprit alors la parole en riant. « Attends, il faut déjà qu'Ashton accepte. Mickael -il s'appelle comme ça- veut déjà m'entrainer ici, à partir de demain pour voir si ça peut coller entre nous. Mais pour m'amener ailleurs, sur les tournois, il faut qu'il ait l'accord d'Ashton.. » Il s'interrompit un instant, et pensa à lui. Il espérait qu'il n'y verrait pas d'inconvénients. Il ne voyait pas Ashton dire non. Mais il avait quand même cette peur, nichée au fond de lui, de voir son tuteur refuser. « Au pire, si vraiment il ne veut pas, on attend quinze jours que je sois majeur. » Au pire.. Comme si il imaginait Ashton dire non. Mattia était de nature un peu anxieux sur les choses qu'il aimait par dessus tout. Comme là, pour le tennis. « Mais le plus tôt serait le mieux; il a une carte invit' pour un tournoi au Canada dont les qualifs' commencent la semaine prochaine. »

Il l'observa un instant. Il venait de lui en dire beaucoup. De lui rappeler un tas de choses. Parler de tout ça. D'ashton. Du tennis. Des tournois. Du Canada. C'était lui rappeler que bientôt, il ne serait plus là. Il ferait sa vie, plus ou moins loin d'Arrowsic. Mais après tout, quitter ce village, être toujours entre deux villes ou sur des terrains de tennis, c'était son rêve.

Ella avait retrouvé une gaieté qu'il n'avait plus revu depuis un moment. Même s'il savait qu'il était à l'origine de son malheur, de ses larmes parfois -il l'avait déjà entendu pleurer-, il était encore plus heureux là, de constater que malgré tout cela, elle espérait encore un peu plus, et elle était heureuse pour lui. C'était bizarre au fond. De savoir qu'Ella n'était pas si heureuse, mais qu'elle trouvait le moyen de sourire pour lui. Qu'elle lui montre à quel point son bonheur lui faisait plaisir.
Elle arborait un large sourire. Son visage rayonnait. Et lui, il la regardait comme il ne l'avait plus regardé depuis un moment. Il lui parlait de la même manière qu'avant. Avant qu'elle ne tombe malheureusement enceinte. Avant qu'il décide de la quitter. Les choses redevenaient comme avant. Pour quelques minutes au moins; son gros ventre compliquait toujours la chose, et rendait tout impossible. Alors, pour ses quelques minutes de bonheur partagé, autant en profiter. Il lui confia tout. Le type qu'il avait rencontré. Le contrat qu'il voulait passer. La demande qu'il avait à faire à Ashton. Et comme un idiot, Mattia doutait encore. On ne sait jamais après tout. Il avait toujours peur qu'Ashton décide finalement de dire « non ». Qu'il laissa le rêve de Mattia s'envoler, une nouvelle fois.

Il faut dire que depuis que son beau-père avait fait parti de sa vie, il avait commencé à avoir peur. Peur de tout. Mais surtout peur qu'il l'interdise de jouer au tennis. Alors, cette peur restait toujours encrée en lui. Sait-on jamais. Ashton pourrait trouver un truc bizarre à ce Michael et décider que finalement, Mattia ne partirait pas avec lui. Dans ce cas, si il disait non, Mattia attendrait sans doute les quinze jours, et finirait par laisser tomber Ashton une fois ses dix-huit ans atteints. Tant pis. Il ne pouvait pas se permettre de rater la deuxième chance qui lui était faite. Mais il espérait, sincèrement, de tout coeur, qu'Ashton veuille bien. « On parle d’Ash là. Je te rappelle que s’il a fait des pieds et des mains pour avoir ta garde c’est pour que tu puisses jouer. Il dira oui, tu peux en être certain ! ». Ella affichait un large sourire sur son visage. Mi-amusé. Mi-heureux. Elle se moquait gentiment de lui; elle avait bien raison. Ashton avait vu sa carrière brisée par une blessure; il savait combien une carrière était importante pour un sportif, il n'avait pas accepté Mattia et toutes ses emmerdes pour lui faire rater son point de départ. Alors, il murmura un « Je sais. » qui ressemblait plus à un j'espère en pensée..

Et il lui parla du Canada. Du tournoi qu'il allait faire. Il s'imaginait déjà à l'aéroport, pour son premier vol en tant que professionnel. Il avait déjà pas mal rencontré de joueurs de tennis; il avait joué pas mal de tournois juniors qui se déroulaient en même temps que les grands. Mais là, ce serait différent. Il ne serait plus le gamin émerveillé de les voir; il serait à leur hauteur. D'égal à égal. Ca changeait tout. « T’y seras t’en fais pas, Ashton va donner son accord et tu vas tous les épater au Canada ! ». Au Canada. En voyant le large sourire d'Ella, et sans se douter de ce qu'elle essayait de cacher, Mattia lui renvoya la même image. « En tout cas, je suis terriblement fière de toi. ». En l'entendant dire ça, il se mit à sourire encore plus; essayant de ne pas rougir. Il se pinça les lèvres, et il fit une chose qu'il n'avait plus fait depuis bien longtemps.

Une chose qu'il avait affreusement envie de faire là.

Il s'approcha d'elle, et la prit dans ses bras. Il ressentit quelque chose de bizarre quand leurs deux ventres se frôlèrent. Il fut parcouru d'un frisson. Il venait d'effleurer, pour la première fois, sans faire exprès, ce gros ventre. Entre lui, et ce bébé, là, il n'y avait plus que la peau d'Ella entre eux. C'était étrange. Bizarre.

Il resta un instant comme ça, lui murmurant alors un « Merci Ella » avant de se dégager d'elle. Et pour la première fois en tant de temps, il lui fit un petit bisou sur la joue, avant de se relever, et de lui lancer ces quelques mots. « Je vais essayer de trouver Ashton. » Il fallait qu'il lui parle. Le plus vite possible. Boosté par les derniers mots d'Ella, son Je suis terriblement fière de toi, il avait envie d'en avoir le coeur net. Savoir enfin ce qu'Ashton allait dire. Il lui lança un dernier regard avec un petit sourire avant de se retourner vers la porte d'entrée. Il y courut presque. Il chercha un instant ses baskets des yeux, incrédule. Elles n'étaient plus là. Soupirant, redevenant le Mattia d'avant, il lâcha d'un ton mécontent « Elles sont où mes baskets??!! » Finalement, on ne change pas comme ça les mauvaises habitudes...