Je faisais une petite griffe en bas de la feuille. Et je fermais le dossier. La journée touchait enfin à sa fin. Elle avait été on ne peut plus longue. J’avais eu très peu de visites. Mais des opérations plutôt longues et délicates. Des opérations sur une petite fille de trois ans. Et un petit garçon de cinq ans. De petits êtres adorables. Deux petits êtres innocents. Quatre parents inquiets. Quatre parents à qui je refusais d’annoncer « je suis désolé, nous n’avons rien pu faire pour le sauver. ». Et je n’avais pas eu à le faire. J’avais tout fait pour que ça n’arrive pas. Et ça n’était pas arrivé. A cette heure –là, mes deux patients dormaient, assommés par cette opération. Mais, je les avais vus ouvrir les yeux. J’avais vérifié leurs constantes. Tout allait parfaitement bien. Ils allaient s’en sortir. J’étais confiant pour l’un comme pour l’autre.

Je retournais à mon casier. Pour me changer. Finit la jolie petite blouse blanche. Le parfait déguisement de médecin. Et bonjour mon jean. Mes baskets. Mon t-shirt. Le luxe. Ouais par contre, ça c’était un truc que j’adorais. Terminé le boulot pour pouvoir remettre de vrais vêtements. Il y a des petits plaisirs de la vie comme ça. Bref, une fois prêt je fermais la porte du casier. Avant de remettre mon alliance. Avant de redevenir un époux. Et de retrouver mes doutes. Mes peurs. Ma peine.

J’aurais pu rentrer chez moi. J’aurais pu rejoindre ma sœur. Ma femme. Leur raconter ma journée. Mais mes pas se dirigèrent vers l’escalier. Pour remonter le même nombre d’étage que j’avais descendu précédemment. Qu’est-ce que je faisais ? J’allais voir quelques patients avant de partir. Et ce soir c’était une patiente. La jeune Anna. Elle avait débuté son traitement aujourd’hui. Un traitement agressif. Et je n’avais pas eu une minute pour passer la voir. Alors je tenais à le faire maintenant. Trop impliqué. Ouais, on me le disait constamment.

Je pénétrais dans la chambre. Hailee était là. Elle se leva directement et rangea son petit carnet. Hailee, elle était toujours là pour sa petite sœur. Pour Anna. Hailee faisait partie de celle qui avait le droit de ne pas regarder l’heure. De celle qui pouvait dormir ici. Et qui avait toute la sympathie des infirmières. Même si elle n’en abusait pas. Je lui accordais un beau sourire tout en posant mon regard sur le lit. Anna dormait profondément visiblement. Et ça n’avait rien d’étonnant. Il n’était pas si tard pour une adolescente de quinze ans. Mais, son traitement l’épuisait sans aucun doute possible. « Salut… Vous avez fini votre quart de travail ? ». Elle me regarda de haut en bas. Ouais franchement, vu ma tenue, j’étais démasqué. Je ne pouvais pas m’empêcher de rire légèrement. « Ouais, si tout va bien. ». Parce quand on est médecin, qu’on soit de garde ou non, il faut avoir son bipper. On n’est jamais sûr de pouvoir passer la nuit sans l’entendre.

Mon regard se posait à nouveau sur l’adolescente. L’adolescente, l’enfant ? Quel terme utilisé ? Elle avait quinze ans, c’était une adolescente. Mais avec tout ce qu’elle avait vécu n’était-elle pas une adulte ? Et finalement est-ce qu’elle n’ignorait pas tout de la vie en dehors des hôpitaux, comme une enfant ? Hailee me sorti de mes pensées. « Elle a eu un traitement ce matin, elle est fatiguée.. ». Elle prit la main de sa sœur. Elle était visiblement toute peinée. Ça me faisait mal au cœur de la voir comme ça. « J’ai appris en effet et elle risque de dormir encore un moment… ». Je lui accordais un petit sourire. Elle risquait de dormir toute la nuit. Et de ne se réveiller qu’au petit matin. Et de ne pas être en super forme en plus. Mais, elle serait réveillée. Et c’était un mal pour un bien. Si j’en croyais mon collègue, ce traitement était sa meilleure chance. « Ça vous tente d’aller dîner ? ». Après tout, Ange n’avait pas mangé. Et il ne servait à rien de rester dans cette chambre à attendre. Il ne se passerait rien.

Normalement j’avais fini ma journée. Normalement j’allais pouvoir souffler. Normalement, parce que malheureusement, on était sûr de rien. Ça faisait partie du métier de médecin. Ne pas compter ses heures. « En espérant que tout aille bien... ». Ah ça, je l’espérais aussi. Pour toute réponse je lui renvoyais un sourire.

Le silence était de mise quand nous regardions la demoiselle. Et puis, elle me parla du traitement de sa sœur. J’étais au courant. Un traitement agressif qui l’assommait. Bien sûr elle finirait par s’y faire. Mais, pour aujourd’hui, elle risquait de rester dans les bras de Morphée un moment. Et en disant ça je m’en voulais. Hailee aurait voulu parler à sa sœur. La voir éveiller. Et moi je venais de briser ses espoirs. Sans même y faire attention.

Et puis je lui proposais d’aller dîner. Parce que j’avais faim. Et que j’appréciais sa présence. Il était inutile qu’elle reste là. Et je n’avais pas envie de le laisser toute seule. Ni envie de rentrer chez moi par la même occasion. Il faut dire que voir ma femme dans un état plus catastrophique qu’hier me plaisait peu. Retrouver mes doutes me plaisait peu. Voir la mort à chaque coin de cette maison me plaisait peu. Je n’utilisais pas non plus Hailee pour combler ma solitude. Non. J’avais vraiment envie de discuter. D’en savoir plus sur elle. Sur sa vie. Sur ce qu’elle faisait en dehors de venir voir sa sœur malade. Je voulais avoir une compagnie agréable. Passer du temps avec elle.
La jeune femme attrapa son sac qu’elle glissa sur son épaule. Avant d’embrasser sa sœur sur le front. Et de m’offrir un petit sourire que je lui renvoyais. « De toute façon, les heures de visite allaient terminer... ». Ouais. Enfin elle aurait pu rester. Ce n’est pas infirmières qui auraient dit quelques choses. Mais elle aurait pu attendre longtemps avant qu’Anna se réveille. Et puis j’en concluais que ma présence ne la gênait pas tant que ça. Parce qu’autrement, elle m’aurait dit non. Là c’était un oui. Même caché derrière une excuse.

Nous quittions la chambre, fermant la porte derrière nous. C’était parti pour aller dîner. « Il y a un petit restaurant pas loin de l’hôpital, on y mange pas trop mal, ça vous tente ou vous avez une autre idée ? ». Remarque qu’a Arrowsic rien n’était loin. Tous les commerces étaient prêts les uns des autres. Parce que c’était une petite ville. Alors même si elle avait envie d’autre chose, ce n’était pas grave. Nous n’aurions pas à marcher beaucoup. Je n’étais pas feignant. J’en avais juste plein les pattes de courir partout. De monter et descendre les escaliers. « Au fait, je peux vous demander ce que vous écrivez sur votre petite calepin ? ». Je lui offrais un beau sourire. J’étais curieux. Quand je rentrais dans la chambre il n’était pas rare qu’elle soit en train d’écrire. Comme ce soir. Mais ce qu’elle écrivait ? J’en avais pas la moindre idée.

Apparemment Hailee n’avait rien contre mon idée. D’aller manger dans le restau près de l’hôpital. Je ne pouvais pas lui dire le nom. Je ne l’avais pas retenu. « C’est parfait pour moi. ». Bon eh bah très bien. C’était parti pour. Et puis comme j’étais un peu curieux je lui demandais ce qu’elle écrivait. Je l’avais vu, oui. Même si elle le rangeait toujours rapidement. Son petit calepin. « Euh… J’écris rien de bien « sensé » si on veut. J’écris des bouts de textes qui ne se colleront jamais à d’autres bouts de textes. J’essaie de trouver une bonne idée pour me lancer. Faut dire aussi que je n’ai pas de boulot dans une maison d’édition aussi donc je n’ai pas de sujet sur quoi écrire… ». Elle me fit un petit sourire. Avant de prendre les devants. Et de suivre l’hôtesse.

S’installant, la jeune femme regarda un peu partout. Avant de reposer son regard sur moi. Je lui offrais un petit sourire. « Pour ce qui est de la bouffe, je ne sais pas encore mais pour le décor, c’est sympathique ! ». Un sourire amusé se glissa sur mon visage. Elle avait raison le cadre était sympa. Et la nourriture tout autant. « Oh tu ne devrais pas être déçue pour la nourriture non plus. ». Et d’ailleurs les cartes arrivaient. La serveuse nos donna chacune la nôtre avant de s’éclipser.

J’ouvrais la carte. Et sans m’y plonger toute suite, je reprenais la parole. Je voulais reprendre notre conversation précédente justement. Elle m’intriguait. « Mais tu n’as pas besoin d’être dans une maison d’édition pour avoir un sujet non ? Si tu veux écrire une histoire, peu importe le sujet, tu peux le faire n’est-ce pas ? ». Je n’y connaissais pas grand-chose en termes d’édition. J’étais tout de suite parti dans des études scientifiques. Et si j’adorais lire, je n’avais jamais pensé écrire. Et je ne connaissais personne qui le faisait. Mis à part Hailee maintenant. Dans tous les cas, j’admirais son choix de carrière. Même si j’étais certain que sa sœur n’y était pas pour rien. Elle faisait tout pour Anna. Mais Hailee devait tout de même avoir du talent pour avoir cette ambition non ? Un talent que je n’avais pas.

Cette fois je plongeais mon nez dans la carte. En fait j’étais déjà certain de prendre un steak frite. J’en avais envie. Sujet passionnant n’est-ce pas ? Bref je relevais les yeux vers Hailee. « Et ça va, tu t’y fais à Arrowsic ? ». Après tout, elle n’était pas là depuis très longtemps. Et comme elle était souvent à l’hôpital. J’ignorais si elle s’était habituée à la ville. Au début elle n’était pas sûre de rester. Mais maintenant ? Ouais, j’étais curieux de la connaître. J’étais curieux sur bien des choses. Bien moins qu’elle d’ailleurs. Mais tant mieux. Je n’aimais pas spécialement parler de moi. Encore moins de mon éducation catho. De mes sœurs. Chrys mise à part. Et le pire des sujets, ma femme. Ouais, ce n’était pas si mal qu’elle ne se montre pas curieuse.