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 ⊱ Tu ne penses pas ?

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MessageSujet: ⊱ Tu ne penses pas ?   ⊱ Tu ne penses pas ? EmptyJeu 7 Mar - 20:01

SUTTON & FREDDIE

Freddie ?

« C’est moi. » Mais pendant un long moment il ne dit rien. Son menton dans le creux de la main, l’autre portant le téléphone à son oreille, qui attend : c’est un long silence que tous deux écoutent. Profondément ancrée dans leurs omoplates, ils ne perçoivent pas la respiration de l’autre ; ce n’est rien que pour eux-mêmes. Il récupère un mince bout de papier sur son bureau qu'il chiffonne.

« Il fait beau ce soir, n’est-ce pas ? » Il sourit et sa moustache s’en étire. Sutton et lui ne se voient pas, ils s’appellent. Elle détient quelque chose qui lui appartient mais il ne semble pas pressé de le récupérer. Il se plie docilement à ses exigences, l’appelle quand elle le demande, va là où on lui dit d’aller, et il ne sait pas à quel jeu ils jouent. Pourtant toujours, il sourit. « Il y a la lumière, tout autour la lumière, la lumière du soir. Le soleil te prend le côté, quand c’est comme ça, c’est une manière plus douce, les ombres se couchent démesurément, c’est une manière qui a en elle quelque chose d’affectueux – ce qui explique peut-être comment il se fait qu’en général il est plus facile de se croire bon, le soir – alors qu’à midi, au contraire, on pourrait presque assassiner ou pire ; avoir l’idée d’assassiner, ou pire : s’apercevoir qu’on serait capable d’avoir l’idée d’assassiner. Ou pire : se faire assassiner. » Freddie et l’hôpital font face à quelques tensions en ce moment. Il est possible qu’il perde son emploi dès le lendemain. Il se lèverait pour finalement se souvenir qu’il n’en a plus les raisons.
« Et pourtant, bien qu’indéniablement elle soit merveilleuse, la lumière du soir, il y a quelque chose qui réussit à être encore plus beau que la lumière du soir, et c’est précisément quand, par d’incompréhensible jeux de courants, caprices des vents, bizarreries du ciel, impertinences réciproques de nuées non conformes et circonstances fortuites par dizaines, une vraie collection de hasards et d’absurdités – quand, dans cette lumière unique qu’est la lumière du soir, inopinément, il pleut. Il y a le soleil, le soleil du soir, et il pleut. Ça, c’est le summum. Et il n’existe aucun homme, fût-il rongé par la douleur ou à bout d’angoisse, qui, devant une absurdité de ce genre, ne sente pas se retourner quelque part en lui une irrépressible envie de rire. Il ne rira peut-être pas, ou pas vraiment, mais si le monde était un zeste plus clément, il pourrait rire. Parce que c’est comme un gag colossal et universel, parfait et irrésistible. A ne pas y croire. Même l’eau, celle qui te tombe sur la tête, en minuscules gouttes prises de biais par le soleil bas sur l’horizon, ne ressemble pas à de la vraie eau. Ca ne serait pas étonnant si en la goûtant on s’apercevait qu’elle est sucrée. C’est dire. En tout cas, de l’eau pas réglementaire. Une générale et en même temps spectaculaire exception à la règle, un pied de nez magistral à toute logique. Une émotion. Au point que parmi toutes les choses qui finissent par donner une justification à l’habitude, sans cela ridicule, de vivre, figure certainement celle-ci, au-dessus même des plus limpides, des plus propres : être là, quand, dans cette lumière unique qu’est la lumière du soir, inopinément, il pleut. Au moins une fois, être là. » Et contre la vitre de son laboratoire, où des chats étranges attendent, s’abat la pluie. C'était comme ça avec Freddie, quand il ne sait plus quoi dire il parle du beau temps et de la pluie. « Tu ne trouves pas Sue ? »

« Sue... ? Allô ? »

« Sue… quand est-ce que je les retrouverais ? »



« Sue tu es là ?»



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MessageSujet: Re: ⊱ Tu ne penses pas ?   ⊱ Tu ne penses pas ? EmptyMer 13 Mar - 12:02


« Freddie. »
Lorsqu'elle vit ce nom s'afficher sur son téléphone, alors qu'il vibrait à en rompre les pieds de la table basse depuis quelques secondes, le coeur de Sutton se serra. Elle prit l'objet en main, mais avant d'ouvrir toute conversation, elle prit le temps d'inspirer profondément, supplique aux battements de son coeur de ralentir la cadence. « Freddie ? » Ses lèvres se pincèrent, le jeu allait commencer. La course ne s'était pas arrêtée et, lorsqu'elle entendit sa voix, elle sut que celle-ci n'était pas prête de se calmer. « C’est moi. » C'était idiot, qui cela pouvait-il bien être d'autre ? Son nom était affiché, et ce "moi" ne voulait, en soi, rien dire du tout. Il n'était là que pour conforter son premier mot à elle, son ouverture à cet appel.
Un silence s'installa. Un silence qui ne la gêna pas. Ça leur arrivait, de temps à autres, sans pour autant ressentir le besoin de tout faire pour que cela stoppe. « Il fait beau ce soir, n’est-ce pas ? » Sutton, qui était jusque là plantée à côté du canapé, sans bouger et sans vraiment regarder autour d'elle, jeta un regard vers la fenêtre. Un sourire apparu progressivement sur son visage. Un sourire qui n'appartenait qu'à elle, puisqu'à l'autre bout du fil, il ne pouvait la voir. Il pleuvait. Ça ne l'étonnait même plus, venant de lui. Freddie était un étrange garçon. Elle ne savait quel âge il avait, quel travail il pratiquait ou encore si il était encore en possession de toute sa dentition.. Mais il la faisait sourire. Ses remarques étaient illogiques, souvent étranges. Elle l'admirait pour ça. Elle l'aimait pour le peu qu'elle savait de lui. Un amour dont elle ne comprenait pas la portée, puisqu'à part quelques mots échangés rapidement au téléphone, elle ne connaissait de lui que la douzaine d'objets en tous genres qui avaient atterrit chez elle sans crier gare. « Il y a la lumière, tout autour la lumière, la lumière du soir. Le soleil te prend le côté, quand c’est comme ça, c’est une manière plus douce, les ombres se couchent démesurément, c’est une manière qui a en elle quelque chose d’affectueux – ce qui explique peut-être comment il se fait qu’en général il est plus facile de se croire bon, le soir – alors qu’à midi, au contraire, on pourrait presque assassiner ou pire ; avoir l’idée d’assassiner, ou pire : s’apercevoir qu’on serait capable d’avoir l’idée d’assassiner. Ou pire : se faire assassiner. » Sutton respirait doucement. Son coeur s'était enfin calmé. Elle buvait ses paroles. Elles n'avaient aucun sens, tout du moins, rien de très important. Et pourtant, elle l'écoutait comme si sa vie en dépendait, le regard perdu sur la rue en bas. « Et pourtant, bien qu’indéniablement elle soit merveilleuse, la lumière du soir, il y a quelque chose qui réussit à être encore plus beau que la lumière du soir, et c’est précisément quand, par d’incompréhensible jeux de courants, caprices des vents, bizarreries du ciel, impertinences réciproques de nuées non conformes et circonstances fortuites par dizaines, une vraie collection de hasards et d’absurdités – quand, dans cette lumière unique qu’est la lumière du soir, inopinément, il pleut. Il y a le soleil, le soleil du soir, et il pleut. Ça, c’est le summum. Et il n’existe aucun homme, fût-il rongé par la douleur ou à bout d’angoisse, qui, devant une absurdité de ce genre, ne sente pas se retourner quelque part en lui une irrépressible envie de rire. Il ne rira peut-être pas, ou pas vraiment, mais si le monde était un zeste plus clément, il pourrait rire. Parce que c’est comme un gag colossal et universel, parfait et irrésistible. A ne pas y croire. Même l’eau, celle qui te tombe sur la tête, en minuscules gouttes prises de biais par le soleil bas sur l’horizon, ne ressemble pas à de la vraie eau. Ca ne serait pas étonnant si en la goûtant on s’apercevait qu’elle est sucrée. C’est dire. En tout cas, de l’eau pas réglementaire. Une générale et en même temps spectaculaire exception à la règle, un pied de nez magistral à toute logique. Une émotion. Au point que parmi toutes les choses qui finissent par donner une justification à l’habitude, sans cela ridicule, de vivre, figure certainement celle-ci, au-dessus même des plus limpides, des plus propres : être là, quand, dans cette lumière unique qu’est la lumière du soir, inopinément, il pleut. Au moins une fois, être là. »
Une larme coula lentement le long de sa joue, lèvres pincées, elle était chamboulée par ces mots. Émue, elle retenait ses larmes comme elle le pouvait, ne sachant trop pourquoi cela la remuait de la sorte. « Tu ne trouves pas Sue ? » Si. Mais elle ne répondait pas. « Sue... ? Allô ? » Toujours pas un mot. « Sue… quand est-ce que je les retrouverais ? » Il parlait de ses affaires, elle le savait. Elle ne saurait répondre à ça. Il en était le propriétaire, il aurait donc pu les récupérer lorsqu'il le désirerait, mais... Mais avec le temps, elle s'y était attachée. Elle gardait cette petite valise comme la prunelle de ses yeux. Elle en prenait soin, elle aimait la voir au réveil chaque matin, avant d'aller se coucher le soir. Elle appréhendait ce manque. « Sue tu es là ? » Elle déglutit difficilement. « Oui oui... Je suis là. Pardon. » Tout autre personne lui aurait déjà renvoyé cette valise, sans un mot. Jamais on ne l'aurait fait mariner de la sorte. Sutton l'avait fait. Elle ne s'en voulait pas, elle était bien loin de ça. Perdue entre son appréhension du manque et sa crainte de l'avoir en face de lui, enfin, elle repoussait ce moment. « Maintenant. Si tu le souhaites... » Elle n'avait même pas réfléchi. Il était en droit de les retrouver dans la seconde mais, non.. Elle n'était pas prête. « Tu savais, toi, qu'au Sahara, il y a un village nommé Tidikelt qui n'a pas reçu une goutte de pluie pendant 10 ans ? » Changer de sujet, à tout prix, qu'il ne veuille pas la voir maintenant, elle n'était pas en état. Elle ferma les yeux et inspira difficilement, redoutant sa prochaine parole.
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