Eilidh n'a une vie ni passionnante ni insignifiante. Elle est juste normale. Eilidh aussi est normale, elle n'a jamais eu de tendances psychopathes ou pyromanes. Elle n'a jamais été battue, ni abandonnée, elle a juste reçu des baffes quand elle le méritait et ça la calmait bien. C'était une petite fille joyeuse, gourmande, un peu pleurnicharde et capricieuse. Mais elle n'a jamais été pourrie gâtée, ses parents ne l'ont jamais privée non plus. Eilidh a eu une enfance normale, banale, ordinaire dans une maison avec une barrière blanche, un chat et une balançoire. Elle ne s'est jamais plainte, pourquoi l'aurait-elle fait ? Mais elle et sa famille ont de la chance, ils n'ont jamais subi aucune crise : pas de licenciement, pas de meurtres, pas de kidnapping. Une vie normale, banale, ordinaire. Avec la même routine, tous les jours : réveil, école, travail, école, dîner, coucher. Eilidh avait des amies, seulement des filles parce que jusqu'à douze ans, on aime pas vraiment les garçons. Elles jouaient aux Barbies et se racontaient des secrets, parfois elles pouvaient faire des pyjamas parties. La vie d'une petite fille normale, banale, ordinaire. Il y a bien une petite anecdote qui fait rire tout le monde lors des repas : lors d'un voyage à Disney World, Eilidh était aussi excitée qu'une puce et courait partout, demandant où était Mickey, elle l'a vu au loin qui prenait des photos avec d'autres enfants alors elle a couru. Sans prévenir ses parents, ils se sont inquiétés et ont paniqués, alors qu'elle regardait Mickey. Elle est même partie faire un tour de manège toute seule, c'est seulement quand un employé lui a demandé où étaient ses parents qu'elle a compris, alors elle a pleuré. Puis l'employé l'a emmené au City Hall, où ses parents étaient allés. Elle avait six ans. Après quelques petites blessures (de guerre, parce que c'était une casse-cou), ils n'ont que des banalités à raconter. Et c'est pour ça qu'Eilidh a souvent du mal à parler de sa vie, parce qu'elle est vide. Eilidh est normale, parfois elle en est plutôt contente et parfois elle déteste ça.

Au collège, on ne l'entendait pas. Littéralement. Elle ne participait que très peu en classe et préférait aller lire à la bibliothèque durant les pauses. Eilidh avait toujours les mêmes amies depuis son plus jeune âge. Il est dur dans une petite ville pareille de faire de nouvelles connaissances. Elle était bien amoureuse d'un garçon, mais trop intimidée, elle n'osait pas lui parler. Ses amies riaient d'elle, Eilidh détestait ça alors elle les évitait et aller lire. C'est comme ça qu'elle a découvert sa passion pour les illustrations, dans les romans de jeunesse, dans les recueils de contes. Ces dessins la faisait rêver, l'entraînant complètement dans les histoires qu'ils accompagnaient. Et elle savait dessiner, un peu, alors elle recopiait, elle s'entraînait.

« Tu dessines quoi ? » Eilidh sursauta, le crayon dérapa sur sa copie. C'était un stylo, le dessin était fichu. Elle n'avait pas besoin de savoir qui l'avait interrompue, elle avait reconnu sa voix, c'était lui. Arthur. Elle évita de le regarder, ce qui la persuadait d'être une autiste quand elle se comportait comme ça. « Je dessinais un crapaud. Mais... C'est moche. » Elle ferma sa pochette et posa son stylo. Elle sourit timidement, que pouvait-elle bien lui dire ? Elle avait quinze ans et fantasmait sur lui depuis trois ans déjà. Elle le dessinait même en cours dans la tenue d'un prince charmant. Pathétique. Et pourquoi il lui parlait d'abord ? Ça faisait un petit bout de temps qu'il venait la voir à la bibliothèque. Eilidh, légèrement paranoïaque, était persuadée que ses amies (qui s'entendaient bien avec lui) avait tout raconté à Arthur et qu'il avait donc pitié d'elle. « Moi, je le trouvais réussi. Je suis juste désolé de t'avoir fait peur et qu'à cause de moi, tu l'ais raté. » Elle grogna un "c'est pas grave mais merci". Il ria, enfin il se moqua. « Pour me faire pardonner, je propose de t'offrir un milkshake. Tu peux sortir ce soir ? » Eilidh osa enfin le regarder, surprise : lui proposait-il un rendez-vous ? comme des amoureux ? Elle balbutia un "oui". Il sourit, lui promis de l'attendre à la sortie des cours et il la laissa seule devant sa pochette. Eilidh sorti une nouvelle feuille et se remit à dessiner joyeusement.

Elle avait enfin un petit-ami.


Ah le premier amour ! C'est beau, c'est mignon, c'est niais. Eilidh et Arthur s'entendaient bien, ils formaient un petit couple adorable avec très peu de disputes et beaucoup de je t'aime. Certains de leurs amis étaient même jaloux. Ils étaient amoureux et heureux ensembles. Certes, ils n'étaient pas toujours d'accord mais ils arrivaient à faire des compromis. Et parfois, l'un ou l'autre s'aventurait à parler du futur et ils rêvaient d'une vie à deux, celle de la famille parfaite. Ils étaient jeunes, amoureux et naïfs. Ils rêvaient surement un peu trop. Bien qu'ils étaient mignons ensembles, ils ne furent jamais le couple populaire. Ils étaient discrets, et ne furent jamais vexés de ne pas avoir été élu Roi et Reine du bal de promo. Si techniquement c'est le rêve de la lycéenne lambda des Etats-Unis, Eilidh s'en foutait. Elle voulait juste danser avec son petit-copain, et faire la fête avec ses amis.

Mais toutes les meilleures choses ont une fin (sauf le mariage de ses parents, de vrais bisounours ces deux-là) et la réalité leur est lourdement retombée dessus. Eilidh ne pouvait pas quitter la ville, elle devait continuer ses études ici alors qu'Arthur était pris à Yale. Ils décidèrent malgré tout de rester ensembles, si certaines personnes pouvent tenir des relations à distance, pourquoi pas eux ? Et puis, Eilidh pouvait venir le voir certains weekends, Arthur comptait revenir à chaque vacances. Ce serait simple, disaient-ils. Ce ne le fut pas. La distance exacerbait la jalousie, Arthur voulait tout savoir des nouveaux amis d'Eilidh, alors qu'elle elle avait peur qu'il rencontre une fille plus jolie et plus intelligente. Yale en regorge, c'est bien connu, non ? Au bout de quelques mois, d'un commun accord, ils décidèrent de rompre. Oui, Eilidh pleura pendant quelques temps. Elle vivait sa première rupture, son premier chagrin d'amour. Puis la douleur s’apaisa, les sentiments s'estompèrent. Et elle repris une vie normale d'étudiante banale.

L'université est une période importante dans la vie, c'est le passage de l'adolescence à la vie d'adulte, enfin jeune adulte. On mûrit, on fait des choix et on doit gérer sa paperasse tout seul. Eilidh n'aime pas ça, en fait elle est partagée entre l'envie de grandir et celle de rester la petite fille de ses parents. Elle veut se trouver un appartement en collocation, mais seulement avec quelqu'un en qui elle a confiance. Elle veut travailler, mais seulement si elle peut tout dépenser en connerie après (si les jeux vidéos sont des conneries, pour elle pas vraiment). Elle ne sait pas quoi faire de sa vie plus tard et ça lui fout les chocottes. L'université lui a au moins ouvert les yeux : elle est pas banale, parce qu'elle avait tord. Personne n'est normal.

Si on résume, Eilidh est un peu timide, parfois au point d'être associable. Elle a eu un seul grand amour, et un seul amour tout court durant sa courte vie. Elle dessine en s'inspirant de contes de fées et elle adore les jeux vidéos. D'ailleurs, elle ne sort jamais sans sa Nintendo ou sa GameBoy Color. Elle a sûrement le syndrome de Peter Pan, enfin c'est ce qu'elle se dit. Mais aujourd'hui, elle a perdu quelqu'un. Oui, Arthur, premier amour et jeune homme avec un avenir prometteur, est mort dans un accident de voiture. Ils ne se parlaient plus vraiment depuis deux ans mais Eilidh en a eu le cœur brisé, à nouveau. Pour la première fois, elle rencontrait la mort et le deuil, ça l'a un peu chamboulée, au point de rester à regarder l'intégral de FRIENDS. Aujourd'hui, elle se demande un peu pourquoi il a dû mourir. Elle se sent étrange, sans vraiment réussir à expliquer ce qu'elle ressent.