« You gave me a forever within the numbered days, and I’m grateful. »
(SUR LE BITUME, A LA RENCONTRE DE L'INCONNU) Et que tombe l'obscure clarté.
Ça sent la sueur et les ordures, l'humanité et ses détritus.
Le soleil m'aveugle, alors je mets une main en visière sur mes yeux. Ils veulent se fermer pour lui échapper. se fermer pour se reposer. pour ressusciter. Sous les paupières lourdes, il y a ces envies qui incitent à aimer le vide. Le vide dérange, le vide démange. On se pense aigle, on s'imagine fée. On se veut princesse. Mes dents se serrent. Chut écoute le silence des coupables. Les cris là-haut ne résonnent plus. Les cris sont muets. C'est pire encore. Le peuple ne proteste plus, les sans-visages se cachent.
Ça sent la chaleur et l'infamie, la société et ses interdits.
Je suis en vie.La lumière m'éblouit. Puis j'ai toujours eu peur du noir. Du soir et de l'espoir aussi. Espérer c'est abandonner, c'est renoncer, c'est s'évader. Je scrute les badauds pour te trouver, mais toi, t'es par terre. En harmonie avec le bitume, à crever sur le goudron. Il ne me regarde pas. Il ne m'a pas regardée parce qu'il a les lèvres salées, la bouche pimentée. Et moi je suis sucrée. C'est le trottoir qu'il regarde. Et l'écho de ses mots qui rebondissent sur l'asphalte, ses mots qui se crashent sur du basalte. Je caresse l'inconscience du bout des doigts. J'y laisse même une empreinte. Voilà.
Je suis en vie.Mais, et toi ? Qui es-tu, toi ? Dis-moi ! Dis-le-moi ! Qu’est-ce que tu crois. Et puis, je connais la vie, aussi. Pas très bien, un peu seulement. Assez pour savoir qu’elle a les richesses mal réparties, les maux infinis.
J'ai toujours pensé que j'étais en vie alors que la vie ne m'aimait pas. Et regarde-moi aujourd'hui, je porte un costume, j'ai un putain de boulot, et pourtant je suis encore paumé. Mais je suis en vie.D'un doigt, j'effleure les rayons du soleil. Je les enroule autour de ce doigt négligent, indolent. Entortillés sur mon index, ils ont perdu de leur brillance. Je veux la lueur, je veux les promesses. Je râle un peu en m'asseyant à côté de toi. Tu parles trop. Tu parles mal. Tu ne me regardes même pas. Dieu que tu es beau dans toute ta complexité, toute ta naïveté.
Et moi, j'ai l'air de quoi ?
Contemple-moi s'il te plaît.
Contemple-moi s'il te plaît.
S'il te plaît.
Et dis-moi.
Je suis épuisée.Les fous. Les ahuris. Les enfants.
Montrer du doigt les nuages, goûter la pluie, aimer la lumière.
Le trottoir sous les fesses, on oublie. On oublie la vie, on oublie tout, on n'oublie rien. De toi à moi, il y a un mètre. Peut-être deux. Plutôt un, parce qu'on n'a pas besoin de hurler pour se comprendre. On murmure, on susurre.
Je suis épuisée.Mon index déroule les reflets du soleil. Un à un, ils s'évadent, comme un éclat de rire.
Moi
contre
les
poussières.
Promets-moi de ne jamais t'arrêter. Continue de parler, de te soûler. Continue d'exister. Ta voix a laissé une ardeur pastelle au creux de mes reins. J'entends les battements irréguliers de nos cœurs qui veulent corréler. Les âmes qui veulent s'embrasser. Platoniquement. Juste pour se soulager, juste pour se délivrer. Dans tes mains, je veux déposer mes crimes. Fais-en ce que tu veux.
Ici, j'étouffe. Existe-t-il un moyen de s'affranchir ? Tu t'y connais peut-être en liberté, toi.Viens on gribouille viens on colorie viens on rit viens on bafouille viens on vit.
Je crois que j'ai un problème de fabrication. A la naissance, ils ont dû oublier de connecter deux-trois fils en moi. On ne m'a jamais aimée, ils ne m'ont jamais aimée. Les salauds. Et il y a Lockhart. Putain Alaric, je lui jure que je vais le forcer à m'aimer.Pourquoi la honte ? Pourquoi l'amertume ? Pourquoi les regrets, les remords ? Pourquoi, pourquoi ?
Mon âme pleure.
Ҩ
(RUBEN, AMOUR AVORTE) J'ai le sable de la rancœur qui craque sous la dent.
Les petits grains s'éparpillent
barbouillent l'âme
noircissent l'humeur
et
dans les sinuosités du cœur
ils crissent comme
des cons.
Je crois que je n'ai plus la force. Ni même l'envie. Je te laisserais bien au bord de la route, là, comme ça. Les yeux tout écarquillés, tout éberlués. Mais je ne t'abandonnerais que parce que je saurais que je ferais demi-tour deux souffles plus tard. J'aurais même pas fait un kilomètre.
J'ai sommeil, tu sais. Je n'en peux plus. Tu m'as usée avec tes insanités. Un peu attristée, aussi.
Le réel a déchiré les rêves, arraché la crédulité. Et, parce que la nudité de mon âme est absurde face au bouclier qui préserve la tienne, l'évidence assombrit mon visage. J'aurais dû rester planquée dans les nuages. A dessiner, imaginer, inventer.
Parce que t'as peur
Depuis que je t'ai plus dans le cœur.
C'est l'illogisme de la situation qui chante contre mon oreille. Le cantique le motet le répons. Je ne sais. Contre la vitre un peu sale, un impatient cogne. Je lui dirais bien de fuir pendant qu'il est encore temps. Mais il persiste, le soleil, ses rayons et sa tiédeur et son ardeur.
Alaric, tu n'as que ce moment à la bouche. Sans même le connaître, sans même l'avoir vu, tu le veux. T'es folle Katheryn.J'ai pensé à récupérer tes baisers. Effleurer encore mordiller encore embrasser encore. Mais j'ai renoncé. Et tant pis si je pleure. Tant pis si j'en meurs.
Garde ta salive Ruben. J'sais tout. Et tu vas m'aider.Ҩ
(ALARIC, LA RENCONTRE) J'attrape les étoiles.
une à une
avec
précaution
mais soudain
elles m'échappent.
Le lamento des constellations.
J'ai l'âme dépouillée, Alaric. Vois comme j'offre ma nudité. Je l'offre à la nuit, à l'amour, à la mort. Je te l'offre. Prends-la, prends-la ! Tiens, je te la donne. Désormais, je n'en aurai plus l'utilité. Les soupirs s'évanouissent dans l'obscurité. Ils s'accrochent au ciel avec précision. A l'aube soufflera un vent
laylien. Empli de moi, empli de toi. Rempli de nous.
Au coin de mes paupières s'est perdue la première perle salée. Le reste de l'océan s'est niché entre mes seins et au creux de mes reins et dans les recoins de nos rêves.
Ma bouche veut la tienne mes mains veulent les tiennes mes yeux veulent les tiens mes hanches veulent les tiennes mon cœur veut le tien.
Layla Lucy Fryer. Et je suis ta jumelle. Je m'empare du concret, je le griffe je le mords je le tords je le ruine. Moi, je ne veux que l'abstrait. Princesse de l'erreur. Princesse du leurre. Brisée, allumée, décalée, épuisée, torturée, assoiffée, emportée, névrosée. Mais une princesse quand même. J'ai la tiare vacillante et les gants déchirés. Qu'importe. Je reste la princesse. Tu n'oses pas me regarder. Je suis peut-être la marionnette.
Je pense. Je pense que.
Je rêve. Je rêve que.
Je me souviens. Je me souviens que.
J'espère. J'espère que.
Dis tu m'aimes ? Un peu ?
Dis ?
Un tout petit peu ?
Alors ?
Je ne comprends pas. Tes mots retombent sur le paillasson comme des gouttes d'eau. Ploc ploc. Ploc. Je baisse la tête pour les regarder et les comprendre. Avec de petites clés j'essaie d'en ouvrir les quelques serrures apparentes mais j'ai le sentiment qu'il y en a d'autres que tu m'as cachées et qui resteront scellées jusqu'à l'infini. Alors je me redresse pour rencontrer ton regard mais ta bouche m'a déjà kidnappée. Et séquestrée. Et escroquée. Le temps ralentit, l'espace entre les secondes s'agrandit. Dans mes veines, mon sang grésille, on entend même ses clapotis au loin. Et aux commissures se forme un minuscule et ridicule sourire. Je pense qu'à une chose, récupérer tes baisers. Effleurer mordiller embrasser. Et tant pis si je pleure. Tant pis si j'en meurs.
Je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire, nous deux.Je cligne des yeux, une fois deux fois trois fois, pour faire tomber sur ma cuisse les restes d'un rêve périmé. J'époussette les quelques paillettes déchues sur mon pantalon. Mais déjà je sens les rouages qui se relancent en moi, je vibre j'en tremble et les filaments des chimères s'étendent à l'infini.
La machinerie des rêves est enclenchée.
La guerre de l'inconscient est déclarée.
Ҩ
Il y a le murmure de la nuit,
le silence de nos âmes,
le doute qui s'évanouit,
l'implosion de nos maux,
et la solitude qui s'enfuit.
Fragilité.
Ne te penche pas
par-delà les nuages,
ne vacille pas,
ne trébuche pas,
j'ai le temps,
je t'en prie,
attends-nous.