❝ Angry people are not always wise. ❞
l'abandon
« Elle est où ta maman ? » C'était une question posée innocemment par une camarade de classe. Beaucoup d'enfants dans la classe de Bianca avaient remarqué que sa mère ne venait jamais la cherchait après l'école. C'était souvent son père ou sa tante qui s'en chargeait. Bianca haussa les épaules. Il y avait longtemps déjà que la petite fille avait appris à ignorer cette question. Parfois elle disait qu'elle ne savait pas, mais le plus gros mensonge qu'elle avait raconté était que sa maman "était partie chez les anges".
Lorsqu'elle disait qu'elle ne savait pas, ce n'était pas un mensonge. Son père et elle ignorait vraiment où elle était partie. Mais ils savaient pourquoi, du moins la version que Monsieur Lane racontait. Et Bianca avait bien trop honte pour la dire à ses amis. Elle ne voulait pas qu'ils se rendent compte que si Bianca n'avait pas de maman, c'était de sa faute. Sa faute à
elle. Son père n'était pas toujours tendre dans ses mots, il n'avait jamais levé sa main sur sa fille, mais il pouvait lui sortir les pires mots au monde. Il lui répétait sans cesse que si sa femme était partie, c'est parce qu'elle détestait Bianca et qu'elle aimait plus sa nouvelle vie. Il insultait son ex de "salope" et de "connasse", pour ensuite dire à Bianca qu'elle était comme elle. Mais surtout, il lui expliquait, souvent lors de grosse colère pour elle ne l'aimait pas. Tout d'abord, elle était trop moche; et Bianca y croyait dur comme fer, lorsqu'elle se regardait dans le miroir elle ne voyait rien d'autre qu'un monstre. Ensuite, elle était trop bête; ce qui déstabilisait grandement l'enfant puisqu'elle n'avait aucune confiance en elle. Et enfin, elle était inutile; la raison pour laquelle Bianca se faisait toujours et partout discrète. Elle comprenait qu'elle dérangeait, et elle avait peur d'entendre de nouvelles choses méchantes.
« J'sais pas, » dit-elle d'une petite voix. Et tout d'un coup, elle se sentit triste. Vraiment triste. Cette enfant de six ans ne s'autorisait jamais à pleurer, parce que c'est aussi à cause de ça qu'elle était partie. Elle sentit sa lèvre trembler, sa vue se brouiller et tout d'un coup, elle se retrouva en larmes, dans le bac à sable.
« Je crois que c'est parce qu'elle ne m'aime pas, » parvint-elle à articuler entre de nombreux sanglots, la gorge nouée et l'empêchant de respirer. Elle fut surprise de sentir sa peine s'apaiser, lorsque son amie la prit dans ses bras.
« Mais moi je t'aime, hein. T'es ma meilleure amie. » Et c'est ainsi que Carey devint sa meilleure amie, celle qui la rassurerait, qui la ferait rire et qui la protégerait.
la rencontre
Bianca passait de nombreux étés chez sa meilleure amie, c'était toujours mieux que d'être seule à la maison avec un père qui ne cessait de la dénigrer. Elle aimait être avec Carey, elle et ses parents étaient comme une seconde famille pour la jeune fille. Là-bas, elle découvrait ce qu'était que d'avoir des gens qui se soucient de toi et t'aiment pour ce que tu es. Jamais, ils n'avaient eu une remarque désobligeante envers elle; et même si Bianca avait souvent l'impression d'être de trop et de s'imposer, ils lui rappelaient qu'elle était toujours la bienvenue ici. Elle leur en était profondément reconnaissante, et les aimait beaucoup pour ça.
Mais cela ne changeait pas sa nature timide et renfermée, elle restait discrète bien que légèrement plus souriante qu'avec son père ou au lycée. Elle parlait seulement lorsqu'on lui posait une question, et surtout continuait de beaucoup dessiner. Carey, bien plus extravagante que sa meilleure amie, la forçait parfois à sortir pour aller boire un verre. Et elle suivait en traînant des pieds. De nombreuses fois, elle avait passé la soirée dans son coin, à siroter une bière en regardant les autres interagir entre eux.
Ce soir-là n'était pas vraiment différent. Bianca était assise en bout de table, ratatinée sur elle-même pour se faire la plus discrète possible, personne ne lui prêtait vraiment attention, jusqu'à ce que Carey s'approche d'elle.
« J'ai quelqu'un à te présenter, » dit-elle avec un sourire en coin. Bianca arqua un sourcil, elle connaissait déjà tous les amis de Carey.
« Ah... » Fut tout simplement la réponse de la blonde. Du haut de ses 17 ans, elle n'était toujours pas la plus à l'aise avec des phrases complètes. Sa meilleure amie éclata d'un rire franc, sûrement avait-elle un peu trop bu.
« Mais tu vas devoir parler un peu plus. Enfin peu importe, il va être raide dingue de toi. » Bianca rougit et se sentit mal à l'aise, elle aimait peu qu'on essaie de la caser. Mais lorsque la brunette lui tira sur le bras pour le forcer à se laver, elle la suivit sans rechigner.
« Mike ! » Lorsque Carey cria son nom, un garçon un peu plus âgé que les jeunes filles se retourna. Il était grand, plutôt mignon et ressemblait pas mal à Carey.
« Tiens, occupe-toi de cette petite biche. C'est Bianca, ma meilleure amie. » Elle poussa Bianca vers le sois-disant Mike.
« Bianca, c'est Mike, mon cousin. Ne le mords pas, il est gentil comme tout. » La jeune Lane leva les yeux au ciel, tout en rougissant. Une fois que Carey eut disparu, elle sourit gênée à Mike qui l'observait avec intérêt.
« Hum, elle raconte des conneries. Je ne mords pas les gens... » Il lui sourit.
« Je m'en doute. Alors, Carey m'a dit que tu dessines, j'aimerais bien voir ce que tu fais. »Et de cette simple demande, Bianca commença à l'apprécier. Ils se virent plusieurs fois, et Mike ne cessait de l'encourager. Ce fut lui qui lui proposa de tenter une école d'art. Il devint vite son meilleur ami, et avec Carey, ils passaient beaucoup de temps ensemble. Cette dernière d'ailleurs, au bout d'un moment, les laissait souvent seuls, prétextant des rendez-vous avec un bel inconnu. Et Mike et Bianca devinrent des confidents. Elle lui parla de tout, de son père, de son abandon, de cette soeur qu'elle voyait parfois à la télévision, de sa jalousie, de sa peine, de ses inquiétudes, et il la rassurait. Il la prenait dans ses bras, posait un baiser sur son front.
Et un jour, ils dépassèrent cette petite ligne, et ils devinrent amants. Et finalement, ils furent un couple, très amoureux.
le départ
Elle souffla en posant son dernier carton. Elle balaya du regard son studio. C'était chez elle, maintenant. Elle avait longtemps réfléchi avant de décider de venir
ici. Elle avait été d'abord contre, puis terrifiée à l'idée de croiser cette soeur qu'elle n'avait jamais connu. Puis elle s'était dit que plus rien ne la retenait. Mike étant parti, il fallait qu'elle aille de l'avant. Et ça lui changeait surtout les idées de leur rupture.
Il avait besoin d'air, c'est ce qu'il lui avait dit. Mais il avait surtout besoin de se retrouver avec lui-même, pour réfléchir à la personne qu'il voulait être. Bianca, elle voulait seulement être avec lui. Sauf que comme toujours, elle s'était rabaissée, elle ne s'était pas battue et elle l'avait laissé partir. Il l'aimait toujours, et bien que ça lui crevait le coeur de le savoir si loin, en Angleterre plus exactement, ça avait quelque chose de réconfortant de savoir qu'il serait toujours là. Elle l'aimait aussi. Elle ne cesserait jamais de l'aimer, car après tout c'est lui qui avait fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui : une femme qui vit de sa passion.
Elle commença d'abord à déballer sa bouilloire et de quoi se faire un thé, elle posa le tout dans sa petite cuisine. Une fois la tasse fumante dans ses mains, elle alla s'installer sur le rebord de la fenêtre. Octobre allait bien à cette petite ville, elle ressemblait à un table avec ces couleurs orangées. Bianca souffla sur le breuvage et regarda les gens dehors, elle pensa alors qu'elle avait bien choisi. C'était un quartier vivant qui la forcerait sûrement à sortir de sa bulle de confort, c'était aussi parfait pour trouver des clients. Elle l'espérait, du moins.
Son petit minois et sa peau vierge de toute encre faisaient parfois tiquer les amateurs de tatouage, mais elle en avait fait sa marque de fabrique. Et elle avait le talent, c'était ça le plus important. Mike l'avait poussée à se lancer dans cette aventure, et finalement elle y avait pris goût. Elle aimait voir ses oeuvres s'animer sous les gestes des gens. Elle avait dons été apprentie, puis tatoueuse dans un salon. Et maintenant, elle était prête à se mettre à son compte. Alors en attendant de pouvoir ouvrir son salon, elle décida de tatouer les gens chez elle.
Elle but une gorgée de son thé et se demanda ce que le futur lui réservait. Bianca espérait trouver le courage de rendre visite à cette femme qu'elle n'avait jamais connue, celle qui pourtant lui avait donné la vie. Pour ce qui est de cette soeur qu'elle ne connaissait que par son succès, elle ne savait pas trop quoi penser, l'idée que leur mère l'ait préférée à son aînée ne lui donnait guère envie de connaître cette fille. Et pourtant, elle était curieuse.
Mais pour l'instant, elle avait plus important à faire : commencer cette nouvelle vie, et surtout déballer ses cartons.