Je ne suis pas quelqu’un d’hyperactif mais rester sur place assez longtemps pour se rendre compte qu’il fait nuit et que vous avez loupé deux repas, ce n’est pas commun. Et ma mère le sait, ma mère si stupide qui ne voit et ne comprend rien l’a bien remarqué ça que je n’ai pas été présente pour le souper, ce doit être la raison de sa présence dans ma chambre. Pour autant je ne lui montre pas le moindre signe d’intérêt. On pourrait penser que mes doigts souffriraient d’une quelconque crampes vu que je tiens le téléphone depuis bientôt plus de six heures dans ma main mais non, je n’ai pas encore donné le moindre signe de faiblesse, physiquement parlant du moins. Cela aurait pu être terminé très rapidement, moins de dix minutes sûrement mais j’en étais incapable, j’en tremblerais presque tellement ce coup de téléphone me fout les jetons. Et ce n’est que le début, si je ne suis même pas capable de passer ce coup de fil comment diable vais-je réussir à faire quoi que ce soit ?
« … Non mais tu m’écoutes oui ! » Si elle ne m’avais pas prit le téléphone je crois que je ne l’aurais pas entendu.
« Je m’en sers maman. » Lassée, c’est sans doute le mot qui me décrit le plus en cet instant précis. Ma mère, mon affreuse mère a toujours était d’un incroyable égoïsme mais là ce soir c’est le pompon.
« Cela fait bien trop longtemps que tu réquisitionne ce téléphone, j’en ai besoin. Si tu voulais t’en servir c’était avant qu’il fallait le faire. » J’ai bien cru qu’elle allait enfin sortir mais c’était sans compter son habilité à faire de ma vie un enfer.
« Oh mais qu’est ce que c’est dans ta main ? Serait-ce un numéro de téléphone ? As-tu réussi à obtenir les faveurs d’un homme ? Tu en as enfin trouvé un qui supporte tes babillages incessants ? J’espère qu’il vient d’une bonne famille ! Que font ses parents ? » Je venais sans doute d’atteindre le comble de l’horreur, ma mère me questionnant sur mes conquêtes du moment, si seulement elle savait, je doute que son enthousiasme soit sauvegardé.
« Ils sont tous les deux mormons, il vient d’une famille du sud et je serai sa quatrième femme, c’est merveilleux non ?! » Un sourire hautement hypocrite en guise de point, je compte intérieurement jusqu’à trois, temps qu’il lui faudrait avant d’éclater. Et comme d’habitude, ça ne manque pas d’arriver.
« Tu exagères Charlie. Tu ne peux pas dire que je n’essaie pas de créer des liens avec toi, tu es trop dure avec moi ! Je m’intéresse à toi, je fais tout comme il faut et tu ne fais aucun effort ! Tu pourrais au moins montrer un tant soit peu de bonnes intentions, faire aussi un geste qui me montrerait que tu tiens à moi. Je ne suis pas un robot, j’ai des sentiments aussi et j’ai trop souvent l’impression que je ne compte pas à tes yeux, que je ne suis rien qu’une vieille femme à qui tu en veux pour une raison qui sur le coup m’ » « Je suis enceinte maman. » Il fallait qu’elle s’arrête, qu’elle se taise par n’importe quel moyen, et celui-ci me semblait le plus rapide, et puis d’une manière ou d’une autre il faudrait que ça sorte. Peu persuadée qu’il y ai un bon moment pour ce genre de choses, l’utiliser pour clouer le bec à ma mère semblait être une bonne chose. Vu la tête décomposée qu’affiche ma mère, elle n’était sûrement pas de cet avis. Elle lâcha le téléphone qui émit un bruit sourd lorsqu’il toucha le sol et posa ses fesses sur le bord de mon lit.
« Mais … Mais comment ça ? » Je le sais depuis un bon moment, le milieu dont je suis issue ne me convient pas vraiment. Je ne suis pas conventionnelle, je prends toujours les choses de haut plutôt que d’un pleurer, c’est pourquoi ma réponse fut autant détachée, non pas parce que je le ressentais de cette manière mais seulement car il était plus simple pour moi de voir de les prendre, ne serait-ce que pour quelques minutes avec légèreté.
« Je pensais qu’on te l’avait déjà dit. Tu sais quand deux personnes s’attirent, elles finissent par coucher ensemble et de temps en temps une petite graine se forme dans le ventre de la fille. Et cette graine se transforme en bébé que l’on expulse très douloureusement de son utérus. Je savais que vous m’aviez trouvé dans une poubelle. » Le fait qu’elle m’ai laissé aller au bout de mon raisonnement n’était pas du tout bon signe, cela ne pouvait signifier qu’une chose, moi, Charlie Gilmore avait pour la première de ma vie réussi à oter tout mot de la bouche de maman Gilmore, une première. Si j’avais su je serai tombé enceinte avant. Ou non, peut-être pas non.
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Cette musique, ce lieu, tout me semble familier sans pourtant l’être. Alors qu’auparavant c’était ma vie, aujourd’hui j’avais l’impression de vivre hors de cette vie, d’avoir laissé ce rêve s’envoler. Et ce soir, plus que n’importe quel jour, je sentais la nostalgie m’envahir plus que jamais. La télécommande à la main, j’appui machinalement sur play avant de la laisser tomber sur une chaise. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais cela tombe sur cette chanson, ma chanson, celle qui aurait du me glorifier si le destin n’était pas venu interférer avec ces plans. Pour autant, je me souvenais de chaque mouvement de ma chorégraphie. C’était sans doute moins gracieux mais ce soir depuis longtemps, la glace m’appartenait. Je me sentais à nouveau libre, forte, grande. Sur la glace, il n’y avait plus que moi et ce rêve abandonné trop violemment à qui je n’avais jamais pu dire au revoir. C’est seulement en m’arrêtant à la fin du morceau que je me rends compte de la présence de Coop. Il ne donne pas de compliments à la légère, c’est pourquoi ses applaudissements me vont droit au cœur. Essoufflée, je m’allonge à même la glace et laisse la sensation de froid m’envahir petit à petit. Mes vêtements s’imprègnent d’eau mais je me sens bien. Il ne mets guère de temps pour me rejoindre et s’allonge à mes côtés sans poser la moindre question sur me position.
« Pourquoi tu as arrêté ? » J’aurais préféré qu’il me questionne sur les raisons de ma présence sur la glace plutôt que les raisons de ma défection.
« Ma fille. » C’était une bonne raison, une très bonne raison, j’aimais Carly plus que tout au monde et je ne regrettais en rien sa venue mais je ne pouvais empêcher une once de nostalgie poindre dans ma voix. Pour elle j’avais tout laissé tomber, ma vie, mes rêves, ma carrière prometteuse. Si c’était à refaire je n’hésiterais pas, mais je me demande quelques fois ce que j’aurais fait si tout ça n’était pas arrivé, si je n’avais pas couché avec Felix ce soir là, où si je lui avais révélé la vérité. Tout d’un coup, je me suis rendue compte à quel point j’étais égoïste. Non pas de ne pas avoir ce genre de pensées, mais de ne pas avoir prévenu son père. Après tout je l’avais privé de Carly, de la plus belle chose au monde, je l’avais privé de toute une vie, comme je m’étais privée de mon rêve. Me relevant, je rejoins rapidement le bord pour plus ou moins me jeter sur mon sac. Son numéro entré dans mon portable, je l’appelle sans plus tarder. Je raccroche dès que j’entends sa voix. Et si c’était une mauvaise idée ? Et s’il voulait me l’enlever ? Et s’il ne voulait pas la voir ? Il y avait tant de raisons pour lesquelles j’avais toujours repoussé cette éventualité. Mais aujourd’hui c’était terminé. Je n’avais jamais eu le courage de l’appeler mais aujourd’hui, il était temps que Carly connaisse son père, je lui devais bien ça. C’est mué d’un nouveau courage, courage qui m’avait fait défaut pendant plus de dix ans que j’ai appelé Felix et que je lui ai fixé un rendez vous. Le sort en est jeté. Mieux vaut tard que jamais.
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« BORDEL TINA C’EST PAS COMPLIQUE ! TU FIXES UN POINT ET TU TOURNES ! » La petite brune fondit en larme moins de trois secondes après mon haussement de ton et pour une fois, je ne m’en formalisait pas. J’étais toujours la gentille prof qui laisse tout passer mais il ne fallait pas non plus exagérer. Ce qui ne semblait pas du goût de Cooper, pourtant plus dur que moi qui me lançait un regard glacial qui se voulait sûrement réprobateur. Gamine, je lui tournais le dos pour me concentrer sur les autres filles essayant d’occulter le reste du monde. Pour tout avouer je n’avais pas envie d’être ici, je n’avais pas envie de faire semblant d’aller bien, je n’avais pas envie de prendre sur moi et je ne comptais pas le faire. Aujourd’hui et ce pour la première fois, ma fille, la prunelle de mes yeux, mon unique amour en ce bas monde était sorti avec son père. Cela me terrifiait plus que tout. Je n’aurais peut-être pas du faire confiance à ce Felix que je ne connaissais au final ni d’Eve ni d’Adam. Enfin d’Adam peut-être mais c’était tout. Il ne savait rien des subtilités de Carly, il ne la connaissait pas, il n’avait aucun contact avec les enfants, c’était une mauvaise idée, clairement. Mais par-dessus tout, j’avais peur qu’elle l’aime plus que moi, c’était viscéral, une peur profonde et indicible. Je ne voulais pas qu’il prenne la place du parent préféré alors que c’était moi qui l’avais élevé, c’était grâce à moi qu’elle était la petite fille si bien élevée et vivace d’aujourd’hui. Tout était grâce à moi et je ne voulais pas qu’il s’en attribue le mérite tout simplement parce qu’il était pour elle une sorte de messie.
« NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TINA TU LE FAIS EXPRÈS ! » La pauvre fillette déjà en pleurs ne pu se résoudre à rester sur la glace et rejoignit rapidement les vestiaire a renfort de gros sanglots. Cette fois, Cooper ne laissa pas passer. Attrapant mon bras, il me tira vers le bord où il m’éjecta de la glace. Il avait une de ces poignes, je n’avais jamais remarqué jusqu’à présent.
« Tu te calmes, tu rentres chez toi ou tu vas prendre l’air mais tu ne restes pas ici. Je ne t’avais jamais vu comme ça et pour être honnête ça ne me plait pas du tout alors tu te calmes, c’est comprit ? » Ayant la vague impression d’avoir six ans et de me faire gronder par mes parents, je baisse la tête honteuse avant d’acquiescer. Il avait raison, je n’étais pas dans mon état normal et il fallait que ça cesse immédiatement. Et dans ma tête de mère angoissée il n’y avait qu’une seule façon de se débarrasser de mes sombres pensées, mis à part sauter d’un pont bien entendu, patiner. C’était clairement impossible ici alors sans hésiter j’ai foncé vers la patinoire la plus proche pour laisser libre court à mon anxiété sur la glace.