Et puis finalement, la vie, ce n'est pas si horrible que ça. C'était ce que je me disais assis sur un banc, une cigarette à la bouche. L'air flottait agréablement dans le ciel. Derrière moi, je pouvais entendre les musiques agaçantes des attractions implantées à Arrowsic pour l'événement tant attendu de tous. A vrai dire, ce spectacle me laissait indifférent. Je me fichais pas mal des forains qui criaient partout des idioties pour flatter les habitants ennuyeux d'Arrowsic, je me fichais de tout, en fait, ce qui était devenu une habitude. Je me fichais de tout sauf de Sharly. Tout avait changé. En une soirée. Ça avait été si magique, que ça me paraissait encore irréel. Je me demande encore si ce moment s'était bel et bien passé, où si c'était moi qui avait rêvé. Le seul regret que j'avais, c'était d'avoir bu. J'aurais aimé me souvenir de toute la soirée. De chaque mouvement. Chaque geste. Chaque baiser. Malheureusement, je ne pouvais me remémorer seulement quelques passages de notre soirée, quelques moments, quelques souffles échangés. J'essayais de m'en satisfaire, je suppose que c'était le mieux à faire. La seule chose dont j'étais certain, c'était que c'était formidable. Sans doute la plus belle soirée de toute mon existence. A présent, Sharly hantait mes pensées. Et je n'arrivais plus à le contrôler. Je ne contrôlais plus rien depuis longtemps, en fait. J'avais fini par accepter ce que je ressentais vis-à-vis d'elle. Tout allait bien entre nous, ce qui était plutôt génial. Je passais énormément d'elle, sans jamais me lasser de son sourire, de ses magnifiques yeux qui me faisaient fondre, de ses cheveux doux, et de sa délicatesse folle. Je ne me lassais pas de Sharly. Jamais je ne pourrais, je crois. Et j'étais tellement heureux que tout aille pour le mieux. J'avais l'impression qu'elle était moins sur la défensive, qu'elle s'ouvrait encore plus à moi, ce qui me faisait énormément plaisir. J'étais heureux. Une once de bonheur dans ma vie. C'était si incroyable, si merveilleux, si rare ! Je profitais de chaque instant en sa compagnie. C'était elle, mon bonheur. Si seulement ça pouvait durer éternellement... C'était ce que je souhaitais le plus, je crois. Je l'attendais d'ailleurs sur un banc, près de la fête foraine. Je voulais passer une soirée avec elle, encore une fois. Les gens avaient fini par comprendre que moi et Sharly sortions ensemble. Certes, il y avait sans doute beaucoup de ragots à propos de nous deux, mais je m'en fichais complètement. Je n'avais aucune honte à me promener à ses côtés. Bien au contraire. Je ne demandais que ça, même. Je continuais donc à porter à mes lèvres ma cigarette, en attendant celle qui avait su faire chavirer mon cœur de pierre.

Et puis elle arriva. A chaque fois que je la voyais, je ne pouvais pas m’empêcher de retenir mon souffle, et écouter mon cœur battre à vive allure. Elle était tellement belle. Je fondais à chaque fois que je la voyais. A chaque fois, c’était la même chose : je fondais pour ses beaux yeux. J’étais littéralement fou d’elle. Je ne savais pas si elle l’avait compris, mais je l’espérais, sincèrement. Je n’étais pas assez courageux pour le lui avouer, mais depuis le bal de la commémoration d’Arrowsic, quelque chose avait changé. Je ne savais pas quoi, mais depuis ce jour, tout était devenu si simple. Et je ne pouvais pas rêver mieux. Je volais sur un petit nuage. Jamais je n’avais été aussi heureux. Et je n’avais aucune envie de revenir à la réalité. Je voulais continuer à voyager sur mon nuage, avec Sharly. Rien que nous deux. Parce que le reste n’avait aucune importante. J’écrasais alors ma cigarette sur le sol furtivement, avant de la regarder. Elle semblait heureuse. L’était-elle autant que moi ? Une chose était certaine : nous étions ensemble, nous marchions main dans la main, et nous partagions un bonheur si irréel que j’avais l’impression de voler. C’était magique. Sharly était magique. « Vous attendez quelqu’un ? » Je souris, avant de répliquer. « Oui, et cette personne se tient juste devant moi. » Je me levais alors, avant de m’avancer à sa hauteur, tout doucement. Dans un murmure, je lui dis : « Toujours aussi belle. » avant de m’avancer délicatement pour l’embrasser. Ces derniers temps, j’avais l’impression que je m’étais amélioré. Je veux dire, j’arrivais à exprimer ce que je ressentais vraiment, et c’était quelque chose de complètement formidable. Je ne réfléchissais plus, je ne pensais plus à si elle allait me prendre pour un idiot ou pas. Elle avait réussi à faire sortir mon bon côté, elle avait réussi à me mettre en confiance, elle avait réussi à toucher mon cœur. J’avais l’impression d’être un homme meilleur, quand j’étais à ses côtés. Et ça, c’était juste une sensation incroyable. Le goût sucré de ses lèvres ne me lassait pas. J’aurais pu rester accroché à ses lèvres pendant des heures, si je le pouvais. C’était ce que je souhaitais de tout mon cœur : rester avec Sharly, main dans la main, pour l’éternité. Elle était tout pour moi. Personne ne pouvait la remplacer. La perdre aurait été le déclenchement d’une vie misérable dans le noir. Sans elle, je n’étais personne. L’idée de la voir partir me brisait le cœur et arrachait mon torse. Pour elle, j’aurais tout fait. Absolument tout. Mais pour le moment, je me contentais de déguster tous les moments que je passais avec elle, qui étaient tous aussi magiques les uns que les autres. Je lui souris franchement. « On y va ? » En attendant qu’elle me réponde, je pris sa main douce, avant de m’abaisser pour lui murmurer : « Je sens que ça va être une soirée géniale. » J’avais hâte. Pas hâte de faire des attractions, forcément, bien que cela était amusant, mais plutôt hâte de passer toute une soirée avec Sharly. J’avais attendu ça pendant toute la journée.

Encore une soirée avec Sharly. Encore une soirée, ensemble, tous les deux, main dans la main, le cœur serré, le souffle court. C’étaient des moments que je profitais du plus possible. J’avais peur de les perdre. Ces moments. Ces moments de bonheur. Ils étaient bien trop précieux pour que je les laisse filer sans rien faire. J’avais peur de perdre Sharly, oui. Elle était la meilleure chose qui me soit arrivée. Elle était la seule qui pouvait me rendre heureux. Pour rien au monde je ne la laisserais partir. Je m’accrochais à elle, du plus possible. Parce qu’après tout, le bonheur est éphémère. Et j’avais peur du temps. De ce fichu temps. Nous étions jeunes. Nous avions la vie devant nous. Et j’avais peur de ce que la vie nous réservait, à tous les deux. « Merci. » me dit-elle timidement. Cette douceur me touchait énormément. La voir un peu gênée, c’était tellement mignon. Elle était irrésistible. Et moi, j’étais sous son charme. Littéralement. Et j’avais de plus en plus de mal à contenir ce que je ressentais pour elle. Je ne voulais pas cacher mes sentiments. Ils étaient si intenses, si passionnés, qu’ils allaient finir par éclater, sans que je ne puisse agir. C’était comme ça. Je n’y pouvais rien. « Oui j’ai attendu ce moment toute la journée. » m’avoua-t-elle. J’avoue que cela me touchait. A vrai dire, moi aussi j’avais attendu toute la journée. Quand Sharly n’était pas là, je me languissais. De tout. De la vie. De ma vie. Mais quand elle était là, tout devenait beau, tout devenait parfait. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans elle. Je crois bien que sans elle, je n’étais rien. Un idiot. Un raté. Quelqu’un d’inutile. Mais quand j’étais avec elle, je me sentais pousser des ailes. Et ça, personne ne pouvait me l’enlever. Jamais. « Moi aussi. » lui murmurais-je alors, avant de l’embrasser tendrement. Depuis que j’avais goûté à ses lèvres, je ne pouvais plus m’en détacher. Elle était comme une drogue, une addiction. Une obsession dont je ne voulais pas me défaire. « Elle a déjà bien commencé. » Je lui souris. Et puis main dans la main, nous avancions dans la fête foraine. Je n’avais jamais vu Arrowsic aussi animée que ce jour-là. Les forains parlaient haut et fort. On pouvait entendre des éclats de rires, et des discussions vives. Un immense amas de joie se dressait devant nous. Et nous allions vivre, le temps d’une soirée, dans ce nuage de bonheur qui nous emportait tous. Des tas d’attractions étaient mises à notre disposition. D’un ton enjoué, je lui demandais : « Le train fantôme, ça te dit ? » Puis, d’un ton taquin, j’ajoutais : « Sauf si tu as trop peur… »

« Mais tu seras là pour me protéger, n’est-ce pas ? » Je souris. Pour moi, c'était devenu une évidence. Évidement que j'allais la protéger. Évidemment que je serais là. Je serais toujours là pour elle. Toujours. J'essayais de m'en persuader, tellement je le voulais. Oui, c'était tout ce dont je voulais : être avec Sharly, pour le restant de mes jours. Et rien d'autre. Parce qu'il n'y avait que ça qui comptait. « Bien sûr. » dis-je, d'une voix douce. Sa main vint prendre la mienne, et nous nous dirigions alors vers la fameuse attraction. Il y avait une file d'attente. Je soupirais. Je n'aimais pas vraiment attendre. Parfois, j'oubliais que je n'étais pas seul. En fait, je ne faisais presque jamais attention au reste du monde. « Dis, ça te dit d'acheter un truc en attendant ? Prends ce que tu veux, il y a un stand là-bas. » dis-je en montrant un stand de nourriture. Je sortis ensuite un billet de dix dollars et la laissais partir en souriant. Je m'apprêtais à croiser les bras, quand soudain, une main vint m'attraper violemment par le bras et me tira dans la foule. Complètement abasourdi, j'essayais de comprendre ce qu'il se passait, me laissant emporter et regardant les visages qui défilaient sous mes yeux. Je ne contrôlais plus rien, et ma vue se brouillait. J'étais incapable de faire quoi que ce soit, trop étourdi pour agir correctement. Puis finalement, je me retrouvais assis sur un bateau en forme de cygne, ce que je trouvais plutôt étrange. Je regardais autour de moi. Apparemment, c'était le tunnel des amoureux. Mais qu'est ce que je faisais ici ? Et qui m'avait entrainé ? Je regardais alors la personne à côté de moi. C'était Zephyr, en chaire et en os. J'eus un sursaut en la voyant. Elle semblait si reposée, et déterminée, surtout. Encore sous le choc, je ne pus m'empêcher de crier. « ZEPHYR ?! Mais qu'est ce que tu fous là bordel ? » A peine eus-je le temps de prononcer ma phrase que le bateau commença à avancer doucement, s’enfonçant dans un tunnel sombre et gorgé de surprises.

Et puis elle s'était lancée. Un agréable courage l'avait soudainement envahie, emplissant ses membres d'une énergie nouvelle. C'était décidé : aujourd'hui elle irait trouver Jay, et déballerait enfin tout ce qu'elle gardait pour elle depuis trop longtemps. Sa propre audace la surprenait mais elle faisait en sorte de ne pas trop y penser, de peur que cette pulsion ne reparte comme elle était venue. Zephyr n'avait pas réfléchi bien longtemps à l'endroit où le trouver. Après avoir enfilé un jean slim, une paire de bottines beiges et un haut de la même couleur elle parti d'un bon pas vers la fête foraine. Elle n'avait pas tardé à trouver l'objet de son déplacement, collé à la blondinette qu'elle détestait tant. Dévorant le couple des yeux elle attendit, camouflée dans la foule à quelques mètres plus loin. Et elle patienta, avide de la moindre occasion qui leur permettrait de parler seuls. Dieu sembla entendre ses prières, puisqu'à peine quelques secondes plus tard, la dénommée Sharly s'éloigna faire je ne sais quoi. Mais Zephyr n'attendit pas de le découvrir et se précipita vers le jeune homme resté seul dans la file d'attente. Son cerveau réfléchissait à toute vitesse tandis qu'elle attrapait le bras de son cousin et l'entrainait dans la foule. Prenant sa décision en moins d'une dizaine de secondes ils se retrouvèrent bientôt dans l'attraction la plus ringarde de toutes celles de la fête foraine : le tunnel des amoureux. Si c'était un endroit guimauve au possible, peut-être cela aiderait-il à faire comprendre à Jay les raisons de sa venue. Les sièges vibrèrent, le tour commença. Elle soupira. Maintenant personne ne viendrait l'emmerder et l'empêcher de s'exprimer. Bien évidemment, le plus dur restait à venir. « ZEPHYR ?! Mais qu'est ce que tu fous là bordel ? » La concernée lui jeta un regard noir, le coeur battant à tout rompre. « Moi aussi ça me fait plaisir de te voir. » grogna-t-elle. « On s'est pas vus depuis six ans, tu peux bien m'accorder cinq minutes non ? » Contrariée de son agressivité à laquelle elle n'était pas habituée, Zephyr se renfrogna. Jamais Jay ne lui criait dessus. Le décor et les couleurs mièvres qui l'entouraient lui donnèrent subitement la nausée. Bordel, quelle idée à la con.

Zephyr se trouvait à côté de moi. Zephyr était à côté de moi, sur un bateau ridicule. Zephyr était là, et pour moi, elle était apparue comme une météorite, un objet arrivé de loin. J’avais encore du mal à comprendre ce qui m’arrivait. Pire encore : je me demandais comment allait réagir Sharly. Je m’en voulais de la laisser seul, cela me pinçait le cœur. Et j’en voulais terriblement à ma cousine Zephyr, parce qu’elle m’avait arraché Sharly des bras. Je lui jetais un regard noir. Visiblement, elle n’avait pas l’air d’être très heureuse non plus. Mais qu’est ce qui lui avait pris par la tête ? « Moi aussi ça me fait plaisir de te voir. » Je ne répondis rien, trop énervé pour dire quoi que ce soit. « On s'est pas vus depuis six ans, tu peux bien m'accorder cinq minutes non ? » Je levais les sourcils, un peu abasourdi. Je pouvais lui consacrer tout le temps qu’elle souhaitait, mais pas ce soir. Pas ce soir-là. Pas quand j’étais avec Sharly. Et surtout pas comme ça. « Mais on a tout le temps ! J’étais avec Sharly, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué ! » J’avais l’impression d’exploser tellement je lui en voulais, et tellement me sentir loin de Sharly me brûlait l’estomac. Mais en attendant, j’étais avec Zephyr, et je devais bien l’accepter. De toute façon, où aurais-je pu aller ? J’étais condamné. « Pourquoi tu m’as amené ici ? » demandais-je, en essayant de me calmer. De toute façon, l’attraction n’allait pas durer éternellement. Je regardais Zephyr, sans rien dire. Ses cheveux blonds avaient des airs sauvages, et son visage semblait envahi d’un trop plein d’émotions. Que lui arrivait-il ? Je savais qu’elle était impulsive, mais je ne comprenais toujours pas ce qui l’avait poussé à faire quelque chose d’aussi puéril. Devant nous, des lumières colorées défilaient, de la musique douce et romantique berçaient nos oreilles, et l’eau ruisselait calmement sous nos pieds. « Cet endroit est vraiment ridicule. » dis-je, en grognant. Que c’était niais ! Toute cette atmosphère me donnait envie de vomir. Ça sentait le romantisme, l’amour et le charme. Et je n’aimais pas du tout ça. D’ailleurs, je me demandais bien comment Zephyr pouvait apprécier ce genre choses.

Une claque dans la gueule aurait été plus agréable que la situation actuelle. Quelle excellente idée d'aller lui déclarer sa flamme en l'arrachant aux bras de sa petite amie ! Pauvre conne. Aucune échappatoire possible. Juste Jay, un bateau ridicule et des couples profitant pleinement d'un moment qui n'appartenait qu'à eux. Elle tentait de se calmer malgré le désastre indéniable de cette soirée. Mais Jay ne semblait pas y mettre du sien. « Mais on a tout le temps ! J’étais avec Sharly, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué ! » Elle ne tenait plus. Ses lourds aveux furent remplacés en quelques secondes par des paroles dures et particulièrement froides. « Ce que j'ai surtout remarqué c'est que tu peux pas passer trois minutes sans ta blonde alors que me lâcher pendant six ans ça t'a fait ni chaud ni froid. » La colère lui tenaillait les entrailles. Une colère où se mêlaient la jalousie de la présence de Sharly, la rancune de l'abandon de son cousin ainsi qu'une colère toute nouvelle envers ce dernier. Jay lui semblait lointain, bien plus que lorsque des milliers de kilomètres les séparaient. « Pourquoi tu m’as amené ici ? » Elle eut un rire dénué de joie. « T'en fais pas, tu vas pas tarder à le savoir. » répondit-elle avec un brin de cynisme perceptible. Si elle ne savait pas comment s'y prendre elle était sûre d'une chose : Jay saurait la vérité quand il quitterait cet pitoyable bateau. « Cet endroit est vraiment ridicule. » Zephyr se détendit très légèrement. Au moins ils étaient d'accord sur une chose, et tout point commun encore présent était à prendre. « J'ai pas vraiment eu le choix, il a fallu que j'improvise. Et cette attraction est tellement chiante que y'avait pas de file d'attente. » Certains couples vexés manifestèrent leur mécontentement par des grognements ou des insultes modérées. Zephyr esquissa un sourire, heureuse de pouvoir en déranger quelques-uns dans leur amour niais. Emmerder les autres semblait être un curieux moyen de contenir sa colère. Elle s'en souviendrait à l'avenir.

Zephyr était ma cousine. Elle avait toujours été là pour moi. Je l’aimais énormément. Mais à ce moment-là, elle m’avait énervée plus qu’autre chose. Je croisais les bras, en attendant que l’attraction se finisse. Mais le temps semblait s’écouler poussière par poussière, et cela me paraissait extrêmement long. J’essayais de me calmer, tant bien que mal. De toute façon, cela n’allait pas durer éternellement, si ? Plus vite j’aurais écouté ce qu’elle avait dire, plus tôt je sortirais d’ici. « Ce que j'ai surtout remarqué c'est que tu peux pas passer trois minutes sans ta blonde alors que me lâcher pendant six ans ça t'a fait ni chaud ni froid. » Un ton froid et amer se dégageait de sa voix. C’était le ton qu’elle utilisait quand quelque chose la contrariait. Mais quoi, exactement ? Je la regardais, un poil plus compréhensif. J’avais sans doute été trop sec. Je m’étais laissé emporter. Mais la dernière chose que je voulais, c’était de me disputer avec Zephyr. Je l’aimais trop pour ça. « Tu te trompes. » dis-je, un léger sourire sur les lèvres. Je ne voulais surtout pas qu’elle pense à des choses aussi négatives. Au contraire, la revoir m’avait redonné un second souffle. Mais apparemment, elle ne s’en n’était pas rendue compte. « Désolé. » soufflais-je, plus pour moi que pour elle. Mon regard se perdit au loin. Je posais mes coudes sur mes jambes, enfonçant ma tête entre mes deux mains. « T'en fais pas, tu vas pas tarder à le savoir. » Je me retournais, intrigué. Mais que cherchait-elle à faire ? Décidément, j’avais du mal à la comprendre. « Eh bien, je t’écoute. » dis-je, un brin attendri. Je la regardais toujours, sans bouger. Même quand elle était en colère, j’arrivais à la trouver sympathique. Sans doute parce que je l’adorais. Oui, je l’aimais beaucoup. « J'ai pas vraiment eu le choix, il a fallu que j'improvise. Et cette attraction est tellement chiante que y'avait pas de file d'attente. » Un rire s’échappa de mes lèvres. C’est vrai que comme endroit, il y avait mieux. Ce n’était pas un endroit fait pour nous. Par pour nous deux. Cet endroit puait la niaiserie et le ridicule. Et j’étais heureux qu’elle s’en rende compte, elle aussi. De toute façon, nous étions là. Que pouvions-nous faire ? Attendre. Attendre que quelque chose se passe.

Le fait que Jay soit le cousin de la jeune fille ne la dérangeait plus, tant ses sentiments pour lui étaient intenses. Après tout la situation aurait pu être pire, il n'était qu'un cousin éloigné. Et puis elle ne demandait pas un mariage et des enfants, uniquement le droit de l'aimer, et de, aussi insensé que cela puisse paraître, pouvoir être aimée en retour. Elle en demandait peut-être trop, mais il y avait bien longtemps qu'elle ne parvenait plus à contrôler ses folles pensées et ses rêves impossibles. « Tu te trompes. » Zephyr haussa les sourcils en marmonnant un « m'ouais » grognon et pas très aimable. Elle était néanmoins secrètement rassurée de cette opposition directe et sincère. « Désolé. » Elle douta que cette excuse lui était adressée en remarquant son regard lointain. Elle préféra l'ignorer, peu désireuse de créer une nouvelle dispute alors qu'elle était si prêt du but. « Eh bien, je t’écoute. » Une nouvelle tension palpable s'installa. Le regard fuyant et le coeur battant, Zephyr chercha la tournure de phrase parfaite pour ce genre d'aveux. Une phrase ni trop directe, ni trop évasive. Elle aurait aimé pouvoir lui susurrer un « I'm in love with you, Jay Walker » et lui lancer un regard de braise avant de l'embrasser sur un fond sonore triomphant. Malheureusement c'était un fantasme irréalisable - un de plus. Quelques minutes passèrent, interminables. Jay finirait par perdre patience, elle le savait. C'était maintenant ou jamais. Elle se retourna brusquement et plongea ses yeux dans ceux de son cousin avant de prendre une grande inspiration pour seulement quelques petits mots. Petits, certes, mais terriblement dangereux. « Je suis amoureuse de toi. » Et l'irréparable s'était enfin produit. Elle avait énoncé à haute voix ses sentiments interdits. Elle avait préféré cette formule au banal « je t'aime » qu'elle aurait certainement du expliquer quand il lui aurait répondu « moi aussi » mais d'une manière bien différente de la sienne. Au moins là, il était obligé de comprendre, d'accepter. Elle avait prononcé ces mots presque brutalement, comme si elle voulait les enfoncer de force dans l'esprit du jeune homme. Elle le fixa intensément de longues secondes puis, comprenant qu'il finirait par être obligé de répondre, détourna les yeux une énième fois. Le tour touchait presque à sa fin. Tout comme ses malheureux espoirs.

Spoiler:

Cinq mots. Cinq stupides mots. Cinq stupides mots qui résonnaient dans ma tête dans un bruit infernal. Paralysé par ces douces paroles, je regardais au loin, dans le vide, dans le néant. Je ne savais pas quoi penser. Des millions de pensées se bousculaient dans ma tête, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. « Je suis amoureuse de toi. » avait-elle prononcé. Je suppose que ça avait dû lui demander beaucoup de courage pour me dire ça. Et moi, j’étais complètement pétrifié et ahuri. Cela changeait tout. Absolument tout. Et petit à petit, je compris pourquoi elle était là, à Arrowsic près de moi. Elle m'aimait. Mais pas de la façon dont moi je l’aimais. Je n’arrivais pas à comprendre. C’était ma cousine Zephyr, ma seule famille qui me restait réellement. Et maintenant, qui était-elle pour moi ? Je ne savais plus. Je ne savais plus rien. J’étais tellement tourmenté que je n’arrivais même plus à distinguer la réalité. Oui c’est ça. C’était un cauchemar, n’est-ce pas ? Pourtant, Zephyr était bel et bien là, fuyant mon regard, sans doute anxieuse et pétrifiée, elle aussi. C’était une situation inconfortable, pour tous les deux. Et je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire. Je ne voulais pas la blesser, mais je crois que c’était déjà trop tard. « Je… » balbutiais-je alors. J’essayais de capter son regard, mais notre complicité s’était évadée maintenant. Elle avait disparue, au moment où elle avait prononcé ces mots qui allaient changer nos vies. « Tu es ma cousine, Zephyr. » arrivais-je à dire, silencieusement. Je baissais la tête. Je connaissais très bien Zephyr. Quand elle ne parlait pas, c’est qu’elle n’allait pas bien. Et je pouvais deviner qu’à ce moment-là, elle était tout sauf heureuse. Et c’était ma faute, entièrement ma faute. Mon cœur se serra, tellement ça me faisait mal de la voir comme ça. « Je suis désolé. » finis-je par dire. J’aurais voulu faire quelque chose d’autre. J’aurais voulu lui dire que tout allait bien se passer. J’aurais voulu lui dire des mots qui l’auraient réconforté. Au lieu de ça, je me contentais de sortir silencieusement du bateau en cygne dans lequel j’avais été embarqué, et je me dirigeais vers la sortie, sans trop savoir où je mettais les pieds. J’entendis les pas lourds de Zephyr qui me suivaient doucement. Mais j’étais incapable de me retourner. J’aurais eu trop peur de voir son visage. J’aurais eu trop peur de la voir malheureuse. C’est alors que je vis Sharly, devant moi. Encore sous le choc, je n’aurais pu dire l’expression qu’elle avait sur son visage. Ce qui était certain, c’est que nos vies allaient changer. Pour toujours.