21 février 2012, 23:15 MacCarthy's Bar, 10 km d'Arrowstic
« Une bière, s'il vous plaît. » La jolie rousse s'assit au bar, posant son sac sur un tabouret vide à ses côtés. Derrière le comptoir, le barman arrêta son mouvement pour l'observer un instant, lui adressant finalement un regard sceptique. « Bien sûr. J'aurai besoin d'une pièce d'identité. » La jeune fille se fit un devoir de lever les yeux au ciel, avant de fouiller son sac à la recherche de son porte feuille. « Vous me flattez... » Reposant son sac à ses pieds, elle présenta son permis de conduire au barman. Celui ci y prêta vaguement attention, pour la forme, puis hocha la tête et lui apporta sa commande, sans s'intéresser davantage à la situation. Mila esquissa un sourire, avant de porter le verre à ses lèvres. Voilà qui mettait la voiture de sa grand mère à bon usage. Les meilleurs faux papiers au monde n'auraient pu lui offrir le luxe d'une bière, chez elle, à Arrowstic. Que ce soit dans un bar, ou dans l'épicerie du coin de la rue. Dans la mémoire des commerçants de la ville, l'image de la jeune Mila Rose Cunningham dans son berceau, babillant et bavant, un biberon à la bouche, était encore trop fraîche. Comme si c'était hier. La plupart d'entre eux avaient même été invités à son premier anniversaire, il y a de cela seize ans. Les nouveaux venus, susceptibles de ne pas avoir ce genre de souvenir en tête, étaient rares. Parfois, une serveuse éméchée et peu regardante s'oubliait un instant, et un verre clandestin était échangé, mais il ne fallait pas compter sur ces occasions.
Reposant son verre sur le comptoir humide, l'adolescente balaya la pièce du regard. Situé au beau milieu de Nul Part City, Maine, l'endroit n'était pas vraiment prisée par une clientèle jeune et branchée. Avec sa décoration rustique, son personnel peu accueillant, et sa musique au mieux éclectique, il semblait ne rassembler qu'une poignée d'habitués, trop pris par leurs propres problèmes pour remarquer la petite rouquine de dix sept ans qui faisait tâche dans le décor.


« Je peux vous offrir un verre ? » Mila posa son livre sur ses genoux et leva les yeux vers le nouveau venu, l'étudiant du regard. La vingtaine, des yeux bleus, une barbe de trois jours. Rien d'extraordinaire ni même de remarquable, si ce n'est un sourire asymétrique qui cassait la monotonie de son visage, le rendant plus charmant qu'il ne l'était réellement. La jeune fille esquissa un sourire. « Pourquoi pas ? » Elle finit rapidement son premier verre, laissant l'inconnu passer commande. « Kirtsy Rose, 21 ans. » Commenta-t-il en jetant un œil au permis de conduire qu'elle n'avait pas rangé. « Enchanté ». Kirsty Rose. Lorsqu'elle s'était procurée ces faux papiers, Mila n'avait pas eu l'occasion d'en choisir le patronyme. Si son identité clandestine portait le même nom de famille que son géniteur, ce nom qu'il avait refusé de leur offrir, à elle et à ses sœurs, c'était un pur hasard. Rose. L'ironie l'avait faite rire.


Se dégageant des bras du jeune homme, Mila roula sur le ventre, tirant la couverture avec elle, et attrapa son sac, qui gisait oublié au pied du lit. Elle en sortit son téléphone ; trois heure trente de matin. La jolie rousse glissa hors du lit, enfila son jean abandonné sur le dossier d'une chaise, ramassa le reste de ses vêtements et finit de s'habiller. « Tu t'en vas déjà ? » Elle acquiesça, adressa un sourire au jeune homme, déposa un baiser sur sa joue, avant de quitter l'appartement et de regagner le chemin de sa voiture. A dix sept ans, Mila n'était pas vraiment amoureuse de l'amour. Elle n'avait pas encore appris à monter à vélo qu'elle avait déjà été témoin des blessures que les gens s'infligeaient au nom de l'amour, et elle n'adhérait tout simplement pas au concept. Elle aimait plaire, elle aimait séduire. Elle aimait l'attention, sentir le regard des hommes s’attarder sur elle quand elle entrait quelque part. Elle aimait les voir rendre les armes, le temps d'une seconde. Mais elle n'aimait pas. Par choix, pas par fatalité. Et elle n'aspirait pas non plus à être aimée. Désirée, convoitée, temporairement adorée, oui. Mais jamais aimée. Sa mère, elle, avait aimé. Son père. Plus que tout au monde, plus que ses enfants. D'un amour comme on en voit au cinéma et dans les livres. D'un amour écœurant et auto-destructeur, qui l'avait presque tué. Tout comme. Quand il partit. Quand Becca mourut. Ce genre de romance, Mila n'en voulait pas. Jamais elle ne deviendrait sa mère. La moitié d'Arroswtic la prenait déjà pour une garce briseuse de ménage, comme sa génitrice. Elle n'avait pas encore dix huit ans, on murmurait déjà qu'elle avait couché avec la moitié de la ville – hommes mariés compris. Une bombe à retardement, disait-on. Elle virera folle comme sa mère, bien sûr. Probablement avant même d'avoir finit le lycée. Pauvre enfant, c'est pas comme si elle avait eu une vie facile. Voir sa jeune sœur mourir ! Et l'aînée, qui part au quatre vent et la laisse à la garde d'une grand-mère à moitié sénile ! Je me demande ce que le père est devenu ? Sûr, il a bien fait de prendre ses jambes à son coup avant que tout ça ne lui tombe dessus...

UC