En ce moment, Lenny était un peu… différent du Lenny que tout le monde avait toujours connu. Il se prenait à réfléchir, à tirer des plans sur la comète et à se poser tout un tas de questions existentielles alors qu’il ne l’avait clairement jamais fait. Et à la source de tout ce chamboulement, on retrouvait une seule et même personne : Quinn. Le changement brutal de leur relation avait totalement fait perdre pieds au jeune étudiant qui était en train de devenir quelqu’un d’autre. Lui qui ne s’en faisait jamais pour rien, et préférait ne pas penser à son futur se retrouvait désormais à s’inquiéter, et à craindre pour tout ce qui pourrait arriver à ses sentiments envers Quinn. Car il le savait, ceux-ci avaient changés, radicalement. Le fait d’avoir couché ensemble une première fois avait déclenché chez eux une sorte d’obsession, de désir qu’ils ne parvenaient plus à freiner et qui les entrainait tous les deux dans une spirale infernale. Plus ils savaient que ce qu’ils faisaient était mal et interdit, et plus ils avaient envie de le faire. Mais la chose la plus inhabituelle pour Lenny était certainement d’avoir caché tout ce petit manège à son frère Rudy. Depuis le début, il ne lui en avait pas dit un mot et même lorsqu’il avait failli le faire, Lenny avait renoncé. Et à vrai dire, il ne savait pas exactement pourquoi. Peut-être par peur de le blesser, bien qu’il n’éprouve qu’une profonde amitié pour Quinn… L’explication la plus plausible était finalement celle que Lenny se refusait à accepter : il avait de nouveaux sentiments pour son amie, il ne comprenait pas exactement ce qu’il lui arrivait, et pour s’en défendre à sa manière, il garder leur « liaison » secrète.

Outre ses propres histoires de cœurs, Lenny avait également déconné sur un tas d’autres aspects concernant Rudy. Notamment le retour d’Helena en ville qu’il lui avait AUSSI caché jusqu’au dernier moment. Et puis il y avait eu Elizabeth… bref, Lenny n’avait plus grand-chose à voir avec un grand frère modèle. D’ailleurs, il avait remarqué que son cadet lui rendait de moins en moins visite et dans un sens, c’était tout à fait compréhensible. Alors, comme pour se rattraper ou monter à son frère qu’il était toujours là, le jeune homme décida d’aller le voir directement chez lui. Comme avant, il espérait pouvoir passer un bon moment avec Rudy, à papoter autour d’une bière, en prenant bien évidement soin d’éviter le sujet sensible du moment. C’est donc tout sourire que Lenny grimpa dans son van pour rallier l’appartement de son frère, en ayant au préalable sorti et emporté un pack de bières fraiches.

En arrivant devant l’immeuble de Rudy, Lenny gara comme à son habitude son véhicule en vrac. De toute façon, les emplacements prévus pour le parking étaient bien trop étroits pour accueillir son van, et c’est bien l‘argument qu’il comptait mettre en avant si on osait un jour lui dire quelque chose. Sans oublier ses précieuses bières, le jeune homme quitta ensuite sa maison sur roues et grimpa les quelques marches d’escalier qui le séparaient encore de son frère. Une fois arrivé devant la porte, il sonna et prit bien soin de mettre son pack de bière en face du judas, pour que ce soit la première chose sur laquelle son frère tomberait en regardant qui venait lui rendre visite.

La journée avait plutôt bien commencé. Rudy n'avait pas raté pour la énième fois depuis la reprise des cours son bus, grâce à sa voiture fraîchement achetée qu'il avait finalement pu se payer avec ses ventes miraculeuses de petites culottes. Il se sentait de plus actuellement à des millénaires de ses pseudos peines de cœur de petit gamin capricieux qui n'obtenait pas ce qu'il désirait de la part du destin et se distrayait allégrement pendant ses cours de droit constitutionnel en compagnie de ses camarades de classes rentrés de vacances. Cette matinée était donc joviale et bien sympathique, d'autant plus qu'il avait une après-midi de libre où il n'avait pas à se soucier de ranger la nouvelle collection coquine qui faisait fureur auprès des cougars. Au diable donc les misères du monde; il embrassait aujourd'hui une pleine et sereine bonne humeur.

Bonne humeur qui fut brutalement bouleversée. Alors qu'il s'apprêtait à partir faire quelques courses devant un frigo vide et de la préparation de cupcakes absente du placard, la sonnerie retentit à travers son appartement. A cette heure de l'après-midi, il s'agissait soit de sa voisine en panne de sucre – ou de papier toilette, au choix – soit de sa mère qui avait pris l'habitude de se pointer à l'improviste. Il fut donc particulièrement surpris de découvrir son frère, brandissant énergiquement un pack de bières dans ses mains. Lenny représentait une des dernières personne qu'il avait actuellement envie de voir. Il s'était joyeusement donné pour mission durant ces dernières semaines de lui pourrir méticuleusement la vie. En voyant donc le pactole d'alcool qu'il tenait au bout de ses poignets, il songea comme première réaction de lui exploser une bouteille sur le haut de sa tête, histoire de faire disparaître le sourire qu'il avait aux lèvres, en prenant soin de ne surtout pas appeler d'ambulance, de refermer la porte comme si de rien était, et d'aller danser devant son corps à la morgue quand la marre de sang que la concierge aurait fini par découvrir aurait signifiée une mort profonde. Cela était franchement peu habituelle comme pensée, notamment lorsque l'on considérait les rapports fraternels qu'entretenaient les deux frères Gavennham l'un pour l'autre, à des millénaires de rêves glauques et assassins.

« Tu fais quoi là ? T'as pas l'impression de ressembler à un moustique qui m'empêche de dormir à trois heures du matin ? T'es pas spécialement le bienvenue. Je te signale que tu te tapes ma meilleure amie. », fit-il d'un ton sec et monocorde, tout en arquant un sourcil. Il n'avait même plus envie d'appeler Quinn leur meilleure amie. C'était la sienne, parce que pour lui, elle et Lenny n'étaient plus ce qu'ils avaient toujours été, à savoir une paire de potes. Non. Ils avaient fini par muter en une sorte de pseudo couple perdu dans des déboires identitaires, ne sachant quelle étiquette coller à leur relation entre “erreur d'un ou deux soirs” et “obsession sentimentale à problèmes”. Il n'arriva même à s'écarter de l'entrebâillement de la porte pour le laisser pénétrer chez lui. C'était comme si toute amitié s'était volatilisée le jour où Quinn était venue lui conter leur petite et misérable histoire. « Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu me caches des détails importants sur les occupants de ton carnet d'adresses ? T'as changé de drogue récemment ? » Il n'avait même pas envie de savoir quel nouveau substitut de la marijuana il avait trouvé. Si ça pouvait tout simplement l'anéantir et lui créer une bonne vieille overdose mortelle, il n'en serait que plus que ravi.

Même s’il se cachait sous ses airs d’éternel gamin, et qu’il misait tout sur son simple petit pack de bière pour se mettre son frère dans la poche, Lenny n’en menait pas large. En effet, il connaissait assez bien Rudy pour savoir que s’il ne l’avait pas vu depuis autant de temps, quelque chose ne devait certainement pas tourner rond. Et ça l’inquiétait. Mais pour l’heure, le jeune étudiant préférait ne pas y penser, et se rendre chez son frère comme si tout allait bien. Comme s’il n’était plus l’ombre de celui qu’il avait toujours été, comme s’il n’avait pas « trahi » Rudy depuis longtemps déjà. Et le pire dans tout ça, ce pourquoi Lenny s’en voulait depuis des semaines entières, c’est qu’il était incapable de trouver la force de tout avouer. Il ne savait même pas s’il s’agissait de honte ou de n’importe quel autre sentiment de ce genre, mais il se refusait tout simplement à parler de sa relation avec Quinn. Pour l’instant, le secret était bien gardé et Lenny se disait qu’il avait encore le temps de voir venir, de trouver une solution à son problème.

Mais quelle ne fut pas sa surprise en découvrant l’accueil glacial que son frère lui réservait. Son pack de bière n’y fit rien, et Lenny reçut la première réflexion de Rudy comme une claque ne pleine figure. Alors qu’il se croyait à l’abri, qu’il pensait que son secret était bien gardé… le jeune homme venait de lui démontrer le contraire. « Je te signale que tu te tapes ma meilleure amie. » C’est plus précisément cette partie de son discours qui résonna pendant un bon moment dans la tête d’un Lenny au regard éberlué et à la bouche entrouverte tant sa surprise était grande. Visiblement, quelqu’un était passé avant lui, et avait prit soin de tout lui balancer dans les moindres détails. Le jeune homme s’accorda quelques secondes de réflexions, se refusant d’abord à tirer des conclusions trop hâtives. Et pourtant… Il n’y avait pas trente-six solutions possibles. La seule et unique personne qui avait été en mesure de tout apprendre à Rudy, c’était bel et bien Quinn.

Le cœur de Lenny se serra instantanément et sa mâchoire se serra. De toutes ses forces il essayait de camoufler son malaise, mais c’était malheureusement peine perdue. En constatant cela, le jeune homme se renfrogna et poussa son frère pour se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur de son appartement. Le visage fermé, il l’écoutait déblatérer ses mots sans même en saisir la teneur. En bref, il avait juste l’impression que le ciel lui tombait sur la tête. « Comment tu sais ça ? » finit-il par lâcher d’une voix rauque. Ce n’était évidemment pas la réaction la plus adaptée à ce moment-là, mais Lenny n’avait pu s’en empêcher. « C’est Quinn… ? Elle… elle est vraiment venue te voir pour tout te raconter ?! »[/color] Le jeune homme ne pouvait pas croire ce qu’elle venait de lui faire. Il se retrouvait coincé, prit à son propre jeu, comme dans un piège dont il ne connaissait définitivement pas l’attitude à adopter pour s’en sortir vivant.