Tu es tout. Tu l'as toujours été.
J'ai du mal à me souvenir d'avant.
J'ai retrouvé de vieux journaux. Je les ais toujours gardés. Tu te moques encore de moi quand tu ouvres mes tiroirs pour en trouver d'autres certaines fois.
En fait, je me souviens parfaitement d'avant.
Je n'ai juste pas envie d'en parler. De m'en souvenir, alors, je le relègue au fond de mes souvenirs. Et il n'y a que toi. Plus que toi, pour toujours.
Mais c'est étrange, n'est-ce pas? De t'aimer toujours, m'y perdant un peu.
Et j'écris pour me souvenir. De ton sourire. De tes dessins. De tes mots. Je sais que tu vas partir un jour. Ça me fait peur. Mais tu vas le faire. Je ne suis pas assez bien pour toi. Je ne l'ai jamais été et ne le serais jamais.
Je perdrais tout quand tu partiras. Mais tu partiras. Amour des mes jours, lumières de mes nuits. Rien ne change. Ton sourire. Tout. Tout simplement. C'est comme s'il n'y avait jamais rien eu avant. Juste toi.

Le gamin des rues. Voleur, menteur, et quelques autres adjectifs plus stupides les uns que les autres. C'est fini, et c'est comme si ça n'avait jamais commencé. Oublié. Tu te rebelles maintenant, et tu te sens grand. Tu te sens intelligent et libre. Mais quand tu rentres chez toi, je serais toujours là pour t'embrasser et te serrer. Pour toi. Pour faire attention, assez que tu ne partes pas trop loin. Que tu ne te noies pas dans des eaux trop noires pour toi.
Parce que je sais ce que c'est. Parce que tu ne mérites rien de tout ça.
Mais c'est le passé. Le passé n'a pas d'importance. N'en aura plus jamais. Je te l'ai promis en tenant ta main à la clinique pour te faire enlever ce tatouage stupide.
C'était vrai.
Plus pour moi que pour toi.

La première fois que j'ai croisé ton regard, c'était déjà oublié. Je n'avais plus de passé, et un futur des plus plats. Et tu étais caché sous mon bureau. Tu avais six ans, et moi dix-neuf. De façon parfaitement idiote, je suis devenu ton obsession. Je m'en fichais. En fait non. J'aimais bien la chose. Ça me donnait l'impression qu'au moins, j'avais quelqu'un. Chaque samedi ou tu restais là, à dessiner. Tu dérangeais. Mais ton sourire m'amusait, sans autre pensée mal placée. Aussi petit qu'il soit, quelqu'un comptait sur moi. Quelqu'un s'intéressait à ce sur quoi je travaillais.

Zek. Tu m'as toujours appelé comme ça. Tu es le seul probablement. Ce n'est pas mon nom. Pas plus qu'Ezeckiel ou Byron. Byron fut un Lord Anglais du dix huitième siècle. Un poète. Un amant. Ses mots sont doux, comme ceux que je murmure aujourd'hui au creux de ton oreille, aussi insensible que parfois tu puisses y être. Ezeckiel, déformation d'Ézéchiel, est un prophète. Tu sais que je ne crois pas. Mais la pureté de la chose aide à l'ironie. Après tout, n'est-on pas considéré directement pur quand on a porté la parole de dieu?
Je ne l'ai pas fait.
Et je ne suis pas pur. Tu le sais mieux que personne.

Je suis gentil. Pas le plus intelligent. Pas talentueux non plus. L'infographie. La seule chose qu'on m'a proposé au sens le plus correct. Une des seules choses que tu puisses étudier en centre carcéral pour mineur qui ait un rapport quelconque avec un ordinateur. Ou au moins ça l'était. A une époque. Celle ou j'y étais. Tu t'en doutes déjà, n'est-ce pas? Tu es intelligent. Tu n'as jamais entendu un mot sur mon passé.
Je n'en ai pas. Je n'en ai plus. En fait, je ne sais pas si ce que j'ai eu il y a bien longtemps fut ce qu'on pourra appeler un passé. Un véritable passé.
Passé.
C'est ce que je voudrais donner à nos enfants, si par miracle tu ne me quittes pas. Mais tu as dix huit ans tout juste, et j'en ai trente. Bien sûr que tu vas me quitter. Un jour ou l'autre.

J'essaie juste de profiter un peu, avant que tu ne m'effaces complètement de ta vie. Avant que tu n'oublies ce que tu as et voudras toujours dire pour moi.
Vie. Mort. Tout ça n'a plus de sens quand tes lèvres sont pressées contre les miennes. Ce n'est qu'un tout qui s'efface. Que mon cerveau qui fond simplement. Parce que tes baisers, parce que ta peau, et tes ongles qui s'enfoncent dans la mienne. Parce que tes mains contre moi.
Et dire que personne ne peut savoir.

Ton père me tuerait. Me virerait. Me dénoncerait, pour sûr. Je te perdrais. Je perdrais tout. Et tes lèvres contre les miennes ne serait qu'un souvenir disparu. Et je reverrais barreaux et co-détenus. Et tu ne saurais même pas pourquoi j'ai disparu.

C'est pour ça que j'écris ces mots. Pour toi. Que tu saches, si j'en venais à disparaître. Tu auras toujours les clés. Je ne vois pas pourquoi je te les reprendrais, même si on en venait à être découverts. Tu es tout. Tu es ce qui me permet de garder mon esprit fixé sur le présent. Sur quelque chose qui ne soit pas la peur. Ou le manque. Ou le rien, simplement.
Je t'aime. Je t'aime depuis le jour ou des années plus tard, tes yeux ont croisés les miens, et bien que tu aie grandi, bien que cette étincelle dans ton regard, cette attirance pour moi que tu as toujours eu n'aient pas disparues, la chose m'est venue comme évidente. J'avais besoin de te serrer contre moi et de te murmurer ces mots. Toi, et personne d'autres.

Toutes ces années, alors que tu grandissais, il y en a eu d'autres. Dans mon lit, entre ces draps ou tu dors maintenant. Mais chaque fois, je savais pertinemment que j'étais égoïste. Que je le faisais pour ne pas me coucher entre des draps froids. Les mêmes ou chaque jour je me levais, baissant les yeux devant le rien qu'était ma vie.

Plat. C'est le futur qui m'a été promis. Libéré si tu pars. Libéré si tu oublies qui tu es et les dénonce. Libéré et sans futur vrai. Sans personne que je connaisse ou qui me connaisse. Je ne me connaissais plus pour être honnête. Je ne me suis jamais connu. Pas avant toi. Mais j'étais libre, caché au fond d'un placard, avec un travail qui m'ennuyait plus qu'autre chose. Ce n'est pas la définition de libre.
Mais les barreaux avaient disparus. C'était déjà un avancement.
Mes yeux sont restés baissés, jusqu'à ce que deux yeux naïfs, bleus comme le ciel se soient posés sur moi. Au moins j'avais quelqu'un.
Un gamin. Qui grandit doucement. Qui finit dans mes bras un jour, pour ne pas dire sous mon bureau. Mais tu le sais déjà. C'était ton idée.
Et comment refuser, comment te reposer quand je t'aimais déjà plus qu'on ne pourra jamais aimer?
Quand tu fus la seule chose qui a jamais pu me soutenir. Quand les samedis se firent attendre, avant qu'ils disparaissent. Quand je n'ai pas pu me retenir, bien que caché, de poser mes yeux sur toi quand tu débarquais au bar pour chercher un nouvel amant. Puis tu as arrêté. As suivi ta mère à Portland. J'ai baissé les yeux. Et tu étais là.
Tu l'as toujours été pour être honnête. Malgré tous les allers et retours.
Mais enfin tu étais mien.

Vraiment, entièrement mien. Je suis stupide de vouloir y croire, n'est-ce pas?
Mais je veux y croire.
Et même si tu disparais demain, je t'aurais aimé. Et je t'aimerais jusqu'à ce que les vers finissent de dévorer mon coeur.