Holden Vincenzo Lowrey, il y a une semaine à Bronx’s Little Italy (New York)

« Salut madame Lowrey, Vincenzo est là ? » J’étais affalé sur une chaise près de l’espèce de planche qui nous servait de table quand j’entendis mon pote Chris demander ça à ma mère qui venait certainement d’ouvrir la porte. Elle l’aime bien lui, elle va le laisser rentrer. « Oui, entre Chris. Il est dans la cuisine. Dis-moi Chris, comment va ta mère ? » Je me mets à rire discrètement en entendant ça. Ma mère aime bien Chris, mais elle déteste sa mère. Une histoire de garçon au lycée. « Oh, vous savez, elle va bien, comme d’habitude. » Si je n’apparaissais pas tout de suite dans le salon, ma mère questionnerait Chris sur les relations que sa mère avait avec les hommes. Elle faisait tout le temps ça et ça embarrassait Chris, je le sais. « Maman, on bouge dans ma chambre, okay ? » Je n’attendis aucune réponse et avec mon ami nous nous évadions vers la chambre que je partageais avec mon petit frère. « Giovanni, bouge. » Il me regardait avec ses yeux brillants, comme s’il me suppliait de l’autoriser à rester dans la chambre. Je ne cèderais pas. Ce n’est pas parce qu’il a la moitié de mon âge –huit ans, donc- que je dois être plus indulgent avec lui qu’avec les autres. Comme il voyait que je ne bougeais pas, il s’enfuit vers le salon pour jouer avec je ne sais quoi. « Yo, mec, on va pas rester dans ta piaule ? Il fait chaud, mec. On va au mall, les autres nous attendent. » Alors que j’enfilais un T’shit plus décent que celui que je portais auparavant, je le vis s’étaler sur mon lit. Je ne répondis pas, prenant mon temps pour me préparer. « Oh dude, on dégage. »

Holden Vincenzo Lowrey, le lendemain

« HOLDEN VINCENZO LOWREY ! » Du fond de ma cellule, j’entendis ma mère hurler mon nom à travers tout le commissariat et je savais alors que ça allait être ma fête. Un policier l’amena jusqu’à moi et vu tous les éclairs qui jaillissait de ses yeux, je fus soulagé d’être séparé d’elle par des barreaux. Pourquoi était-elle aussi énervée ? « Ca fait quatre fois dans le mois, Holden ! » Ah oui, c’est vrai que je commence à connaître cette cellule par cœur. « Mais, maman… » Elle leva son index, signe que je ne devais pas ajouter un seul mot sous peine de représailles. « Allez Lowrey, tu peux sortir. Et qu’on ne te revoit plus, tu vas finir par avoir une carte d’abonnement ! » Le policier qui m’avait sorti cette blague était hilare et je lui fis un sourire hypocrite, histoire qu’il ne se sente pas trop seul mais après avoir vu le regard de ma mère, il arrêta de rire directement. « Ne vous inquiétez pas pour ça. Oh, et je suis désolée pour tout ça, vraiment. Je ne sais pas pourquoi il agit comme ça. Ce n’est pas comme s’il n’avait pas son père comme figure d’autorité ! Je n’arrive pas à comprendre. Ça doit sûrement être ses amis qui l’influencent dans le mauvais sens du terme. » Je n’en pouvais plus d’entendre le même refrain. Selon elle, si je me fais arrêter à chaque fois, c’est parce que j’ai des amis qui m’incitent à faire des conneries. Alors que non, si je me fais arrêter, c’est parce que je ne cours pas assez vite.

« Qu’est-ce que tu as fait cette fois-ci, Holden ? » Le fait que mon père m’appelle par mon premier prénom, Holden, m’avait choqué. Personne, excepté ma mère, n’utilisait ce prénom. A vrai dire, tout le monde m’appelle Vincenzo, et je préfère largement. Cela voulait dire qu’il était énervé contre moi. « Bagarre. Mais c’est parce que ces cons de Chinatown sont venu chercher la merde ! » Mes deux parents lancèrent leur regard sévère en même temps sur moi et je compris directement que je devais arrêter de parler. Ma petite sœur, âgé de dix ans, se mit à rigoler et j’avais envie de la gifler, mais j’étais en assez mauvaise posture. Elle en profitait, la peste. « On se fiche de la raison ! Le fait est que tu as atterrit au poste pour la quatrième fois dans le mois ! Ce n’est plus possible, Holden ! Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu voles, tu te bagarres et tu bois ? Tu n’as que seize ans ! » Mon père, cet hypocrite, me tapait sur le système avec sa morale à la con. Il peut me dire ce qu’il veut, je recommencerais demain si je le veux. « Ose me dire que quand tu avais mon âge tu as été le gentil petit garçon que tu veux que je sois ?! Ce n’est pas possible ici, pas dans le Bronx. Si je veux me faire respecter, je fais tout pour me faire respecter ! » Ma mère se leva immédiatement, les mains serrées sur la table. Je savais que j’avais dépassé les bornes en lui parlant comme je venais de le faire, mais c’est ma mère, je la connais. Elle va crier un bon coup et elle va se calmer plus tard, comme d’habitude. « CA SUFFIT MAINTENANT ! On y réfléchit depuis longtemps, mais maintenant, c’est décidé ! Tu pars ! » Hein, quoi, comment, qui ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? « Je pars ? Où ? » Elle soupira comme si elle allait m’annoncer quelque chose de grave. Elle tourna la tête vers mon père et je fis donc comme elle. « Chez ta tante, à Arrowsic dans le Maine. Tu pars samedi. » « QUOI ? C’est qui cette tante ? Et pourquoi vous voulez que je parte ! Bien sûr, il pose quelques petits problèmes, alors on le dégage ! Vous appelez ça des parents ?! Je n’ai rien fais de grave, je n’ai tué personne ! Vous êtes dingues… Arrowquoi ? Je ne sais même pas où c’est ! » Je continuais mon monologue pendant encore cinq minutes. J’étais choqué de ce qu’ils m’annonçaient et j’espérais vraiment qu’ils n’étaient pas sérieux et qu’ils voulaient me faire peur –ça marchait du tonnerre en tout cas. Mais au fond de moi, je savais qu’ils étaient sérieux et que je les avais poussé à bout avec mes arrestations multiples et mon mauvais niveau en cours –je suis adepte de la sèche et de l’insolence.

Holden Vincenzo Lowrey, aujourd’hui à Arrowsic (Maine)

« Holden ! Mon grand, comme tu as grandi ! Donne-moi ta valise que je la mette dans le coffre. Tu as quel âge maintenant ? » Ma tante était une espèce de pile chargée à bloc. Elle parle vite, elle marche vite, elle fait tout vite et je ne sais pas où donner de la tête et pourtant, je venais tout juste de descendre du train. « Tu sais très bien quel âge j’ai. Tu fais partie du complot pour m’éloigner de mes amis, tu sais tout sur moi. Et appelle-moi Vincenzo, c’est comme ça que je m’appelle. » Mon ton distant l’avait quelque peu refroidie, je l’ai vu dans son regard, elle avait l’air déçue. Mais tatie Gina est la sœur de ma mère, elles sont pareilles, elle ne va pas s’avouer vaincue, je le sais. « Okay, je pensais devoir faire ça à la maison, mais tu ne m’en laisse pas le choix. Premièrement, blablablabla… Et si ta mère t’appelle Holden, je t’appellerais Holden. » Elle m’avait énoncé toutes sortes de règles mais je n’avais absolument rien écouté. A quoi bon ? Je ne les suivrais pas. J’avais seulement entendu la fin et ça ne me fit pas spécialement plaisir. « Tu n’es pas ma mère. Appelle-moi Vincenzo. » Elle venait de mettre mes valises dans son coffre et elle monta à l’avant de grosse voiture. Une voiture de riche. Chez moi, des comme ça, soit c’est pour le tournage d’un film, soit elles sont volées. « D’accord. Monte dans la voiture maintenant… Holden. » Elle se mit à rire comme si ce qu’elle avait dit était drôle. Putain, j’vais me faire chier dans ce trou perdu.

Quelques minutes plus tard, je descendis de sa –grosse- voiture et quand je levais le regard vers la maison, je restais bouche bée. Je comprenais maintenant pourquoi sa voiture était aussi grosse, il fallait qu’elle aille avec sa maison. Sérieux, pourquoi tant d’inégalité au sein d’une même famille. Moi, je vis dans un petit appartement, dans le Bronx avec mon petit frère et mes deux petites sœurs. Alors que ma tante, qui a deux enfants, vit sans une maison de la taille des deux premiers étages de mon immeuble. Injustice. « Ne reste pas comme ça, tu vas gober les mouches. » Cette voix, ce n’était pas celle de ma tante. Je tournais ma tête dans la direction vers laquelle elle venait et je découvris une sublime poupée. Et pour une fois, je ne dis pas « poupée » comme j’appellerais n’importe quelle fille de chez moi. Non, elle ressemble vraiment à une poupée. La plus belle que je n’ai jamais vue. « Holden, je te présente Rebecca Miller. C’est la voisine, je lui ai demandé de venir pour que tu voies qu’il y a des gens de ton âge ici. Rebecca, je te présente Holden, mon neveu. » Elle s’approcha de moi, un demi-sourire collé sur sa jolie bouche rouge, en me tendant la main. « Salut Holden, tante Gina m’a beaucoup parlé de toi, tu sais. » Je serrais la main qu’elle me tendait me demandant ce que ma tatie Gina avait bien pu raconter à mon sujet. Je suis sûr que c’est embarrassant. « Yo, euhm… Tu peux m’appeler Vincenzo, je préfère. » Elle retira sa main bien plus vite que n’importe qui le ferait en général. C’est quoi son problème ? « Si tu le dis… Holden. » Rectification : c’est quoi leur problème à tous ? Si je dis que je m’appelle Vincenzo, c’est bien pour une raison ! Elle tourna les talons et s’en alla vers sa maison. Pendant un instant, on aurait même cru que ses pieds ne touchaient pas le sol, tel un ange… Euh, ouais, okay, l’air de la campagne ne me fait aucun bien. Je me rappelais soudain de quelque chose de très important : le hip-hop. « Tatie Gina ! C’est où qu’on danse ici ? » Elle se tourna vers moi, l’air surprise. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore ? « Ta mère ne te l’a pas dit ? Pas de danse, tant que tu n’as pas prouvé que tu n’es pas un bon à rien. » Quoi ? Autant dire que je ne rentrerais plus jamais dans un studio de danse ! Je suis arrivé ici depuis seulement quelques minutes et je peux déjà affirmer trois choses : je déteste mes parents pour m’avoir fait venir dans ce village, je déteste ce village mais les filles ici sont... sublimissimes.