D’aucun auraient pu dire que Louanne était à la reconquête de sa vie sociale à Arrowsic, qu’elle était à la recherche de la place qu’elle avait occupée et qu’elle avait perdue. Mais ce n’était pas tout à fait ça, elle était plutôt dans un pèlerinage affectif, ce n’était pas les autres, qu’elle cherchait à retrouver, mais elle-même, à travers eux. Ce qu’elle avait été, à Arrowsic, car elle avait été, ici, beaucoup plus qu’à Boston où elle avait juste vécu, n’imprimant jamais la mémoire des gens qu’elle rencontrait, elle-même les oubliant au rythme des verres qu’elle prenait dans des bars toujours identiques.

Ray lui avait dit que Pride bossait au Muffy’s. Arrowsic, il était impossible d’en partir. Louanne croyait avoir réussi, pendant un temps, mais elle avait beau avoir quitté la ville, elle n’avait réussi à s’ancrer nulle part ailleurs. Elle s’était interdit de juger la situation de Pride. Six ans avaient passés et elle se retrouvait à occuper un boulot qu’elles avaient essayé d’obtenir quand elles étaient au lycée, pour se faire un peu d’argent de poche dans le but de s’enfuir pour New York. Mais Pride était restée, tout comme Ray. Le petit rouage que représentait Louanne dans la vie d’Arrowsic avait disparu mais le monde avait continué de tourner sans elle. Elle poussa la porte du Muffy’s. La même odeur de friture, de faux cuir et de toasts grillés. Comme d’habitude, personne n’accueillait jamais les clients à l’entrée. Il fallait se débrouiller pour ne pas passer inaperçu. Elle chercha Pride du regard, se doutant maintenant qu’elle n’aurait que peu changé. Comme Ray, Nate, Kaeden, Abbey.

Puis soudain elle apparut, envoyant valdinguer les portes battantes de l’espace réservé au personnel, ce lieu qui devait lui être si familier maintenant, en train d’enfiler son manteau, comme le courant d’air qu’elle avait toujours été, toujours entre deux endroits, entre deux rendez-vous, entre deux vies. Louanne s’approcha d’elle. Elles mesuraient très exactement la même taille. « Pride ? » Elle enfonça ses mains dans les poches de son jean, essaya de sourire. Elle n’était pas allée lui dire au revoir, à elle non plus.