Je connaissais Carlie depuis peu, étant donné que sa mère ne m'avait pas appelé avant... Alors depuis que je savais qu'elle existait, je voulais rattraper les dix années de perdues, les dix années où j'avais raté la majeure partie de ses apprentissages comme son premier sourire, ses premiers pas, ses premiers mots... C'est pour cela que j'avais appelé Alma ce matin-même pour lui demander si je pouvais avoir Carlie pendant l'après-midi. Elle avait acceptée, pour mon plus grand bonheur ! En début d'après-midi, je m'étais donc rendu chez Alma, pour prendre Carlie et l'emmener au parc. Et elle semblait encore plus pressée que moi d'ailleurs ! J'eus à peine le temps de lui faire la bise et de lui demander si elle allait bien qu'elle se précipita dans les escaliers pour aller prendre une douche et se préparer. J'avais à ce moment là échangé un petit sourire avec Alma, discutant finalement avec elle en attendant que Carlie ne redescende.

Une fois prête, je laissais ma fille passer devant moi, laissant Alma refermer la porte derrière nous, et l'emmenais dans ma voiture, puis au parc. Je l'avais à peine lâchée qu'elle se précipita vers l'herbe du parc en criant un mot... qui selon moi n'était pas vraiment pour une petite fille de dix ans. J'écarquillais alors les yeux, me décidant à la rappeler.

« Carlie !! Viens ici ! »

Je pense que ma voix avait été plus sévère que je ne l'aurais voulu... Elle arriva vers moi et je me mis à sa hauteur.

« Ça se fait pas de dire des gros mots Carlie ! »

Bon, ce n'était pas réellement un gros mot, mais plutôt un mot qui ne lui correspondait pas. D'autant plus que, si ça se trouve, elle ne savait même pas ce que "pénis" voulait dire. Pourvu qu'elle ne pose pas la question... Enfin j'essayais quand même de ne pas trop la gronder : ce serait franchement idiot qu'elle m'en veuille déjà pour quelque chose.

J'adorais Carlie, un peu comme si rien que le lien familial que nous avions avait réussi à nous rapprocher tout de suite après notre rencontre. Et maintenant que je la connaissais, je n'avais aucune envie d'être de nouveau séparé d'elle. De toutes manières, si Alma décidait de repartir à New-York, ou même ailleurs, sans me prévenir, je crois bien que je lui en voudrais. Bref, aujourd'hui j'étais avec Carlie et je l'emmenais au parc pour passer un peu de temps avec elle. Nous étions à peine arrivés dans le parc qu'elle se mit à courir vers l'herbe tout en criant un "péniiiis" bien sonore qui fit se retourner plusieurs personnes autour de nous. Je l'appelais alors, lui parlant d'un ton beaucoup plus autoritaire que ce que j'aurais voulu faire. Et automatiquement, elle s'excusa, avouant qu'elle ne savait pas que c'était un "gros mot". Sauf que la fameuse question que je redoutais arriva. "Qu'est-ce que ça veut dire ?" Et bien... Euuuh... Je suis vraiment obligé de répondre à ce genre de question ?

« Euuh... Tu demanderas à ta mère ! »

Voilà ! Affaire classée, c'est maman qui aura à répondre ! Même si, entre Alma et moi, j'étais le mieux placé pour savoir, comment voulez-vous expliquer ça à un gosse de dix ans ? Et puis on verra plus tard pour les cours d'éducation sexuelle ! J'allais me relever, pour pouvoir marcher un peu avec Carlie, mais je la vis perdre légèrement l'équilibre et se rattraper de justesse à mon épaule.

« Ça va ? »

Je posais ma main sur sa joue pour tâter sa température, fourrant obligatoirement mes doigts dans ses cheveux. Elle était normale. Par contre, en retirant ma main, j'y découvrais du sang, et une belle quantité ! Je regardais alors à l'endroit où j'avais posé ma main juste avant... et effectivement, elle avait une magnifique plaie bien ouverte sur le crâne. Soudain complètement paniqué, je lui posais deux questions à la fois, sans même lui laisser le temps de répondre à la première.

« Comment tu t'es fais ça ?? Pourquoi tu l'as pas dis ? »

Sa mère allait finir par croire que dès que Carlie venait avec moi, elle avait la poisse. Sa rougeole s'était fortement déclenchée quand elle était avec moi, maintenant elle s'ouvre le crâne... Je vais prend un abonnement à l'hôpital je pense ! En tout cas, si c'était moi qui m'étais ouvert, je n'aurais pas autant paniquer. Depuis que je connaissais Carlie, je m'étais énormément attaché à elle et voulais que rien ne lui arrive. Ma main se retrouva donc pleine de sang lorsque je la retirais dans ses cheveux et le petit sourire que j'avais affiché jusque là, bien que j'étais en train de la gronder, se décomposa. Elle m'annonça qu'elle s'était ouverte dans la douche, car elle était pressée de me voir lorsque je suis venue la chercher... et qu'elle savait que j'allais mourir. Qu'est-ce qu'elle me raconte ? C'est le choc ?

« Que je vais mourir ? Mais qu'est-ce que tu racontes Carlie ? Et ça peut être grave ! Il faut que tu le dises quand tu te fais des choses comme ça ! »

Je lui attrapais la main pour pouvoir me relever tout en la tenant un minimum. Et j'étais bien décidé à aller à l'hôpital. Après tout, elle n'allait quand même pas rester avec ça toute la journée !

« Tu peux marcher ou je te porte ? »

J'espérais au fond qu'elle pouvait encore marcher, parce qu'un enfant de dix ans, mine de rien, ça pèse son petit poids.

C'est vrai que je gardais souvent, voire même toujours, mes émotions pour moi, tout à l'intérieur. Et quand quelque chose m'énervait vraiment, la colère qui ressortait avait donc tendance à être beaucoup plus forte. Mais d'un autre côté, si je gardais certaines choses, non seulement c'est dans mon caractère, mais c'est aussi car je déteste embêter les gens avec mes problèmes. J'ai beau ne pas en avoir trop souvent par rapport à d'autres, je préfère que mes amis me parlent des leurs plutôt que je parle des miens. En tout cas, Carlie était persuadée que j'allais mourir, et ça je ne sais pas pourquoi. Est-ce qu'Alma lui avait dit quelque chose qu'elle pensait à propos de moi, et qui était faux ? Aucune idée. Et elle insistait, demandant à ce que je ne cache plus ce que j'avais. Plutôt obsédé par sa blessure, j'esquivais cette conversation.

« C'est ça, je vais me faire enlever par des extra-terrestres et là-bas je rencontrerai des gens pas gentils du tout. »

Elle disait que ce n'était pas grave. Je n'y croyais pas. Quand on s'ouvre le crâne, c'est rarement "pas grave". Mais elle affirmait qu'elle pouvait marcher sans trop de soucis. Je lui lâchais alors la main et fis un pas en avant... mais elle s'écroula sur le sol. Je me rebaissais alors le plus rapidement possible pour la relever.

« Carlie je t'en supplie, dis-moi la vérité quand je te pose une question ! »

Je la soulevais alors et la portais comme je le pouvais, essayant de trouver une position où elle paraissait moins lourde. Finalement, la mettre sur mon dos serait peut-être une meilleure solution...

« Monte. »

Je criais de panique. Et c'est vrai que ça ne servait à rien, parce que je lui criais dessus alors qu'elle n'avait rien fait. Du moins, cette blessure n'était pas vraiment de sa faute, elle était plutôt de la mienne puisqu'elle se l'était faite en se dépêchant dans la douche pour me rejoindre. En fait, j'avais tellement peur qu'il lui arrive quelque chose de grave que j'avais un peu de mal à maîtriser mes émotions. D'autant plus qu'elle était persuadée que j'allais mourir, ce qui était totalement faux... enfin j'espère. Et si c'était sa blessure qui la faisait délirer ? Après tout c'est possible, vu le choc qu'elle avait reçu. Mais j'essayais d'éviter cette conversation, me focalisant plus sur le sang qui coulait en grande quantité de son crâne. La première excuse qui m'était venue à l'esprit était que j'allais me faire enlever par des extra-terrestres. Je m'attendais à ce qu'elle m'en veuille de la prendre un peu pour une idiote avec ce genre d'excuses, mais à la place, ses yeux se mirent à briller et elle me regarda avec un air d'admiration qui me fit écarquiller les yeux.

« Euh... Tu sais c'est vachement risqué, ils sont super dangereux les petits hommes verts ! Je ne voudrais pas qu'ils te blessent une seconde fois. »

Elle prétexta finalement pouvoir marcher toute seule, sans trop d'aide. Mais dès que la lâchais, elle tomba au sol. Pris d'une nouvelle vague de panique, le ton de ma voix haussa de nouveau envers elle... puis redevint plus doux quand elle avoua qu'elle n'allait vraiment pas très bien. Ça se voyait... Elle devenait de plus en plus blanche. J'essayais donc de la porter dans les bras, mais voyant que je n'arriverais pas à la tenir jusqu'à la voiture, garée quand même à plusieurs mètres de là, je la reposais doucement par terre et m'accroupis à ses côtés, lui demandant de monter sur mon dos. Et bien sûr, elle relança le sujet de ma mort imminente. Je fis cette fois-ci attention à prendre une voix plutôt rassurante.

« Je ne vais pas mourir Carlie, et toi non plus. Aller, monte maintenant. Il faut qu'on aille te soigner ! »

Après tout, si elle était encore consciente et qu'elle savait à peu près me parler, ça ne devait pas être si grave...