10H15 — Un lever tout en douceur. Il faisait une température idéale dans la chambre, qui luisait un peu du soleil. Grazie entrouvrit un oeil pour voir une slave de soleil y entrer, elle se jeta de l'autre côté, loin de l'agression. De l'autre côté, il y avait son réveil, qui lui instruisait l'heure plutôt tardive pour une lève-tôt comme elle. Certes, elle était en vacances, mais cela ne signifiait en rien qu'elle n'avait rien à faire, ou juste qu'elle ne faisait rien, justement. Au contraire, en élève appliquée, modèle, et surtout proche de l'année du diplôme, elle s'employait une bonne partie de ses vacances à trouver des stages de décoration ou simplement rendre service dans la ville en échange d'un peu d'argent : beaucoup de gens à Arrowisc aimaient bien un peu de renouveau dans leur décoration. Il fallait donc se lever et elle se sentait étonnamment lasse, comme si elle s'était couchée très tard. C'était le cas, se rappelait-elle maintenant, mais elle ne parvenait pas vraiment à se remémorer la raison. Sans chercher plus, car elle avait surtout une dévorante envie de sauter sous l'eau chaude, elle se leva.


10H42 — Dès sa porte franchie, quelque chose n'allait pas dans le sens de d'habitude. Grazie était maintenant fraiche et habillée, mais tandis qu'elle finissait de se sécher les cheveux, encore humides, elle tenta de se souvenir de quelque chose qu'elle savait important, et qui trainait dans l'air, sans qu'elle put mettre le doigt dessus. Elle passa devant la chambre d'amis, chambre juxtaposant la sienne, dont la porte était toujours fermée. Il y avait cependant un élément non-courant posé devant cette porte : une jolie paire d'escarpins parme, jetés là plutôt négligemment, à première vue. Surprise, Grazie observa ces chaussures, qu'elle ne reconnaissait pas comme les siennes : elles étaient en effet trop grandes. Mais à qui pouvaient-elles appartenir ? Tennessee, peut-être ? Elle aussi avait de petits pieds. En vérité, c'était la pointure de Jenna mais Grazie n'osa même pas se permettre une telle pensée. Elle laissa les chaussures, et se dirigea inquiète dans vers le salon et la cuisine.


10H50 — Arrivée aux environs, Graziella entendit immédiatement du bruit. L'oreille fine, elle reconnaissait le bruit de la machine à expressos, mais cela pouvait tout aussi bien être son frère. Ou... Une fille qu'il avait ramené. Mais ça n'était pas son genre, et sans doute encore moins en ce moment où sa vie passait de compliqué à... compliqué. Grazie s'arrêta donc et lança : «Il y a quelqu'un ?» d'une voix gentille. S'approchant, elle vit alors une grande brune élancée débouler dans son champ de vision, tout sourire. Bon dieu oui, c'était Tessa, son amie Tessa, une vieille amie de lycée avec qui elle avait passé de nombreuses heures en club de dessin. Une amie qu'elle se rappelait maintenant avoir accepté de dépanner pour une galère comme une autre. Impossible là encore de se souvenir quoi, mais son amie allait sans doute lui rafraichir la mémoire, du moins elle l'espérait. «Wow, bonjour, Tess. Tu m'as fait peur. Bien dormi ?» lui fit-elle tout de même, en guise de bienvenue.

« Voyons, chérie, c'est stupide. » « Ce n'est pas stupide. Vous brimez ma liberté d'expression, c'est tout. Je vis dans un pays relativement libre, que je sache. » « Tessa. Tu pourras toucher cet argent à la fin de tes études, c'est comme ça et pas autrement, que tu te rebelles ou non. » « Je reviendrai quand vous aurez changé d'avis. » Appuyant brusquement sur la touche d'arrêt de son téléphone portable, la jeune femme le balança sur le lit emprunté et maugréa. C'était la première fois où elle refusait catégoriquement de rentrer à la maison. Bien sûr, elle avait déjà tenté ce genre de remarques, adolescente, mais elle s'était bien vite rendue compte que les repas déjà préparés lorsqu'elle rentrait lui manquaient atrocement dès lors qu'elle s'en voyait privée. La facilité, toujours la facilité. Si le refus de lui fournir un peu d'argent de poche valait bien une petite bouderie lorsqu'elle avait une quinzaine d'années, ses parents dépassaient véritablement les bornes cette fois-ci. Non seulement ils lui retiraient l'argent auquel elle avait droit, mais en plus, ils se chargeaient de ses finances comme si elle était encore une petite fille. Vexée, la brune avait préféré quitter le domicile familial et s'était échouée dans l'appartement de Graziella, l'une de ses amies. Celle-ci avait été suffisamment gentille pour lui proposer la cohabitation - cohabitation qui se révélerait excessivement intéressante lorsque le frère de cette dernière montrerait le bout de son nez - et Tessa n'avait pas été assez folle pour refuser. Son téléphone se mit de nouveau à vibrer et elle ignora superbement le nouvel appel de sa mère, destiné à lui faire retrouver la raison. Lorsqu'elle eut fermé son portable, elle se glissa sous les draps froids - sans doute n'avaient-ils pas accueilli quelqu'un depuis longtemps - et plongea dans les profondeurs d'un sommeil duquel elle ne se réveilla qu'au matin. La jeune femme ouvrit les yeux et eut un court moment d'hésitation afin de se rappeler où elle était et ce qu'elle faisait là. Il lui arrivait tellement souvent de dormir ailleurs qu'elle avait pris l'habitude de ne plus se poser ce genre de questions. Toutefois, ce ne fut que lorsqu'elle se fut assise sur le rebord de son lit et qu'elle vit les bagages qu'elle avait ramené de chez elle que la dispute d'hier lui revint en mémoire.

Agréablement surprise de la légèreté avec laquelle elle prenait la chose, elle se leva d'un bond, vêtue d'un mini-short et d'un débardeur, pour disparaître dans le couloir. Tout en pénétrant dans la cuisine de son amie, elle mit en marche la machine à café, sans gêne aucune, prenant mot à mot les paroles de Graziella lorsqu'elle lui avait dit de faire comme chez elle. Elle dut ouvrir plusieurs armoires avant de trouver celle où étaient entreposées les tasses et attendit, le dos appuyé contre le plan de travail, que le café s'écoule d'une lenteur assomante dans le silex posé là à cette intention. Poussant finalement un soupir en tournant les talons, elle décida d'élire domicile sur le canapé du salon et ouvrit la télévision tout en s'assurant toutefois de garder le son à un niveau plutôt raisonnable. Après tout, elle ne voulait pas non plus qu'on lui reproche d'être une mauvaise colocataire et elle était prête à faire sa part, si seulement cette dernière s'avérait être dans la limite de ses capacités. Lorsqu'elle entendit le bruit des pas de son amie qui se dirigeait vers la cuisine, elle se leva à son tour et s'appuya contre le plan de travail sans prendre la peine de signaler sa présence, ce qui provoqua un sursaut chez Grazie. Tessa leva les yeux au ciel en riant à sa réplique. « Ce n'était pas mon intention pourtant! » avoua-t-elle en haussant les épaules. Elle n'avait pas cherché à lui dire qu'elle était là, mais elle n'avait pas spécialement voulu lui faire peur, non plus. À croire qu'elle s'était simplement trouvée à l'endroit fatidique au mauvais moment! « Oui, j'ai bien dormi. Pardonne-moi pour la discussion d'hier soir, avec ma mère. Elle est pas prête de lâcher l'affaire, je pense! » maugréa-t-elle en se servant finalement une tasse de café. Tout en fouillant dans le frigo pour ajouter un peu de lait à son breuvage, la jeune femme poursuivit: « Je t'ai réveillée? » demanda-t-elle en posant un regard délicat sur son amie, consciente de devoir jouer les adorables gamines si elle voulait rester. Ça ne servait à rien de se la mettre à dos maintenant, d'autant plus que Tessa avait toujours apprécié Graziella et qu,elle n'avait pas l'intention de faire ne serait-ce qu'un pas de côté de manière à la blesser - du moins, pas volontairement.

Le premier réflexe matinal auquel Grazie allait s'abandonner, c'était toujours se servir un immense verre de jus d'orange. Elle ne buvait jamais de café, mais le laissait à son frère, au risque de voir ré-apparaitre chez elle, en milieu de journée, les symptômes affolants de l'hyperactive qu'elle était. Elle ne s'aimait pas trop dans ces moments là, avec ses gestes un poil incontrôlés, sa manière de rire à tout bout de champ qui, elle le voyait bien, agaçait ses camarades de fac. Ainsi elle avait proscrit le café, et si elle avait besoin d'un petit coup de tonus, elle se faisait un bon thé vert nature à l'occasion. Encore un minimum dans les vapes, sans d'ailleurs qu'elle puisse en définir la cause, elle s'appliqua à contourner Tess dans la grande cuisine et à plonger dans le frigo, duquel la fraicheur lui fit le plus grand bien. Elle expliquait un peu mieux les raisons qui lui avaient fait passer une si mauvaise nuit, ainsi qu'un si dur réveil : elle avait sans aucun doute été prise par un violent cauchemar, comme elle en avait si souvent fait dans ses jeunes années ; adolescente, elle avait eut de gros problèmes de sommeil, qui ne l'avaient pas tout à fait quittée jusqu'ici. La première gorgée de son breuvage cependant fut salvatrice : elle put enfin se concentrer sur la présence, pas forcément désagréable, mais néanmoins étrangère de Tessa.

Grazie avait du mal à se souvenir de la dernière fois qu'elle avait vraiment passé du temps avec son amie. De toute évidence, cela faisait longtemps, mais ça pouvait tout aussi bien être depuis leur sortie respective du lycée, ou plus tard. Elles avaient cependant gardé le contact, un contact éloigné certes mais qui avait paru suffisant à Tess pour qu'elle demande refuge à Graziella dans un tel moment de coup dur. Toute cette histoire ne paraissait même pas exagérée aux yeux de la jeune femme, en vrai, elle était souvent prête à passer beaucoup de choses au gens qu'elle avait aimé, d'autant plus si elle leur portait encore de l'affection comme c'était certainement encore le cas pour Tess. Du moins, c'est ce qu'elle pensait. Elle lui lança un sourire qu'elle pensait le plus compréhensif possible. « Oh, t'en fais pas. Je sais bien que tout ne va pas se régler en un jour, mais.. » elle avait le sentiment de ne pas paraître très accueillante. Elle tenta d'arranger le ton de sa voir. « Mais si tu as besoin de quoi que ce soir, on sera là. » On ? Grazie s'arrêta un instant. Elle venait de se souvenir d'une chose pourtant capitale : ce grand appartement, décoré à ses soins, appartenait également à son grand frère, oui, son frère Leandro, qui était d'ailleurs on ne sait où, mais qui n'était surtout pas au courant de tout ce remue-ménage. Voila qui compliquait un peu la situation. « Non, absolument pas. J'avais le sommeil un peu agité. » lui adressa-t-elle dans un sourire. D'un pas, son verre à la main, elle partit ouvrir en grand les rideaux, elle avait besoin d'une lumière vive mais naturelle pour attaquer cette journée qui allait être riche en surprises. Elle se tourna vers Tess, un peu prise par le doute. « Tess, euh, il faudrait qu'on discute d'un truc. Non pas que je ne sois pas contente que tu sois ici, mais, hum.. J'avais complètement zappé mon... frère. Je sais pas trop comment il peut le prendre, honnêtement. »

« Oh, t'en fais pas. Je sais bien que tout ne va pas se régler en un jour, mais.. » Tessa haussa les épaules comme si le fait d'être éloignée de sa famille pendant un laps de temps indéterminé ne lui causait aucun problème, mais elle devait avouer ne pas vraiment apprécier le froid qui s'était instauré entre sa mère et elle. Toutefois, elle était à peu près persuadée qu'elle se plairait à jouer les indépendantes histoire de les faire sentir coupable. « Mais si tu as besoin de quoi que ce soit, on sera là. » « C'est vraiment gentil à toi, en tout cas, et je te promets de ne pas prendre trop de place! » Tessa, ne pas prendre trop de place? C'était mal la connaître, mais elle n'avait pas l'intention de se mettre à dos Graziella dès maintenant et préférait de loin tenter de l'amadouer un maximum pour ne pas qu'on la jette dehors dès la première semaine de cohabitation. Elle aurait toujours pu demander à Clyde de l'héberger, mais au vu des récents évènements, elle préférait éviter la mère de son ami autant que la sienne, sinon plus. Elle n'était pas sans savoir qu'elle devait la détester pour le soutien qu'elle refusait de donner à Clyde au sujet de sa maladie, mais elle ne voyait décidément pas ce que ça pourrait bien changer. Elle préférait rester ici et ne pas devoir d'explications à personne, c'était plus simple pour tout le monde. Elle préféra donc s'assurer que Graziella n'avait pas été tirée du lit par sa faute, histoire de ne pas débuter cette nouvelle amitié du mauvais pied. « Non, absolument pas. J'avais le sommeil un peu agité. » « Je vois. Cauchemars? » demanda-t-elle en versant le café brûlant dans l'une des tasses pour la porter à ses lèvres et décider finalement d'y ajouter un peu de lait et de sucre.

« Tess, euh, il faudrait qu'on discute d'un truc. Non pas que je ne sois pas contente que tu sois ici, mais, hum.. J'avais complètement zappé mon... frère. Je sais pas trop comment il peut le prendre, honnêtement. » « Oh. Je pourrai lui demander si tu veux, sans lui dire que tu as déjà dis oui! » affirma Tessa en riant, prenant décidément à la légère les craintes de Grazie. Après tout, Leandro la connaissait déjà un peu et elle ne voyait pas vraiment pourquoi il refuserait de l'héberger alors qu'elle était l'amie de sa soeur. La perspective de revoir le frère de son amie la fit sourire alors qu'elle prenait une nouvelle gorgée de café avant de poser sa tasse sur le comptoir. « Ça va l'ennuyer tu crois? Je voudrais pas foutre la merde non plus ! » En fait, elle avait bel et bien l'intention d'imposer sa présence, mais elle voulait le faire en douceur afin qu'ils n'aient pas l'impression de la voir prendre d'assaut leurs vies sans plus n'avoir aucun contrôle. « Parlant de ton frère ... Il est toujours avec cette ... comment elle s'appelle déjà? » Appuyant son dos sur le mur de la cuisine en faisant mine de réfléchir, Tessa haussa finalement les épaules alors qu'elle ne parvenait pas à se rappeler le nom de la petite amie de Leandro. Elle aurait pu être heureuse de le savoir en couple ou heureuse en général de savoir ses amis ou ses connaissances heureux, mais ce n'était pas vraiment le cas. Elle avait vu la fille et, décidément, ils n'allaient pas ensemble. Incertaine quant-à l'attitude à adopter puisqu'elle ne savait pas encore ce qu'elle représentait pour Graziella - si ça se trouve, toutes deux étaient devenues les meilleures amies du monde - elle préféra ne rien ajouter afin de ne pas plonger les deux pieds dans le vide.