Fatiguée et lasse de tout, elle avait décidé de s’abandonner à la vie. Comme une feuille tombée de son arbre, elle se laisserait guider par le vent. Suivant un chemin tout tracé que le destin lui avait expédié. Depuis des semaines elle languissait dangereusement, espérant sans cesse de voir une lumière se poser sur sa vie. Mais rien. Uniquement ce son étourdissant qu’est le silence. Devenue sourde à toutes les remarques qu’on pouvait lui faire, elle ne vivait désormais plus que dans son monde. Pas vraiment un monde enchanté, mais un endroit où la réalité n’avait plus sa place. Elle avait existé, vécu aux yeux de tous et puis, volontairement et cruellement, ils l’avaient tuée, assassinée, lacérée et blessée. Elle avait été la première a lâcher prise, à se jeter dans la fosse aux lions. Elle avait abandonné toute fierté et amour propre pour quelques paillettes à s’enfiler dans le nez, pour quelques verres à s’envoyer, pour quelques pétards à se fumer. Elle avait elle-même troqué sa jolie petite image pour celle d’une trash girl un peu révoltée. Et le résultat aujourd’hui n’était que bien peu concluant. Il était même plutôt désastreux. Elle essayait d’oublier son échec et ses rêves envolés. Elle tâchait de montrer une image forte et déterminée de celle qu’elle avait été et qu’elle ne serait probablement plus jamais. Plus personne n’était là pour l’aidée, elle se retrouvait seule : délaissée et oubliée. Terminée cette histoire de star de la chanson, de grande voix, de jolie demoiselle faite pour devenir star. Il ne restait plus que la petite fille possédée, celle qu’on avait longtemps pris pour un monstre et qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour recommencer. À tort, probablement. Puisque un rien suffisait à la faire basculée. Comme ce petit garçon aux sourcils froncés. Il avait passé la matinée à passer et repasser devant elle en cherchant où il avait bien pu voir son visage. Et c’est lorsqu’il avait grillé son nom de scène, qu’elle avait compris que Pamela ne serait jamais morte. Celle qui avait ruiné sa vie et fait volé en éclat ses rêves. Désabusée, elle avait pris un joint qu’elle avait dissimulé sous le comptoir de l’épicerie que tenait sa mère et avait choisi de s’aérer. Marchant dans les rues, le regard perdu, elle tirait sur le papier avec une précipitation qui la faisait tousser. Cherchait-elle désespérément à en finir ? Probablement. L’herbe entassé dans la feuillé roulé diminuait à vue d’œil alors qu’elle s’était arrêté dans le parc, s’appuyant contre un arbre, la tête dans les nuages et l’esprit endormi. Elle avait alors clos les yeux pour ressentir la délicieuse douceur du vent sur son visage et alors qu’elle s’apprêtait à s’abandonner, une voix résonna tristement dans sa tête. « Ruthie, pose ce joint s’il te plait. » Un pâle sourire s’immisça sur le visage de Ruth, complètement ailleurs. « Même morte tu vas me faire chier, la môme ? » La question était purement rhétorique, les yeux toujours fermé, elle n’avait pas encore pris conscience de la présence à ses côtés. Mais ce fut en tirant une nouvelle fois sur le joint qu’elle ouvrit un œil, par pur esprit de contradiction, sans doute. Et son cœur manqua un battement. Là, juste à côté d’elle, une amie qu’elle avait crue perdue à jamais. Son cœur se serra douloureusement face à cette vision que la drogue accumulée faisait naitre. Pure illusion, fantaisie de son esprit. Voilà ce que c’était, ça ne pouvait être que ça. Ou… « Waw ! T’as été aux pays des petits êtres bleus ? Genre t’as vu le grand avec son chapeau rouge et il t’a changée en blonde ? Ils ne sont pas vraiment asexué là-haut, alors ? C’est bon le sexe au septième ciel ? » Provocante et humiliante, elle cherchait à comprendre pourquoi l’angelot était descendu de son petit nuage. Oui, Massie était morte. Définitivement morte. Elle avait passé des heures sur sa tombe et avait vu son cercueil porté en terre. Ca ne pouvait être qu’un ange ! Et pour Ruth, le Paradis avait un léger goût de « Village des Schtroumpfs ». Dieu c’était le grand schtroumpf et le reste ça devait être genre des anges, des apôtres ou autres conneries du genre. Mais cela ne changeait rien à la situation. « Si on t’a envoyée pour me sauver de ma pseudo-détresse, prends tes boucles et mes les voiles, princesse. T’es moche en blonde, putain. Sérieux. Ils ont mal fait leur boulot tes relookeurs ! » Et pécheresse, elle glissa à nouveau le bout de sa cigarette entre ses lèvres la tendant à l’ange pour vérifier la pureté des cieux.

Depuis que Massie était morte, Ruth s’était forcée à ne plus y penser. Refoulant les souvenirs dans un coin alourdit de sa mémoire. Dissimulant sa peine derrière ses attitudes éhontées et romanesques, cherchant toujours à provoquer pour oublier. Elle pensait avoir réussi. Elle pensait sincèrement qu’elle avait pu échapper aux tourments de la douleur et que l’oubli avait été son logis. L’image d’une jolie brune aux joues roses et aux fossettes creusées n’était désormais plus encrée au plus profond de son être et n’était plus associé à personne. Elle avait décidé de prétendre ne pas la connaître, elle avait décidé d’envoyer balader la petite fille riche qui lui avait toujours servie d’amie. Elle n’avait jamais compris comment et pourquoi elle l’avait abandonné. Elle n’avait jamais compris pourquoi elle devait désormais lutter seule face aux assauts que le monde lui envoyait. Et pour ça, elle lui en voulait toujours un peu. Peut-être que, dans le fond, c’était cette rancune qui lui avait permis d’oublier… mais oublier quoi ? Tout ? Et bien, non, visiblement : elle n’avait rien oublié. Juste à ses côtés, l’image de son amie persistait, elle cherchait d’où venait l’illusion sans véritablement vouloir trouver la réponse. Était-ce un effet des bouffés d’herbe accumulées ? Un ange descendu des cieux ? « Que veux-tu, faut bien que je vienne rendre visite à ma vielle. » Ruth tira à nouveau sur son joint en détournant le regard. Elle aurait tellement préféré qu’elle ne vienne pas lui rendre visite. Elle sentait dans les battements de son cœur comme une douleur sourde l’encerclé. Pourquoi était-elle véritablement venue ? Cherchait-elle a la ramener à la vie, elle qui avait perdu le chemin de la raison depuis si longtemps ? Elle espérait de tout cœur qu’il ne s’agissait pas de cela. Sinon, elle serait dans l’obligation de la décevoir. « Non. Tu pouvais t’abstenir. » Avait-elle alors soufflé sans un regard pour l’ange blond. Sa voix n’avait été qu’un piètre murmure qu’un coup de vent aurait pu emporter et elle espéra que Massie ne l’entendit pas. C’était loin d’être les paroles que l’on souhaitait entendre de la part d’une amie soi-disant fidèle et dévouée.

Pour essayer de se racheter et d’être ce genre d’amie, Ruth avait tenté une plaisanterie. Bien que cette dernière fût bien plus provocante que plaisante, Massie en rit. À l’entente de ce son si cristallin, le cœur de la demoiselle se serra à nouveau. Elle avait oublié cette mélodie si plaisante, ce regard rieur, la façon dont son visage s’illuminait lorsqu’elle riait. Finalement, oui, elle avait oublié beaucoup de chose mais pas suffisamment pour qu’elle puisse vivre ses retrouvailles avec entrain ou avec une joie évidente. L’absence que la jeune fille avait laissée à sa mort n’avait pas été de tout repos pour Ruth qui s’était battue mille fois contre elle-même pour ne pas sombrer dans le pire des gouffres. Bien sûr, elle donnait cette illusion de trash girl que rien n’arrête et n’intéresse, mais c’était bien plus profond que cela. Elle était humaine ! Comme n’importe qui. Et les joints n’effaçaient ni la peine, ni l’attachement, ni toutes ces conneries qu’on fournit en kit à la naissance. Elle devait lutter contre ce qu’elle rejetait d’elle-même et c’était loin d’être une partie de plaisir. « Oh tu sais, ils sont plus blanc que bleu par contre niveau sexe, je dois dire que je n’ai pas encore trop essayé. Tu sais, ils ne sont pas très jeune par-là. Par contre, il parait que le King a un coup de rien à envoyer tout le monde au septième ciel. » Si en temps normal, Ruth aurait ri de la blague, elle se contenta de soupirer, déçue. Alors comme ça au Paradis, les petits hommes ne sont pas plus ? Et le sexe ce n’est pas trop ça ? Elle comprenait désormais pourquoi l’Enfer l’avait toujours plus excitée. Quant au King, ce n’était pas comme si elle n’avait jamais envisagé la chose. Fan de vieux Rock et de cet icône mondiale, elle avait toujours fantasmé sur lui. Elvis était une sorte de mentor et sa fin ressemblait étroitement à celle qu’elle souhaitait. Sauf qu’elle refusait de finir moche et bedonnante. C’était ça en plus pour elle. « Dans mes rêves, le King, je le baise quinze fois par nuit. Même sur Terre j’en profite plus que toi… » Sa voix n’avait été qu’un grincement irrité. Elle lui en voulait tellement de l’avoir laissé là, seule et sans personne pour la relever. Et puis, voilà que d’un coup, elle revenait. Et pourquoi ? Est-ce que là-haut les anges avaient des putains de missions à la con qui avaient pour but d’aider leurs anciens camardes ? Devait-elle donc emmener l’âme perdue qu’elle était vers le droit chemin de la sainteté et autres balivernes ? Massie pouvait essayer, jamais elle n’y parviendrait…

Testant la pureté des cieux avec un joint comme on amadoue un enfant avec une sucette, la jeune femme avait eu l’espoir que son ancienne camarade de jeux l’attraperait à pleine main et tirerait dessus à s’en étouffé. Mais non, elle le lui rendit sagement agrémenté d’un : « Désolé, ordre de là-haut. » Ruth ne put s’empêcher de lever les yeux aux cieux avant de déclarer. « C’est ça ouais, pardon petit Jésus d’avoir voulu salir ton salopard d’angelot mal fagoté. » Parce que oui, pour elle, Massie n’était plus celle qu’elle avait connue. Elle était tellement différente et elle semblait tellement ennuyeuse ! Pourquoi lui avait-il fait endurer cela au royaume des morts ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? « Je ne peux pas partir ma vielle, on m’a envoyé ici pour t’aider, pas te sauver, seulement t’apporter un petit soutien et puis vu où tu es vis maintenant, tu as vraiment besoin de moi. Et si j’ai cette moche couleur blonde c’est pour passer incognito. Parce qu’en fait, personne ne doit savoir que je suis moi à part toi, donc j’ai dû me rendre moins sexy par obligation. Par contre pour te revoir, j’ai dû passer un marché, je ne peux pas vivre comment avant. Alors pas de sexe, d’alcool ou de drogue. » Ruth soupira, agacé par cet ange stupide qui lui avait volé sa meilleure amie. Son regard étai porté vers l’horizon invisible alors qu’elle cherchait les mots, assauts et autres petites piques qui pourraient réveiller l’ancienne Massie. « J’ai besoin de personne. » Cette réplique avait été à peine formulée, tout juste pensée. Les pseudo blagues son amie n’avait plus le moindre effet sur elle, elle se contentait de les trouvant gerbante et s’abstenait de ne pas lui cracher sur les bottes. « T’avais qu’à pas le passer ton foutu marché, je n’voulais pas te voir, moi. J’ai rien demandé. J’ai pas besoin de ton aide et j’ai encore moins besoin de toi, tout court. Et puis… » Elle tourna son regard vers la petite blonde qui en fit de même et avant qu’elle ne puisse rétorquer quoi que ce soit, elle eut l’impression de recevoir une gifle monumentale. « Qu’est ce qui t’es arrivée ? » Une sorte de rire hystérique lui irrita la gorge alors qu’elle balançait le joint au loin et qu’elle se remettait sur ses deux jambes. Surplombant l’ange de tout sa hauteur, elle la dévisagea avec amertume et cette fois, elle ne put retenir ce cracha qu’elle lui balança au visage. « J’espère que tu te fous de ma gueule, blondie ! Ce qui m’est arrivé ? A moi, rien. J’ai pas changé, je prétends ne pas être quelqu’un d’autre et puis… » Elle s’approcha et vint caresser la joue de la douce enfant. « Ouais, c’est ce que je pensais… Même quand je touche le fond, j’ai pas le culot de me faire passer pour morte. Parce que tu sais quoi ? Les anges, les histoires débiles de Dieu, ça va trente secondes mais je suis pas si naïve. Et tu m’as totalement fait dégrisée avec tes conneries, donc je suis on ne peut plus lucide, la môme. Je pensais que t’étais une amie. T’es juste… une grosse merde. Bravo, félicitation, tu vas bientôt toucher le fond. C’est ça que t’es venue me dire ? Bah je t’ai pas entendu pour le savoir ! » Elle tourna le dos à la princesse et serra ses bras contre sa poitrine alors qu’une larme de colère ruissela sur ses traits tirés…