Bullshits !Nohl, est-ce une façon de parler à sa mère ?Dévalant les escaliers, glissant à moitié sur la rampe avant de sauter en bas en pour se rattraper au porte manteau, l'adolescent ne répondit que par un soupir à sa mère excédée qui, les mains plaquées sur ses hanches, le regardait depuis l'étage. Elle savait qu'il allait être secoué quand elle lui apprendrait la nouvelle, elle savait qu'il serait dur avec elle, qu'il se fermerait à la discussion, comme il le faisait toujours quand il s'agissait d'elle. Oui, elle savait qu'il était à prendre avec des pincettes sur ce terrain glissant. Mais elle n'avait pas trouvé de bonne manière pour lui annoncer, pour éviter sa souffrance et sa colère. Y en avait-il une, au fond ? Une pour pallier à l'abandon ?
Tu aurais préféré que je ne te dise rien et croiser ta sœur dans la rue ?Quelle soeur ? rétorqua-t-il avec insolence, son air revêche tournant à la culpabilité lorsqu'il croisa le regard triste de sa mère.
Laisse tomber, maman. Je ne cours pas après les fantômes.Et sur ces paroles affligeantes, le grand brun avait jeté son sac sur son épaule et pris la porte sans un au revoir ni même emporter son déjeuner, que sa mère avait laissé sur la table de la cuisine. Les cheveux encore mouillés de sa douche matinale, il avait pris la direction du bus qui le mènerait au lycée en traînant des pieds dans ses Converses mal lacées, l'air encore plus morne que les autres lundi matins où il se rendait en cours de Géographie - ou plus communément, le cours le plus chiant jamais dispensé. Pourtant, il avait fait comme si de rien n'était, ne changeant rien à sa routine, répondant aux bonjours des voisins, s'asseyant tout au fond du bus avec ses potes, rigolant aux blagues pas drôles de ceux-ci. Le silence, lui, était venu plus tard. Dans le réfectoire. Quand il s'était retrouvé sans appétit au milieu des autres qui déliraient la bouche pleine et se jetaient des miettes de pain. Il avait alors prétexté un mal de ventre et quitté la table pour foncer dans les toilettes des hommes et se passer la tête sous l'eau...
... Sous l'eau. Son exutoire.
Gallagher, tu en as fait assez pour aujourd'hui, sors de l'eau.
Encore une série, coach. répondit-il entre deux coulées avant de replonger aussi sec sous la surface.
Ça en fait déjà six que tu devrais être dehors et que tu m'baratines, petit. Sors de l'eau, tu vas t'épuiser.Faisant mine de ne pas entendre, Nohlan était reparti en crawl, fendant l'eau avec une facilité alarmante, et montrant trop peu de fatigue pour quelqu'un qui venait déjà de nager plusieurs kilomètres. Ce qui lui permettait de tenir la cadence ? La rage. Contre Evalee, principalement. Qui osait revenir après huit ans d'absence. Huit ans ! Huit putain d'années où il avait refusé toutes ses tentatives pour se faire pardonner et revenir dans sa vie, le message était clair, non ? Et elle savait très bien pourquoi : parce qu'elle l'avait abandonné au pire moment de sa vie, chose qu'une sœur, dans son monde, n'aurait jamais faîte ! Et le pire était la raison de son abandon : un stupide sport de combat. Alors que lui, qu'elle était sensé protéger, vivait le drame de sa vie : le divorce de ses parents, le déchirement de sa famille... Et elle, elle n'avait rien trouvé de mieux que de s'en aller en le laissant derrière elle, alors qu'il n'avait que huit ans ? Et bien parfait ! Mais qu'elle ne revienne pas, maintenant. Non, qu'elle ne revienne jamais ! Il n'avait pas besoin d'elle. Il n'avait besoin que de nager. Car oui, s'il aurait pu tomber dans l'alcool ou la drogue pour apaiser ses souffrances, il n'en était rien. Nohlan, lui, était tombé dans une piscine, et c'était devenu son moyen de déverser sa colère. Son moyen d'arrêter d'en vouloir au monde entier l'espace de quelques heures, quand il disparaissait sous l'eau... Un pain en mousse lui atterrit sur la tête et le força à sortir celle-ci de l'eau, à bout de souffle, pour regarder son coach, l'air sévère et réprobateur, le fixer.
Garde l'énergie pour la compet' de samedi et file à la douche ! C'est un ordre, et il prend effet à la seconde. le réprimanda-t-il alors qu'il fut bien forcé de sortir du bassin, lessivé.
Lorsqu'il fit ses premiers pas hors de l'eau, il sentit que ses muscles étaient endoloris et qu'il avait trop forcé. Pestant contre lui-même, il se massait vaguement les mollets quand un bruit métallique lui fit lever les yeux. Lorsqu'il releva la tête, elle était là. Son coeur rata un battement alors que leur regard se croisaient et qu'elle lui souriait...
...Déjà rhabillée, Nirvana Richardson de l'équipe féminine l'interpellait depuis les gradins.
Salut, Nohl.Hey, Nirvana. Qu'est-ce que tu fais encore là ? dit-il, avalant sa salive comme il put, tout en essayant de bander tous ses muscles pour avoir l'air plus musclé, se baffant intérieurement pour la banalité de sa phrase.
Une fille comme Nirvana Richardson méritait un peu plus d'originalité que ça. Même beaucoup plus. Cette fille était d'une classe supérieure, voyez ? Et pas que littéralement, bien qu'elle avait en effet 17 ans et était en classe de terminale. Mais parce que c'était le genre de filles inaccessibles et convoitées par toute l'équipe de football, de baseball, d'athlétisme, ainsi que le club d'échec en secret... Et en fait de tous les garçons normalement constitués, pour faire court. Car en plus d'être belle, elle était intelligente, raffinée, et drôle. S'il en était amoureux ? Pas du tout. Non, le cœur qui bat vite, le cerveau à plat et la bouche sèche, ça ne veut absolument rien dire...
Je te regardais nager. Queuwaaa ? Respire, Nohlan, respire. Et surtout, aie l'air naturel. Ne rougis pas, bordel, t'es un mec ou bien ?! Et maintenant, parle. Allez, dis quelque chose, merdeee !
Ah ? Ah d'accord... Parce que maintenant, tu as décidé de ne communiquer que par onomatopées ? De mieux en mieux ! LOSER !
Oui, je l'avoue, j'essaie de copier ta technique. Le coach vantait ta vitesse, alors, je suis venue voir par moi-même, et il avait raison. Tu es bon.
Toi aussi tu es bonne. Oh non, tu n'as pas dit ça... Mais qu'est-ce qu'on va faire de toi, hein ?! Comment peut-on être aussi nul ?
B-bonne en nage ! Enfin, ça veut pas dire que je te trouve pas belle, mais, là, c'est pas ce que je voulais dire, et encore moins vulgairement, je voulais juste dire que... C'est ça, vas-y, enfonce toi. Et prends pas le temps de respirer non plus, c'est vrai, toi, t'es un warrior, t'as pas besoin d'oxygène...
J'ai vu ta perf' le mois dernier au championnat. C'était impressionnant. finit-il par se rattraper, avant de relâcher d'un coup la pression, si bien qu'ils éclatèrent de rire à l'unisson.
Quand elle eut fini de rire et lui de subir sa bêtise, elle se mordit la lèvre et fit quelques pas sur place avant de finalement lui demander, brisant ce silence mortifiant durant lequel Nohlan s'était traité de loser au moins cent fois en son for :
Tu voudrais bien me raccompagner ? On prend la même route je crois et...
Sans problème ! Même si ça l'avait pas été, j'aurais fait le détour. la coupa-t-il, s'empressant d'attraper sa serviette qu'il rabattit sur ses épaules.
Attends moi là, j'en ai pour cinq minutes...On mange dans cinq minutes !J'arriveeee ! avait-il crié jovialement en apparaissant subitement dans la cuisine, installant déjà les couverts sans même qu'elle aie eu besoin de lui demander quoi que ce soit.
Ce changement radical d'humeur laissa sa mère perplexe, la forçant à se détourner de ses pâtes au pesto pour le regarder. Il souriait bêtement. Niaisement, même.
Qu'est-ce qui te met de si bonne humeur mon chéri ? Moi qui m'attendais à te voir t'enfermer dans ta chambre et devoir te monter ton dîner après l'annonce du retour d'Evalee...La main de Nohlan se figea dans son geste et s'abattit violemment sur le bord de la table. Son sourire s'était envolé lorsqu'il releva deux yeux furieux sur sa mère. De suite, elle comprit qu'elle avait trop parlé mais n'eut pas le temps de se rattraper.
Pourquoi est-ce que tout se rapporte toujours à elle, hein ? Je peux pas être simplement heureux, malgré elle ? cracha-t-il, acide, le nez et les sourcils froncés.
Je ne veux plus entendre parler d'elle, t'entends ? Arrête de me bassiner avec son retour ! C'est faux, elle ne reviendra pas ! Alors cesse de l'attendre et de l'espérer ! lui ordonna-t-il avec violence, tapant du poing sur la table, alors qu'elle sursauta.
Je ne te suffis pas ? Et bien je suis désolé de te décevoir, maman, mais je ne serais jamais la fille de tes rêves. Alors faudra t'en contenter. conclut-il, cassant, rassemblant ses affaires et les reposant dans le placard.
J'ai plus faim. Ne me monte rien, je vais dormir.Elle ne put rien faire pour le retenir, et quelques minutes plus tard, la porte de sa chambre claquait, comme le jour où sa sœur les avait quitté. L'écho de la peine de l'autre fut douloureux, autant pour le fils qui s'en voulut d'avoir été dur, que pour la mère, d'avoir gâché une soirée qui s'annonçait si bien. Couché dans son lit, Nohlan se força à penser à Nirvana et à leur premier contact, tellement inespéré, pour enterrer la douleur du souvenir d'Evalee, sa magnifique soeur, si douce, au halo de cheveux dorés, désormais effacé par le reflet d'une jolie brune à la voix chantante qui lui ferait tout oublier... Tout.