Une journée. Une longue journée entière de cours, enfermé entre les quatre murs de cet amphi, en tête à tête avec ce prof bien plus soporifique que passionnant... Owen n'avait pas vraiment l'habitude de ce genre de traitement. Son truc à lui, c'était la liberté, et pouvoir faire ce qu'il voulait, quand il le décidait. Mais depuis qu'il avait commencé à prendre des cours à l'université, il avait du faire quelques concessions, à commencer par ses grasses matinées, ou encore ses longues journées à flâner au bord de l'eau en jouant de la guitare. Fort heureusement pour lui, il lui restait les vacances et les week-end pour goûter de nouveau à cette liberté dont il ne pouvait décidément plus se passer. Mais aujourd'hui, l'épreuve avait été beaucoup trop pénible pour lui. Pendant tous les cours, il n'avait eut de cesse de regarder par la fenêtre, d'observer les quelques oiseaux qui osaient s'aventurer près des fenêtres, et de les envier. Eux au moins, ils pouvaient profiter du soleil sans avoir mauvaise conscience, et ils se fichaient pas mal de ce pantin qui s'agitait depuis des heures devant un grand tableau noir. Oui, la vie d'un oiseau, ça devait être rudement bien... Owen sursauta, et fut orti de ses pensées assez brusquement par le professeur qui claqua des mains pour signaler la fin du cours (ou plus exactement pour réveiller une bonne partie de l'assembler et n'enfermer personne dans l’amphithéâtre en partant). Ni une ni deux, le jeune homme attrapa son sac, le posa sur ses épaules et prit la direction de la grande porte de sortie. Une fois dehors, il respira à pleins poumons l'air plus ou mois pur autour de lui, comme pour reprendre un peu d'énergie, recharger ses batteries pour repartir de plus belle.

Quelques dizaines de minutes plus tard, Owen entrait dans une supérette. Celle-là même qui faisait l'angle de la rue toute proche de l'université. En général, il aimait venir faire ses quelques courses dans cet endroit qui lui permettait de ne pas déplacer son van, stationné aux abords de la fac. Cette fois, Owen venait simplement chercher de quoi manger ce soir. Il avait forcément eut le temps de planifier sa soirée pendant qu'il était en cours, et comme souvent il avait décidé de s'éloigner au maximum de la civilisation et des lumières de la ville. Son endroit favori : la forêt. A force d'y errer, il commençait à la connaître par cœur, il y avait ses petites habitudes. Là-bas, personne d'autre qu'une chouette ou un chevreuil ne pouvait venir le déranger, et c'est précisément ce qu'Owen recherchait. Le calme, le silence, toutes ses choses qui sont introuvables en ville.

Après s'être creusé la tête pendant quelques minutes, Owen opta pour une omelette. Il remplit donc son panier de légumes, et se mit en quête du rayon où il pourrait trouver des œufs. Quelques minutes lui suffirent à trouver l'endroit n question, et il s'y dirigea d'un pas décidé. Arrivant à l'angle du rayon voisin, il dut s'arrêter net pour laisser passer quelqu'un, qui ne regardait visiblement pas trop autour de lui. Ou plutôt autour d'elle... Sous cette chevelure blonde qui lui semblait familière, Owen reconnut très vite la belle inconnue, qui ne l'était d'ailleurs plus vraiment. Lip... Elle était là, de nouveau juste devant lui et il ne put s'empêcher de sourire en la regardant passer. Il aurait voulu l’interpeller, mais il était encore bien trop timide pour ça. Alors il se contenta de rester immobile, attendant presque qu'elle lui marche dessus pour la voir enfin lever les yeux vers lui...

Owen était donc une fois de plus planté devant cette fille, avec un sourire niais figé sur les lèvres. Elle avait décidément sur lui un effet pour le moins étrange. D'un naturel plutôt timide et réservé, il se retrouvait carrément mal à l'aise quand il était en face d'elle. Mais depuis leur dernière rencontre, le jeune homme avait prit un peu d'assurance. Enfin, ce qu'il appelait leur dernière rencontre était en réalité leur première « vraie » entrevue. Jusque là, il s'était en effet contenté de la regarder de loin, de l'observer comme un espion, sans jamais se montrer ni se faire surprendre. Si bien qu'il avait l'impression de la connaître avant même d'avoir entendu le son de sa voix. Owen était bien conscient de l'absurdité de cette situation, mais il ne pouvait pas faire autrement. Lip, sans même s'en douter, emplissait ses pensées depuis la première seconde où il l'avait croisée. Mais bien sûr, le jeune homme tenait tout ça au secret, et n'en avait jamais parlé avec qui que ce soit. Il faut dire qu'en tant que grand solitaire, il n'avait pas grand monde à qui se livrer et s'épancher sur ses sentiments les plus profonds.

Trop affairée à taper un message sur son téléphone portable, Lip ne l'avait pas vu venir, et l'aurait percuté de plein fouet s'il ne s'était pas arrêté juste à temps. Se rendant compte qu'elle n'était pas seule, elle le va timidement les yeux vers Owen, toujours figé et souriant. Lorsqu'elle croisa son regard, un sourire se dessina sur son si doux visage. Le jeune saltimbanque fut comme hypnotisé, et seule la voix de Lip put le sortir de cet état second dans lequel elle le plongeait à chaque fois. « Quel plaisir de te voir ici... » Ces quelques mots, on ne peut plus simple, résonnèrent dans la tête d'Owen. Pourtant, la jeune femme avait très bien put les lancer comme ça, sans réfléchir, machinalement. Mais ils avaient fait l'effet d'une bombe chez son interlocuteur. Alors comme ça, elle était heureuse de le voir ! Lui aussi, et si elle savait à quel point il l'était ! Non, elle ne pouvait même pas l'imaginer... Il resta silencieux, en la regardant toujours avec son beau sourire. Les yeux plongés dans ceux de Lip, il s'efforçait de ne pas en dévier. Un peu gênée, elle reprit la parole pour s'excuser. Owen se mit alors à rire discrètement. « C'est rien. Enfin... » Il regarda la boîte d’œufs qui trônait dans sa main en penchant légèrement la tête. « On a frôlé la catastrophe ! »

Owen posa délicatement ses œufs dans son panier, puis se redressa lentement. En fait, il cherchait désespérément quelque chose à dire, pour ne pas que le silence s'installe encore entre eux. Mais face à ce regard qui avait tendance à le pétrifier, rien ne lui venait. Il se racla la gorge pour se redonner un peu de contenance, puis se gratta maladroitement la nuque. « Hum... ça va, depuis la dernière fois ? Oh, et ta voiture ? Le garagiste a été meilleur que moi pour te secourir ? » Le jeune homme grimaça quelque peu en prononçant ces mots. En effet, il avait été un dépanneur plutôt pathétique, incapable de faire quoi que ce soit pour cette jeune fille en détresse au bord de la route. La seule chose qu'il avait pu faire avait été de la conduire jusqu'au garagiste le plus proche afin qu'il vienne à son secours comme il se devait. Après ça, il ne l'avait plus croisé, et n'avait donc pas eut l'occasion de connaître la fin de l'histoire. Mais à vrai dire, tout ce qui comptait pour lui, c'était les moments passés avec elle. En la quittant devant le garage automobile, il était repartit, l'esprit ailleurs, vers la forêt qu'il aimait tant. Toute la nuit il s'était repassé les scènes de la journée, en faisant le point sur les moments où il avait été ridicule et... les autres.

La jeune femme commença par lui répondre en le vouvoyant, ce qui le fit sourire immédiatement. En réalité, il se félicitait presque de ne pas avoir fait l'erreur en premier, et s'amusait de voir Lip se reprendre, et finir par le tutoyer. Elle souriait, et Owen ne pouvait s'empêcher de la regarder, de l'admirer en se plongeant dans ses si jolis yeux. La tête légèrement penchée, on aurait pu croire qu'il regardait un paysage, un coucher de soleil... enfin, quelque chose de sublime. Mais c'était simplement elle, et elle lui faisait presque le même effet. Elle termina sa phrase en lui adressant un clin d’œil, et le jeune homme crut fondre sur place. C'était comme si elle l'avait hypnotisé, ensorcelé même ! Owen ne savait pas trop comment qualifier cela, mais il vouait une véritable admiration à cette fille depuis la première fois qu'elle avait croisé son chemin. Il se reprit tant bien que mal, et afficha un petit sourire distrait. « Euh... Oui, peut-être... Je ne devais pas être très concentré... » En effet, c'était le moins que l'on puisse dire. La réparation de la voiture était très certainement dans ses cordes puisqu'il avait retapé presque seul son vieux van. Mais sous les yeux de la belle inconnue, il avait été tout simplement incapable de faire quoi que ce soit pour l'aider. D'ailleurs, en y repensant, il s'était trouvé bien pathétique et inutile, mais il valait peut-être mieux ne rien toucher, plutôt que d’aggraver encore la panne pour cause d’inattention.

Comme ils étaient désormais tous les deux tournés vers la même direction, Owen décida de reprendre son chemin vers les caisses, lentement. Lip avait elle aussi visiblement terminé ses achats, et elle lui emboîta le pas. L'épicerie n'était pas grande, et il ne leur fallu que quelques secondes pour atteindre la caisse. Dans un geste de galanterie, le jeune homme s'écarta pour laisser passer Lip devant lui et en profita pour reprendre la parole, pour briser le nouveau silence qui s'était installé entre eux. « Alors, tu as suivi mes conseils ? Tu es allée te balader en forêt ? J'ai surveillé le chemin le soir, mais je n'ai vu personne... » Il avait prononcé ces mots sur un ton presque ironique, se doutant bien qu'elle devait avoir d'autres chats à fouetter le soir. Notamment avec son petit ami. Le grand brun costaud qui la suivait en ville, celui-là même qui avait fait qu'Owen avait rebroussé chemin le jour où il avait décidé de l'aborder. En ne le connaissant que de vue, il le détestait déjà. C'est lui qui avait anéantit tous ses espoirs, et qui avait classé Lip au chapitre des rêves. Et puis franchement, Owen avait bien vu qu'il ne faisait pas le poids, et qu'il n'avait absolument rien en commun avec lui. Il n'était pas spécialement grand, ni musclé d'ailleurs, loin de là. Son bronzage était quasi nul, ses bouclettes inexistantes. Et le look... Bref, ne parlons même pas du fossé qu'il y avait entre les deux garçons. Alors, sagement, Owen s'était éclipsé, et n'avait plu jamais essayé d'approcher sa belle. Il était toujours resté à une bonne distance d'elle, et ne la lâchait pas des yeux une seule seconde, c'est tout ce qu'il pouvait faire. Pour la seule occasion qu'il avait eut de s'approcher un peu d'elle, il avait presque totalement perdu ses moyens, il avait bafouillé, il fuyait son regard, et avait été incapable de réparer sa voiture. Mais aujourd'hui, tout allait mieux. Enfin, un peu mieux. Même s'il avait l'impression de la connaître depuis un bout de temps, Owen pouvait maintenant dire qu'elle faisait partie de son entourage, pour de vrai. Alors il hésitait beaucoup moins quand il lui parlait, même si son visage le rendait encore un peu timide, il s'efforçait de paraître « normal » et sympathique devant elle.

Alors comme ça, elle attendait son invitation ? C'était plutôt bon à savoir, mais Owen était bien trop timide pour oser le lui proposer de son propre chef. Par peur de paraître trop brutal, ou par peur de bousculer les plans que la demoiselle aurait pu établir avec son petit ami... Il n'avait aucunement l'intention de s’immiscer entre eux. Il était arrivé trop tard : tant pis pour lui. Le grand brun costaud avait conquis son cœur, et pas lui, c'était comme ça. Sans réellement se faire une raison, Owen était néanmoins obligé d'accepter la situation. Et puis rien ne lui disait qu'il aurait osé l'aborder même sans voir celui qui semblait être son petit ami. Si ça se trouve, il aurait quand même renoncé, au dernier moment, beaucoup trop timide pour l'accoster et la draguer. Au lieu de ça, il avait fait sa véritable connaissance sur le bord de la route, alors qu'elle était en panne. Et voilà qu'il la retrouvait ici, dans cette supérette par le plus grand des hasards.

Les deux jeunes gens se dirigèrent donc vers la caisse, et Owen laissa passer Lip devant lui en lui offrant un grand sourire au passage. Au moment de payer, la jeune femme somma la caissière de garder la monnaie, et Owen fut aussi surpris que cette dernière. Il essaya en vain de ne pas trop le montrer, mais il faut dire que ce genre de gestes n'étaient pas vraiment dans ses habitudes. Lip entreprit alors de sortir du magasin, non sans avoir adressé un dernier sourire au jeune saltimbanque qui se sentit un peu rougir. La grosse caissière en face de lui, probablement encore sous le choc du geste de Lip, n'avait pas vraiment l'air d'être pressée. Et pourtant, une idée venait de traverser l'esprit du jeune saltimbanque qui trépignait d'impatience. La jolie blonde ne devait absolument pas partir avant qu'il n'arrive sur le parking, parce qu'il avait quelque chose à lui dire. Quelque chose à lui proposer, s'il l'osait ! La caissière daigné lui annoncer le montant de sa note de courses, et Owen lui tendit un billet d'un geste pressé. Contrairement à la cliente précédente, il attendit qu'on lui rende la monnaie, en évitant habilement le regard en travers de la caissière qui espérait en silence n'avoir plus que des clients comme Lip. Owen récupéra prestement ses sous, et les envoya valser au fin fond de la poche de son pantalon. Attrapant ses provisions, il partit presque en courant en direction de la sortie. Un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'il constata que la jeune femme était toujours là. En le remarquant, elle lui adressa un « Bonne fin de soirée, Owen. » qui manqua de le faire chavirer, encore une fois. Décidément, le simple son de sa voix avait sur lui un effet... hypnotique.

Rassemblant tout son courage, le jeune homme s'approcha un peu plus de Lip, et se racla la gorge. Pendant quelques instants, il chercha ses mots puis, se rendant compte qu'il devait être ridicule, se décida à prendre la parole. « Euh... Puisque tu attends mon invitation, je... Je vais justement passer la soirée en forêt donc, si tu n'as rien de prévu... » Un léger sourire vint souligner ses propos, avant de se transformer en une expression plus grave. « Euh tu ne dois pas te sentir obligée ! Enfin, je disais ça comme ça ! » Une fois de plus insatisfait de son piètre discours, Owen ne put réprimer une petit grimace timide. « Mais ça me ferait plaisir de te montrer... si tu veux. »