Sujet: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Mar 20 Sep - 23:58
Les bras croisés alors qu'il se refusait à intervenir dans la discussion qui opposait son externe à sa patiente, on aurait presque pu croire qu'il n'écoutait pas tant il semblait perdu dans son monde. La jeune femme était excessivement douée, elle avait le potentiel qu'il fallait et il était à chaque fois un peu plus surpris de savoir ce qu'elle parvenait à faire alors qu'il ne le lui avait montré qu'une seule fois. Toutefois, si elle s'avérait relativement douée au niveau de la pratique, elle avait souvent, un peu trop d'ailleurs, tendance à laisser son opinion et ses valeurs prendre le dessus sur l'objectivité et la neutralité qu'elle se devrait d'observer en tant que médecin. Bien sûr il se pouvait qu'elle ne soit pas toujours d'accord avec les décisions de certains patients, bien sûr il se pouvait qu'elle soit frustrée de donner un avis parce qu'on le lui avait demandé alors qu'au final, le patient n'en tiendrait pas compte, mais c'était pratique courante dans leur métier. Ils voyaient des atrocités et des choses avec lesquelles ils ne seraient pas toujours en accord, mais le patient avait droit à ses propres valeurs, à ses propres croyances et à sa propre vision de la vie, aussi fausse soit-elle pour un professionnel de la santé. Après tout, Ross avait bien vu des gens refuser des transfusions sanguines, à New York, et mettre ainsi leur vie en danger de par leurs croyances religieuses, mais qui était-il pour s'y opposer? Évidemment que c'était stupide, évidemment que c'était insensé quand on savait qu'ils pouvaient mourir et que la quantité de sang dans le corps humain ne dépendait aucunement d'une instance supérieure, mais c'était comme ça. Ses croyances personnelles entraient en conflit inévitable avec les croyances de certains patients et il n'était pas suffisamment puissant pour décider de ce qu'il convenait de faire ou non, de ce qui était vrai ou pas.
Toutefois, cette façon de faire et de penser, il l'avait apprise à force d'expériences et il savait pertinemment que son étudiante se devrait de passer par le même chemin si elle voulait être appréciée. Être un bon médecin, ce n'était pas seulement de soigner les patients, c'était aussi savoir être à l'écoute et ne pas faire en sorte de les braquer dès la première rencontre. Lorsqu'il crut bon de mettre un terme à l'échange entre sa patiente et son externe, il s'avança et toussota légèrement, reprenant le dossier de la femme en mains. D'un geste rendu gracieux par l'habitude, il signa l'ordonnance qu'elle venait réclamer tous les mois et la lui tendit avec douceur. « Tenez. Je vous souhaite de passer une excellente journée, mademoiselle Johnson. On se revoit dans un mois et si vous avez la moindre question, n'hésitez pas à prendre rendez-vous un peu plus tôt. » Toutefois, alors que la jeune femme, visiblement soulagée, quittait la salle d'examen et qu'Elizabeth était tentée de la suivre, Ross la retint d'un simple : « J'ai à te parler. » Prenant position sur le coin du bureau, il attendit que l'étudiante se retourne avant de plonger son regard dans le sien, les traits durcis. « Est-ce que tu peux m'expliquer ce qui vient de se passer? Je ne crois pas avoir saisi la raison de cette altercation. » Bien sûr qu'il le savait; il voulait simplement qu'elle fasse l'effort de mettre en mots ce qu'elle avait ressenti.
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Mer 21 Sep - 15:29
Madame Johnson. Jeune femme, à peine plus âgée qu'Elizabeth, qui était devenue ce qu'on pourrait appeler une « régulière » aux urgences. Ses visites s'étaient désormais espacées, mais il eut un temps où Elizabeth la voyait à plusieurs reprises par mois, pour soigner les mêmes blessures, dont la cause lui paraissait tout bonnement évidente. Elle se contentait de les soigner, de les suturer, mais plus ça allait, et plus Elizabeth trouvait ça absurde. Madame Johnson semblait pourtant être quelqu'un avec une certaine force et charisme, mais elle revenait, constamment avec ces mêmes blessures de femme abusée. Elle devait sans doute être de ces femmes qui devenaient une tout autre personne lorsqu'elles étaient amoureuses, se laissant dominer par une autorité qui n'avait pas lieu d'être. « Madame Johnson, je sais que ça ne me regarde pas mais... Je suis votre dossier depuis le jour où vous êtes venue aux urgences, et ces blessures veulent tout dire. - Non, s'il-vous-plaît, ce n'est pas ce que vous pensez. » C'était un dialogue de sourd, Elizabeth essayait tant bien que mal de lui faire ouvrir les yeux, de lui dire qu'il fallait savoir arrêter les choses au bon momet, mais elle se contentait de nier, avec politesse et émotion dans la voix. Elizabeth, quant à elle, canalisait ses sentiments, et tentait de garder une voix douce, mais voyant que le dialogue ne menait à rien, et elle reprit, plus ferme, sans pour autant en hausser le ton : « Madame Johnson, ce que je sais de vous se trouve dans ce dossier, je sais de vous ce que j'ai vu au cours des dernières consultations. Mais vous êtes beaucoup plus qu'un simple dossier et un code de sécurité sociale, et je pense qu'il faut connaître ses limites et connaître les limites de ce qui est acceptable. Vos blessures ne sont pas des blessures que l'on se fait en tombant du palier par un jour de pluie, ni celle que l'on se fait en se coupant avec un coin de feuille, non, ces blessures, et je le sais, et vous le savez, ce sont des coups. Je ne sais pas d'où ils viennent mais ils doivent provenir de quelqu'un de votre entourage, à qui vous tenez, que vous aimez. Et je sais à quel point il est dur de s'éloigner de quelqu'un qu'on aime, mais il y a un moment où il faut savoir le faire. Parce que c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Alors s'il-vous-plaît, faites quelque chose. Je serais ravie de vous aider, mais pour ça, il faut que le vouliez. - Vous avez tort, vous avez tort... » Elizabeth voyait bien la force acharnée qu'elle mettait afin de retenir ses larmes de couler, afin de lui faire croire que ce qu'elle pensait était complètement faux, elle voyait cette envie de persuader du contraire, et on peut dire que ça la toucha. Et c'était parce que ça la touchait, qu'elle voulait tant faire les choses bien, qu'elle voulait tant dire la vérité à ses patients, qu'elle voulait tant ce qu'il y avait de mieux pour eux. Elle pouvait certes paraître dure, et peut-être même s'occuper de choses qui ne la regardait pas, mais elle trouvait ça juste que de leur dire ce qu'il y avait de mieux pour eux. Puis Ross arriva : « Tenez. Je vous souhaite de passer une excellente journée, mademoiselle Johnson. On se revoit dans un mois et si vous avez la moindre question, n'hésitez pas à prendre rendez-vous un peu plus tôt. » Madame Johnson s'en alla alors, en effet soulagée de pouvoir partir et de ne pas être obligée à assister à l'interrogatoire qu'Elizabeth aurait poursuivi. Eli la suivit des yeux, presque tentée de la rattraper et d'entretenir une conversation avec elle en dehors de l'hôpital. Mais Ross l'interpella : « J'ai à te parler. » Elle s'y attendait et se retourna. « Est-ce que tu peux m'expliquer ce qui vient de se passer? Je ne crois pas avoir saisi la raison de cette altercation. » Elizabeth assumait parfaitement ce qui venait de se passer, elle n'était pas de ces filles tentant vainement de chercher des excuses, non, elle avait donné son opinion, une opinion qui concernait le bien de sa patiente. Elle s'humecta les lèvres, et répondit, calmement : « Ma patiente revient chaque fois avec des bleus, qui au lieu de diminuer se multiplient encore et encore. Ma patiente revient avec des points à suturer, des radios à passer, et c'est de pire en pire à chaque fois. Et je lui ai dit ce qu'elle refuse de voir, Docteur Bradford. » Elle s'arrêta, fixant Ross avec un regard déterminé. Elle tolérait toutes les croyances, toutes les religions, toutes les valeurs que les gens pouvaient inventer ; Elizabeth était quelqu'un de tolérant et même de curieux, qui s'intéressait aux différentes cultures et traditions. Elle était loin d'être bornée à sa petite ville natale et les principes qu'elle avait appris dans les alentours, mais elle trouvait certaines choses totalement absurdes. Selon elle, on ne prenait pas le risque de mourir ou même de souffrir pour... rien. Dans le cas de madame Johnson, il n'était même pas question de religion, c'était juste une incapacité à faire face à la réalité et à se convaincre qu'il fallait à tout prix arrêter de fréquenter la personne qui la frappait. « Docteur, vous voyez bien que ses excuses sont fausses. Je voulais juste qu'elle ouvre les yeux et qu'elle voie qu'elle a le choix. »
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Sam 24 Sep - 5:24
« Ma patiente revient chaque fois avec des bleus, qui au lieu de diminuer se multiplient encore et encore. Ma patiente revient avec des points à suturer, des radios à passer, et c'est de pire en pire à chaque fois. Et je lui ai dit ce qu'elle refuse de voir, Docteur Bradford. » Poussant un soupir désabusé en prenant conscience de l'ampleur de la situation et de la force avec laquelle il devrait s'acharner pour lui faire comprendre ce qu'elle n'était pas encore parvenue à saisir. Il la connaissait et il la savait aussi butée que lui lorsqu'elle voulait quelque chose, quitte à ne jamais lâcher l'affaire. Mais il savait d'ores et déjà que l'expérience lui donnait un avantage qu'Elizabeth n'avait pas, avantage qui lui ferait indéniablement gagner la partie. « Docteur, vous voyez bien que ses excuses sont fausses. Je voulais juste qu'elle ouvre les yeux et qu'elle voie qu'elle a le choix. » Fixant la jeune femme en plissant légèrement les yeux, il n'avait qu'à la regarder pour savoir qu'elle avait voulu bien faire. Elle n'avait pas voulu imposer son opinion coûte que coûte sans prendre la peine de peser les pour et les contre, elle avait même relativement raison, selon Ross. Relativement puisque si l'externe avait pris le temps de poser des questions à la patiente, elle n'était pas au courant de tout ce qui pouvait se passer dans sa vie. Elle pourrait poser toutes les questions du monde qu'elle ne pourrait jamais pouvoir affirmer avec certitude qu'elle connaissait tout de la vie des patients. La raison était simple: ils mentaient. Toujours. Ce n'était pas nouveau et elle devrait s'y faire. « Bien sûr que ses excuses sont fausses. Tomber dans les escaliers est la première connerie qui vient à l'esprit de n'importe qui lorsqu'il souhaite cacher la vérité. » débuta-t-il en posant ses mains de chaque côté de ses cuisses, sur le lit où il avait élu domicile, alors que son regard ne quittait pas celui de l'étudiante.
« Toutefois ... » se permit-il de rajouter en pesant bien ses mots cette fois-ci. « J'aimerais que tu jettes un coup d'oeil au dossier. » ajouta-t-il en attrapant la filière qu'il avait déposée à quelques centimètres derrière lui pour la lui tendre. « Quel âge a ta patiente, Elizabeth? » Volontairement peu réceptif aux explications de la jeune femme, il préférait lui montrer - et ce à sa manière - à quel point elle pouvait avoir tort d'agir comme elle venait de le faire. Sans toutefois lui laisser le temps de bien vérifier et de donner l'âge exact de la patiente, il se décida à poursuivre, ne serait-ce que pour tenter de la mettre sur la piste. Personne ne pouvait avoir entièrement raison ou même entièrement tort, il y avait toujours des différences de point de vue, des différences de contexte qui feraient qu'une situation pouvait s'appliquer à l'un et non à l'autre. « Si tu soignais un enfant et que tu constatais des ecchymoses sur les bras et les jambes du gamin, qu'est-ce que tu ferais? Tu demanderais aux services sociaux d'intervenir? Tu aurais raison de le faire. Par contre, je suis conscient que ce n'est pas un principe facile à saisir, mais si cette femme ne souhaite pas être aidée, tu ne pourras rien faire pour elle. » Le médecin s'était relevé afin de se positionner face à la jeune femme, la forçant du même coup à soutenir son regard. Certains en avaient rien à foutre et étaient en médecine parce que leurs parents l'avaient voulu et parce qu'ils avaient les notes pour y arriver, d'autres s'impliquaient trop personnellement dans le suivi des patients et l'un comme l'autre était nocif pour tout médecin, jeune ou vieux. « Il y a des moyens plus subtils pour lui fournir l'aide dont tu crois qu'elle ait besoin. » précisa-t-il, énigmatique, avant de détacher le premier bouton de sa chemise avec une impression désagréable de suffoquer. « Tu ne pourras pas aider tout le monde, Elizabeth. Et tu dois apprendre dès maintenant à fermer ton coeur si tu souhaites être un bon médecin. À ne pas te laisser envahir par tes émotions. Lui reprocher son attitude n'a rien changé, elle s'est braquée et s'est sentie attaquée. » Bien sûr, il lui faudrait également avoir une dose d'humanité afin de ne pas tomber dans l'autre extrême, tout aussi nocif, mais c'était plus facile d'apprendre à ouvrir son coeur que de le fermer entièrement.
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Sam 24 Sep - 13:08
« Toutefois ... » et c'était à ce moment là que Ross allait commencer à lui prouver par a b qu'elle n'avait pas à faire ça. Elle garda son calme, sans doute parce que Ross n'était pas un inconnu pour elle, mais aussi parce que c'était son caractère. Elle n'était pas facilement intimidée, et encore moins lorsqu'elle était persuadée d'avoir raison. Il lui tendit le dossier, lui demanda d'y jeter un oeil, et la questionna sur son âge. Elle ne chercha même pas à ouvrir le dossier, sentant dans la voix du docteur Bradford qu'il n'avait que faire de savoir si elle allait avoir 26 ans dans trois ou cinq mois. Alors resta alors face à lui, le laissant lui dire que si une patiente de cet âge refusait toute aide, alors il fallait l'accepter. Elle ne broncha pas, attendit qu'il eut fini de parler. [color=seagreen]« Tu ne pourras pas aider tout le monde, Elizabeth. Et tu dois apprendre dès maintenant à fermer ton coeur si tu souhaites être un bon médecin. À ne pas te laisser envahir par tes émotions. Lui reprocher son attitude n'a rien changé, elle s'est braquée et s'est sentie attaquée. »[color=seagreen] Elle trouvait cela absurde. Selon elle, l'idée d'être médecin ne pouvait pas rimer avec une absence d'émotions. Certes, trop d'émotions pouvait causer des problèmes : on ne peut pas annoncer à un patient qu'il est atteint d'un cancer à un stade trop avancé pour être soigné, et avoir le nez qui coule et les yeux rouges de larmes. Non, il fallait savoir trouver un savant dosage entre l'impassibilité et la compassion, quelque chose de naturel, même si ça ne l'était pas. Et Elizabeth ne l'avait pas encore trouvé, et faisait partie de ces personnages aux nez coulant et aux yeux larmoyants. « Je veux pas être de ces médecins qui n'en ont rien à faire, de ceux qui sont là parce qu'être médecin, c'est toujours plus prestigieux que de dire ''Je suis mécanicien'' ; je suis là parce que je l'ai voulu, je suis là parce que c'est quelque chose qui me plaît. Je comprends pas ceux qui ont fait dix ans de médecine pour finalement, devenir des personnes aigries et grincheuses, qui ne pensent qu'à la somme qu'ils se seront fait à la fin de la journée en prescrivant trois paquets d'aspirine à chaque patient. » Elle s'arrêta un moment, et échangea un regard plein de sens avec Ross. Elle avait eu l'occasion d'être sous ses ordres à plusieurs reprises, et c'était un médecin compétent qui se souciait de ses patients, qui prenait le temps avec chacun d'entre eux, et même les plus obstinés. Il savait garder son calme et peser le pour et le contre de chaque parole. Ça, Elizabeth le savait, elle le voyait chaque jour. Elle savait donc également que Ross était très bien placé pour la comprendre. « Je suis pas capable de voir une femme comme elle et de me taire. Que se soit une enfant de 10 ans ou une femme de 30, est-ce que c'est pas la même peur qui les maintient ? La peur d'être grondée pour une enfant, la peur de l'autorité de ses parents, ou alors la peur d'être délaissée par celui qu'on aime, la peur d'être abandonnée encore une fois, la peur de se sentir vide. La peur. Parce que parfois on se dit qu'il vaut mieux encaisser quelque chose plutôt que de... de ne rien avoir à ses côtés. On se dit qu'il vaut mieux supporter ça, aussi dur que ça puisse paraître, parce qu'on sait qu'on ne sera pas assez forte pour laisser partir cette personne là. » Elle s'interrompit, se forçant presque à se taire. Elle pouvait poursuivre encore et encore, mais elle sentait que ce qu'elle disait devenait trop personnel. Ross n'avait pas besoin de savoir quoique se soit la concernant, tout ce dont il avait besoin de savoir était comment elle travaillait. C'était son supérieur, et les choses s'arrêtaient. Eli détourna alors la tête, peut-être gênée par l'implication dont elle venait, une fois de plus, de faire preuve. « Je suis désolée. » souffla-t-elle. Elle ne s'excusait pas pour son comportement avec Madame Johnson, et n'en avait pas tellement l'intention d'ailleurs ; elle s'excusait de lui avoir fait subir son petit monologue sur la peur et ses causes.
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Lun 26 Sep - 3:07
Les prunelles rivées au creux des siennes alors qu'il tentait visiblement de déceler les pensées profondes de la jeune femme, Ross eut néanmoins un sourire. « Tu n'as pas besoin de prescription pour des aspirines. » blagua-t-il à la dérobée avant de reprendre son sérieux, conscient qu'elle ne s'attendait certainement pas à le voir rigoler de la situation dans laquelle elle s'était enlisée et pour laquelle il avait préféré la convoquer. Soit il lui reprochait son attitude, soit il en riait, mais il ne pouvait décidément pas faire les deux. Or, c'était sans compter sur la délicatesse légendaire du médecin, alors qu'il préférait mettre à l'aise plutôt que de gueuler profondément. « Je pense que ceux qui deviennent médecin pour ces raisons-là ne feront pas long feu dans le milieu. Tu as besoin de toutes tes tripes, Elizabeth, toutes! Et ceux qui se donnent à moitié ne parviennent pas à traverser les épreuves, n'oublie jamais ça. » Dès qu'il y aurait un soucis plus grand que les autres, ils abandonneraient. Non, vraiment, Ross savait mieux que quiconque - comme la plupart des médecins - à quel point se donner à fond pour son métier était demandant, mais il savait aussi ce que ce pouvait être la plus belle des récompenses. Lorsqu'on voyait l'un de nos patients récupérer du bon pied, guérir et espacer les visites, il n'y avait décidément rien de mieux et Ross ne pouvait qu'apprécier ce genre d'évènement qui arrivait bien plus souvent qu'on pouvait le penser. Bien sûr que ceux qui venaient le voir n'étaient pas toujours en très bon état, mais lorsqu'il parvenait à trouver ce qui n'allait pas et qu'il leur fournissait l'aide dont ils avaient besoin, c'était déjà une victoire en soi. C'était d'ailleurs grâce à ce genre de moments que Ross pouvait se lever chaque matin pour venir faire son boulot, parce qu'il savait que c'était essentiel, parce qu'il savait qu'il pouvait améliorer des vies et peut-être même en sauver.
« [...] On se dit qu'il vaut mieux supporter ça, aussi dur que ça puisse paraître, parce qu'on sait qu'on ne sera pas assez forte pour laisser partir cette personne là. » Arquant un sourcil alors qu'il avait écouter ses paroles sans broncher, il n'eut pas de mal à se dire qu'elle avait raison. C'était vrai, mais ce n'était pas comme ça que ça marchait. « Je suis désolée. » « Tu n'as pas besoin de t'excuser, je suis là pour écouter ce que tu as à dire. » précisa-t-il alors qu'il tentait de retrouver le contact visuel qu'elle avait volontairement laissé filer. Poussant un soupir léger en passant une main lasse sur son front, il tenta de trouver les mots pour expliquer ce qu'elle ne savait pas encore. « Tu as raison sur un point. La femme et l'enfant ont peur. Mais l'enfant n'a pas de ressources et ne peut pas chercher à s'évader de sa situation misérable, tu comprends? Alors que la femme - ou l'homme, parfois c'est inversé - est suffisamment mature pour prendre l'initiative de trouver l'aide dont il a besoin. Certains ont simplement besoin de ce coup de pouce, tu vois? » Doux et calme, il tentait de lui faire comprendre qu'il y avait une ruse différente à adopter lorsqu'on voulait tenter d'inculquer de bonnes résolutions dans les têtes des gens adultes. Ils n'étaient pas innocents et purs comme les enfants l'étaient, ils avaient leurs tabous, leurs gênes et leurs hontes et n'étaient pas toujours prêts à en faire étalage au sein d'une pièce tout ce qu'il y avait de plus impersonnelle et effrayante même. « Tu ne pourras jamais aider quelqu'un à guérir de cette façon. C'est un peu comme forcer un alcoolique à se rendre dans un centre de désintoxication. Les chances de réussite du traitement sont bien plus grande s'il y est allé de son plein gré. » Ce n'était pas un exemple qu'il aimait particulièrement utiliser, mais il trouvait qu'il pouvait très bien démontrer le principe qu'il essayait de démontrer ici; c'était toujours plus facile avec une situation concrète, situation avec laquelle tout le monde était d'accord.
« La prochaine fois, tu pourrais glisser dans sa main une carte du docteur Richards. C'est une amie à moi, psychologue dévouée. Ta patiente va peut-être la refuser, la balancer dans la poubelle en sortant et la déchirer en petits morceaux, mais j'ai déjà vu un homme revenir sur ses pas et récupérer les deux moitiés du papier qu'il avait laissé échapper sous la colère. Quand elle sera prête, elle ira et si elle n'y va pas, tu pourras au moins te dire que tu auras tout essayé. » proposa-t-il en haussant les épaules, curieux de voir ce qu'elle pensait de son stratagème.
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Sam 1 Oct - 22:27
« Tu n'as pas besoin de prescription pour des aspirines. » Elle eut un léger sourire, c'était presque moqueur de la part de Ross, du moins Elizabeth le comprit dans ce sens là, mais ça la fit quand même sourire. Peut-être parce qu'un peu de dérision de soi n'était pas si mal de temps en temps. La guérison, le sourire de remerciement du patient satisfait, étaient certes de belles récompenses. Mais qu'en était-il de ces patients butés et bornés voire désagréables, ces patients qui remettaient sans cesse les compétences du docteur qu'ils avaient en face d'eux ; qu'en était-il de ces filles de 14 ans qui avaient dit à leur mère qu'elles se sentaient mal et qui finalement venaient pour savoir si leur parent seraient au courant dans le cas où elles souhaiteraient avoir une contraception, de ces patients qui revenaient tous les mois pour dire que leur eczéma ne faisait que s'empirer alors qu'ils n'appliquaient aucune crème ? C'étaient des cas tellement banals. Mais tout était relatif, il fallait peser le pour et le contre. Peut-être que le pour, malgré la petite quantité, pesait plus lourd. Peut-être qu'on pesait du plomb et des plumes. Elle écouta calmement tout ce qu'il avait à dire, ne relevant les yeux que lorsqu'il eut presque fini. L'alcoolique... Le psychologue.. Quels clichés. Ce n'était pas faux, en effet, mais tout ne marche pas toujours de cette façon. L'humain était beaucoup plus complexe, et parfois il fallait savoir se faire violence. Avoir un léger coup de pouce qui met en route toute la machine, et même si cette machine nous paraissait aux premiers abords infernale, peut-être nous semblera-t-elle utile par la suite. Il existe des gens qui ont besoin qu'on les force, juste à y aller, et puis soudainement le déclic se fait, et ils se rendent compte qu'ils en avaient réellement besoin. Puis l'idée du psychologue... Depuis qu'elle avait fait médecine, ce cliché du psychologue avait bien évolué chez Elizabeth. C'était des cours intéressants, mais qui ne l'avait absolument pas attirée. Elle était bien loin de l'image de la vieille femme inintéressante assise dans son fauteuil en cuir violet avec un bloc note dans les mains dans lequel elle écrivait la liste de course qu'elle avait faire en rentrant, puis un patient allongé sur un canapé, les mains croisées et posées sur le ventre, débitant des mots que personne n'écoutait. Elle savait qu'il existait certains psychologues véritablement dévoués à leur travail, à leur patient, et d'ailleurs, elle évitait de fréquenter ces gens-là. Car peu importe le métier exercé, il est difficile de mettre une barrière entre le travail et le reste. Un médecin aura toujours tendance à sortir quelques blagues qui sembleront douteuses à ceux qui n'ont pas fait médecine, et un psychologue aura tendance à lire les gens, plus ou moins inconsciemment. Et Elizabeth les fuyait comme la peste, car elle avait déjà assez peur de s'ouvrir à elle-même, et l'idée de s'ouvrir à des inconnus n'était pas envisageable. « Je ne pense pas que glisser discrètement une carte d'une psychologue soit la meilleure des idées. Je préférerai plutôt que ma patiente me parle à moi, plutôt que de l'envoyer chez une de mes collègues. C'est vrai, je ne saurais pas lui analyser sa personnalité en relevant les mots qu'elle utilise pour parler de telle ou de telle personne, je saurai pas lui dire l'origine de ce mal, mais je saurai lui dire ce qui ne va pas maintenant. » Elle soupira, parce qu'elle voyait bien que ce n'était pas la réponse attendue. Peut-être aurait-elle mieux fait de hocher la tête, et de s'excuser finalement. Mais c'était Elizabeth, avec son ego surdimensionné, et elle reprit : « Il y a des choses dont on ne guérit pas. On apprend juste à vivre avec. »
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Mar 4 Oct - 4:22
« Je ne pense pas que glisser discrètement une carte d'une psychologue soit la meilleure des idées. Je préférerais plutôt que ma patiente me parle à moi, plutôt que de l'envoyer chez une de mes collègues. C'est vrai, je ne saurais pas lui analyser sa personnalité en relevant les mots qu'elle utilise pour parler de telle ou de telle personne, je saurai pas lui dire l'origine de ce mal, mais je saurai lui dire ce qui ne va pas maintenant. » Fermant les yeux en poussant un soupir, Ross en vint à se dire qu'elle ne comprendrait jamais ce dont il était question ici-même. Il ne voulait pas la brusquer et la faire redescendre de son nuage, mais la vie était ainsi faite qu'on ne pouvait pas aider tout le monde. Elle avait beau avoir les meilleures intentions du monde, elle ne pourrait jamais être médecin, thérapeute et psychologue à la fois. En privilégier un plutôt qu'un autre amenait à en négliger un et elle ne pouvait pas se le permettre, surtout pas maintenant, alors qu'elle était en plein coeur de sa formation universitaire. « On s'en fiche de ce que tu préfères, Elizabeth. Cette méthode a fait ses preuves et tu ne peux pas toujours intervenir autrement dans la vie de tes patients. Tu peux la pousser à bout, l'énerver à un point tel que tu ne sais pas ce qui pourrait se produire de son côté. Tu dois lui donner les moyens de trouver de l'aide si elle en a envie et ton boulot s'arrête là. Ton travail, c'est de soigner les gens. » débuta-t-il en prenant une grande respiration, les prunelles fixées au creux des siennes. « Il y a des psychiatres et des psychologues qui sont là pour les aider autrement. » Conscient de se montrer on ne peut plus brusque alors qu'il savait bien que ce n'était pas un principe facile à saisir, il voulait surtout lui faire comprendre qu'il y avait un degré d'implication à ne pas franchir dans leur discipline. Ross était hors norme puisque lui-même ne parvenait pas toujours à instaurer une telle barrière avec son patient, mais il savait ce qu'il faisait et ce à quoi il s'exposait.
« Il y a des choses dont on ne guérit pas. On apprend juste à vivre avec. » « Et à qui penses-tu l'apprendre? » Excessivement brusque, énervé et touché à vif par ses paroles, le médecin n'avait pas eu le temps de bien peser la portée de ses mots et regrettait à présent de s'être montré aussi virulent. En tant que superviseur, il se devait d'être compréhensif et il aurait dû savoir que ses étudiants avaient des habitudes et des valeurs différentes des siennes. Vexé de voir qu'elle ne voyait en lui que le médecin, il n'avait pourtant pas pris la peine de lui expliquer sa vie et ne comptait certainement pas le faire. Du tac au tac, il lui avait répondu. Du tac au tac, il avait laissé sous-entendre qu'une blessure bien plus profonde se cachait sous le médecin qu'il était. Il avait vu les gens s'évanouir à ses côtés et pas seulement des gens qui le méritaient. Des adolescents - douze, treize, quatorze ans - qui crevaient d'une balle perdue, des enfants qui mourraient d'une pneumonie alors que les parents ne savaient plus où trouver l'argent pour payer les soins de santé. À qui comptait-elle apprendre que certaines douleurs ne pouvaient pas se guérir? À lui? Elle se mettait le doigt dans l'oeil si elle croyait que tout lui avait été donné depuis la petite enfance et qu'il n'avait eu à fournir aucun effort pour se retrouver là où il était présentement. Perdu dans ses sombres pensées alors qu'il revoyait certaines scènes de sa vie se dérouler devant ses yeux, Ross ferma les yeux et déglutit. Lorsqu'il entrouvrit de nouveau les paupières, il posa pied à terre et eut un sourire relativement éteint. « Je te demande simplement de ne pas t'énerver autant avec les patients. Crois-moi, ce n'est pas seulement pour eux, que je le fais. » D'un ton un peu froid, il s'était toutefois légèrement adouci en prenant conscience du fait qu'elle n'avait certainement voulu que bien faire. « Tu dois apprendre à te contrôler et à admettre que certaines de tes valeurs ne pourront pas toujours être respectées. Comprends-moi bien: Je ne souhaite pas que tu changes la personne que tu es, Elizabeth. Mais tu dois te protéger. » termina-t-il en se dirigeant vers la porte de la salle d'examen. Se retournant vers elle, il replaça le noeud de sa cravate et attendit. Si elle avait suffisamment de bon sens, elle comprendrait que l'entretien était terminé et qu'il n'avait plus envie de pousser plus loin. Un autre jour, peut-être.
Sujet: Re: Liberté de pensée, tu connais? | Eli' Lun 10 Oct - 21:23
Elle l'écoutait, car c'était la seule chose qui lui était réellement permise de faire, et la seule chose qu'elle était censée faire à ce moment là. Elle n'était pas d'accord avec tout ce qu'il disait, mais après tout, c'était elle l'élève, elle qui se devait d'apprendre et d'acquiescer. Elle alternait entre des moments où elle le regardait droit dans les yeux, et d'autres où elle préférait perdre son regard quelque part ailleurs, à droite, à gauche, par la fenêtre, à observer des vulgaires branches d'arbre sèches et mourantes. Ce n'était pas de l'insolence, mais parfois elle assimilait mieux de cette façon, lui permettant ainsi de se concentrer uniquement sur sa voix. « Et à qui penses-tu l'apprendre? » Elle releva les yeux vers Ross, un peu étonnée. Il avait pris une voix dure, quelque chose de soudain, comme si ça l'avait heurté. A vrai dire, Elizabeth disait ça un peu comme une vérité générale, certes plus ou moins basé sur ce qu'elle avait déjà vécu, mais elle ne se permettait en aucun cas de remettre en question ce que Ross, lui, avait vu dans sa vie. Mais il semblerait qu'il l'eut mal pris, car, autant son discours sur le rôle du médecin, l'incapacité de soigner et guérir en même temps, le droit des patients et toutes ces choses là n'avait pas véritablement fait réagir Elizabeth, l'intonation qu'il avait pris l'avait surprise. Elle ne savait rien de lui, car ce n'était pas dans leur relation, qui était strictement professionnelle. Elle posa sur lui un regard soudainement plus vif, comme si cela avait éveillé en elle de la curiosité. Elle ne cherchait pas spécialement à savoir les raisons pour lesquelles il était devenu médecin, comment il était parvenu jusque là, car ça ne la regardait, mais elle ne put s'empêcher d'émettre des hypothèses. Contrairement à certains, elle n'avait pas une motivation très personnelle, comme une mère atteinte d'un cancer diagnostiqué trop tard et qui en mourut donc, donnant ainsi à la jeune étudiante un désir fougueux d'atteindre ton but. Non, Elizabeth avait choisi médecine car c'était ce qui lui parlait le plus, fin de l'histoire. Rien de bien passionnant, mais après tout, il n'était pas toujours nécessaire d'avoir une blessure pour savoir avancer. « Je te demande simplement de ne pas t'énerver autant avec les patients. Crois-moi, ce n'est pas seulement pour eux, que je le fais. » Sous entendu, c'était également pour elle. Elizabeth avait un peu de mal avec ces phrases, vous savez, celles où on ne dévoile pas l'intégralité de l'idée. Parce qu'elle était de ces filles qui s'inventaient des histoires entières à partir de trois mots, et souvent elle se perdait dans son interprétation. Elle continuait à se taire, à écouter patiemment ce qu'il avait à dire. « Tu dois apprendre à te contrôler et à admettre que certaines de tes valeurs ne pourront pas toujours être respectées. Comprends-moi bien: Je ne souhaite pas que tu changes la personne que tu es, Elizabeth. Mais tu dois te protéger. » dit-il, avant de se lever et de se diriger vers la porte. Elle se retourna, puis avança de quelques pas ; et souffla : « Merci. » On ne pouvait pas dire que c'était un geste de remerciement très honnête, car elle se savait incapable d'appliquer tout ce qu'il lui avait reprochée. Elle essayait parfois de se retenir de dire quelque chose, mais dans presque tous les cas, elle n'y arrivait pas. Pas en tant que médecin en tout cas, car dans sa vie personnelle, c'était quelqu'un d'assez doué dans ce domaine là. Mais disons que l'inquiétude de Ross l'avait relativement touchée ; et c'était surtout pour ça qu'elle le remerciait. Elle attendit donc qu'il passe en premier avant de s'en aller à son tour.