Vous faites parti de ces gens qui, passé deux heures du matin, sont incapables de s'endormir. De ceux qui se retournent dans leur lit, à la recherche de quelque chose, une pensée perdue qui apporterait le sommeil, un miracle quelconque pour nous faire perdre conscience. Votre cerveau est fatigué et il meurt d'envie de se reposer, mais cette nuit, ce sera impossible. Alors vous vous levez, des cernes profondément marquées sur votre visage, vous enfilez un jean au dessus de votre boxer, une chemise que vous espérez propre, et vous sortez. Vous marchez, vite et loin, et votre corps est si endormi qu'il ne ressent plus le froid. Vos pas s’accélèrent, vous fermez les yeux et, lorsque vous les rouvrez, vous vous retrouvez devant une vue familière, à plusieurs mètres de hauteur.

Le vent balayait son visage et l'odeur de la mer lui donnait la nausée, mais il restait là, debout, appuyé contre la barre de fer, s'amusant à compter les étoiles. Une, trois, dix, indiquait le ciel; il semblait si près, ce soir, que Ceinwen avait presque l'impression de pouvoir le toucher. Ou bien c'était parce qu'il était défoncé. Les pupilles étrangement dilatées, l'estomac fredonnant, les lèvres plus sèches qu'en plein désert. Le sachet de poudre traînait toujours dans sa poche, une assurance de ne jamais en manquer au mauvais moment, et un risque supplémentaire de se faire prendre pour un certains temps. Il s'en fichait, il n'avait peur de rien. Ceinwen était une sorte de super-héros, sans le super, un mec invincible et toujours vainqueur. Il avait la sensation d'être surpuissant, d'avoir une longueur d'avance sur le monde, d'être un peu plus évolué, intelligent, une sorte de spécimen tout droit sorti d'un labo de science après plusieurs siècles de recherche. Un chef d'oeuvre, une consécration. Parce qu'il était défoncé.

Ses pensées le faisait sourire, tout seul dans le vide, mais il se moquait de la solitude. Ce soir, il n'avait besoin de personne. Juste de lui-même, et d'un peu de rêve, pour oublier son quotidien déprimant, ses journées souvent inexistantes. S'il refilait le cours de celle qui venait de passer, elle commençait aux environs de quatorze heures, après qu'il ait doucement émergé dans son appartement, sur le sol, entouré d'une dizaine de personnes. Le reste, il avait du mal à s'en souvenir. Peut-être qu'il était allé voir Abbey, peut-être une autre. En tout cas, le vide de son lit, ce soir, l'avait perturbé, au point de le fuir et de se retrouver comme un con, en haut d'un phare. Dans un soupir, il laissa son corps s’affaisser sur le sol. Du vide, du silence.

Jusqu'au claquement de la porte, qu'il avait empruntée quelques minutes auparavant. Quelques claquements de talons et un arrêt brutal, pendant que Ceinwen relevait la tête pour démasquer l’intrus. Il se sentait de nouveau comme quelqu'un d'exceptionnel, une sorte d'enquêteur en train de prendre un coupable sur les faits. Drôle de criminelle qu'une jeune femme, pas plus grande que lui, à la silhouette fine et accentuée, du moins lisait-il dans la nuit. Même sensible à la gente féminine, Ceinwen n'avait aucune envie d'être rejoint ce soir, du moins par personne d'autre qu'un éléphant rose à paillettes dansant sur un arc-en-ciel. Il se massa les tempes en se relevant, conscient de son état avancé; la lumière du phare, tournoyante, l'aveugla complètement, et il eut juste le temps de placer quelques mots. « Putain, y’est pas marqué open-phare sur la porte ! »