Voilà seulement quelques jours que j'étais de retour à Arrowsic. Après deux ans passés en Afrique à vivre dans des conditions difficiles, le retour au pays était brutal. Il me fallait un peu de temps pour me remettre dans le bain, me réhabituer à vivre dans le confort, au climat etc. Mine de rien ça faisait du bien d'être enfin de retour. C'est en reposant les pieds ici que j'ai pris conscience à quel point ma ville m'avait manqué. Mais surtout ses habitants. Deux ans que je n'avais pas vu mes proches, mis à part à travers une web-cam. Et encore, tout le monde ne voulait pas se prêter à cet exercice... Plus d'un an que Jilian refusait toute communication avec moi, sans compter ma sœur Zaïra, dont j'avais simplement le droit de temps en temps à une photo de ma nièce. Rien de plus. Alors les nouvelles, je les avais à par le biais de mon père. Seulement il ne savait pas tout... Comme le fait que Jilian m'ait probablement fait le cocu le plus célèbre de la ville. Les retrouvailles avaient été houleuses, et cela ne s'était certainement pas passé comme je l'aurais souhaiter. Honnêtement, à l'heure qu'il était, je ne savais plus que penser de mon mariage. Enfin, si il existait encore d'ailleurs... Jilian ne portait même plus son alliance, ça voulait tout dire. Il s'en était passé bien des choses durant mon absence. A mon retour, il y avait deux personnes dont je craignais les retrouvailles, Jilian, ma femme, et juste derrière, ma sœur. Et j'avais de quoi. La preuve, elle connaissait pertinemment ma date de retour, et pourtant, depuis que je suis ici, je n'ai eu aucunes nouvelles de la demoiselle. Mon père avait organisé un pot d'accueil, pour mon retour, une sorte de petite fête, avec la famille et mes amis. J'avais même revu ma mère, pourtant nos relations étaient plus que tendues. Mais Zaïra ? Rien. Aux abonnés absents. Alors j'avais pris mon courage à deux mains, et décidé de faire le premier pas en me rendant à son domicile. Un flot d'émotion se mélangeait. Stress, excitation, impatience. Ma petite sœur me manquait terriblement, et il me tardait de voir enfin ma nièce en chair et en os. D'un autre côté je sentais que ça risquait d'être mouvementé. La grosse interrogation étant l'état d'esprit de la demoiselle. Je n'avais pas la moindre idée de comment elle allait me recevoir. Le cœur battant à vive allure, je sonnais à son appartement. Pour l'occasion, je m'étais fais tout beau. J'étais passé chez le coiffeur – j'en avais bien besoin -, et m'étais rasé le visage de près. Je ne pouvais néanmoins pas cacher mes blessures au visage, dû à ma très récente bagarre avec un interne qui s'était vanté d'avoir couché avec ma femme. Il en résultait une coupure au niveau de la pommette, et quelques points de suture à l'arcade sourcilière.

Je regardais une dernière fois cet SMS de mon père avant de l’effacer. Je ne m’étais pas présentée, et je ne savais même pas pourquoi est-ce qu’il avait pris la peine de m’envoyer ce petit mémo… J’avais toujours été rancunière, et ce n’est pas maintenant que ça allait changer. Comment puis-je accueillir une personne qui, lorsque j’ai demandé son soutien, a préféré partir à l’autre bout du monde ?! Je l’ai toujours admiré et envié, j’ai toujours cru en lui, mais là… Je passais la période la plus difficile de ma vie, je ne savais pas quoi faire, j’étais perdue… Et il n’a même pas voulu changer la date de son départ. J’avais eu vent, par papa, que même notre mère était venue. Tant mieux… Mais vu leur relation, à Alec et elle, je n’étais pas sûre que cela ait été une bonne idée. Il y avait eu tout le monde… Moi, j’avais préféré rester chez moi avec Beth, à m’occuper d’elle, à essayer de l’éveiller un peu plus avec différents jeux. Elle avait déjà un an et demi, et même si je n’avais plus aucun contact avec Josh, je ne pouvais m’empêcher de penser tous les soirs qu’elle était le bel événement de ma vie. Elle avait tout changé… D’ailleurs, je l’entendis se mettre à pleurer. M’approchant d’elle en m’asseyant par terre, je ne pus que sourire face à la raison de son désarroi : elle avait trop appuyé sur son feutre, et il était maintenant tout abîmé… « Cassé... » La mission de tous les enfants à cet âge : tracer des droites parfaites. Ce n’était pas gagné, mais elle s’améliore… Cette petite m’avait complètement métamorphosée. Certes, il reste dans ma personnalité énormément d’éléments qui datent de mon adolescence, mais on ne peut pas changer une personne dans sa totalité. Mais grâce à elle, j’étais beaucoup plus ouverte et aimante aussi. Moins rebelle. Ma grande peur était que Beth suive le chemin que j’avais emprunté : le moins intelligent, le moins fiable… Or comme toute bonne mère, je voulais qu’elle réussisse sa vie. « Tu veux faire des lignes et des dessins, encore ? Ou tu veux qu’on lise un livre ? », dis-je en lui montrant le livre en question. Elle me fit alors cette petite tête toute craquante, celle qui montre qu’elle réfléchit. Elle répéta alors avec joie : « Livre ! » Je poussais les feuilles et allais jeter son feutre, revenant avec un petit livre d’images. C’est un de ses jeux favoris, je suis sûre qu’elle fera une excellente élève ! Par exemple, s’il y a un dessin de forêt, je lui demande où est l’arbre, et elle me le montre. Parfois, je la piège avec des mots qu’elle ne connaît pas… Mais elle s’en souvient toujours la fois d’après. « Tu me montres la voiture ? » Elle ne mit pas longtemps à le trouver, il y en a partout autour de nous… « Tu sais de quelle couleur elle est ? » C’était sûrement une petite colle… « Euh… R... Rou... Rouze ?... » — « Non, ma chérie, presque. Elle est rose la voiture » * DING DING * Je déposais un baiser sur le haut de sa tête, et allais ouvrir. Qui pouvait bien me déranger un dimanche, quand je décidais de passer la journée avec Beth ? Mon petit sourire amusé disparut quand je reconnus la personne. « Alec. » Même si je lui en voulais, je m’inquiétais un peu de ses quelques blessures au visage… Mais je gardais cela pour moi. Je ne pouvais pas me montrer « faible » après ce qu’il avait fait. Je lui en demande beaucoup alors qu’il n’est que mon frère, je sais… Mais Beth n’a pas de père. Elle avait besoin d’un oncle. Je restais derrière la porte, ne le laissant pas entrer de moi-même « Tu as décidé de passer nous voir avant de retourner à tes bonnes actions, à ce que je vois » Le problème, ce n’était pas qu’il aide les gens… Le problème, c’était la période qu’il avait choisie pour le faire. « Tu t’es même fait beau, c’est trop gentil » Quand on connaît bien quelqu’un, on sait quand est-ce qu’un effort a été fait. Mais cela ne changeait rien à mon ton un peu froid. Je jetais un coup d’œil à Beth au cas où. Elle s’était retournée et regardait la scène de manière interrogative. « Allez, rentre. C’est ta nièce, après tout » Ce n’était pas du tout gentil : il y avait plus des reproches. C’était sa nièce justement, et en 18 mois de vie, c’était la première fois qu’elle allait le voir.

La porte ne mit pas longtemps à s'ouvrir sur ma sœur. Un sourire barrait son visage, qui disparut immédiatement en m'apercevant. Elle ne semblait pas franchement ravie de ma présence. Mine de rien, là voir, là devant moi, faisait du bien. Elle m'avait énormément manqué, malheureusement je n'étais pas sur de la réciproque. J'avais été extrêmement déçu – et un peu blessé – par son absence lors de la réunion de famille. Mon père avait tenté de lui trouver des excuses, genre si elle avait pu, elle serait venue, mais elle avait autre chose d'important à faire. Mais il n'avait jamais été un très bon menteur. J'avais parfaitement compris que son absence était un choix réfléchi. Sa décision. On se regarde quelques instants, sans rien dire. Comme si on se jaugeait mutuellement. Elle finit par reprendre la parole. « Tu as décidé de passer nous voir avant de retourner à tes bonnes actions, à ce que je vois » Le ton était donné. « Tu t’es même fait beau, c’est trop gentil » Impossible de passer à côté de l'ironie de sa phrase. Et oui j'avais fais un effort pour me montrer présentable. Je voulais me montrer sous mon meilleur jour auprès de ma nièce. Même si malheureusement les cicatrices sur mon visage gâchaient le tout. Je regrettais de m'être battu avec cet interne, mais sur le moment, je n'avais pu me retenir. Je n'étais pourtant pas quelqu'un de violent, mais là, ça avait été trop à supporter. « Bonjour. Je vais bien je te remercie. Toi aussi tu m'as énormément manqué. » répondis je comme si elle m'avait dit les politesses d'usage. Quelle mal élevée ! J'aurais aimé qu'on se prenne dans les bras, qu'on se fasse la bise, quelque chose, au lieu de cet accueil glacial. Au moins, m'invita t'elle à rentrer, ce qui était déjà un point positif. Même si une fois de plus, je sentis le reproche dans sa voix. C'était bien la première fois que je me retrouvais dans cette position avec Zaïra. Où j'avais des choses à me reprocher. Que je ne me sentais pas fier en venant. Habituellement, cela avait toujours été la demoiselle qui se retrouvait en position de devoir se faire pardonner. Pas l'inverse. C'était tout nouveau pour moi. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine lorsque j'aperçus ma nièce sur le sol. C'était donc elle. Tellement adorable. Et si grande déjà ! La dernière photo que j'avais d'elle datait de quelques mois déjà, elle avait bien grandi depuis. Je m'accroupis pour être à sa hauteur. Je lui fis un grand sourire.  « Hey ! Beth, c'est ça hein ? » dis je en lui prenant sa petite mimine. Elle me regardait avec de grands yeux.  « On a pas encore été présenté officiellement je crois. Je suis ton oncle. Tonton Alec. T'es vraiment trop chou, tu le sais ça ? » Je pourrais très vite devenir gaga. J'adorais les enfants. Je me tournais vers sa mère.  « Elle est magnifique. Elle a tes yeux » déclarais je sincère. « Je suis vraiment désolé tu sais. J'aurais aimé être là... »

Je laissais la place à Alec pour qu’il rentre, de façon peu chaleureuse je dois l’avouer. Beth était restée assise par terre et le regardait avec des yeux tout ronds. Et vu comment je regardais mon frère, pas sûr qu’elle l’apprécie au premier abord. Il vint s’accroupir à côté d’elle, commençant à lui parler gentiment. « Hey ! Beth, c’est ça, hein ? » Je posais mon épaule contre le mur et les regardais de loin. Je ne voulais pas trop les déranger, c’était leur premier moment ensemble. Donc même si je lui en veux… Je ne vais pas les priver tous deux d’une relation privilégiée oncle-nièce. Le regard de la petite n’avait toujours pas changé et parfois, elle se penchait un peu comme pour me demander l’autorisation. Ma réponse n’était qu’un petit sourire, petit sourire qui lui disait qu’elle pouvait avoir confiance en lui. « On a pas encore été présenté officiellement je crois. Je suis ton oncle. Tonton Alec. T'es vraiment trop chou, tu le sais ça ? » Même de là où j’étais, je pouvais percevoir les petites lueurs dans les yeux de Beth. Je lui avais parlé de son oncle, et je lui avais montré des photos aussi, mais à cet âge… La mémoire est encore à développer. On ne se souvient que de ce qui s’est passé que dans la journée. Ne m’étant pas attendue à une telle visite, je ne l’avais pas vraiment préparée. Elle sembla cependant se souvenir d’un « tonton Alec » vu qu’un petit sourire décorait maintenant son petit visage. « Elle est magnifique. Elle a tes yeux » Il me sortit de mes pensées, à vrai dire. Je ne répondis rien, sachant pertinemment qu’il était sincère en disant cela. Il a toujours été sincère avec moi… Je ne sais pas avec les autres. « Je suis vraiment désolé tu sais. J'aurais aimé être là... » — « Mais tu ne l’étais pas », le coupais-je assez violemment. Plus que je ne l’aurais voulu, en tous cas. « Excuse-moi. Je ne voulais pas être aussi dure » J’étais consciente de lui en demander beaucoup pour un frère. Mais à la naissance de Beth, je me suis vraiment rendue compte que j’étais toute seule. Je pensais qu’Alec allait revenir… Mais il a prolongé son séjour. Il l’a prolongé alors que j’avais besoin de quelqu’un avec qui vivre cette première année si importante. À chaque fois qu’il y avait eu des évènements importants, j’avais été heureuse… Mais tellement triste à la fois. Je n’avais eu personne avec qui partager en direct ses premiers mots, ses premiers pas… À chaque fois, j’étais seule dans cet appartement, avec elle. À chaque fois, je souriais et m’extasiais sans qu’il n’y ait aucune compagnie. « Pourquoi t’es resté là-bas ? T’as pas pensé à Jilian ou au fait que j’aurais voulu être… Être moins seule ? » J’allais dans la cuisine (américaine) et prenais deux verres ainsi qu’une bouteille d’eau. M’asseyant à côté de Beth, je nous servais de quoi boire. « J’ai plus de vin » Je prenais la petite sur mes cuisses et déposais un baiser sur le haut de son crâne en lui demandant en murmurant si elle voulait aussi un peu d’eau. Elle me prit le verre des mains, un peu impatiente et gardant une main vigilante, je la laissais se débrouiller. « Allez, va sur les genoux de… tonton Alec » Je la soulevais et lui montrais où elle devait aller. Elle se laissa littéralement tomber sur lui, ce qui m’attira un petit sourire tout de même. « Deux ans… T’es parti deux ans, et elle a dix-huit mois. Je ne t’en voulais pas quand t’es parti… Je t’en ai voulu quand t’as décidé de rester en Afrique. T’avais dit un an. Je m’étais réconfortée en me disant que… Qu’elle n’aurait que quelques mois quand tu reviendrais… » Des larmes commencèrent à monter, mais je les retenais. Je l’avais attendu, patiemment alors que ce n’est pas mon genre… Finalement, ce n’avait été que des faux espoirs : elle avait maintenant plus d’un an, et j’avais du me débrouiller seule.

« Mais tu ne l’étais pas » me répondit elle violemment. Touché. Elle s'excusa par la suite, mais ça n'enlevait rien à ses propos. Ni a la réalité. Je n'avais effectivement pas été là pour elle, pour Beth. A rajouter sur la longue liste de reproches que Jilian m'avait déjà fait. « Pourquoi t’es resté là-bas ? T’as pas pensé à Jilian ou au fait que j’aurais voulu être… Être moins seule ? » Elle ne devrait même pas poser la question.  « Bien sur. Il ne passait pas un jour sans que je ne pense à vous. » Zaïra s'activa alors et sortit deux verres. Elle déclara ne plus avoir de vin, dommage. Un peu d'alcool n'aurait pas été de trop. Je la regardais s'occuper de sa fille. Elle se montrait si prévenante et maternelle envers elle. Elle m'impressionnait. Qui aurait cru il y a quelques années de cela qu'elle se transformerait en cette femme responsable et stable ? Nous étions très loin de l'adolescente rebelle et provocatrice, qui passait son temps à faire de la vie des autres un enfer. La maternité l'avait définitivement changé, et de ce que je pouvais en voir, ça lui réussissait plutôt bien. « Allez, va sur les genoux de… tonton Alec » Tonton Alec, je trouvais que ça sonnait très bien. J'ouvris les bras pour l’accueillir. Elle se laissa tomber sur mes genoux, ce qui me fit sourire. Je l'installai plus confortablement. Cela devrait être un crime d'être aussi craquante. Avec sa petite bouille adorable, ses joues, ses petits yeux qui me regardaient... On ne pouvait que fondre devant elle. Ce qui me renvoyait à mes propres désirs d'être père. Projet très loin d'être à l'ordre du jour malheureusement, vu l'état de ma relation avec Jilian. Ou plutôt non relation en l’occurrence. Bien que je pourrais rester des heures en admiration devant ma nièce, le moment était mal venu, et je devais me concentrer sur la mère. Je détournais alors mon attention de Beth pour me focaliser sur Zaïra. « Deux ans… T’es parti deux ans, et elle a dix-huit mois. Je ne t’en voulais pas quand t’es parti… Je t’en ai voulu quand t’as décidé de rester en Afrique. T’avais dit un an. Je m’étais réconfortée en me disant que… Qu’elle n’aurait que quelques mois quand tu reviendrais… » Je sentais qu'elle retenait ses larmes. Ce n'est qu'à ce moment là que je me rendis compte à quel point ma décision de rester plus longtemps en Afrique avait pu la blesser. « Tu crois que ça a été une décision simple pour moi ? Bien sur que j'aurais voulu être à tes côtés. Quand Beth est né, quand Josh t'a quitté... Tu sais que j'étais prêt à monter dans le premier avion venu lorsque papa me l'a annoncé ? Ne serait ce que pour étriper ce s... » M’apprêtant à dire une obscénité, je me repris, sachant que Beth se trouvait dans la pièce. Elle n'avait peut être que 18 mois, et ne comprenait probablement pas grand chose, mais ce n'était pas une raison. « Ou le forcer à assumer ses responsabilités. » Il avait eu de la chance que je n'étais pas là. Parce que je lui aurais fait passer un sale quart d'heure. D'ailleurs si j'étais amené à le recroiser un jour, je ne donnais pas cher de sa peau. « On a dû me raisonner pour ne pas que j'agisse aussi impulsivement. » Mais peut être bien que j'aurais du sauter dans cet avion finalement. « J'avais dis un an mais...Tu ne sais pas comment c'est là bas. Toute cette pauvreté...Tu devrais voir dans quelles conditions ils vivent. Ils sont... » Je ne savais même pas comment lui expliquer, il fallait le vivre pour s'en rendre compte. En arrivant en Afrique, au Congo plus précisément, cela avait été une vraie claque. Bien sur je me doutais dans quoi je m'embarquais, mais au final, on ne pouvait jamais vraiment y être préparé. Et puis il n'y avait pas que la pauvreté. La maladie aussi, les épidémies de choléra ou de rougeole...Mais aussi le climat d'insécurité. De nombreux conflits persistaient, révoltes, violences... Les enfants soldats. Ce n'est certainement pas un endroit où il fait bon vivre, et j'ai déjà eu peur pour ma vie. « Ils comptaient sur moi. Je ne pouvais pas les laisser... Ils ont déjà tellement souffert dans leur vie que...Enfin, je sais que ce n'est pas une raison pour vous avoir laisser tomber, vous. » Je regardais ma nièce. « C'est vous ma famille. Vous devriez être ma priorité. Je m'en rends compte à présent, qu'ici aussi on avait autant besoin de moi. » Je parlais surtout pour ma femme. Toute sa famille l'avait abandonné d'une manière ou d'une autre, j'étais devenu sa seule famille, et à mon tour je l'avais laissé tomber. Et maintenant regardez où elle en était. « Mais tu t'en ai très bien sorti sans moi. Et puis tu n'étais pas complètement seule, t'avais papa, maman (bon ça en fait c'était plutôt une interrogation, ne sachant pas où elles en étaient à présent dans leur relation), Jen' (notre plus jeune sœur), tes amis... » Probablement ce que j'aimais me dire afin de me déculpabiliser un peu.

J'essayais de retenir mes quelques larmes en jouant avec les mains de Beth, maintenant assise sur son oncle. Je savais que le moment des explications allait arriver, mais je ne m'étais tellement pas attendue à ce qu'il arrive aujourd'hui, le moment aussi bien qu'Alec. « Tu crois que ça a été une décision simple pour moi ? Bien sur que j'aurais voulu être à tes côtés. Quand Beth est né, quand Josh t'a quittée... Tu sais que j'étais prêt à monter dans le premier avion venu lorsque papa me l'a annoncé ? Ne serait ce que pour étriper ce s... » Salopard. J’aurais aimé que quelqu’un d’autre que moi le dise, tous préférant garder le silence par rapport à la petite… Mais elle était là, et je ne tenais pas vraiment à ce qu’elle répète ce genre de mots… Surtout qu’ils sont plus faciles à mémoriser que d’autres, beaucoup plus intelligents. « Ou le forcer à assumer ses responsabilités. » Alors pourquoi n’était-il pas venu ? Qu’avait-il attendu pour me rejoindre, me réconforter, et foutre un poing dans la face de cet homme qui m’avait brisée ? « On a dû me raisonner pour ne pas que j'agisse aussi impulsivement. » « On » ? C’est qui « on » ? Qui serait assez bête pour l’empêcher d’aider sa famille ? Qui était cette personne qui était à l’origine du fait que mon frère n’ait pas été là alors que j’avais eu besoin de lui ? Toutes ces questions se résument en un mot : qui ? Un silence s’installa, et doucement, je réussis à reprendre le dessus sur mon envie de pleurer, je reprenais le contrôle en m’aidant du côté un peu dur et rebelle de ma personnalité… Laissant ma sensibilité à part. Je ne voulais pas craquer devant Alec. « Ils comptaient sur moi. Je ne pouvais pas les laisser... Ils ont déjà tellement souffert dans leur vie que... Enfin, je sais que ce n'est pas une raison pour vous avoir laissés tomber, vous. » Je ne pouvais pas répondre, je ne connaissais pas. Je ne connaissais pas l’Afrique et toute la misère qu’on y trouve, et je ne saurai probablement jamais ! Je n’étais ni médecin, ni assez saine dans ma vie pour aller les aider comme le font beaucoup de gens… Je ne serais qu’un fardeau en plus pour eux. Je lui en voulais de me dire cela… Je me sentais encore inférieure, moins intelligente, moins brillante surtout. J’étais jalouse de lui, bien évidemment, même si Jilian avait fait de lui un cocu plutôt célèbre à Arrowsic. Mais je laissais ça dans un coin de ma tête, ou plutôt j’essayais, me refocalisant sur le sujet de notre mésentente. « Mais tu t'en es très bien sorti sans moi. Et puis tu n'étais pas complètement seule, t'avais papa, maman, Jen', tes amis... » Il avait raison. Mais quand on y réfléchir vraiment… Je n’avais eu « que » papa. Des « vrais » amis, en ville, je n’en avais pas vraiment eu durant ma grossesse. Maman avait essayé d’être gentille, mais j’étais restée froide… Que ce soit Alec, Jen’ ou moi… On ne lui a jamais vraiment pardonné. En parlant de Jen’, elle, elle est un peu loin pour ses études… Nous gardions contact par mails, textos, webcam,… Mais elle n’avait pas fait partie des présences physiques. Et il y avait papa, cet homme qui, toute ma vie et quelques soient mes choix, m’a soutenue. Pour rien au monde je demanderai à le changer. « C’est vrai, il y avait papa avec Beth et moi » En fait… Ce que j’avais du mal à lui avouer, tout de suite, c’est que c’était lui que j’avais voulu avec moi. Il était mon grand frère, celui sur qui j’ai toujours compté. S’il n’avait pas été là, je ne suis pas sûre que papa m’aurait autant aidée avec la petite. Il m’avait manqué, mais ça, ce serait trop dur à dire et encore plus maintenant. Relevant les yeux vers lui, je rougis très légèrement « Ok, je t’ai menti » Vu la tournure de la conversation, il devait croire à quelque chose d’important alors j’ajoutais rapidement : « J’ai du vin » Je me levais et retournais en cuisine pour prendre deux verres à pieds et la bouteille. Je l’avais achetée pour mon dîner avec Lukas, demain, mais ce n’est pas grave. J’en rachèterai une en faisant les courses juste avant. Je nous servais et ajoutais de façon un peu grognon « Si t’en n’es pas content, je m’en fiche » Surtout qu’il ne devait pas avoir ça en Afrique, alors chut. Mon regard se reposa sur ses cicatrices. J’avais envie de lui demander ce qui s’était passé… Mais je n’étais pas assez à l’aise, je crois… Plus tard. Je lui demanderai plus tard.