La colère! De celle qui vous dévore d'un coup, comme une sorte de combustion spontanée. Elle ne vient de nulle part, et y repartira certainement très vite, mais en attendant, elle vous hante, elle vous crame, vicieuse petite créature. C'est un malin petit diable qui a l'instar du froid se glisse dans vos vêtements, votre cou, s'installe jusqu'à temps que vous l'ayez débusquée. Oh, mais elle est bénigne, bien sûr. Ephémère, évidemment. Ce n'est qu'un effet étrange de la mécanique du corps, qui se dérègle parfois. Son corps pourtant, Guillermo devrait le connaître par coeur, et le maîtriser avec dextérité. Seulement voyez vous, là où la réflexion s'immisce dans la partie, la chose n'a plus rien à voir. Un corps d'homme séparé de toute chose permet qu'on avance, permet de se faire matériau splendide et idéal de l'art. Si l'on se met à réfléchir, ou plutôt à sentir au sens figuré du terme - c'est à dire, quand les sentiments interviennent- le corps n'obéit plus, il est inégal, ses actions sont les fruits du hasard, et on se ridiculise, et on cesse d'exister puisque notre volonté est annihilée. Guillermo, descendu de ton perchoir qui lui sert de trapèze, ou plutôt l'inverse, hurle maintenant, son corps tendu - on aurait dit "hérissé de tous poils", s'il avait été chat - son visage frôlant celui de son interlocuteur. Comprenez moi bien: Guillermo n'est ni adulte, ni enfant. S'il s'engueule, c'est parfois pour de vrai, et ça fini mal, très mal, souvent à coup de poing et de pied, mais c'est aussi parfois pour de faux, comme ça, pour entretenir la flamme avec ceux qu'on aime. Cette fois ci, et vous avez bien de la chance parce qu'un Guillermo vraiment en colère, ce n'est pas bien drôle, ce n'est qu'un jeu. Une mascarade, une sorte de mini scène de théâtre qui s'est engagée avec Jules, qui gueule pareil, juste en face. Deux hommes? Deux gosses, plutôt. Demi ours qui se battent pour des broutilles, et pour rire en plus. Jules, c'est complètement con ce que tu raconte! iJoder! Tu ne vas pas supprimer ton numéro parce que j'en rajoute hein, non? Mierda, t'es vraiment con, mais merde, merde, merde, t'as quel âge bordel? Cette répétition de "merde", c'est la marque même de la colère joueuse d'Ashworth. Quand il s'énerve véritablement, l'acrobate ne s'embête pas de tant de formalités. Il entame vaguement un putain, puis renonce à exposer son argumentation qui, il le sait, ne sera pas écoutée, et il frappe. La violence est chez lui aveugle. S'il n'avait pas été circassien, il aurait sans doute été voyou. Mais voilà: ce n'est pas ce que Mary, Jules et tous les autres lui ont inculqués. Et bientôt, après que Jules lui ai répondu qu'il pouvait se les mettre au cul, ses insultes en espagnol, il perd son air de chat qui crache, sa bouche se fend en un sourire qui se transforme bientôt en hilarité complète, et il saute dans les bras du robuste Jules, accrochant ses pieds à ses hanches, bousculant l'homme tout en muscles qui pourtant ne fléchi pas. Ils se marrent tous les deux, puis Guillermo se laisse tomber. Voilà, c'est plié. Jules fera le numéro, Guillermo aussi, et tout ça ce n'était qu'une purgation des passions comme une autre.
¿Mama? Je sors fumer un clope, je reviens. C'est que la Mère Supérieure est passée en régie, et qu'il faut lui dire ses faits et gestes pour qu'elle organise les répétitions. Guillermo sort, derrière lui Jules qui vient de se mettre du talc sur les mains court, impose sa marque dans son dos. Guillermo ricane, enfourne une cigarette entre ses lèvres, et sort. Il fait plus chaud dehors qu'a l'intérieur. Guillermo retrousse les manches de sa chemise blanche avant d'allumer le petit tube de nicotine. Il ne porte pratiquement jamais de chemises, c'est un vêtement bien trop compliqué pour lui, c'est simplement un élément de son costume. Il prend deux longues taffes qu'il relâche en lentes bouffées qu'il prend le temps d'observer s'envoler. Il est le seul de la troupe à fumer - on lui reproche souvent. A vrai dire, il s'en fout: il apprécie trop le fait de fumer pour s'en priver. Porter le tube à sa bouche, inspirer profondément, expirer profondément, regarder la fumée fabriquer des rigoles et des danses étranges, presque dionysiaques...C'aurait presque pu être un exercice de détente, si ça n'avait pas été aussi toxique. Et détendu, Guillermo l'est, au moment même ou un espèce de projectile vient de nouveau mettre à l'oeuvre tous ses muscles. Il se retrouve avec un petit machin qui raconte continuellement la même histoire dans les bras, avec une minuscule voix ridicule. L'acrobate considère la toute petite fille qui vient de se jeter dans ses bras, marmonnant "papa" en boucle. Il n'a rien contre les enfants, et il faut dire qu'elle est mignonne, cette petite, mais se faire appeler papa à dix neuf ans quand on a jamais connu le sien, ça a quelque chose de déstabilisant. Alors il tente de ne pas souffler sa fumée au nez de l'enfant, et se tord le cou dans des positions grotesques pour essayer de trouver le propriétaire de cette petite oeuvre d'art manifestement détraquée. Il finit par la trouver en la présence d'une charmante jeune femme qui s'adresse à lui, de loin. Beaucoup moins charmante quand il décrypte ce qu'elle lui a dit. Il repose précautionneusement la petite sur le sol, l'oeil trouble. Gênant, cette histoire. La petite n'est pas détraquée, non, c'est juste lui qui manifestement ressemble comme deux oeufs à un jeune papa.
Oh... Il tente de reprendre une contenance. Il va y arriver. C'est assez étrange de s'entendre dire ce genre de trucs je dois dire! Guillermo. dit-il, tendant la main, puis se sentant con de tendre la main parce que plus personne ne se sert la main de nos jours, héoh, on est au 21ème siècle. Il parlerait bien à la mère par l'intermédiaire de la petite, il parait que ça se fait, mais non, il ne se sent pas si à l'aise que ça avec les progénitures qui a priori ressemblent à celles qu'il aura plus tard. Et alors...Il est où, ce papa? Il se passe la main dans les cheveux, joli-coeur. Il a compris depuis longtemps qu'on pardonne tout, même les questions indiscrètes, aux belles personnes. Et puisqu'elle a fait un enfant avec son sosie, elle ne doit pas le trouver si laid, si? Sans bouger physiquement, Guillermo se fout une claque mentale. C'est fini, d'être aussi pédant dans ses raisonnements, sale gosse? Non, mais. |