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« Chère Camryn,

Ma Camie. Ma douce Camie. Tu n’étais qu’une petite fille. Si petite. Si fragile. J’aurais pu t’aimer, toi petite chose, chaire de ma chaire. Et pourtant, ce ne fut jamais le cas. Comprends-moi, Camie. J’étais jeune. Quand tu es venue dans nos vies, dans la mienne, j’étais si jeune, je n’étais moi-même qu’une enfant qui ne connaissait rien de la vie. Dix-sept ans, c’est trop jeune pour élever un enfant. C’est pourquoi je t’ai laissé là, sur le pas de la porte de la maison où j’ai grandi. Je me suis dit que je ferais un geste responsable, dans mon irresponsabilité. Qui d’autre que ceux qui m’ont élevée pour s’occuper de toi? Souvent, longtemps, j’ai essayé de me trouver des excuses, de me dire que j’avais agi pour le mieux, pour toi, pour moi. Et avec le temps, avec les années, en vieillissant, je me rends compte que je l’ai surtout fait pour moi, à l’époque. Mais aurais-je pu t’offrir une meilleure vie que celle que mes parents t’offrent? J’en doute fortement. Chaque fois que j’appelais, Grand-mère me disait que tu étais partie jouée, que tu étais dehors avec grand-père, que tu étais avec des copines ou encore que tu dormais. Je sais que c’était faux. Qu’en réalité, tu ne voulais pas me parler, que pour toi, je n’étais rien d’autre qu’une étrangère, qu’une inconnue. Tu ne voulais rien savoir de moi, et quelque part, je comprenais pourquoi. Jamais tu ne m’avais vue, j’étais celle que tu appelais “mère”, sans jamais être une maman. C’était là toute la différence entre l’affection et l’appellation. Mais pour moi, tu étais ma petite Camie. Cette petite fille que j’imaginais de toutes pièces, avec des boucles brunes, des yeux bleus, à mon image, à l’image de la petite fille que je fus moi. Comme je m’étais trompée. Jamais je n’aurais pu croire que tu étais loin de ce que j’avais imaginé. La journée que je reçus cette photographie, celle d’une petite fille minuscule malgré ses six ans, de grands yeux noisette tirant aux verts, des boucles blondes attachées de chaque côté de la tête dans ta petite robe rose. Je crois qu’elle fut prise à ton anniversaire. Ce fut la seule que je reçus de toi. Ce fut douloureux de te voir, de savoir que tu grandissais, heureuse, loin de moi. Que tu n’avais pas besoin de me connaître, de savoir mon nom, de connaître mon visage pour être heureuse. Que ta vie sans moi est plus heureuse que celle que tu aurais pu avoir avec moi. Il y a tant de choses que j’aimerais te dire. Tant de chose que je voudrais que tu saches. Mais pas maintenant. Pas aujourd’hui. Tout ce que tu as besoin de savoir, c’est que malgré tout, malgré que je ne sois pas là, c’est que je t’aime. Plus que tu ne pourras jamais le croire.

Toute mon affection,
De ta mère,
Lizbeth. »


« Chère Grand-mère,

La vie ici est… comment pourrais-je le dire de façon polie? Difficile? Longue? Pénible? Toutes ses réponses peut-être. Lizbeth m’a déniché une place dans une école publique de la ville. Un établissement scolaire où il n’y a que trois cents étudiants, qui se connaissent depuis l’enfance. Ici, c’est pire qu’Arrowsic. Il nous faut faire deux heures de voiture pour aller au cinéma, une heure et demie pour faire les courses. Le pire dans tout ça? Je ne me sens pas chez moi. Lizbeth passe son temps à changer de petit ami, le nouveau en date s’appelle… en fait, je ne sais pas comment il s’appelle. Et je ne veux pas savoir. Dans trois jours, je sais qu’un nouveau type entrera dans notre appartement miteux. Tu sais, ici, ce n’est pas la maison. C’est minuscule. Je dors sur le sofa du salon. Mère a rangé mes vêtements dans le placard de l’entrée, la plupart ne rentrant pas, elle les a remisés à la cave du bâtiment. Ici, je passe sans arrêt pour la petite nouvelle. Je ne me suis toujours pas fait d’amis, on n’ose pas trop m’approcher. Comme si j’avais la peste. Comme si j’étais contagieuse ou en train de pourrir sur place. Les gens ne sont pas très accueillants. Tu sais, quand elle est venue m’arracher à mon monde, j’ai cru qu’elle passerait du temps avec moi, qu’elle voulait apprendre à me connaître. C’est faux. Depuis que je suis ici, elle n’a même pas passé de temps avec moi. Elle n’est jamais là. Je la croise à peine le matin quand je pars pour l’école et elle n’est pas là le soir. C’est comme vivre avec un fantôme, tu sais, mamie? J’aurais vraiment voulu que les choses soient différentes. Elle s’entête à m’appeler Camie, comme si j’avais toujours été sa petite fille, alors qu’elle comme moi savons que ne c’est faux, que nous ne sommes que des étrangères l’une pour l’autre. Plus je passe du temps ici, plus je la déteste, plus je lui en veux. Je n’ai qu’une envie, retournée à Arrowsic, loin de ce cauchemar qu’est cette minuscule ville perdue au milieu de nulle part. Le pire, c’est la façon dont certain de ces copains me regarde parfois. La façon dont ils s’adressent à moi. Comme si je n’étais qu’un morceau de viande. J’en viens à détester la gente masculine, à la mépriser. Je ne suis pas martyrisé par eux, ne t’en fait pas avec ça. Je vais bien. Dans les circonstances. Mais vous me manquez, Grand-père et toi.

Je vous aime,
Camie.»

« Très chère Camie,

Notre adorable petite fille. Nous sommes fiers de ce que tu es devenue, de la femme magnifique que nous savons que tu es. De la femme d’affaires adorable et forte que tu seras. Tu es encore jeune, Camie, la vie n’a pas toujours été douce, mais tu es forte, tout apprendra à passer outre les pertes. Oui, ma chérie. Les pertes. Parce que je dois t’annoncer avec une tristesse infinie le décès de ta grand-mère quelques semaines plus tôt, emportées par une crise de cœur, sans signes annonciateurs. Sa disparition me tue à petit feu et je sais que je ne resterai plus longtemps dans ce monde. Je sens, peu à peu, mes forces s’effilocher, m’abandonnées et je sais que bientôt, ta grand-mère et moi serons de nouveau réunies pour l’éternité. Je m’en veux un peu de te laisser seule dans ce bas monde, je sais que lorsque tu reviendras à Arrowsic, dans cette maison que nous te léguons, c’est que tu auras coupé tous les ponts avec ta mère. Ne lui en veut pas trop, petite princesse. Je sais que ces années avec elle n’ont pas été faciles, je sais qu’elle n’est pas la mère parfaite, ni la fille parfaite, je ne l’excuse pas, je ne dis pas ça parce qu’elle est ma fille, mais simplement parce que je ne veux pas que tu passes ta vie à regretter ce choix. Je me sens triste de te laisser seule dans cette ville, pleine de souvenirs et de joies. J’aimerais rester, ma princesse, ma belle Camie, mais je sais que je ne te servirais à rien ici. Ma mémoire me faire défaut depuis plusieurs années déjà. Sans ta grand-mère pour me rappeler certaines choses, j’oublie tout, de là où j’ai mis mes clés à la cuisinière que j’oublie de fermer. Je sais que tout ira bien pour toi. Tout réussira, la vie te sourit depuis si longtemps. Tu sais que nous t’aimons, n’est-ce pas, ma jolie fée? Et quand bien même ne nous vois-tu pas, nous serons toujours là pour toi. Présents sans que tu le saches, guidant chacun de tes pas dans le droit chemin. Nous croyons en toi. Ta grand-mère était si fière de toi, si heureuse que tu sois dans nos vies. Je l’ai toujours été aussi. Tu as été la lumière dans nos vies, la fille que ta mère n’a jamais été, la plus grande réussite de nos vies. S’il te plait, Camie, ne soit pas triste. Nous sommes en paix là où nous sommes. Ne soit pas en colère, nous ne t’abandonnons pas. Ne sois pas amère, notre mort est une délivrance douce et chaude, accueillante. Nous serons toujours là.

Nous t’aimons ma chérie, même au-delà de la mort.
Ton Grand-père qui t’adore.»