Étendue au sol, le regard sur les poutres boisées du plafond, elle pense. Et respire. Intensément. Passionnément. Prise dans une bulle et déconnectée de la réalité, elle fait brillement abstraction des cris stridents et du chant des hirondelles. Elle rêve, certes éveillée. Comme un enfant. Un visage pur et innocent. Un sourire allonge ses lèvres étrangement plissées. Les mêmes plis qu’elle aurait fait, en les pinçant. Ses réflexions n’ont l’air que de repousser l’horizon et le rationnel. Mais elle s’y tient, s’y accroche. Au mieux. Elle s’accroche à un souvenir, ou des moments que sa mémoire tente désespérément d’effacer. Comme dans un moment de conscience et le besoin de solitude qui l’accompagne. Les erreurs du passé, les doutes autant que les joies, s’immiscent inlassablement dans le présent. De telle façon à rendre le phénomène d’évaporation surnaturel. Magique. Elle se laisse bercer par la mélodie des instants oubliés et qu’elle a un jour voulu figer. Pour recommencer. Par peur de ne pas arriver à avancer. Reconnue coupable, d’avoir cru une seule seconde à la renaissance. Au sentiment de liberté retrouvée. Déchargée du poids du passé. Écope de la peine maximale : les pensées profondes. Pour une durée d'un quart d’heure. Quinze minutes brèves et concises. Mais amplement méritées et suffisantes.
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arrowsic, septembre 1995.
«
Cate, tu vas nous mettre en retard. » Cria sa mère, du bout de la maison, une main sur la poignée de la porte d’entrée. Cate remettait sa petite robe en place, après s'être aspergée de parfum d'adulte. Elle s'examina brièvement dans le miroir et récita machinalement le discours qu'elle allait sortir à sa mère, pour cette excursion dans la salle de bain. Elle n'eut pas à le faire directement, grâce à sa maladresse habituelle, qui coûta un vase et qui détourna par conséquent, l'attention de la principale intéressée. Quant à son père et son frère, ni l'un ni l'autre ne remarquèrent quoi que ce soit. Fière d'elle, la fillette emboîta le pas de ses parents, d'une démarque rapide afin d'arriver le moins en retard à la messe. Élevée au sein d'une famille catholique et pratiquante depuis sept ans, elle avait pris l'habitude de ses réunions avec Dieu. Bien qu'elle avait arrêté d'y croire et de faire semblant depuis ses cinq ans. Ses parents l'avaient soupçonné à cause des questions religieuses incessantes de leur petite dernière. Personne ne lui en avait réellement voulu. À la seule condition, qu'elle ne déshonore pas la famille et trompe les apparences devant les voisins. Peine perdue. Son tic nerveux lors d'un mensonge était connu de tous. Le récital du prêtre terminé, elle se jettait hors de l'église et rejoignait gaiement ses autres camarades, qui connaissaient également un refus de religion. «
On restera toujours soudés. » Proposait Cate lors de leurs multiples escapades dans la boulangerie et le parc du coin, pour acheter et consommer des sucreries. Tout en plaisantant. Ce jour-là, la petite déclina l'offre. «
Je dois finir mes devoirs si je veux venir à ton anniversaire, Mattie. À samedi. » Et elle s'était éloignée, sans attendre aucune réponse. Elle les avait lâchement planté. Et manqué, par la même occasion, le départ précipité d'un jeune garçon de la bande, auquel elle était très attachée. Plus attachée qu'elle ne l'était aux autres. Tous deux, se comprenaient. Comme personne. La vie s'était occupée de les éloigner, aussi simple cela était-il.
londres, mars 2005.
«
Cate ? Je t'aime. » Elle, ne l'aimait pas. Elle ne s'en sentait moralement pas capable. En premier, parce qu'il était drogué. En permanence. Et en deuxième, parce qu'il était macho. Trop viril. Trop porté sur la guerre et les armes. Avec un goût trop prononcé pour les fêtes et les nouvelles rencontres plus si affinités. Elle l'aimait mais n'osait pas l'admettre. Ou se refusait à l'avouer. Elle avait peur, de n'être qu'une simple conquête. Qu'il dise la même chose, à des centaines de filles. Pour agrandir sa fierté et avoir la prétention de parler devant ses amis. Ou ses chiens, les personnes qui simulaient une amitié, pour avoir une réputation et des anecdotes croustillantes à raconter, plus tard, dans un avenir proche ou lointain, à d'autres amis, des vrais, de la famille, une femme ou des enfants. Cate posa une main sur la cuisse du jeune homme, avant d'avancer ses lèvres pour pincer sa joue et lui faire un bisou. Il n'avait pas bronché, ne s'était pas retourné pour l'embrasser et n'avait pas même rougi ou émi un rire rauque. Comme si ce geste, était d'une banalité évidente. Et sa réaction, confirma les pensées de la demoiselle avec brillo. Elle détourna alors le regard, porté désormais sur un couple d'oiseaux, assis sur le rebord d'une fontaine. Graham obscurcit sa vue, en se plaçant face à elle. Surprise, elle arqua un sourcil et tendit une oreille, malgré tout distraite par le bruit d'un bus. «
Ce n'est peut-être pas le lieu, ni le moment. Tu n'es peut-être pas prête. Tu... » «
Coupe ce passage, qu'est-ce que tu veux ? » Interrompit sèchement Cate qui commençait à perdre patience. «
Mademoiselle Cate Dunham, voulez-vous m'épouser ? » Cette phrase, eut l'effet d'une bombe. En premier, elle s'était trompée sur Graham sur toute la ligne. En deuxième, elle adressa sa première pensée à Dieu et au mariage que souhaitait ses parents pour elle. Et en troisième, elle était trop jeune et avait des projets qu'elle voulait réaliser, sans Graham. Elle lui répondit d'une voix légèrement tendue. «
Non. Non, Graham. Je suis désolée. Plus tard, si on est toujours ensemble. Quand on aura profité des bienfaits de la jeunesse. Quand on... » Elle se coupa avant de reprendre et de cracher tout ce qu'elle avait sur le coeur. «
Quand tu arrêteras tes défonces, mec. Quand je pourrais te parler, sans que tu me fasses répéter. Quand t'arrêteras de vouloir me traîner dans tes magouilles et, surtout, quand tu m'auras sortie de la plus récente. » La jeune fille se leva, plus déterminée que jamais, même devant les yeux doux de Graham, l'homme qu'elle aimait malgré tout. Ce dernier se contenta d'un mot, en guise de réponse. Une parole qui sembla étrangement sincère. «
Pardon. » Mais Cate ne voulait plus se laisser manipuler, se laisser faire. Au risque de perdre l'amour. «
Va te faire foutre, mec. Reprends ta dignité parce que peu importe ce que tu diras, ma décision sera toujours la même. T'es un looser, c'est tout. Un pauvre petit con qui dit vouloir rattraper ses erreurs mais qui n'écoute jamais vraiment son coeur. Si tu m'aimes, grandis. »
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Cette dernière phrase repasse dans la tête de Cate, comme s'il serait agi d'une chanson, d'une musique, d'une citation. Elle a un perdu un ami cher, un confident. Et un amour, peut-être même l'amour de sa vie. En osant croire être parfaite, entourée de personnes imparfaites, dans un monde imparfait. Elle a effacé deux bonheurs, à la rigueur trois. Elle leur a dit au revoir, peut-être même adieu. Les yeux fermés, elle continue de penser. Fort. Encore plus fort. Le plus fort qu'elle puisse penser. Est-ce que même coupable, elle est innocente ? Est-ce que tout le monde est innocent ? Quel que soit notre âge ou la douleur de notre passé, quelle que soit l’emprise qu’ont la vie et la conscience sur notre petite personne, quelle que soit la volonté qu’on a de la camoufler ou au contraire, de l’exposer au grand jour ? Est-ce qu'on est tous cons, moches, naïfs, inconscients, perdus, perdants et les qualificatifs négatifs que l’on accorde souvent aux plus ou meilleurs cons, moches, naïfs, inconscients, perdus et perdants ? Est-ce qu'on tue tous, notre image et notre vérité ? Alors, il faut proclamer une condamnation universelle. Accusation : Nous sommes des criminels, sur nous-mêmes. Défense : Nous sommes victimes d'un programme informatique codé, qui regroupe l'ensemble de nos actions, états et pensées. Verdict : Suspendu. Comme nos coeurs, parce qu'il ne reste plus que le corps. Aujourd'hui.